Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

8. Vivre et aimer ne font qu'un
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8.7. La parole, cette arme à double tranchant

Les diplomates disent:

"Tourne sept fois ta langue dans la bouche avant de te taire".

Les hommes de science nous donnent le même conseil. Ainsi, par exemple, lorsqu'on demanda à Einstein un principe infaillible pour réussir, il répondit:

"Si A est le succès, la règle peut s'exprimer ainsi:

A = X + Y + Z

X représente le travail, Y le divertissement et Z avoir un boeuf sur la langue.

Si la loi du silence nous est recommandée avec tant de clarté, indiscutablement c'est pour nous exhorter à bien penser avant de parler.

Et c'est une nécessité quand il s'agit du respect de la dignité humaine. L'homme n'est-il pas respecté par sa parole, et ne perd-il pas toujours le respect qu'on lui doit, également par sa parole? Or le respect de la dignité humaine s'impose aujourd'hui plus que jamais, car l'homme n'est plus l'enfant qu'il était il y a mille ou deux mille ans, il entre dans le stade de la maturité, ce stade qui implique que l'homme soit vigilant quant au respect de sa dignité. Ce à quoi l'exhorte avec force la foi Baha'ie, étant donné que celle-ci est précisément destinée au stade de maturité de l'humanité.

Dans les Écrits baha'is, nous en avons d'abondantes références. Ainsi, par exemple, nous y lisons:

"Tu es ma lampe, et ma lumière est en toi".

"Tu es ma forteresse".

"Tu es ma gloire".

"Tu es le soleil des cieux de ma sainteté, ne permets pas que les souillures du monde viennent éclipser ta splendeur. Déchire le voile de la négligence afin d'émerger resplendissant des nuages et de parer toutes les choses de la robe de vie".

Avec de telles paroles adressées à l'homme d'aujourd'hui, il lui convient donc de prendre conscience de sa dignité et de veiller à ne pas être humilié aux yeux de ses semblables, mais, bien au contraire, d'être de plus en plus respecté et estimé.

L'un des moyens pour y parvenir, c'est la parole, cette parole qui peut l'humilier, comme elle peut l'élever aux yeux de tous, cette parole qui peut être la cause de l'amour, comme elle peut créer la haine.

La parole est donc une arme à double tranchant.

Pour étudier cette question commençons d'abord par la mention des effets bienfaisants de la parole.

En tout être humain on peut trouver de bonnes qualités, comme on peut en trouver de mauvaises. Et par sa nature l'homme est très sensible à la mention de ses bonnes qualités, ce qu'on peut appeler éloges justifiés. Surtout quand ces éloges sont spontanés et sans arrière-pensée.

On a demandé à Einstein si jamais il a été impressionné par un éloge, et il a raconté cette histoire:

"Un enfant venait régulièrement chez moi pour que je lui fasse ses petits problèmes d'arithmétique. Et chaque fois, en échange, il m'apportait des bonbons. Un jour je lui ai demandé s'il était content de ce que je faisais. "Oh - me répondit-il - vous êtes formidable. Notre institutrice n'a jamais trouvé une seule erreur dans tout ce que vous faites." Et c'est de cet éloge de l'enfant que j'ai gardé le souvenir le plus doux de ma vie".

L'éloge remplace avantageusement la demande du pardon dans le cas où l'on commet une faute, et que l'on voudrait être pardonné. Ce qui est si bien illustré par cette histoire:

En servant un sculpteur qu'il admirait, un maître d'hôtel dans son émotion renversa un verre de vin sur son vêtement.

"Ça ne me serait pas arrivé en servant un moins grand homme", lui dit-il en réparant les dégâts avec sa serviette.

A quoi le sculpteur répondit à son admirateur confus

"Voilà bien le plus grand compliment que l'on m'ait jamais fait".

Les politiciens se servent de l'éloge pour gagner leur cause.

Pendant la guerre de Sécession, le Président Lincoln avait coutume de parler avec éloge des Confédérés.

"Monsieur le Président - demande quelqu'un -comment pouvez-vous parler ainsi de vos ennemis? Ne vaut-il pas mieux les détruire?"

"Mais le meilleur moyen de les détruire, c'est de les mettre de mon côté", rétorqua le Président.

A ce propos remarquons que l'éloge est bien plus efficace quand il n'est pas direct, mais vient par un tiers. Il y a une proverbe arabe qui dit: "Bénie la bouche qui profère une parole bienveillante, trois fois bénie celle qui la répète".

On a souvent tendance à ne voir que simple politesse, sinon même une flatterie dans l'éloge qu'on nous adresse directement et le fait qu'il a été fait devant d'autres, hors de notre présence, nous paraît un gage de sincérité.

L'éloge devant un tiers, ou même un mot très vaguement aimable prononcé devant un tiers est tellement efficace qu'il faut s'en servir pour réconcilier ce qui paraît inconciliable.

Dans un magasin il y avait deux vendeuses qui se regardaient toujours en chien de faïence. Un beau jour les employés furent étonnés de voir qu'elles se prirent d'amitié l'une pour l'autre. Quelqu'un demanda au directeur s'il s'en était aperçu.

"Bien sûr, répondit-il en souriant. Un jour j'ai entendu l'une d'elle dire à propos de l'autre: "Mais c'est naturel que le patron l'aime mieux, elle est plus belle que moi, et gentille avec les clients." J'ai rapporté ces propos à l'autre, et c'est ainsi que j'ai créé un admiration réciproque entre elles".

Si la vendeuse dit que sa collègue était plus belle et qu'elle l'a dit en son absence, c'est que c'était juste. Et c'est cet esprit de justice qui a tout arrangé.

C'est de cet esprit de justice que l'on doit s'inspirer quand on veut profiter de ce talisman suprême qu'est la PAROLE.

Qu'est-ce que la justice, si ce n'est que le fait de désirer pour son prochain ce qu'on désire pour soi-même. Or nous désirons qu'on fasse notre éloge, l'esprit de justice implique donc qu'on ait le même désir à l'égard de notre prochain, c'est-à-dire qu'on fasse son éloge, bien entendu justifié. Par une telle attitude, non seulement on réjouit son coeur, ce qui est le but même de la religion, mais, en plus, on contribue à l'épanouissement de sa personnalité. En effet, c'est dans la nature humaine de justifier l'éloge dont on fait l'objet, c'est-à-dire de s'efforcer de ressembler, le mieux possible, à la bonne image que les autres se font de soi.

On dit que la plante humaine ne peut s'épanouir qu'au grand soleil de l'éloge.

D'une manière imagée un Baha'i doit toujours avoir avec lui une loupe pour découvrir les qualités apparemment imperceptibles de son prochain et d'en parler surtout à un tiers, contribuant ainsi à l'entente et l'harmonie, but qu'il se fixe lorsqu'il s'engage dans la communauté Baha'ie.

N'oublions pas que la charité bien ordonnée commence à la maison. Partant de là tout ce qui vient d'être dit, doit être mis en pratique, avant tout, à la maison. Nulle part les mots gentils et les compliments ne sont plus nécessaires qu'au sein de la famille. Et c'est là que, malheureusement les paroles qui réchauffent le coeur et les égards sont le plus rarement accordés. Dans la vie quotidienne d'une famille les mérites sont considérés comme allant de soi, et les frictions inévitables sont démesurément grossies, si bien que personne ne songe plus à rendre hommage à personne.

Au sein d'une famille Baha'ie, les parents doivent profiter de la moindre occasion pour échanger des compliments, contribuant ainsi à leur mutuelle estime et créant une ambiance d'harmonie, ce qui servirait de meilleure leçon pour les enfants. Parallèlement, les parents doivent profiter des effets des PAROLES encourageantes pour contribuer au développement de leurs enfants et à l'épanouissement de leur personnalité.

Il y a encore beaucoup à dire sur les bienfaits de la parole. Mais arrêtons-nous pour voir un peu le revers de la médaille.

De ce point de vue, avant tout il faut mentionner la MÉDISANCE, c'est-à-dire les propos malveillants concernant une personne. Peu importe que ces propos soient fondés ou non ; dans tous les cas, leurs effets néfastes sont inévitables et irréparables. Une petite histoire pour illustrer les effets du commérage.

Au cours d'une longue maladie, un homme s'était laissé pousser la barbe et la moustache. Quand sa femme le rejoignit dans le village où il était en convalescence, il décida de se raser. En deux temps, un jour la barbe, le lendemain la moustache. Un matin en quittant la salle à manger de l'hôtel où ils étaient descendus ils entendirent une dame âgée dire à une autre:

"Je ne sais pas qui est cette femme, mais voilà le troisième homme avec qui elle prend son petit déjeuner cette semaine".

Et ce n'est pas la première fois que la médisante en parlait à tout le monde, de sorte que la bonne femme devint la cible du village. Elle demanda alors au patron de l'hôtel d'expliquer à la bavarde qu'elle se trompait. Mais le tort était déjà fait, et il n'y avait plus moyen de le réparer.

Il y a une histoire attribuée au Prophète Muhammad, histoire qui illustre bien l'impossibilité de réparer le tort causé par le commérage:

On raconte que l'un de ses voisins demanda un jour au Prophète comment réparer le préjudice causé à un ami qu'il avait faussement accusé. Le Prophète lui enjoignit de faire le tour du village et de déposer une plume d'oie sur le seuil de chaque maison. Le lendemain le Prophète ordonna: "A présent va ramasser les plumes". Et l'homme de protester: "Impossible, le vent a soufflé toute la nuit, et elles sont irrémédiablement dispersées". "C'est exact - dit le Prophète - Et il en est de même des paroles imprudentes que tu as prononcées contre ton voisin".

Il y en a qui justifient leur médisance en disant que leurs propos sont fondés et justes. Que leurs propos soient fondés ou pas, ce qui importe c'est la conséquence néfaste de la médisance, conséquence qui est toujours l'humiliation et la désunion, l'une comme l'autre étant des actes antireligieux, car le but de la religion, c'est l'élévation du rang de l'homme et l'union de tous.

Partant de là, la médisance dans la foi Baha'ie est interdite au même titre que le meurtre et l'adultère. Je dis bien au même titre que le meurtre et l'adultère, car Baha'u'llah en parlant de l'interdiction du meurtre et de l'adultère mentionne immédiatement la médisance.

Ce qui n'est pas difficile à comprendre. Car, si dans le premier cas, c'est la vie du corps qui est supprimée, et dans le second - la vie familiale, dans le cas de la médisance, c'est la vie de l'esprit qui est tuée. En effet, pour l'état d'esprit qu'y a-t-il de plus néfaste que la discorde et la haine, conséquences inévitables de la médisance.

Nous lisons dans les Écrits baha'is ("Les Paroles Cachées" de Baha'u'llah - M.E.B. Bruxelles):

"La langue est destinée à me mentionner, ne la souillez pas en dénigrant autrui. Si le feu du moi vous embrase, souvenez-vous de vos propres fautes et non de celles de mes créatures, attendu que chacun se connaît mieux que les autres".

Ou encore:

"Le plus grand péché et le pire des défauts humains est la médisance, et ceci surtout quand elle vient de la part des amis. S'il y avait un moyen d'y mettre fin, et que chaque ami ne fasse que l'éloge des autres, alors les enseignements de Baha'u'llah se propageraient, les coeurs seraient rayonnants, les âmes deviendraient célestes, et le monde humain atteindrait le bonheur.
J'espère que les amis auront de la répugnance pour leur médisance, et qu'ils feront l'éloge les uns des autres, qu'ils considéreront la médisance comme passible de châtiment divin, et qu'ils en arriveront au point où dès qu'un ami prononce un mot de médisance, il soit discrédité aux yeux de tous. Car le défaut le Plus répugnant est de chercher les défauts des autres et non pas leurs qualités. Autant que possible il faut fermer les yeux aux défauts pour ne voir et ne parler que des qualités des gens" (Extraits des Écrits d`Abdu'l-Baha).

`Abdu'l-Baha subordonne donc la propagation de la foi Baha'ie et par conséquent, le salut de l'humanité à ce qu'il soit mis fin à la médisance.

Et pour y mettre fin il ne suffit pas de s'interdire la médisance. Il faut ne pas devenir soi-même le complice du médisant en l'écoutant avec une attention encourageante, car dans ce cas la médisance devient trois fois dégradante

pour celui qui médit, pour celui dont on médit et pour celui qui prête l'oreille à la médisance.

Quelle attitude faut-il alors prendre devant un médisant? Une attitude qui lui fasse comprendre que vous le désapprouvez. A vous d'en décider. On peut dans son coeur invoquer Dieu, on peut éventuellement changer la conversation, on peut garder un silence absolu.

Remarquons que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'on nous interdit la médisance. Il y a plus de 2500 ans, Confucius citait la médisance comme l'un des sept cas où le mari pouvait répudier sa femme. Mais jamais dans l'histoire des religions la médisance n'a pas été bannie avec tant de force que dans les Écrits baha'is. Et ceci pour la simple raison que le message Baha'i s'adresse à une humanité condamnée à s'unir, et rien ne nuit autant à l'union que la médisance.

Il y en a qui prétendent ne pas vouloir médire, mais sous prétexte de franchise, critiquent leur prochain. Un tel comportement est aussi proscrit dans la foi Baha'ie. D'abord parce que parler des défauts de son prochain, c'est parler de ses propres défauts et, par conséquent, s'avilir.

Un homme extrêmement laid visitant une exposition de tableaux modernes dit au peintre qui exposait ses oeuvres:

"Regardez-moi ce tableau ! Au lieu d'un homme vous avez fait un singe".

Et le peintre de répondre:

"Monsieur, c'est un miroir, ce n'est pas un tableau". Si le visiteur s'est aperçu de la laideur, c'est qu'il avait lui-même cette laideur. Si devant quelqu'un on s'aperçoit de sa " laideur" (ce défaut) et si on en parle, on avilit son prochain et on s'avilit soi-même: double erreur.

Mais ce qui est bien plus grave, c'est que par des propos malveillants on attriste son prochain. Or attrister son prochain est un acte antireligieux, car le but de la religion c'est de donner la joie à son prochain, et non pas l'attrister. De tout ce qui a été dit, on conclut qu'en interdisant la médisance on contribue au respect de la dignité humaine, et à l'entente et à l'harmonie entre les hommes. Il faut s'y entraîner. La meilleure occasion pour un tel entraînement est la vie familiale. Car c'est là que les défauts se voient facilement à cause du contact permanent, et c'est là qu'on a l'occasion d'en parler.

Notre responsabilité commence donc au sein du foyer familial, une responsabilité non seulement pour le présent, mais encore et, surtout, pour l'avenir. Car c'est là que la génération future se forme. Dans une famille où papa médit devant le fils aîné ; et maman devant le cadet, (ou tous les deux devant leurs enfants parlant des autres), les parents s'avilissent eux-mêmes, et perdent le respect que les enfants leurs doivent. De plus par une telle attitude ils deviennent la cause de la désunion entre les enfants. Ajoutons à cela le danger que cela présente pour l'avenir, étant donné que l'image de cette ambiance de médisance se grave dans l'esprit des enfants, qui facilement s'en inspirent quand ils seront grands.

Agissant ainsi nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'en grandissant nos enfants puissent s'abstenir de la médisance. Cela reviendrait à les rendre paralytiques et à nous attendre à ce qu'ils puissent marcher.

Puisqu'on parle de la famille, fruit de l'union conjugale, n'oublions pas que ce qui nuit profondément à cette union, c'est non seulement la médisance, mais les propos blessants qu'éventuellement les partenaires pourraient échanger.

Baha'u'llah compare la langue au "feu qui couve", et en faisant cette comparaison il ajoute:

"Tandis que le feu naturel consume le corps, le feu de la langue consume les esprits et les coeurs. Celui-là ne laisse aucune trace après une heure, tandis que celui-ci dure des siècles".

Ne pourrait-on pas en déduire qu'il vaut mieux appliquer le fer rouge sur le corps de son prochain plutôt que de lui adresser des paroles qui le feront souffrir pour toujours?

Un dernier mot pour finir.

En parlant des effets néfastes que la PAROLE est capable de produire, j'ai mentionné la médisance et les propos blessants, mais il y a encore un autre effet non moins néfaste, c'est l'abus des paroles que Baha'u'llah compare à un " poison mortel".

Et pour éviter cet effet je m'arrête, autrement il y a encore beaucoup à dire sur la parole en tant qu'une arme à deux tranchants.

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