Les Baha'is
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3.
Baha'is et Azalis Arrivé à
Bagdad, il y retrouve la petite communauté babie regroupée autour
de Subh-i-Azal. Mais des dissensions apparaissent bientôt entre les deux
frères, poussant Mirza Husayn Ali à rejoindre le Kurdistan dans
une retraite, où, menant une vie de derviche errant, il établira
des contacts avec des soufis Naqshabandis31
, très implantés dans la région. Persuadé par Subh-i-Azal
de quitter ce Kurdistan dans lequel il vit depuis deux ans, il se décide
à réintégrer la communauté bagdadi à l'été
1856. Mirza Husayn Ali s'occupera dorénavant de l'aspect économique
et son frère héritera de l'autorité spirituelle.
La période 1856-1863
est charnière pour les Babis qui, d'une part s'organisent grâce
aux dons venus d'Iran, et d'autre part entrent dans un cycle de violence réciproque
qui aboutira à la rupture. La multiplication de Babis32
se proclamant "Manifestation Divine" n'est pas étrangère aux écrits
du Bab, notamment le Bayan33,
qui annonce de manière controversé la venue de celui qui abrogera
la shari'at, clôturera le cycle de Mohammad et édictera
la nouvelle loi divine.
Passage obligatoire sur
la route du pèlerinage des lieux saints du Shi'isme, Bagdad devient un
lieu de propagande babie auprès des fidèles perses. Inquiet de
cette influence grandissante, le Shah demande aux autorités ottomanes
de les expulser vers un lieu où les contacts avec des Perses seraient
limités. Les tensions entre Babis et Musulmans seront le déclencheur
de la réponse positive donnée au Shah et l'expulsion de la communauté
vers Mossoul. La tradition baha'ie situe à cette date (22 avril - 3 mai
1863) la retraite de Mirza Husayn Ali et de douze de ses disciples dans un jardin
de Ridwan, près de Bagdad. Il s'y déclare être la "Manifestation
Divine" prédit par le Bab et prend le nom de Baha-u-llah, "Splendeur
de Dieu" et ses adeptes celui de baha'is. Après un court séjour
à Mossoul où il y rejoignirent Subh-i-Azal arrivé en mars,
les Babis sont envoyés à Istanbul puis à Edirne (Andrinopole)
en Turquie d’Europe où ils arrivent en décembre 1863.
C'est de cette ville qu'en
1866 (ou 1867) Baha-u-llah appelle l'ensemble des communautés de Turquie,
de Syrie et d'Iran à le considérer comme la "Manifestation Divine"
et à reconnaître son autorité. Le cycle prophétique
de Mohammad est terminé et tous les fidèles peuvent rejeter la
shari'at devenue caduque : La Foi Baha'ie est la nouvelle loi divine.
"Levez-vous tous de vos
places quand vous entendez mentionner le nom de celui que Dieu doit manifester
[…] Et dans la neuvième année, vous atteindrez à tout le
bien" a écrit le Bab dans le Bayan. Les Baha'is y voient l'annonce
de la mission de Baha-u-llah qui, 9 années lunaires après le millénaire
de l'occultation du 12ème Imam (1852-53 / 1269), avait perçu
des "signes" du fond de sa prison à Téhéran. Au contraire,
Subh-i-Azal et quelques membres de la famille du Bab estiment que cette venue
est impossible seulement 22 ans après la mort de celui-ci alors que selon
leur lecture du Bayan cette venue ne peut se produire avant 1500 ou 2000
ans : se réclamant d'une stricte application des écrits du Bab,
les Azalis (fidèles de Subh-i-Azal) ne reconnaissent ni la mission prophétique
de Baha-u-llah, ni ses prétentions à la direction de la communauté.
La fracture est sérieuse.
Assassinats et tentatives d'empoisonnement mutuels rythment les rapports entre
Azalis et Baha'is, troubles que les autorités ottomanes ne peuvent tolérer
bien longtemps et en réaction desquels elles décident de les séparer
géographiquement. Subh-i-Azal et quelques fidèles arrivent à
Chypre en août 1868 et Baha-u-llah et 70 de ses proches partent pour Saint-Jean
d'Acre, en Palestine ottomane, qu'ils atteignent le 31 août de la même
année. Logés dans des baraquements militaires dans des conditions
déplorables, les Baha'is, qui voient plusieurs d'entre eux mourir, n'en
sont pas moins actifs et particulièrement Baha-u-llah que cela n'empêche
pas d'adresser des lettres à tous les "puissants" de son époque34,
les invitant à se convertir à la nouvelle foi et à être
tolérant envers les Baha'is.
En 1870, les Baha'is sont
autorisé à s'installer en ville. Aidé par de nombreux dons
arrivant de Perse, la communauté s'installe plus chichement et gagne
la sympathie d'un milieu tout d'abord méfiant. Le peu de liberté
patiemment acquis est brusquement interrompu le 23 janvier 1872 lorsque, victimes
des manipulations politico-diplomatiques ottomanes, 7 Baha'is assassinent 3
Babis azalis, chacun accusant l'autre d'être un agent turc. La condamnation
ferme de Baha-u-llah n'empêche nullement les autorités de l'incarcérer
avant de le libérer faute de charges réelles. Plus libre de ses
mouvements, il s'installe en 1878 à Mazra'ih à quelques kilomètres
d'Acre mais choisit en 1880 de se rapprocher d'Acre. De cette date à
sa mort le 29 mai 1892, Baha-u-llah n'aura de cesse d'oeuvrer pour les pauvres
en parallèle d'une intense activité épistolaire qui lui
vaudront un nombre croissant de fidèles, particulièrement en Iran,
où l'orientaliste Edgar Granville Browne35
y estime le nombre de fidèles à plusieurs centaines de milliers.
Les Babis azalis, libres
depuis le passage de Chypre sous autorité britannique (1878), verront
leur effectif se réduire au rythme des conversions à la nouvelle
religion que forme désormais la Foi Baha'ie. Subh-i-Azal s'éteint
à Chypre le 29 avril 1912, sans successeur désigné36.
30)
Depuis les nombreuses guerres russo-iraniennes du début du 19ème
siècle, la Russie joue un rôle important dans la vie politique
du pays. La Russie et la Grande-Bretagne s'affrontent pour le contrôle
de l'espace iranien qui offre un accès au Golfe Persique et à
l'Océan Indien pour les premiers alors que les Britanniques y voit
une charnière importante, tout comme pour l'Afghanistan, sur la route
des Indes qu'ils tentent de conserver.
En représailles de la mort du Bab
deux ans auparavant, 3 Babis tentent d'assassiner Nasiru-d-Din Shah, le 15 août
1852 à Téhéran. Cet acte manqué permit au Shah de
lancer une vague de répressions qui fera 20000 morts et contraindra les
Babis à fuir la ville. Subh-i-Azal et plusieurs proches réussirent
à s'enfuir vers Bagdad, sous domination ottomane, mais son frère,
Mirza Husayn Ali est arrêté sur la route et envoyé à
la prison de Siyah Cal (Trou Noir) de Téhéran. La tradition baha'ie
fait remonter le début de la mission prophétique du futur Baha-u-llah
à cette détention pendant laquelle il dit avoir entendu des voix
et reçu des signes surnaturels. Mais sous la pression des diplomates russes30
, Mirza Husayn Ali est libéré, puis expulsé vers Bagdad avec
sa famille au mois d'avril 1853, non sans avoir vu tout ses biens confisqués.
Notes
31) Naqshabandiya, confrérie
mystique, fidèle au Sunnisme, fondée au 14ème
siècle par Baha al-Din al-Nasqshabandi
32) Plusieurs "Lettres du Vivant"
se déclareront "Manifestation divine" ainsi que le Babi Mirza Asadu-llah,
assassiné par un autre Babi.
33) Le Bayan arabe et le
Bayan persan (plus long) sont considérés comme les livres
sacrés du Babisme. Les principales règles du Bayan sont
l'attente de la "Manifestation Divine", l'instauration d'une nouvelle qibla,
orientation de la prière, vers la demeure du Bab et l'abrogation
de nombreuses règles de l'Islam. Le terme bayan signifie "Exposé"
en arabe et est parfois utilisé pour désigné le Coran
lui-même. Certaines traditions shi'ites attribuent à Fatima,
la fille du Prophète Mohammad, la rédaction d'un livre intitulé
Bayan.
34) La Reine Victoria, le Tsar,
Napoléon III, Pie IX… Les deux lettres qu'il enverra à Napoléon
III resteront sans effet sur celui-ci mais son traducteur et émissaire,
César Catafago, vice-consul de France à Saint-Jean d'Acre, se
convertira à la nouvelle foi.
35) Edward Granville Browne visitera
Baha-u-llah à Acre et Subh-i-Azal à Famagouste en 1890 afin
de recueillir leurs versions de l'histoire du Babisme et de la naissance du
Baha'isme. Browne est le premier Occidental à faire mention des Baha'is
devant l'Essay Society le 29 mars 1888 ; il sera le traducteur de la première
histoire des Baha'is écrite par Abbas Effendi le successeur de Baha-u-llah
36) Les Babis fidèles au
Bayan et à Subh-i-Azal sont de nos jours plusieurs milliers
en Iran. Ils ont été très actifs au sein du mouvement
constitutionnaliste (1906-1908) qui verra l'instauration d'un régime
parlementaire en Iran et la proclamation d'une constitution, contrairement
aux Baha'is qui refusent toute action politique.