Le courage d'aimer
Shoghi Ghadimi

8. Vivre et aimer ne font qu'un
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8.9. Le martyre d'un enfant surdoué (Ruh'u'llah)

Parmi les 20000 martyrs qu'a donnés la foi Baha'ie, il y avait pas mal d'enfants, qui dans la plupart des cas ont perdu leur vie parce que leurs parents étaient Baha'is. Ils ne comprenaient donc pas pourquoi on les tuait.

Mais il y avait des cas où ces enfants comprenaient parfaitement la raison de leur martyre. Et parmi ces cas il y en avait un qui était tout à fait exceptionnel, car l'enfant bien que n'ayant pas plus de douze ans déjà enseignait la foi aux grands.

C'est le cas de Ruh'u'llah Varqà qui était le second fils de Varqà, médecin, poète, martyr de la foi au temps d`Abdu'l-Baha.

Tout petit il se distinguait des autres enfants par son intelligence, ses connaissances, ses capacités exceptionnelles et surtout son cours C'est ce que nous allons voir par quelques exemples tirés de l'histoire de sa courte vie. A l'âge de six ans il accompagna son père durant le pèlerinage en Terre Sainte où ils ont eu l'honneur d'être présentés à Baha'u'llah.

Un jour Baha'u'llah qui accordait une attention spéciale à Ruh'u'llah lui demanda

"Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui?"

"J'ai appris des leçons d'enseignement de la foi", répondit l'enfant.

"Sur quel sujet?"

"Sur le retour". (Il s'agit du retour de Jésus pour les chrétiens, d'Imam Husayn pour les musulmans shiites, de Krishna pour les hindouistes etc.)

"Explique-moi ce que tu as compris.

"Par le retour il faut entendre le retour de quelqu'un d'identique".

"Tu as appris mot à mot ce que ton instructeur t'a dit. Explique-moi ce que toi, tu as compris".

"C'est comme la fleur d'une plante. Cette année la plante donne une fleur que vous cueillez et mettez de côté. L'an prochain la plante donne une autre fleur qui est identique à la fleur de cette année, mais ce n'est pas exactement la même fleur. C'est une fleur identique. C'est comme ça que j'ai appris le retour.".

"Tu as très bien compris", dit Baha'u'llah en le caressant et en lui donnant le titre " Monsieur l'instructeur de la foi".

Remarquons que c'est au cours de ce pèlerinage qu'un soir Baha'u'llah appela Varqà, le père de Ruh'u'llah en audience privée. Et il lui fit beaucoup de confidences. Entre autres, Il lui révéla le rang d`Abdu'l-Baha après lui, tout en précisant les services inestimables qu'il va rendre à la foi. Profondément touché Varqà exprime le désir de tomber martyr pour la foi, et qu'il en soit de même en ce qui concerne l'un de ses fils.

De retour Varqà se consacre entièrement à l'enseignement de la foi. Quant à son fils Ruh'u'llah, avec la permission de son père, il prenait déjà la parole aux réunions où les gens venaient pour se renseigner sur la nouvelle révélation. Et malgré son jeune âge il avançait des arguments d'une simplicité et d'une force réellement étonnantes.

A remarquer que l'enfant faisait déjà des vers, don qu'il avait hérité de son père, Varqà.

Aux réunions d'enseignement c'est souvent Ruh'u'llah qui chantait des prières qu'il avait apprises par coeur et dont il expliquait le sens des paroles.

Après l'ascension de Baha'u'llah, Varqà repartit de nouveau en pèlerinage, cette fois pour se présenter à `Abdu'l-Baha.

Il était accompagné de Ruh'u'llah ainsi que du frère aîné de celui-ci.

Un jour, la sueur d`Abdu'l-Baha appela chez elle les deux frères. Dans la chambre il y avait également les deux demi-frères (Ces deux demi-frères plus tard trahirent la foi) d`Abdu'l-Baha en train de copier leurs leçons.

La sueur d`Abdu'l-Baha demanda au frère aîné:

"Que faites-vous en Iran?"

"On enseigne la foi", répondit Ruh'u'llah à la place de son frère aîné.

"Et qu'est-ce que vous dites quand vous enseignez la foi?"

"Nous disons que Dieu s'est manifesté".

"Et vous dites ça à tout le monde?"

"Non, pas à tout le monde, seulement à ceux qui sont capables de croire".

"Et comment vous les reconnaissez?"

"On les regarde dans les yeux".

"Alors regardez-moi dans les yeux, et dites-moi si je suis capable de croire".

Rùhu'llà s'agenouille devant elle, regarde dans ses yeux et dit en conclusion.

"Mais vous y croyez déjà".

Alors elle montre les deux demi-frères d' `Abdu'l-Baha.

"Regarde dans leurs yeux et dis ce que tu penses".

De nouveau l'enfant s'agenouille et regarde fixement dans leurs yeux pendant longtemps.

"Inutile", conclut-il avec désespoir. Ça ne vaut pas la peine.

A la remarque de l'enfant la soeur d' `Abdu'l-Baha éclata de rire.

Un jour Ruh'u'llah jouant avec un enfant Baha'i, l'entend dire une parole injurieuse. Extrêmement bien élevé et poli Ruh'u'llah ne put s'empêcher de lui frapper sur la bouche. Varqà, son père, entend les pleurs et les cris, accourt pour punir Ruh'u'llah. Celui-ci court alors tout droit vers la chambre d`Abdu'l-Baha où il trouve refuge. Derrière la fenêtre son père lui fait signe de sortir. Et Ruh'u'llah avec les mouvements de sa tête fait comprendre à son père qu'il ne sortira pas de la chambre pour se laisser punir.

`Abdu'l-Baha s'aperçoit de ce qui se passe et demande à Ruh'u'llah

"Pourquoi remues-tu la tête?" Et l'enfant d'expliquer ce qui s'est passé, et que son père voulait le punir.

`Abdu'l-Baha appelle le père et lui dit: "Dorénavant tu n'as pas le droit d'offenser cet enfant".

A partir de cet incident le père adopta une attitude très respectueuse à l'égard de son enfant.

Après ce second pèlerinage Varqà retourna à Tabriz, où il ne put rester longtemps à cause des intrigues des ennemis de la foi. Il quitta donc cette ville pour s'installer à Zanjan. Là il reçut une lettre d`Abdu'l-Baha dont il déduisait que les Baha'is de cette ville allaient prochainement subir de terribles épreuves.

Trop connu comme une grande personnalité dans la foi des Baha'is et ne désirant pas servir de prétexte pour des troubles contre les Baha'is il décida de quitter cette ville pour Tihran.

Avant d'aller plus loin notons que, selon le voeu de Baha'u'llah durant ses voyages Varqà était accompagné de son fils Ruh'u'llah, qui malgré son jeune âge lui servait de secrétaire, copiant soigneusement ses poèmes pour les envoyer à `Abdu'l-Baha.

En réponse à l'un de ces envois, un jour Varqà reçoit une lettre d`Abdu'l-Baha. La lettre, entre autres, parlait de l'effet de la plume de l'enfant dans le domaine du progrès de la foi. Convaincu que la plume d'un enfant ne peut contribuer au progrès de la foi, que si l'encre pour cette plume est son sang, Varqà déduit que c'est Ruh'u'llah qui partagera avec lui l'honneur du martyre.

Après cette parenthèse continuons le récit du voyage de Varqà quand il quitta Zanjan. Durant ce voyage il était accompagné d'un ami, Haji Iman et, comme toujours, de Ruh'u'llah.

Ils firent leur première escale dans un village non loin de la ville. Ils y passèrent la nuit. Le lendemain avant de continuer leur route, sur l'ordre du gouverneur, ils furent ramenés à Zanjan.

Vers ce temps là à Téhéran on se préparait fiévreusement pour les festivités célébrant le cinquantenaire du règne de Nasiri'd-Din Shah. Et à cette occasion chaque province envoyait dans la capitale un régiment de cavalerie afin de donner plus d'éclat aux festivités.

Le gouverneur décida de confier au corps expéditionnaire ses prisonniers Varqà, Ruh'u'llah et Mirza Husayn, tous enchaînés afin d'être emmenés à Tihran.

A quelques kilomètres de Zanjan le corps expéditionnaire s'arrêta dans un village, où l'on amena les prisonniers à une réunion des notables et des prêtres.

Le chef du village dit à Varqà:

"Je ne comprends pas comment avec toute votre érudition vous avez abandonné la religion?

"Nous n'avons pas abandonné la religion, nous avons avancé dans la religion - répondit Varqà - Et puis, j'ai cette religion de naissance. Comme c'est le cas de mon fils, qui est la troisième génération. Tout ce que je fais c'est de prouver que mon père était dans la vérité.

Alors les prêtres s'adressèrent à Ruh'u'llah:

"Et toi, qu'est-ce que tu es?"

"Moi, je suis comme vous", répondit l'enfant.

"Comment, tu es musulman?"

"Non - intervint le père - il veut dire que sa religion, il l'a imitée, comme vous, de père en fils".

Furieux les prêtres s'écrièrent:

"Pourquoi ne les tue-t-on pas? Ils insultent le clergé !"

Là-dessus ils ordonnèrent de mettre des fers aux pieds de l'enfant téméraire.

Les prisonniers passèrent la nuit enchaînés.

Le lendemain il faisait un froid insupportable. Lorsqu'on mit Ruh'u'llah sur le cheval, les pieds toujours enchaînés, il couvrit ses pieds avec son manteau, ce que le père remarqua sans rien dire. En cours de route cependant, il lui fit cette remarque:

"Mon enfant, sache que depuis Adam jusqu'ici on n'a jamais vu un enfant de 12 ans emprisonné et enchaîné sauf Siyyid'l Sajidin (L'un des descendants directs du Prophète Muhammad) qui était le premier, toi, tu es maintenant le second. Et il n'y aura jamais un troisième. J'ai été si fier quand j'ai vu, que pour la foi, on a mis des chaînes à tes pieds. Et tu as eu honte, puisque tu les cachais avec ton manteau.

"Mais papa, j'avais les pieds gelés", répondit l'enfant.

Durant tout le voyage Ruh'u'llah était tellement heureux qu'il chantait des vers et des prières.

Voyant que Mirza Husayn avait son cou enchaîné, il lui dit:

"Si seulement on enlevait les chaînes de mes pieds pour les mettre autour de mon cou ! J'en serais si fier!"

Arrivés à Tihran, ils furent conduits à la grande prison où étaient enfermés les assassins et les grands criminels. C'est ici que le voeu de l'enfant se réalise, car on mit autour de son cou une chaîne tellement lourde que sa tête pencha, et l'on fut amené à soutenir cette chaîne avec un étai en V renversé.

Arrivé à ce stade de notre récit, laissons la parole à Mirza Husayn, qui plus tard devait écrire l'histoire du martyre de Varqà et de son fils".

"Le père et le fils - raconte-t-il - ne pensaient qu'à se sacrifier pour la foi. Tout en étant en vie on peut dire qu'ils étaient déjà des martyrs.

Une nuit quand Ruh'u'llah était plongé dans le sommeil, son père passa la main sur le visage de l'enfant et dit:

"Seigneur, ne serait-il pas possible que tu l'acceptes en sacrifice !"

Ces paroles m'ont touché aux larmes.

Après l'attentat qui mit fin à la vie de Nassiri'd-Din Shah la veille du cinquantenaire de son règne lés bourreaux firent irruption dans la prison. Terrifiés tous tes prisonniers se demandent mais qu'est-ce qui a pu se passer,".

Arrive le sous-directeur de la prison qui nous dit:

"Levez-vous, on vous emmène au tribunal".

On s'est levé et on a voulu prendre nos manteaux.

"Ce n'est pas la peine de les prendre" - nous dit-il.

A peine sortis nous avons vu sur les toits les soldats, fusils à la main, prêts à tirer comme s'ils avaient la mission de nous fusiller tous.

Les bourreaux, de leur côté, attendaient leur tour pour intervenir.

Hajib'-dawlih (Chef de la police de la cour) écumait de rage, courant à droite et à gauche.

"Enlevez leurs chaînes et amenez-les deux à deux", hurla-t-il.

"On a commencé par Varqà et son fils Ruh'u'llah, âgé de 12 ans. On les a poussés à l'intérieur d'un long couloir conduisant à une autre aile de la prison".

"Moi et Haji iman, sommes restés dans la cour en attendant notre tour. Arrive le gardien de la prison pour prendre un falakih (Instrument destiné à la bastonnade. Il se compose d'un bâton troué à ses bouts afin d'y passer une corde pour attacher les pieds du condamné). On a cru que c'était pour fustiger Varqà. Puis on a vu un autre bourreau tenant une épée ensanglantée et allant la laver dans le bassin de la cour. Après lui un autre bourreau portant sous les bras les vêtements de Varqà".

"Ahuris, ne sachant ce qui se passait, nous attendions notre tour quand on a ouvert la porte du couloir comme pour nous y faire entrer. Et puis on entendit un vacarme inexplicable, et la porte se referma sans que nous soyons entrés.

"On a appris alors que Hajib'd-Dawlih aurait dit qu'on nous laisse pour demain".

"Il s'était donc passé quelque chose qui l'avait bouleversé au point qu'il n'avait même pas pu remettre son épée dans le fourreau, et que ce fut l'un des bourreaux qui la lui prit pour la laver dans le bassin".

"On nous a donc conduit dans notre cachot, où nous n'avions plus rien trouvé de ce que nous y avions laissé, ni manteau, ni matelas, ni couverture".

"Cela se passait dans l'après-midi avant le coucher du soleil. Terrifiés nous sommes restés sans nouvelles des Varqà. On a supposé que le père avait été exécuté, mais qu'est-ce qu'ils ont fait du fils, se demandait-on".

"Ecrasés par l'angoisse on est resté cloué à terre jusqu'à minuit sous le regard moqueur des gardiens. L'un disait:

"Demain son vêtement sera à moi".

L'autre rétorquait en disant:

"Et moi alors?"

Finalement on a supplié l'un des gardiens qui a été en bons termes avec nous de dire ce qui s'est passé. Et il nous a raconté ceci:

Hajib'd-Dawlih dès qu'il vit Varqà lui dit: Finalement vous avez fait ce que vous vouliez faire.

Nous n'avons rien fait - répondit Varqà.

"Quoi de plus ignoble que le crime (Il s'agit de l'assassinat du Shah. Et le chef de la police s'imaginait que les Baha'is étaient les complices de l'assassin) que vous avez commis", hurla Hajib'd-Dawlih. "Dis maintenant lequel de vous deux vais-je tuer le premier, toi ou ton fils?"

"Peu importe lequel", répondit Varqà.

Alors Hajib'd-Dawlih tira son épée et l'enfonça dans le coeur de Varqà en disant:

"Et bien, comment vas-tu?"

"Mieux que toi", répondit Varqà.

Ensuite Hajib'd-Dawlih fit signe aux bourreaux de mettre le corps de Varqà en pièces.

Ruh'u'llah voyant son sang jaillir du corps déchiqueté de son père, criait et pleurait en disant

"Papa, papa, amène-moi avec toi".

Hajib'd-Dawlih lui dit:

"Ne pleure pas, je te prends chez moi, je demanderai au Shah un bon grade pour toi et tu seras bien payé".

Je ne veux ni grade, ni argent. C'est mon père que je veux. C'est chez lui que je veux aller". Et il se mit à pleurer.

Alors Hajib'd-Dawlih ordonna qu'on apporte une corde pour l'étrangler. N'ayant pas trouvé de corde on a apporté un falakih, de la corde duquel on s'est servi pour étrangler Ruh'u'llah. L'enfant commença à se débattre en agonisant. On abandonna son corps sans vie pour venir vous chercher. Et juste à ce moment le cadavre de l'enfant sursauta pour se jeter à plusieurs pas plus loin.

Ce sursaut du cadavre de l'enfant terrifia Hajib'd-Dawlih au point qu'il quitta immédiatement la prison en ordonnant de jeter les deux cadavres dans un puits.

"Les deux autres je les tuerai demain", dit-il en quittant la prison.

Ainsi se termina la vie de l'enfant surdoué qu'était Ruh'u'llah. Et son dernier mot avant d'expirer fut l'invocation de BAHA'U'LLAH.

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