Les Baha'is
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2.
Le Babisme S'appuyant principalement sur une connaissance et une interprétation
intuitive du Coran et des traditions, notamment par les rêves et les visions,
al-Ahsai se démarque autant des écoles osûli et ahkbari.
Acceptant la divinité des Imams et l'existence d'une porte (bab),
ses théories bénéficieront pendant une vingtaine d'années
de l'oreille bienveillante de Fath Ali Shah, neveu et successeur du fondateur
de la dynastie Qadjar14,
alors régnante en Perse. Installé à Yazd, il y rédigera
ses principales oeuvres. Périodiquement excommunié et condamné
pour hérésie, il mourra sur le chemin de La Mecque en 1826, clôturant
quatre années d'une campagne de dénigrements après sa condamnation
pour apostasie en 1822.
Son successeur, le jeune persan Kazim Rashti, renforcera, jusqu'à sa
mort en 1843 à Kerbala (Irak), les théories développées
par al-Ahsai, considérées dorénavant comme une école
à part entière. Juste avant sa mort, il envoya un de ses disciples,
Mulla Husayn, parcourir la Perse à la recherche du bab, dont la
venue proche est attendue. Cette lecture des Ecritures renoue avec les origines
messianiques du Shi'isme duodécimain en y intégrant une dimension
millénariste. La réapparition d'un Bab annoncerait le retour du
12ème Imam, mille années lunaires après sa Petite
Occultation en 87415.
C'est à Chiraz que l'envoyé de Kazim rencontrera Ali Mohammad16,
jeune homme de 24 ans et ami de Kazim depuis leur rencontre lors d'un pèlerinage
à Kerbala. Fasciné par les réponses apportées à
ses questions théologiques et par le commentaire de la sourate de Joseph17,
qu'il rédige en arabe dans la nuit du 23 mai 1844, Mulla Husayn reconnaît
aussitôt Ali Mohammad comme le Bab attendu. La petite communauté
ne résistera pas à la mort de Kazim et se scindera en deux courants
rivaux. Celui mené par Muhammad Karim Kirmani se rapprochera progressivement
du courant osûli, alors que celui mené par Ali Mohammad,
les babis, réaffirmera l'importance de l'intuition et l'existence
d'un Bab.
De nombreux adeptes rejoignent bientôt celui qu'ils reconnaissent comme
le Bab. L'essor du Babisme tient sans doute autant du contexte socio-politique
que de la personnalité du Bab, présenté par le Comte de
Gobineau comme "[…] renfermé en lui-même, toujours occupé
de pratiques pieuses, d'une simplicité de moeurs extrême, d'une
douceur attrayante, et relevant ces dons par son extrême jeunesse et le
charme merveilleux de sa figure […]18".
Dès l'été 1844 les premiers babis, surnommés
"Lettres du Vivant"19,
parcourent la Perse, dispensant leur enseignement et annonçant l'arrivée
de la "porte" avec l'Imam. Désireux d'annoncer sa mission, le Bab se
rend en pèlerinage à La Mecque l'automne suivant mais rencontre
peu d'écho auprès des fidèles musulmans, le séjour
lui laissera un souvenir désagréable.
De retour à Chiraz au printemps 1845, où il s'installe, le Bab
y fait de nombreuses prédications publiques précisant sa mission
et invitant ses disciples à ajouter à l'adhân20
une phrase faisant de lui et d'Ali "les miroirs du souffle de Dieu". Les affrontements
entre Shi'ites et Babis décide le gouverneur de la ville à mettre
le Bab en résidence surveillée et à expulser ses fidèles.
Envoyé par les autorités afin de l'interroger, le théologien
Yahya-i-Darabi, y découvre un personnage qu'il le fascinera au point
qu'il se convertira sur le champ, tout comme Mirza Husayn Ali21
(futur Baha-u-llah) et son frère Mirza Yahya22
(futur Subh-i-Azal) lors de leur rencontre avec Mulla Husayn à Téhéran
en septembre de la même année.
Chassé de Chiraz par le choléra, le Bab s'installe à Ispahan,
sous la protection du gouverneur de la province, un Géorgien chrétien.
A la mort de celui-ci courant de l'été 1847, arrêté,
le Bab est envoyé, sur ordre du grand vizir Mirza Aqasi, dans la forteresse
de Mahku, au coeur des montagnes de l'Azerbaïdjan, sous domination perse.
Les troubles causés par la propagande babie amènent une nouvelle
fois les autorités perses à transférer le Bab vers un autre
lieu de détention ; au château de Cihriq, près du lac Urmia.
Décidé à en finir avec le Babisme, le nouveau vizir de
Mohammad Shah convoque, à Tabriz, une commission de mollahs, sous
la direction du prince héritier Nasiru-d-Din, chargée d'entendre
les arguments du Bab. Il reviendra sur ses aspirations religieuses après
avoir été torturé et sera condamné à mort
pour apostasie. Il est soigné par le docteur William Cormik, seul Occidental
à l'avoir approché.
Malgré les nouvelles qui leur arrivent de Cihriq, les Babis ne cessent
de propager l'avènement d'une nouvelle religion, à l'image de
la poétesse Kurrat al-ayn Tahirih23
qui apparaît désormais non-voilèe en public, symbole de
sa rupture avec l'Islam, et appelle les Musulmans à considérer
la shari'at comme abrogée. Révoltés par la violence
des autorités et n'ayant pu mener à terme leur projet d'évasion
du Bab, ses fidèles profitent des querelles pour la succession du shah,
mort le 4 septembre, pour prendre les armes et se soulever dans le Mazindaran.
Sous la direction Mulla Husayn, 300 Babis tentent de s'emparer de la ville de
Barfurus mais sont repoussés dans le sanctuaire de Sayh Tabarsi, qui
subira le siège des troupes persanes jusqu'au 22 mai 1849. Arrêtés
alors qu'ils allaient rejoindre les assiégés, Mirza Husayn Ali
et Mirza Yahya échappent au massacre des survivants. A l'annonce de la
chute du sanctuaire et de la mort d'un de ses meneurs, Mulla Mohammad Ali, Mirza
Yahya est saisi d'un "saint trouble", avertit, le Bab y reconnaît un signe
le désignant comme étant le "retour" du meneur tombé au
sanctuaire de Sayh Tabarsi. Désormais surnommé Subh-i-Azal (Matin
d'Eternité), Mirza Yahya est désigné par le Bab comme son
dauphin.
Las des insurrections babies qui se multiplient dans le pays24
, le pouvoir perse décide d'appliquer la peine de mort prononcée
contre le Bab à Tabriz en 1848. Le 9 juillet 1850, il est conduit avec
deux de ses fidèles à Tabriz afin d'y être fusillé,
mais sur ses conseils l'un des fidèles, Agha Sayyid Husayn, feint de
renier sa foi25
, permettant ainsi de sauver les écrits du Bab et de faire appliquer
ses dernières volontés : Mission qu'il réussira avant d'être
tué à Téhéran. Suspendu, une corde passée
sous les aisselles, en vue d'être fusillé, le Bab échappe
de manière inexplicable aux balles qui ne font que briser les liens26
; la seconde tentative lui sera fatale.
Jeté dans un fossé, son corps sera récupéré
par des babis27
et caché plusieurs années à Téhéran dans
l'attente d'une sépulture digne. Ses restes reposent désormais
dans un mausolée sur les pentes du Mont Carmel, en Terre Sainte28
.
La mort du Bab n'entama pas la dynamique qu'il créa. Bien au delà
de ses attentes le Babisme est devenu un véritable mouvement de réforme
morale et sociale qu'aucune violence ne réussira à faire taire
comme le dit très bien Ernest Renan : "Notre siècle a vu un mouvement
religieux tout aussi extraordinaire que ceux d'autrefois, mouvement qui a provoqué
autant d'enthousiasme, qui a eu déjà, toute proportion gardée,
plus de martyrs. Le Babisme a été un phénomène considérable.29
" 13) Ahmad al-Ahsai (1753-1826)
Après la chute des Séfévides en 1722, la tendance ahkbari
prédominera dans la vie religieuse iranienne, voyant de fait l'influence
des ulémas baisser. Très vite combattue par certains théologiens,
cette tendance persistera malgré tout et jouera un rôle considérable
auprès du théologien bahreïni Shaykh Ahmad al-Ahsai13,
fondateur de l'école shèykhi.
Notes
14) Dynastie d'origine turkmène.
15) Date de la mort du 11ème
Imam et de la disparition de son fils, Muhammad al-Mahdi al-Muntazar, 12ème
Imam. Le millénaire de cette date (260 du calendrier musulman) correspond
à 1844-45 (1260 du calendrier musulman).
16) Ali Mohammad est né le
20 octobre 1818 ou le 9 octobre 1820 à Chiraz dans une famille de marchands.
17) kayyun al-asma ou commentaire
de la Sourate de Joseph (Coran, XII), considéré par les Babis
comme la première oeuvre révélée du Bab
18) Joseph Arthur de Gobineau, Les
religions et les philosophie dans l'Asie centrale, Paris, 1865.
19) L'influence des Hurufis (de l'Arabe
huruf, lettre), courant mystique musulman du 14ème
siècle qui donne une valeur numérique à chaque lettre (numérologie)
de l'alphabet arabe et en tire une exégèse du Coran un peu à
l'image des Kabbalistes juifs, est plus marquée chez les Babis que chez
les Baha'is qui ne gardent que le côté symbolique des chiffres.
20) adhân, terme désignant
l'appel lancé avant l'heure de chaque prière par le mu'adhdhin,
le "muezzin" en Français.
21) Mirza Husayn Ali, né le
12 novembre 1817 dans une famille aisée de Téhéran.
22) Mirza Yahya, demi-frère
de Mirza Husayn Ali, né en 1830
23) Zarrin-Taj, une des "Lettres
du Vivant", connu sous le nom de Kurrat al-ayn (Lumière de l'oeil)
ou de Tahirih (La Pure) est la traductrice du Kayyun al-asma en
persan. Sarah Bernhardt demandera à Catulle Mendès de réaliser
une pièce de théâtre sur la vie de cette héroïne
babie qui mourra étranglée sur ordre des autorités.
24) Insurrections à Nayriz
dans le Fars, dirigée par Yahya-i-Darabi, de juin 1849 à janvier
1850, ainsi qu'à Zanjan dans le Hamse de janvier à décembre
1850… qui se solderont à chaque fois par le massacre de tous les survivants
malgré des réditions négociées.
25) taqiya, terme arabe signifiant
"prudence, crainte", désignant le précepte coranique (Coran, XVI,
108) qui autorise les croyants à dissimuler leur foi dans un environnement
hostile. Il n'est pas utilisé par les Baha'is.
26) Selon des sources babies et musulmanes.
27) Mirza Musa, jeune frère
de Baha-u-llah, sauve les restes du Bab avant de mourir à Acre en 1887.
28) Baha-u-llah en ordonnera la construction.
29) Ernest Renan, Les Apôtres,
1863