Le courage
d'aimer
Shoghi Ghadimi
9. La mesure de l'amour est l'amour
sans mesure
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9.1. L'amour n'est pas un luxe, c'est une loi
L'inventeur de l'insuline, alors qu'il
était tout jeune, avait pour compagne de jeux une petite fille qu'il aimait
beaucoup. Puis, un jour, elle ne vint plus jouer avec Frédéric, et peu de temps
après elle mourut d'un excès de sucre dans le sang.
Il ne l'oublia jamais et étudia la médecine pour trouver le remède à cet excès
de sucre dans le sang.
Et il découvrit l'insuline.
Aujourd'hui des milliers de diabétiques vivent parce que Frédéric aima Jeanne.
Un tel amour émanant du coeur pur d'un enfant n'est pas comparable à l'amour
tel qu'on l'entend communément dans le monde moderne d'aujourd'hui, amour dont
je vais mentionner quelques caractéristiques.
Un premier trait caractéristique de l'amour à notre époque c'est l'idée de profit.
Comme en toute autre chose d'ailleurs.
Deux personnes disent s'aimer l'une l'autre si chacune trouve dans l'autre un
ensemble de qualités qui lui sont profitables (comme dans une marchandise).
Il peut s'agir indifféremment de deux amis, ou d'un homme et d'une femme ; l'essentiel
c'est que l'échange soit profitable.
Un deuxième trait caractéristique de l'amour c'est qu'on cherche d'abord à "être
aimé" pour pouvoir "aimer". Dans ce but les hommes, par exemple, cherchent à
devenir riches ou à acquérir une position sociale enviable, ou d'une manière
générale, remporter un succès.
Les femmes, de leur côté, afin d'être aimées ont recours aux soins de beauté
et se conforment à la mode, cette mode qui est variable et souvent si difficile
à comprendre.
- Chéri - demande une femme à son mari - est-ce que tu m'aimeras quand j'aurai
des cheveux blancs.
- Mais tu en as eu de toutes les couleurs, et je n'ai cessé de t'aimer.
Un troisième trait caractéristique de l'amour à notre époque c'est cet amour
qu'on appelle "le coup de foudre". Ce grand amour est surtout suscité par l'attraction
sexuelle.
Indiscutablement l'amour de Frédéric pour Jeanne ne rentrait dans aucune de
ces catégories. Et c'est la raison pour laquelle son effet ne fut pas temporaire
et qu'il a duré toute la vie de Frédéric.
Et si l'on étudie plus profondément la question de l'amour, on voit que l'amour
est une loi dans tous les mondes: minéral, végétal, animal et humain.
Les éléments dont se compose le minéral, en général, sont retenus ensemble par
la loi de l'attraction. Si un seul instant cette attraction disparaissait ces
éléments ne resteraient pas assemblés et le minéral cesserait d'exister.
Il en est de même dans le monde végétal, avec cette différence que l'effet de
cette attraction, de cet amour, confère aux plantes, en plus de la capacité
de cohésion, le pouvoir de croissance.
Et il en est de même en ce qui concerne le monde animal, où l'effet de cette
attraction, de cet amour est encore plus grand, car il donne lieu non seulement
à la cohésion et à l'attraction, mais en plus, devient la cause de l'apparition
des cinq sens.
Et nous arrivons au monde humain, où l'effet de cet amour est encore plus grand
étant donné qu'en plus de la cohésion, de la croissance et des cinq sens il
y a l'affinité entre les coeurs, avec la solidarité et la collaboration qui
en résultent.
Mais tout cela, ce ne sont que les différents degrés de l'amour dans le monde
physique, degrés qui se manifestent en conformité avec les implications du monde
correspondant.
Selon les enseignements baha'is le véritable amour c'est l'amour qui existe
entre Dieu et les êtres humains.
Comment peut-on s'en faire une idée, afin de pouvoir s'en inspirer?
Pour les baha'is étant donné que les messagers de Dieu sont les manifestations
de Dieu, c'est par l'amour de ces manifestations de Dieu qu'on peut juger combien
Dieu aime ses créatures.
L'une de ces manifestations de Dieu était Jésus. Aurait-il accepté tant de souffrance
et finalement de mourir sur la croix, s'il n'avait pas tant aimé l'humanité?
C'est pour l'amour de l'humanité qu'il s'est sacrifié.
Qui parmi nous aurait accepté de sacrifier ne fut ce qu'un de ses doigts pour
son prochain? Jésus a pourtant donné tout son être, toute sa vie. Peut on imaginer
un amour plus grand? C'est cela l'exemple de l'amour de Dieu pour les hommes.
Et aujourd'hui avons-nous une autre image de l'amour de Dieu pour ses créatures?
Oui, d'abord en la personne du Bab, précurseur de la foi baha'ie.
Concernant son sacrifice l'éminent orientaliste français A.L.M. Nicolas écrit:
"C'est un des plus magnifiques exemples de courage qu'il ait été donné à l'humanité
de contempler, et c'est aussi une admirable preuve de l'amour que notre héros
portait à ses concitoyens. Il s'est sacrifié pour l'humanité, pour elle il a
donné son corps et son âme, pour elle il a subi les privations, les affronts,
les injures, la torture et le martyre. Il a scellé de son sang le pacte de fraternité
universelle, et comme Jésus il a payé de sa vie l'annonce du règne de l'équité,
de la concorde et de l'amour du prochain"("Siyyid 'Ali Muhammad dit le Bab")
Ce qui étonne les historiens c'est qu'on a chargé tout un régiment de sept cent
cinquante soldats, de fusiller le Bab, comme si un peloton d'exécution ne suffisait
pas.
Tel était pourtant l'esprit sanguinaire des bourreaux iraniens de l'époque.
C'est à ces bourreaux que Baha'u'llah, le fondateur de la foi baha'ie lança
son défi, ce qui lui a coûté cinquante années de vie de martyr. C'était pire
que le martyre, car à chaque instant il était menacé d'être exécuté.
C'était un condamné à mort face à un roi, au sujet duquel je vais vous raconter
une histoire afin de montrer combien il prenait plaisir à la vue du sang.
Le journal hollandais "De Telegraaf" rapporte cette anecdote concernant la visite
de Nasir'i-Din Shah en France:
Lors du voyage de ce Shah (qui a tué plus de vingt mille adeptes de Baha'u'llah)
on lui a montré à Paris l'exécution d'un criminel par la guillotine (Ce qui
n'était nullement en usage en France lors de la visite des chefs d'Etat. Si
on a fait exception c'est que probablement on savait combien le Shah y prendrait
plaisir). Le Shah y a éprouvé un grand plaisir, et estimant que c'était justement
pour lui faire ce plaisir qu'on lui avait montré l'exécution par la guillotine,
il s'écria: "Bravo ! Bravo ! C'est formidable !" Puis s'adressant à une personnalité
française qui l'accompagnait: "Décapitez-en maintenant un autre !".
C'est à un tel tyran sanguinaire que Baha'u'llah déclara sa mission d'établir
la justice dans le monde. Il était donc facile à prévoir qu'il serait condamné
à disparaître, et qu'il devrait s'attendre à chaque instant à être exécuté.
On dit que pour un condamné l'instant le plus atroce c'est l'attente devant
la potence. Or, pour Baha'u'llah, ce temps d'attente ne dura pas un instant
mais toute sa vie.
Et dire que Baha'u'llah était le fils d'un ministre, et par conséquent, qu'il
pouvait jouir de tous les honneurs et de tous les plaisirs que sa haute position
lui offrait. Mais il a tout abandonné pour consacrer sa vie à l'abolition des
préjugés de race, de classe, de nation, de religion afin d'établir le règne
de la concorde et de l'amour parmi les hommes.
Il sacrifia sa vie pour l'amour de l'humanité.
Jésus, le Bab, Baha'u'llah (pour ne citer que ces trois exemples parmi bien
d'autres) étaient des êtres humains que Dieu avait choisis pour manifester son
amour pour les hommes afin que ces derniers s'efforcent de s'en inspirer.
Et nombreux parmi les vingt mille martyrs baha'is furent ceux qui s'en inspirèrent
en nous montrant ce qu'est le véritable amour. Permettez moi de vous en citer
un exemple.
Un baha'i condamné à mort se trouvait par hasard chez l'un de ses coreligionnaires.
Les bourreaux qui ne connaissaient le condamné que de nom vinrent le chercher.
"Nous sommes venus pour emmener un tel" - dirent-ils à l'hôte. "C'est moi-même"
répondit celui-ci. Là-dessus il fut emmené et décapité.
Qu'est-ce qui unissait à ce point ces deux amis?
Uniquement l'amour commun pour Baha'u'llah, en tant que manifestation de Dieu.
Par conséquent c'était l'amour commun pour Dieu qui les unissait à tel point.
Voilà pourquoi `Abdu'l-Baha dit: "Quand vous aimez, que ce soit en Dieu et pour
Dieu". Et il explique que si on aime une personne pour telle ou telle qualité,
comme cette personne n'est pas une création parfaite, et qu'elle a toujours
des défauts, on ne peut s'empêcher d'être déçu dès que l'un de ces défauts se
manifeste. Tandis que si on arrive à aimer Dieu, qui est la perfection même,
on n'est jamais déçu. Et, par conséquent, si on aime une personne par amour
de Dieu on n'est jamais déçu, non plus.
Et `Abdu'l-Baha illustre son idée par une image selon laquelle il faut considérer
tout être humain comme une lettre écrite par la main de Dieu.
En effet, si on aime une personne, on aime toute lettre venant de sa part, sans
en voir le moindre défaut. On aime l'auteur de la lettre, et, par conséquent,
on aime sa lettre malgré tous ses défauts.
Si donc les baha'is sont exhortés à aimer leur prochain ce n'est pas qu'ils
se voient contraints de le faire, malgré tous les défauts qu'ils voient en lui,
malgré toute la mauvaise opinion qu'on se fait de lui. Non, avant tout il faut
qu'ils arrivent à fermer les yeux aux défauts de leur prochain, qu'ils se fassent
une bonne opinion de lui. Ce qui ne peut se faire que si on le considère comme
une lettre de Dieu, ce Dieu qu'ils aiment. Autrement, explique `Abdu'l-Baha,
si vous traitez gentiment quelqu'un que vous considérez comme un méchant et
comme un ennemi, c'est un compromis que vous faites avec votre conscience. C'est
donc une hypocrisie, ce qui n'est pas permis.
`Abdu'l-Baha a raison en disant que c'est une hypocrisie, car cela revient à
jouer un rôle, et le mot hypocrisie vient précisément de hypocrisis, mot grec
qui signifie "rôle joué".
Shoghi Effendi(Le Gardien de la foi baha'ie qui a succédé à `Abdu'l-Baha) illustre
cet amour commun par une autre image.
Un jour quelqu'un lui a demandé comment on pouvait aimer tout le monde, étant
donné cette diversité de goûts et de caractères. Et il a répondu en disant que
deux frères peuvent avoir des caractères et des goûts différents bons ou mauvais.
Mais puisque tous les deux aiment leur seul père, et savent que ce père les
aime tous les deux, tout en sachant qu'en chacun il y a une bonne qualité, étant
donné leur confiance en leur père, ils s'aiment. C'est ainsi - conclut Shoghi
Effendi - que nous devons nous aimer les uns les autres par amour commun de
Dieu.
La beauté de cette image est dans le fait que si on mettait les deux frères
avec leurs tempéraments opposés en dehors de leur famille ils se haïraient.
Mais au sein de leur famille l'image de l'amour commun pour leur père est constamment
devant leurs yeux, et ils s'entendent bien.
Il faut qu'il en soit de même en ce qui nous concerne nous-mêmes. L'image de
l'amour de Dieu doit donc se graver dans notre esprit. Plus cette image est
forte, plus elle domine notre esprit, plus nous sommes capables de ne pas voir
les défauts de notre prochain ("lettre du Bien-aimé") et, par conséquent plus
nous sommes capables de l'aimer.
Nous pouvons donc dire que selon les enseignements baha'is le véritable amour
est l'amour du prochain par amour de Dieu.
Tout revient donc à aimer Dieu de plus en plus afin d'arriver à aimer notre
prochain de plus en plus.
Et pour arriver à aimer Dieu de plus en plus il faut avant tout se mettre de
plus en plus en contact avec Lui. Ce contact se fait par la prière qui est une
conversation avec Dieu.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les baha'is ont des prières obligatoires
qu'ils récitent quotidiennement.
Mais ils ne se contentent pas de ces prières seulement. Ils lisent les Écrits
sacrés tous les jours. Baha'u'llah a lui seul a écrit une centaine d'ouvrages.
Et les baha'is ont de quoi remplir leur temps de lecture.
Un dernier mot pour finir.
L'amour que Jésus a comparé à Dieu (et ceci pour souligner la grandeur de cette
vertu), cet amour est-il une vertu nécessaire uniquement pour ce monde?
Robert Louis Stevenson dit:
"Il semble que la vie ait des limites trop étroites pour contenir un sentiment
si tendre et si vaste, et il est inconcevable que la plus puissante de nos émotions
doive se contenter des moments perdus de quelques années".
Les baha'is lui donnent raison en disant que l'acquisition de cette vertu est
surtout nécessaire pour l'autre monde.
C'est comme l'acquisition de la capacité de voir (cette capacité que l'on acquiert
dans le sein de la mère), elle est surtout nécessaire pour le jour où l'enfant
quitte le sein de sa mère. De même l'acquisition de la capacité d'aimer (cette
acquisition qui se fait en ce monde) est surtout nécessaire pour le jour où
nous quittons ce monde pour l'au-delà.
Mais l'enfant vous dirait (s'il pouvait parler)
"Dans le sein de ma mère je n'ai pas besoin d'yeux".
Ne sommes-nous pas un peu comme cet enfant?