Les Baha'is


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3. Baha'is et Azalis

En représailles de la mort du Bab deux ans auparavant, 3 Babis tentent d'assassiner Nasiru-d-Din Shah, le 15 août 1852 à Téhéran. Cet acte manqué permit au Shah de lancer une vague de répressions qui fera 20000 morts et contraindra les Babis à fuir la ville. Subh-i-Azal et plusieurs proches réussirent à s'enfuir vers Bagdad, sous domination ottomane, mais son frère, Mirza Husayn Ali est arrêté sur la route et envoyé à la prison de Siyah Cal (Trou Noir) de Téhéran. La tradition baha'ie fait remonter le début de la mission prophétique du futur Baha-u-llah à cette détention pendant laquelle il dit avoir entendu des voix et reçu des signes surnaturels. Mais sous la pression des diplomates russes30 , Mirza Husayn Ali est libéré, puis expulsé vers Bagdad avec sa famille au mois d'avril 1853, non sans avoir vu tout ses biens confisqués.

Arrivé à Bagdad, il y retrouve la petite communauté babie regroupée autour de Subh-i-Azal. Mais des dissensions apparaissent bientôt entre les deux frères, poussant Mirza Husayn Ali à rejoindre le Kurdistan dans une retraite, où, menant une vie de derviche errant, il établira des contacts avec des soufis Naqshabandis31 , très implantés dans la région. Persuadé par Subh-i-Azal de quitter ce Kurdistan dans lequel il vit depuis deux ans, il se décide à réintégrer la communauté bagdadi à l'été 1856. Mirza Husayn Ali s'occupera dorénavant de l'aspect économique et son frère héritera de l'autorité spirituelle.

La période 1856-1863 est charnière pour les Babis qui, d'une part s'organisent grâce aux dons venus d'Iran, et d'autre part entrent dans un cycle de violence réciproque qui aboutira à la rupture. La multiplication de Babis32 se proclamant "Manifestation Divine" n'est pas étrangère aux écrits du Bab, notamment le Bayan33, qui annonce de manière controversé la venue de celui qui abrogera la shari'at, clôturera le cycle de Mohammad et édictera la nouvelle loi divine.

Passage obligatoire sur la route du pèlerinage des lieux saints du Shi'isme, Bagdad devient un lieu de propagande babie auprès des fidèles perses. Inquiet de cette influence grandissante, le Shah demande aux autorités ottomanes de les expulser vers un lieu où les contacts avec des Perses seraient limités. Les tensions entre Babis et Musulmans seront le déclencheur de la réponse positive donnée au Shah et l'expulsion de la communauté vers Mossoul. La tradition baha'ie situe à cette date (22 avril - 3 mai 1863) la retraite de Mirza Husayn Ali et de douze de ses disciples dans un jardin de Ridwan, près de Bagdad. Il s'y déclare être la "Manifestation Divine" prédit par le Bab et prend le nom de Baha-u-llah, "Splendeur de Dieu" et ses adeptes celui de baha'is. Après un court séjour à Mossoul où il y rejoignirent Subh-i-Azal arrivé en mars, les Babis sont envoyés à Istanbul puis à Edirne (Andrinopole) en Turquie d’Europe où ils arrivent en décembre 1863.

C'est de cette ville qu'en 1866 (ou 1867) Baha-u-llah appelle l'ensemble des communautés de Turquie, de Syrie et d'Iran à le considérer comme la "Manifestation Divine" et à reconnaître son autorité. Le cycle prophétique de Mohammad est terminé et tous les fidèles peuvent rejeter la shari'at devenue caduque : La Foi Baha'ie est la nouvelle loi divine.

"Levez-vous tous de vos places quand vous entendez mentionner le nom de celui que Dieu doit manifester […] Et dans la neuvième année, vous atteindrez à tout le bien" a écrit le Bab dans le Bayan. Les Baha'is y voient l'annonce de la mission de Baha-u-llah qui, 9 années lunaires après le millénaire de l'occultation du 12ème Imam (1852-53 / 1269), avait perçu des "signes" du fond de sa prison à Téhéran. Au contraire, Subh-i-Azal et quelques membres de la famille du Bab estiment que cette venue est impossible seulement 22 ans après la mort de celui-ci alors que selon leur lecture du Bayan cette venue ne peut se produire avant 1500 ou 2000 ans : se réclamant d'une stricte application des écrits du Bab, les Azalis (fidèles de Subh-i-Azal) ne reconnaissent ni la mission prophétique de Baha-u-llah, ni ses prétentions à la direction de la communauté.

La fracture est sérieuse. Assassinats et tentatives d'empoisonnement mutuels rythment les rapports entre Azalis et Baha'is, troubles que les autorités ottomanes ne peuvent tolérer bien longtemps et en réaction desquels elles décident de les séparer géographiquement. Subh-i-Azal et quelques fidèles arrivent à Chypre en août 1868 et Baha-u-llah et 70 de ses proches partent pour Saint-Jean d'Acre, en Palestine ottomane, qu'ils atteignent le 31 août de la même année. Logés dans des baraquements militaires dans des conditions déplorables, les Baha'is, qui voient plusieurs d'entre eux mourir, n'en sont pas moins actifs et particulièrement Baha-u-llah que cela n'empêche pas d'adresser des lettres à tous les "puissants" de son époque34, les invitant à se convertir à la nouvelle foi et à être tolérant envers les Baha'is.

En 1870, les Baha'is sont autorisé à s'installer en ville. Aidé par de nombreux dons arrivant de Perse, la communauté s'installe plus chichement et gagne la sympathie d'un milieu tout d'abord méfiant. Le peu de liberté patiemment acquis est brusquement interrompu le 23 janvier 1872 lorsque, victimes des manipulations politico-diplomatiques ottomanes, 7 Baha'is assassinent 3 Babis azalis, chacun accusant l'autre d'être un agent turc. La condamnation ferme de Baha-u-llah n'empêche nullement les autorités de l'incarcérer avant de le libérer faute de charges réelles. Plus libre de ses mouvements, il s'installe en 1878 à Mazra'ih à quelques kilomètres d'Acre mais choisit en 1880 de se rapprocher d'Acre. De cette date à sa mort le 29 mai 1892, Baha-u-llah n'aura de cesse d'oeuvrer pour les pauvres en parallèle d'une intense activité épistolaire qui lui vaudront un nombre croissant de fidèles, particulièrement en Iran, où l'orientaliste Edgar Granville Browne35 y estime le nombre de fidèles à plusieurs centaines de milliers.

Les Babis azalis, libres depuis le passage de Chypre sous autorité britannique (1878), verront leur effectif se réduire au rythme des conversions à la nouvelle religion que forme désormais la Foi Baha'ie. Subh-i-Azal s'éteint à Chypre le 29 avril 1912, sans successeur désigné36.



Notes

30) Depuis les nombreuses guerres russo-iraniennes du début du 19ème siècle, la Russie joue un rôle important dans la vie politique du pays. La Russie et la Grande-Bretagne s'affrontent pour le contrôle de l'espace iranien qui offre un accès au Golfe Persique et à l'Océan Indien pour les premiers alors que les Britanniques y voit une charnière importante, tout comme pour l'Afghanistan, sur la route des Indes qu'ils tentent de conserver.
31) Naqshabandiya, confrérie mystique, fidèle au Sunnisme, fondée au 14ème siècle par Baha al-Din al-Nasqshabandi

32) Plusieurs "Lettres du Vivant" se déclareront "Manifestation divine" ainsi que le Babi Mirza Asadu-llah, assassiné par un autre Babi.

33) Le Bayan arabe et le Bayan persan (plus long) sont considérés comme les livres sacrés du Babisme. Les principales règles du Bayan sont l'attente de la "Manifestation Divine", l'instauration d'une nouvelle qibla, orientation de la prière, vers la demeure du Bab et l'abrogation de nombreuses règles de l'Islam. Le terme bayan signifie "Exposé" en arabe et est parfois utilisé pour désigné le Coran lui-même. Certaines traditions shi'ites attribuent à Fatima, la fille du Prophète Mohammad, la rédaction d'un livre intitulé Bayan.

34) La Reine Victoria, le Tsar, Napoléon III, Pie IX… Les deux lettres qu'il enverra à Napoléon III resteront sans effet sur celui-ci mais son traducteur et émissaire, César Catafago, vice-consul de France à Saint-Jean d'Acre, se convertira à la nouvelle foi.

35) Edward Granville Browne visitera Baha-u-llah à Acre et Subh-i-Azal à Famagouste en 1890 afin de recueillir leurs versions de l'histoire du Babisme et de la naissance du Baha'isme. Browne est le premier Occidental à faire mention des Baha'is devant l'Essay Society le 29 mars 1888 ; il sera le traducteur de la première histoire des Baha'is écrite par Abbas Effendi le successeur de Baha-u-llah

36) Les Babis fidèles au Bayan et à Subh-i-Azal sont de nos jours plusieurs milliers en Iran. Ils ont été très actifs au sein du mouvement constitutionnaliste (1906-1908) qui verra l'instauration d'un régime parlementaire en Iran et la proclamation d'une constitution, contrairement aux Baha'is qui refusent toute action politique.



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