La perle inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani


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Chapitre 8. Coups d'oeil intimes

En cherchant a donner ne serait ce qu'un léger aperçu de ce que fut la vie du Gardien (le côté de sa vie peu connu par d'autres personnes que ses proches parents), j'ai décidé de citer quelques extraits de mon propre journal. Il faut préciser que ce journal ne fut pas régulièrement tenu au cours des ans, qu'il est comme la plupart des journaux intimes, un croquis des événements dont la narration détaillée prendrait des heures, et que, pendant les dernières années, il fut pratiquement abandonné par manque de temps et de force. Les noms des personnes dans ces extraits ne sont pas mentionnés, non pour une quelconque raison individuelle, mais parce qu'ils ont été relégués a l'arrière plan, a ce moment-la, par quelque chose qui se passait dans la vie quotidienne de Shoghi Effendi. Dans les notes et les mots écrits sur le champ, il y a un sentiment profond ou une observation acérée qu'on ne trouve jamais tout a fait plus tard. C'est pour faire ressortir ces sentiments d'urgence et d'acuité que je me suis aventurée a publier quelques citations, sans essayer de les expliquer ou de les élaborer, levant seulement un peu le voile sur un océan de peine et de travail quotidiens.

1939

"je sens parfois que cette intense objectivité de Shoghi Effendi est un des facteurs dont Dieu l'a doté. Il est absolument un instrument naturel. Ses impulsions sont violentes et personne (je veux dire aucun observateur désintéressé) ne peut douter sans hésitation que ses énormes réalisations pour la foi ne soient toutes conduites par ses impulsions. C'est le cas de toutes ses décisions, mais naturellement il les repasse en esprit pendant des semaines ou même, quelque fois des années, avant d'agir. Toute la pensée du monde est la, mais quand il sent l'urgence il n'attend jamais cinq secondes!"

1939

"Le Maître nous a confié un dépôt, Ce dépôt est le Gardien. Il a dit "que nulle poussière de découragement ne ternisse sa nature radieuse".

Poussière de découragement! Il a été si abusé et torturé par ceux qui auraient dû le soutenir et l'encourager que maintenant cette nature radieuse est aussi rare qu'elle peut l'être. Parfois je la vois comme un soleil briller dans sa chère figure. Il souffre tant que souvent il doit aller au lit littéralement prostré.

1939

Il a souffert "si souvent et d'une manière si peu ordinaire avec le renvoi de la communauté de Haïfa".

8-8-39

"Levée a six heures, je suis partie pour obtenir les visas nécessaires (toujours a condition que nous puissions sortir de Suisse) et j'ai été sur la route pendant dix huit heures! Ce n'est pas le premier jour de précipitation... c'est typique de ma vie. Pas le temps pour rien..."

6-9-39

"Retour au Moyen-Orient... Un voyage très exténuant, la plupart du temps sans dormir. Une nuit nous avons dormi une heure et demie! Il ne paraît pas du tout que la guerre soit la. Traversant les villes noires, voyant les trains de soldats partir, attendant les nouvelles a la Radio ... La voie de Shoghi Effendi a été ouverte comme elle le sera toujours, la scène paraissait craquer derrière nous, mais nous étions passés sains et saufs".

5-10-39

"Il dit qu'il se sentait comme un roseau. C'est sans doute partiellement dû au fait d'avoir été, pendant dix jours, très malade, avec une terrible fièvre, atteignant parfois 40'1 Z... et moi, nous l'avons soigné jour et nuit et ce n'est pas exagéré de dire que nous avons été en une sorte d'enfer. Etre seule avec le Gardien si malade, et un médecin étranger, quelle tension, quelle responsabilité! je crois que pendant une semaine nous avons dormi tout au plus quatre heures par nuit!"

22-1-40

Le Gardien et la Cause sont invulnérables. J'ai souvent envie de dire aux baha'is de le suivre a travers l'enfer ou le paradis, dans les ténèbres ou la lumière, a la vie ou a la mort, aveuglément ou en voyant, ralliez-vous a lui, il est votre seul salut. Cette nuit un homme est venu. En entrant il était baha'i mais il est sorti briseur du Covenant (Il a refusé net d'obéir au Gardien). Il est resté debout un long moment a la porte. Je voulais lui crier "Abandonnez-vous votre âme si facilement derrière vous'?" Après tant d'années, élevé dans la foi, il la rejetait si légèrement! Mais qu'a-t-elle d'autre la vie a offrir a l'homme sinon l'âme? Et il laisse tomber le plus précieux don de Dieu a l'homme, parce qu'obéir en ce moment a des inconvénients et paraît difficile...

Si les amis pouvaient seulement réaliser combien le Maître et le Gardien ont souffert des baha'is locaux. Quelques uns d'entre eux étaient bons. Mais d'autres pourris. C'est comme si, quand quelqu'un est peu solide dans le Covenant, il attaque le corps même de la Manifestation, ou de l'Exemple ou du Gardien. J'ai vu cela. C'est comme un poison. Il s'en sort, mais ça lui cause une souffrance inouïe, et c'est pour cela que le Maître se compare dans son Testament a "cet oiseau aux ailes brisées". C'est profondément organique. Cela n'a rien a voir avec les sentiments.

Remarque de Shoghi Effendi

"Vous ne pouvez pas être un héros, sans action; c'est la pierre de touche; non pas le mouvement, les allées et venues, mais ce qui ressort de votre caractère. Jacky (Marion Jack) est une héroïne par sa conduite, l'esprit héroïque se révèle en elle. Martha (Martha Root) a eu l'action héroïque. Elle marcha jusqu'à ce qu'elle tombe."

Remarques de Shoghi Effendi

"La raison d'être d'un baha'i c'est de promouvoir l'unité du genre humain"; "notre but, c'est de créer une civilisation mondiale qui, en retour, réagira sur le caractère de l'individu".


Remarques de Shoghi Effendi

"je sais que c'est une route de souffrance. Je dois suivre cette route jusqu'à la fin. Tout doit être fait dans la souffrance".

2-1-42

"Il dit que ce n'est peut-être pas la dernière guerre avant la Moindre Paix, peut-être que ce sera une partie nulle, ou une trêve, et que de nouveau cela s'embrasera ou continuera pire qu'avant. Bien sûr il n'est pas dogmatique dans sa croyance, il dit seulement 'peut-être, c'est tout a fait possible'."

5-1-42

"Ils (les membres de la famille) ont perdu l'accord avec la mélodie qui règne dans cette maison (le Gardien) et par conséquent ils ne peuvent plus s'ajuster en tant que baha'is alors que la chose principale est disloquée".

7-1-42

"Tout cela fait souffrir le Gardien. Je suis vraiment soucieuse pour son coeur. La nuit dernière, il battait fort, rapide, trop rapide et trop fort! Et parfois, pendant des heures il respire lourdement et rapidement tant il est abattu... Il enregistre votre pression spirituelle, pour ainsi dire; rien d'autre n'expliquerait pourquoi il est si abattu, parfois, pour une chose qu'il ne connaît pas encore! J'ai vu cela une quantité de fois. Il réagit instinctivement et immédiatement. Plus tard souvent, la cause apparaît et on a un aperçu des actions de tout cela. A la fin ça le tuera. Quand et comment, ce sera, sans doute, selon la sagesse de Dieu. Il triomphera toujours comme il a toujours triomphé.

Mais graduellement, peu a peu, les problèmes continuels, la lutte perpétuelle, d'abord avec l'un puis avec un autre membre de la famille, l'abattront. Il se courbe. Son coeur est nerveux. Ses nerfs sont fatigués."


16-3-42

Ils (les membres de la famille du Maître) ont parcouru un long chemin en pressurant jusqu'à la dernière goutte l'esprit du Gardien. Il est naturellement enjoué et énergique, et il a une merveilleuse et unique luminosité naturelle qui le rend littéralement scintillant quand il est heureux ou enthousiasmé par quelque chose. Mais le conflit perpétuel avec la famille d'Abdu'l-Baha et les chocs (dus aux différentes crises de la Cause) qu'il a supportés, étant le Gardien,... l'ont... tous assombri. Chaque fois (j'ai pu l'observer durant ces cinq dernières années) qu'il a commencé a briller, quelqu'un surgissait et jetait sur lui le poids de quelques soucis et misère; et ce sera toujours ainsi! C'est criminel! Combien de fois l'ai-je entendu dire: "si j'étais seulement heureux, s'ils essayaient seulement de me contenter, vous verriez ce que je ferais pour la Cause!" Il est comme une source, chaque fois qu'elle commence a bouillonner et a couler, quelque chose survient et l'obstrue a nouveau! Quand on s'aperçoit que tout ce qui a été fait pour la Cause, l'a été malgré les souffrances et les persécutions et jamais parce qu'il était libre, heureux et en paix avec lui-même, on se rend compte de la grandeur de ses réalisations et l'on s'interroge sur ce qui aurait pu être, s'il avait été heureux. On a abusé de Shoghi Effendi, c'est le seul mot, abusé, abusé, abusé. Maintenant il est comme un homme qui se bat le dos au mur. Il dit qu'il combattra jusqu'au dernier round..."

20-3-42

"Alors que Shoghi Effendi travaillait a "Dieu passe près de nous' deux avions de guerre en entraînement se sont heurtés des ailes, ont perdu leur contrôle et sont tombés, l'un d'eux a passé si près du toit de la maison que j'ai cru qu'il allait écraser le plafond de la chambre de Shoghi Effendi. Il a touché terre et a brûlé a moins de 100 m. Juste au bas de la rue."

26-4-42

"Shoghi Effendi m'a parlé de ses misères. Il dit que ceux qui l'entouraient ont tué 'Abdu'l-Baha, comme ils ont tué Baha'u1lah, il dit même qu'ils 'le tueront aussi'. Il m'a conté que Haji Ali lui a déclaré que quelques jours avant son ascension Baha'u'llah l'a appelé dans sa chambre (pour lui parler). Il marchait de long en large. Mais il était trop bouleversé pour parler et finalement il renvoya Haji Ali d'un geste. Haji Ali a pu voir combien il était fâché, mais il ne lui en a pas dit la raison.

Le Gardien ajoute que Baha'u'llah a dû souffrir car il savait comment Muhammad 'Ali se tournerait contre le Maître, a l'avenir. Mais il garda tout pour lui".


18-5-42

"Shoghi Effendi dit que souvent le Maître déclarait (aux membres de sa famille) qu'après lui, ils 'seraient tous humiliés'."

4-7-42

"C'est l'invasion de l'Egypte. Il se demande ce qui est pire: rester ou partir, si les choses tournaient très mal ici. Cette indécision est très éprouvante. Mais la vérité c'est que nous avons une telle habitude des difficultés, qu'elles cessent presque de nous troubler."

3-1-43

"Si quelqu'un connaissait la véritable histoire de la vie de Shoghi Effendi, il pleurerait. Il pleurerait pour sa bonté, pleurerait pour son coeur pur et simple, pleurerait pour ses longues, longues années pendant lesquelles il a peiné, toujours plus seul, toujours plus persécuté que jamais par ceux qui l'entouraient.

"Juste l'autre jour, il est venu dans ma chambre, tout abattu par son travail. Je lui ai demandé pourquoi il ne lisait pas les livres des autres auteurs sur des sujets similaires (il s'agissait de Dieu Passe près de nous) pour être stimulé... Il a dit: 'je n'ai pas le temps, pas le temps. Pendant vingt ans je n'ai pas eu le temps!'."


30-1-43

"je m'inquiète vraiment pour Shoghi Effendi. Avant, quand il était très affligé et abattu, il en était affecté, mais pas autant que maintenant. Parfois, je pense que cela le conduira a une mort prématurée... Il respire aussi difficilement que quelqu'un qui vient de courir, et il a d'énormes cernes sous les yeux. Il s'efforce de continuer et de finir les lettres qu'il a empilées sur son bureau! Mais pendant dix minutes il lit et relit une chose, parce qu'il ne peut se concentrer! je pense qu'aucune souffrance n'est pire que de voir souffrir celui que vous aimez. Et je n'y peux rien. Je me demande comment Dieu peut-il supporter de le voir ainsi souffrir."

29-11-43

"L'été a été tranquille en ce sens qu'il n'y a pas eu de crises horribles... Je ne crois pas que le Gardien ait jamais autant travaillé auparavant pendant ses 'vacances' et je suis sûre que non! Il me dit souvent 'ce livre me tue', a quoi je réponds invariablement 'moi aussi'. En d'autres termes, la façon dont il a travaillé a cette revue du Centenaire de la foi (Dieu passe près de nous) est vraiment cruelle; Il en a été littéralement esclave pendant deux ans. Outre ses autres travaux et soucis..." (Shoghi Effendi avait reçu une lettre particulièrement sèche et froide d'une Assemblée Nationale et j'en étais très fâchée)...

"La plus sèche et la plus froide lettre que j'ai jamais vue. Pourquoi l'expéditeur ne prendrait-il pas exemple sur le Gardien qui écrit aux gens avec gentillesse et affection, même s'ils sont mentalement déficients. Les baha'is ne méritent pas un Gardien et tout ce que j'espère est que Dieu ne les échangera pas contre un autre peuple."

Un des membres de la famille était mort et sa veuve vint a la maison et demanda a Shoghi Effendi d'accepter les termes de son testament et de recevoir une certaine somme d'argent pour la Cause, ainsi que les sceaux extrêmement précieux de Baha'u'llah qu'Abdu'l-Baha avait confiés a la veuve quand il partit pour ses voyages en Occident. Comme elle était en contact avec les membres excommuniés de la famille, Shoghi Effendi n'acceptait ni l'un ni l'autre... Je lui rapportai sa conversation (il ne voulait pas la voir et m'avait envoyée a sa place):

26-12-43

"J'ai répété de long en large tout cela a Shoghi Effendi, les sceaux et le testament de X. Il m'a précisé de lui dire qu'il ne voulait pas un million de sceaux ni tout le Mont Carmel, il voulait sincérité et loyauté et tant qu'elle ne se serait pas totalement coupée de la famille de..., dans son coeur, il ne pouvait rien pour elle, et qu'elle reprenne le sceau et le testament... Le Gardien aurait beaucoup aimé avoir les sceaux si précieux pour les archives, mais comme il me l'a dit, il ne pouvait pas accepter les sceaux et la mettre dehors! Ce qui m'étonne c'est qu'il y a 23 ans que le Maître est décédé et elle était très proche du Gardien, pendant une grande partie de cette période; ne pouvait-elle pas, une fois, dans ces 23 ans, lui remettre ces reliques précieuses qui, disait-elle, ne lui avait jamais été données, mais seulement confiées! Elle désirait que je les prenne quand elle a vu que le Gardien ne voulait pas les accepter. Mais je lui ai dit que je ne le ferais pas, car ce ne serait pas selon le désir de Shoghi Effendi..."

"Toute la journée Shoghi Effendi tape son manuscrit (Dieu passe près de nous) et je lis la copie avant de la poster pour Horace (Horace Holley, Secrétaire de l'Assemblée Nationale de l'Amérique) pour m'assurer que les dernières erreurs ont disparu. Nous, lui et moi, passons des heures a lire l'original, a corriger les pages et a mettre les interminables accents!"


je n'ai même pas rapporté que Papa, a la demande du Gardien, a fait un dessin pour le Tombeau du Bab.

Aujourd'hui, les minarets et les flèches (suggérés par le Gardien) ont reçu son approbation et Papa continue a travailler sur les détails et le projet final qui sera montré pour le Centenaire. Il fournira également une maquette. La maquette sera le test crucial, s'il plaît au Gardien, il Pannoncera au monde baha'i.

"Il paraît vraiment trop merveilleux que Papa reçoive cette inestimable bénédiction de faire le plan du Mausolée du Bab. S'il réussit ce sera la plus pure bonté de Dieu, s'il échoue, nous ne pouvons en être surpris car nous avons déjà été bénis en tant que famille, au dela de nos mérites et de toutes les manières possibles! "


5-7-44

"Shoghi Effendi est naturellement un administrateur et un bâtisseur par excellence. Les deux qualités dont nous avons le plus besoin actuellement. Que la vision humaine des choses est insignifiante comparée au Plan de Dieu! je pense que si nous louions Dieu pendant un million d'années, matin, midi et soir, nous n'irions pas plus loin que le premier 'R' du mot remerciement. Et pourtant nous sommes si aveugles pour nos bénédictions! "


24-7-44

"Shoghi Effendi ne peut tenir davantage. Je suis inquiète a son sujet... Ils l'usent. Il était dans un état terrible aujourd'hui et il a pleuré. Je ne peux écrire a ce sujet. Je ne peux le supporter. Je me demande comment Dieu peut-il endurer de le voir ainsi. "


18-12-44

"Ce sont certainement les années! je ne pense pas que Shoghi affrontera jamais de sa vie une seconde crise comme celle-ci. (la désaffection de la famille, des baha'is locaux et des serviteurs). J'espère que non! je me demande comment on peut s'attendre a ce que sa santé et ses nerfs survivent a cette dernière! "

30-1-45

"je ne peux entrer dans les détails maintenant. Mais je dois dire que le nombre d'imbéciles incompétents sinon coquins, que Shoghi Effendi a autour de lui, est effroyable. Il souffre tellement. Il ne dort que cinq a six heures par nuit. Si je pouvais m'inquiéter davantage je le ferais..."

27-2-45

"je suis sûre que la marée changera. Mais, oh! jamais, jamais pour retrouver Shoghi Effendi comme il était. Je ne crois pas que quelque chose en ce monde soit capable d'effacer ce qu'il a subi ces dernières années! Le temps est le grand guérisseur des blessures mais il ne peut enlever les cicatrices."

13-4-45

"... Quand je veux être sûre de la loyauté d'un baha'i envers lui (Shoghi Effendi), je regarde autour de lui pour voir qui le hait.
S'il est bien haï par la famille, je peux être sûre qu'il est l'essence de la loyauté envers le Gardien."


6-7-45

"Ali Askar est entré a l'hôpital... il décline terriblement depuis ces 3 ou 4 jours... tout cela est si épuisant. Mais je ne m'inquiète de rien sauf de voir le grand choc que cet événement est pour le Gardien... Ils ne meurent pas eux, ni tant d'autres ennemis misérables et inutiles, mais seulement Ali Askar. Comme Shoghi Effendi l'a dit, c'est 'la plus précieuse' personne qu'il a! Mais Dieu l'aidera. Il le fera, il le fera, je sais qu'il le fera. Il l'élèvera dans la gloire, et je pensais, la nuit dernière, qu'après tout, une goutte de l'amour de Dieu compense mille ans de peines... Shoghi Effendi est allé le voir aujourd'hui, pendant que j'y étais. Shoghi Effendi projette de lui faire de grandes funérailles, parce qu'il (Shoghi Effendi) le désire et parce que les ennemis l'exigent. Mais tout cela est si dur, si dur pour lui... Shoghi Effendi a dit que 'tout ce qui me restait c'était vous, votre père et Ali Askar et maintenant Dieu prend Ali Askar!' "

8-7-45

"je suis allée a l'hôpital a 4 heures de l'après midi et j'y suis restée jusqu'à 8 heures. Shoghi Effendi m'avait dit d'apprendre a Ali Askar qu'il avait révélé pour les amis iraniens un télégramme dans lequel il le décrit, lui, Ali Askar, comme le 'lion de la jungle de l'amour de Dieu' et où il mentionne tous ses services etc. Quand j'ai dit cela a Ali Askar, tout a fait conscient mais seulement très faible, le plus coquet petit chatouillement d'un sourire de bonheur s'est imprimé sur son visage; j'ai ajouté qu'il était au ciel avant même de quitter ce monde, au ciel de l'amour, du bon plaisir et de la louange du Gardien. Il est resté silencieux un certain temps (exceptés quelques signes d'appréciations murmurées) puis, saisissant parfaitement le fait qu'un tel télégramme signifiait qu'il allait mourir, il s'est ressaisi et a dit que le livre qu'il avait commandé... il voulait le donner, de sa part, a Shoghi Effendi... quand je suis revenue, j'ai tout rapporté a Shoghi Effendi au sujet d'Ali Askar et comment il voulait que le livre envoyé soit pour le Gardien, ses yeux se sont remplis de larmes! Pauvre Shoghi Effendi bien-aimé; il est l'homme le plus maltraité sur cette terre! Tout le monde doit se réjouir du sort d'Ali Askar. Il est mort comme un roi... Aujourd'hui, il a dit aux femmes (il les a reçues dans le salon) qu'Ali Askar avait servi de telle sorte que les pèlerins lui écrivaient et signaient , le serviteur du serviteur de la maison'. Il a dit qu'il était selon les termes de la tablette d'Ahmad, 'Un fleuve de vie pour les amis, et une flamme de feu pour les ennemis'.

Et après sa mort: "il est dans le Concours Suprême, conversant avec ses habitants!' Eh bien, qu'est ce qu'un homme peut demander de plus de la vie? Il est allé au Mausolée cet après midi et après la visite, il a dit d'apporter toutes les fleurs des deux seuils. Il s'est dirigé ensuite vers Ali Askar, seul, l'a oint de deux flacons d'essence de rose, a posé les fleurs sur son corps, a pleuré pour lui, que demande-t-il de plus, tout homme de ce monde! ... Shoghi Effendi m'a dit quelque chose de très émouvant, quand il est revenu cette nuit: quand il était seul avec le corps, il s'est rappelé 'combien cet homme m'a servi' ... il est allé et a enlevé le drap, il l'a regardé et il a eu envie de lui dire 'Ali Askar, réveille toi, lève toi'. Parce qu'il lui semblait qu'il ne pouvait pas être mort, il avait l'air si naturel..."

11-7-45

"Les funérailles ont été parfaites. Shoghi Effendi a parlé de lui. Puis, il a demandé que le cercueil soit monté dans la chambre d'en haut de la Maison des Pèlerins, où il s'est assis; tous se sont mis debout pour la prière des morts; puis il a aspergé le cercueil d'essence de rose; il a suivi la bière jusqu'à la porte, donné des instructions ensuite il est monté dans le premier des deux taxis... un cortège de vingt-cinq voitures... et tous partent et Shoghi Effendi visite le Mausolée et demande a ... de prendre toutes les fleurs et de les porter du Mausolée a la tombe d'Ali Askar ... Eh! bien, Ali Askar doit être au Septième Ciel, tout le monde soupire et désire être a sa place, y compris moi!".

17-7-45

"Shoghi Effendi est malade. Il a eu une crise d'indigestion, je dois le dire a cause de ses nerfs complètement épuisés et sous tension. Ce n'est pas la première fois. L'étonnant c'est qu'il est en vie... Il a de la fièvre maintenant, j'espère, mon Dieu, qu'il n'a pas attrapé quelque chose de sérieux... Je viens de prendre sa température il a 39'8!"

15-7-45

"je suis si fatiguée par les peurs que le médecin me donne! Il dit maintenant que c'est peut-être l'appendicite ou une dysenterie. Visions de se précipiter comme des fous a Jérusalem en ambulance (il n'y avait alors aucun chirurgien a qui nous puissions confier un si précieux malade, a Haïfa) avec Shoghi Effendi et Papa. Mais je ne peux croire qu'on en viendra la... courir, courir et l'inquiétude! je sens mon cerveau comme pétrifié! ... A chaque heure, je prends sa température. Il est si doux, quel crime d'avoir été traité ainsi par ceux qui l'entouraient... Dieu merci, je ne pense pas qu'il ait ou qu'il aura l'appendicite..."

17-7-45

"Mieux, mais si nerveux, et si fatigué!..."

20-7-45

"je ne souhaite pas pour le diable les souffrances que Shoghi Effendi et moi, nous traversons. Je ne pourrai jamais les décrire, l'angoisse mentale et nerveuse... seuls... travail, travail, travail, toute la journée. Achat de terrains, problèmes, lettres, questions, méchanceté, mauvaise volonté, suspicion, ad infinitum."

11-4-46

"Shoghi Effendi a dit a Papa de commencer la construction de la première partie du Mausolée. Alléluia!"

20-4-46

"C'est trop pour le Gardien. Et pourtant il a écrit un merveilleux câble de Convention avec un nouveau Plan de Sept Ans et il commence le Mausolée. Mais il souffre trop."

25-5-46

"Il ne nous reste, a Shoghi Effendi et a moi, plus personne sauf Papa (et deux baha'is loyaux, dont l'un a presque 80 ans). Il est tout et fait tout: il va a la banque, porte le courrier, envoie les télégrammes, fait toutes les commissions confidentielles (visas, affaires gouvernementales, municipales, etc... ) il consulte et fait les plans etc... tout cela a l'âge de 71 ans. Il fait le travail d'Ali Askar, de Riaz et de Husein. Il ne se plaint jamais. Nous avons parlé, Shoghi Effendi et moi, au sujet de nos projets; il dit que nous devons partir... Il me semblait terriblement dur de laisser Papa âgé et fatigué, encore une fois avec tout le travail de la Cause et sans repos. Mais quand j'en ai parlé aujourd'hui, il a été merveilleux, il a dit qu'il pouvait tout faire, qu'il ne fallait pas s'inquiéter a son sujet, que tout irait bien. Je ne peux le dire par des mots, je suis fatiguée (j'ai pleuré trois bonnes fois aujourd'hui). Quel esprit merveilleux il a, si modeste et pourtant si noble ' si héroïque. "

18-7-47

"Elle (Gladys Anderson) est arrivée le 30 mars... Elle fait maintenant tout le travail de papa. Merci mon Dieu! ... Elle va a la banque, envoie le courrier et les câbles, fait les courses, voit les gens... Fin avril, Papa est allé a Chypre, premières vacances après sept ans, il y a passé six semaines. Cela lui a fait beaucoup de bien et maintenant il commence a travailler sur les plans du Mausolée du Bab".

D'une lettre de Ruhiyyih Rabbani 12-2-48

"je comptais avoir une sténographe juive qui m'aiderait. Mais maintenant aucun juif ne viendra dans cette rue s'il peut l'éviter. Car elle est dans la partie arabe de la ville, c'est-a-dire dans l'ancienne Colonie allemande et notre voisinage est composé principalement d'arabes et d'anglais. Il peut vous paraître invraisemblable de penser que nous vivons dans une rue où un homme peut-être tué de sang froid juste parce qu'il marche.

Mais c'est la Palestine d'aujourd'hui. Naturellement, il y a quelques braves fatalistes qui prennent le risque de descendre dans la rue a quatre vingt dix miles a l'heure, mais ils sont considérés, pour le moins, comme des téméraires.

Tout cela est si tragique. Et le plus triste de tout, c'est que la raison humaine s'adapte a cette atmosphère. La première fois, quand quelqu'un tire un coup de fusil, cela vous glace le sang et vous remplit d'indignation; mais bientôt par la répétition vous vous y habituez, vous maudissez celui qui tire et l'autre partie aussi, pour la bonne mesure, et vous continuez votre travail. Plus tard, vous apprenez qui a été tué et comment, par ces balles. C'est vraiment écoeurant, indiciblement écoeurant, qu'il soit permis qu'un tel état se développe en Terre Sainte a cause des intrigues et des négligences.

La rage est la réaction première ce jours-ci. Le meurtre insensé et gratuit me met hors de moi. La plupart des gens demandent qu'on les laisse tranquilles. Les assoiffés de sang sont l'exception, non la règle. Mais hélas, ils existent. Pourquoi ne les tue-t-on pas? Ils tuent toujours l'innocent, dans toutes les batailles, autant que je puisse le voir!"

1-3-48

"Les armes sont vendues ouvertement dans les quartiers arabes. Les baha'is d'ici, d'Akka, de Tiberius etc, tous témoignent de cela... Hassan a dit que lui et son cousin Muhammad étaient assis a un café a Tiberius; ils ont entendu un garçon colporteur qui criait 'Grenade, Grenade!' Hassan ne pouvait en croire ses oreilles, il l'a appelé et lui a demandé ce qu'il vendait 'des bombes' a-t-il répondu. Il avait un sac sur le dos. Il l'a obligeamment mis a terre et a déchargé une pile de grenades a mains (grenades de Mills). Combien chacune? a demandé Hassan? 'Soixante quinze piastres' a répondu le colporteur! Inutile de dire qu'il n'en a pas acheté... Il y a quelques jours j'ai vu un homme de la fenêtre de ma chambre, il avait un revolver a la main avec une foule d'arabes autour de lui. Il a voulu s'assurer que l'arme marchait, il est venu vers le mur de notre maison, il a tiré deux coups, puis il est parti en ville, probablement pour commettre son petit meurtre".

11-4-48

"Papa et Ben (Ben Weeden, le mari de Gladys Anderson) sont partis dans un taxi blindé pour Tel Aviv! On suppose qu'ils partiront en avion le 13, de Lydda pour Rome, afin de conclure des contrats pour les colonnes et les ornementations du Mausolée, si possible."

"Gladys dormira maintenant a la maison. Nous pouvons l'avoir ainsi, près de nous car la fusillade est trop intense pour la laisser seule, la nuit, a la Maison des Pèlerins... C'est très dangereux pour quiconque de marcher dans la rue la nuit... Nous avons dit a Ben que nous la prenions ici, ainsi il ne s'inquiétera pas".

21-8-48

"Nous n'avons pas pu visiter Bahji, a cause des événements mais nous avons visité les Tombeaux ici. Plus tard, la voiture n , a pu monter aux jardins, ou plutôt les quitter, a cause de la fusillade dans la rue a proximité. Aussi Shoghi Effendi est-il descendu a pied en empruntant les marches près des jardins pour revenir a la maison et Gladys et moi avons fait de même".

23-4-48

"Comme je suis fatiguée a mort, ce sera court... Je suppose que la bataille de Haïfa est bien racontée ailleurs, aussi ne rapporterai-je que mes jours et nuits. La bataille en elle-même a été une vraie guerre. Cette nuit-la, j'ai dormi comme au fond d'une mare qu'on remuait constamment. J'étais si fatiguée que j'ai quand même dormi un peu, mais hélas les rêves, la fusillade, les bombes faisaient un tel mélange que c'était presque pire que le sommeil ou l'éveil. Tous ces jours-ci Shoghi Effendi a été effroyablement bouleversé par A... et par M.... et par d'autres problèmes".

25-4-48

"J'essaie encore de rendre les points essentiels de ce mémorandum: Le 23, le lendemain de la bataille de Haïfa, le Dr Weinshall (l'avocat du Gardien) m'a téléphoné et m'a demandé comment nous allions? J'ai répondu que nous allions bien et gardions la maison. Il m'a dit 'j'espère que vous ne partez pas!' J'ai dit 'non bien sûr', nous n'avons pas l'intention de partir, pourquoi devons-nous partir?" il m'a répondu, pour aucune raison au monde, et il était heureux de le savoir. Alors j'ai ajouté que nous connaissions les juifs et que les juifs nous connaissaient et que nous n'avons rien a craindre d'eux. Il a dit que c'était absolument vrai et que tous avaient le plus grand respect pour nous. Il m'a demandé aussi, si aucun de nos serviteurs n'allait partir et j'ai dit non. Puis sur un échange de réflexions sur la folie de l'exode massif des Arabes, il m'a demandé de présenter ses meilleurs respects a Shoghi Effendi. Quand le Gardien a entendu cela, il m'a dit d'aller le remercier et de lui dire qu'il voulait qu'il sache certaines choses pour sa propre information. J'ai donc raconté au Dr Weinshall le mariage de Monib avec la fille de Huseini etc. et son exclusion publique de la foi a cause de cela etc.

Il était très surpris et nota son nom et le nom de Hassan. Je lui ai aussi parlé de Ruhi et, comme il pouvait s'inquiéter au sujet des dissensions dans notre famille, je lui ai dit que la raison véritable n'était pas seulement religieuse mais aussi sur le terrain des affiliations politiques etc. ... Je lui ai dit aussi que nous lui adresserions (c'était hier au cours d'une autre conversation) le câble que le Gardien avait envoyé, afin qu'il le voie...

"Aujourd'hui, j'ai téléphoné encore une fois a Weinshall et lui ai dit que nous allions lui donner les nom des personnes qui n'étaient pas des nôtres, s'ils prétendaient être baha'is. J'ai dit que Shoghi Effendi était très indigné par le fait que ces personnes qui ont été exclues de la Communauté depuis 10 ou 15 ans... cherchent a se mettre en bonne relation avec les juifs en prétendant être des baha'is, alors que nous ne savons pas ce qu'ils ont fait pendant ces années".

27-4-48

"Hier nous avons eu un moment de folle excitation, lorsque la servante s'est précipitée soudain en haut, a frappé a la porte et a dit que la Haganah voulait entrer. Heureusement, j'étais habillée... et je suis descendue aussi vite que j'ai pu. Car il semblait tout d'abord que notre petit lapin muet... était allée a la porte et quand elle a vu un groupe de Juifs avec des fusils de Tommy et des revolvers, elle a eu presqu'une attaque et a appelé Banu; Banu est venue et les juifs ont dit 'ouvrez la porte'. Elle a dit qu'elle devait appeler la dame de la maison et s'est précipitée chercher B... qui n'était pas la, alors elle m'a appelée. Ils ont déclaré 'si vous n'ouvrez pas la porte, on la défoncera'.
A cet instant je suis arrivée et les ai fait immédiatement entrer. Ils étaient cinq, tous des jeunes gens. Je leur ai demandé s'ils parlaient l'anglais et l'un d'eux a répondu qu'il le parlait un peu. Je lui ai demandé alors s'il savait a qui appartenait cette maison, au Chef de la Communauté baha'ie, il m'a répondu i oui'; mais je pense qu'ils ne le savaient pas et qu'ils étaient attirés par cette maison pour une ou deux raisons, peut-être parce que, quelque temps auparavant un camion chargé d'Arabes s'était arrêté devant notre porte et ils ont pensé que nous avions des Arabes ici, peut-être aussi a cause de notre voiture, car une de leurs premières question a été 'a qui est la voiture dans le garage?' Quand je leur ai dit ils ont paru satisfaits. Il s'est trouvé que l'un d'eux parlait le persan, il dit que sa mère était persane, mais que lui était de 'Yerushalim', je lui ai parlé en persan tout le temps.

Ils n'ont pas paru très curieux en fouillant la maison; ils ont été très décents et polis, et ils m'ont dit au début de ne pas être effrayée, a quoi j'ai répondu que je ne l'étais certainement pas! Après un bref regard et refusant de descendre ou d'aller a la cuisine etc. ... ils sont partis...

"Gladys et moi, nous allons et venons dans les quartiers juifs, comme nous l'avons fait d'une façon ininterrompue depuis des mois, qu'il fasse beau ou mauvais. Je pense que c'était très sage. Lorsque les Arabes tiraient sur les juifs, nous avions notre garde arabe ici, dans cette rue même, et comme il y avait un risque nous y allions moins souvent, mais nous y allions quand même. Nous avons ainsi montré a de nombreux juifs que nous n'étions pas les amis des beaux jours qui se tiennent a l'écart quand ça devient épineux. Notre voiture était fouillée a tout moment par des gardes juives et souvent, a ceux qui ne nous connaissaient pas, nous devions montrer nos passeports américains. En réalité, un jour de la semaine dernière, alors que nous revenions du quartier juif et que nous ralentissions vers la barrière, une voiture juive s'arrêta devant la nôtre et ses occupants parlèrent aux gardes.
Nous ne pouvions pas continuer et la voiture de devant ne bougeait pas. J'ai demandé au garde s'il ne pouvait pas nous faire passer. Il a été un peu embarrassé et a dit que les autres racontaient avoir vu cette voiture conduite par un Arabe. J'ai dit que ( c'est tout a fait vrai, savez vous a qui elle appartient cette voiture? Elle appartient a Shoghi Effendi, le Chef de la foi baha'ie, et nous avons un conducteur arabe qui vient chaque après-midi et l'emmène aux jardins baha'is et le ramène. Par ailleurs, nous la conduisons toujours nous-mêmes. Si vous restez en observation, dans un quart d'heure vous verrez cette même voiture revenir de la Route de la Montagne et aller le chercher avec un conducteur arabe au volant.' Comme c'était la vérité, il a paru l'accepter comme telle et nous n'avons pas eu d'autres ennuis...

"B... m'a dit quelque chose d'amusant: j'ai demandé si nos voisins arabes allaient partir... Il a répondu que 'chaque jour ils me demandent si Shoghi Effendi va partir?' Ils disent que, quand il partira, ils partiront. Il dit que le policier palestinien qui vit maintenant chez K... lui a également demandé quand il devrait partir et K... lui a répondu 'quand tu verras Shoghi Effendi partir, prends ta veste, ferme la porte et suis-le'. L'homme a aussi déclaré... 'si tu ne me dis pas que Shoghi Effendi projette de partir et s'il le fait, tu seras responsable de ma vie'.

L'estime soudain de nos voisins pour nous est vraiment drôle après avoir ignoré, pendant vingt-cinq ans, la Cause et son Gardien! "

4-5-48

"Aujourd'hui on a volé la voiture! (un cadeau de Roy Wilhelm a Shoghi Effendi. Depuis des années le Gardien n'avait plus de voiture, la vieille voiture avait été vendue pendant la guerre, par manque de pièces détachées). Mon Dieu quelle journée! A 2h.30, Gladys et moi, nous prenions notre café après le déjeuner, la fille est venue nous dire qu'un juif était a la porte. Gladys est allée voir ce qu'il voulait. Bref, c'était notre chef local de la Haganah, Mr. Friedman, accompagné de vingt hommes armés. Il a dit qu'il avait été appelé par le garde Haganah (deux gardes sont de faction dans notre rue).

Comme cinq hommes armés tournaient autour de la porte de notre garage, il a pointé son revolver sur eux et leur a dit de partir, mais les jeunes gens ont retourné leurs fusils sur lui et lui ont signifié de filer en vitesse. A cinq contre un, il est allé chercher du renfort. Et quand le renfort est arrivé, ils étaient partis. Mais comme le cadenas, scié a travers la porte, était fermé de l'intérieur ils pensaient qu'elle était toujours la. J'ai regardé a travers le trou de la serrure, quel vide effroyable, pas de Buick! La pauvre Gladys a couru vers la petite porte de derrière, vraiment pas de Buick! Le garde Haganah pensait intérieurement que c'étaient les Juifs (ou les Anglais) qui l'avaient prise, mais il ne l'a pas dit ouvertement. Eh bien, Friedman a signalé la chose a la Haganah et Gladys et Mansour l'ont signalée a l'armée et a la police de Stanton St. J'ai téléphoné au Dr. Weinshall qui nous a conseillé d'aller au poste de police de Hadar Hacarmel.

Shoghi Effendi était le plus calme de nous tous. Il a seulement dit 'cela réjouira nos ennemis'. Je pense qu'aucun de nous n'espérait vraiment plus revoir notre voiture. Comme c'était triste de voir partie notre chère grande Buick que nous venions de recevoir après une longue attente! Avec quelle difficulté j'ai trouvé un taxi juif pour le Gardien. Le conducteur a dit que 'si ce sont les juifs qui l'ont prise, vous la retrouverez' je suis allée avec Gladys au Poste de Police et je l'ai attendue dehors pendant qu'elle faisait son rapport. Nous avons donné une description de notre voiture a Weinshall, car il avait dit que cela l'aiderait. Notre gentil chauffeur de taxi nous a emmenés a un autre poste de Haganah et nous avons refait notre rapport.

Alors, une chose étrange est survenue. Nous marchions a pieds, fatiguées et découragées et dans la vitrine d'un magasin de produit de beauté, sur la Harzl, elle a vu une lotion pour les mains que j'avais essayé plusieurs fois d'acheter. J'ai décidé que je ne m'en ferais pas et je suis entrée pour l'acheter. Le propriétaire connaissait Papa et moi depuis de longues années. Aussi m'a t il demandé de ses nouvelles et moi de son vieux père, etc. ... Je n'allais pas parler de la voiture parce que je me sentais humiliée a ce sujet et après avoir payé mes achats, je suis partie sans les prendre. Cela paraissait si bête, que je me suis excusée et lui ai dit 'je suis très ennuyée parce que notre voiture vient d'être volée'. Mais j'ai vu votre voiture aujourd'hui a 2h.15 dans le nouveau centre d'affaires! Et j'étais très surpris me demandant comment vous aviez pu vendre une voiture si belle et si neuve? Il paraît qu'il nous avait vu, Gladys et moi, conduire la voiture hier soir et qu'il l'avait reconnue ainsi que son numéro d'immatriculation américain! Il dit qu'il avait vu des juifs a l'intérieur et qu'un juif la conduisait juste a l'angle du Savoy Hotel. Il nous a demandé de ne pas donner son nom comme témoin et j'ai rétorqué que dans ce cas cela ne nous aiderait pas, il a faibli et a dit que nous pouvions le nommer.

Nous avons couru, bien sûr, au Poste de Police et avons fait un rapport sur ce qu'il nous avait dit. Au retour, M. Friedman venait de nous appeler et nous avait laissé son numéro. Je l'ai appelé et lui ai raconté toute l'histoire. Il a répondu que 'c'est tout ce dont j'ai besoin. Maintenant que je sais qu'ils l'ont emmenée dans notre partie de la ville, je peux les prendre!' Un peu plus tard le Poste de Police de Hadar a appelé et dit 'votre voiture est localisée et vous sera ramenée demain, ne vous inquiétez pas' M. Friedman a aussi appelé et dit la même chose. Le 4 a 11 h. du matin, il a rappelé et demandé s'il pouvait prendre Gladys pour aller chercher la voiture au Poste de Police de Hadar et la ramener! Mon Dieu! Nous étions tous heureux! Le plus drôle c'est que sur le chemin du retour, avant d'aller a ce magasin, j'avais dit que seul un miracle pourrait nous la rendre!

"Il me semble maintenant que les cinq jeunes gens venus juste après la prise de Haïfa par les Juifs et qui ont prétendu être des hommes de la Haganah, et ceux de la jeep (la jeep apparaît tout le long de cette histoire et je pense qu'elle en est le fil conducteur) qu'une nuit B ... a trouvés entrain de défoncer la porte du garage et a qui B ... avait dit qu'il la leur ouvrirait et qu'ils n'avaient pas besoin de la fracturer; ces jeunes gens donc, étaient rentrés, ils avaient fait le tour de la voiture et B... leur a dit finalement 'si vous voulez savoir a qui appartient cette voiture, venez téléphoner a vos supérieurs, venez téléphoner au Dr. Weinshall'.

Ils étaient alors partis en hâte. De toute façon nous croyons tous que c'étaient les mêmes et probablement les hommes de Irgun Zvi Leurni, mais certainement pas de la Haganah!"

14-5-48

"Ce soir le Mandat prend fin a minuit! La guerre commence, elle fait déjà rage, quel sera l'avenir?... Papa et Ben doivent rentrer demain! je suis fatiguée!"

15-5-48

"Papa revient!" je peux entendre le feu intense des collines, entre ici et Nakura, la frontière libanaise. Hier aussi ' quand les juifs ont pris 'Akka, nous avons entendu de nombreux coups de feu, mais maintenant on entend tout le temps et nettement le bruit des canons. Cela me rappelle le jour où les Britanniques ont pris le Liban, pendant la guerre, seulement alors nous étions sûrs que la bataille nous quitterait. Maintenant qui sait? Les distances en Palestine sont si petites, 15 km peuvent changer la face de toute la bataille, victoire ou défaite...

"Papa et Ben rencontrés par Gladys, sont montés a la maison. Ils sont venus sur le 'SS Argentina' et sont arrivés la nuit dernière, deux jours en avance sur le programme parce qu'ils avaient annulé les escales d'Alexandrie et de Tel Aviv. Leur voyage a été merveilleusement réussi dans tous les domaines. Comment peut-on jamais remercier Dieu pour ses miracles et ses bontés?"

3-7-48

"Aujourd'hui, Shoghi Effendi a dit a Papa qui était venu, dans la soirée, après dîner, pour le voir: 'Eh bien, la décision historique de commencer les travaux du Mausolée a été prise a 10h.15 du soir, aujourd'hui' et il lui a serré la main! ... P.S. 11h.30 du soir, je peux entendre les explosions lointaines. Que Dieu aide ce pauvre pays!"

6-7-48

"Shoghi Effendi est très préoccupé, peut-être vendredi la guerre reprendra. Quelle perspective terrible! Il a dit a Ben, Gladys et moi que le pire menace le Tombeau de Baha'u'llah. Maintenant que Majd-d-din et Shoah baha'i vivent au Manoir, si les Arabes viennent, la conséquence n'est que trop claire. Oh! Mon Dieu! tant de charges, tant de problèmes... si ce n'était pas pour la foi, où serions-nous maintenant?

"Il a fait l'éloge de Papa très fortement a Gladys et Ben, il a dit que tout le monde l'aimait, il a un coeur très pur et tout cela mis a part il l'a choisi pour ses qualifications d'architecte".

28-12-48

"je me sens si exténuée. Il ne me paraît pas que cette année m'ait laissé quelque résistance pour la vie... Cela semble sérieux mais peut-être que ça ne l'est pas. J'espère que non, car toute pauvre que je suis, on a encore besoin de moi, je suis mieux que rien...

"Cette nuit l'offre de Soleh Boneh est arrivée pour la construction de l'Arcade: 18000 livres Sterling. Terrible! Shoghi Effendi est très préoccupé et découragé, maintenant les pierres sont la et arrivent, il a fait arracher le carrelage, commencer les fondations, rasé la courbe de la montagne derrière le Mausolée! Il dit qu'il ne paiera pas une telle somme. Oh! Mon Dieu! Tant de problèmes, problèmes. Dieu me donne la force de servir et de garder mes nerfs qui craquent".

20-1-49

" Ce sera une sorte de sténographie des nouvelles. Le temps a été mauvais juste quand nous avions encore 80 vieilles caisses a ramener du Port au Mausolée. Je ne peux dormir, en écoutant la pluie. Elle me tient éveillée parce que je sais qu'elle retarde les travaux... Une chose après l'autre, tout le temps. Nous paraissons tous courir plus vite, plus vite cette année a cause des travaux. "

21-1-49

"Quelle journée, quelle journée, les jours comme celui-ci devraient être mis hors la loi. La nuit dernière une invitation de rencontrer le Premier Ministre a la réception de la Municipalité est reçue par le Gardien. Il a décidé d'envoyer Papa et Ben. Aujourd'hui le débarquement au Port a commencé après quatre jours de pluie. C'était comme dans un asile de fou...

"Le Maire vient de me téléphoner maintenant, a quatre heures quinze, il m'a dit en personne, qu'il a fait son devoir et s'est arrangé pour que le Gardien voit Ben Gourion en personne a 7h.15 ce soir chez M.D... au sommet de la montagne... Ce n'est peut-être rien sur le papier, mais cela tue ceux qui le vivent. Tout se fait difficilement. Je suis très contente que le Gardien aille rencontrer le Premier Ministre. La nuit dernière quand il a décidé que ce ne serait pas approprié d'aller lui-même a la réception, il m'a dit qu'il aurait voulu faire une concession et rencontrer le Premier Ministre, mais il ne voulait pas être perdu dans la foule et ne pas être traité comme il sied a sa position. Aussi lui ai-je demandé de m'autoriser de téléphoner au Maire, il a permis et voila le résultat.

"Il est maintenant sept heures et le Gardien et Papa, conduits par Ben viennent de partir... Comme Shoghi Effendi a essayé pendant vingt cinq ans de faire reconnaître la Cause, ici, non pas comme une communauté locale mais comme le centre mondial et lui-même non pas comme un chef local ou national, mais un Chef mondial cette occasion de rencontrer le Premier Ministre est très importante. Sans doute Ben Gourion croit qu'il est très condescendant envers lui cette nuit! Telle est la petitesse de la vie des hommes et la vanité de ce monde.

"Eh bien, l'entrevue est terminée. Elle a duré quinze minutes. Quand ils sont arrivés le Gardien a trouvé la porte d'entrée entrebâillée. Il est entré. Il n'a vu personne, il a frappé a la porte et poussé plus loin. Il a trouvé Ben Gourion, sa femme et ses hôtes finissant le dessert dans une de ces petites maisons où l'alcôve sépare les pièces... Ben Gourion s'est levé, et a emmené le Gardien dans une pièce ... voisine et courtoisement il lui a effort le meilleur siège etc ... Alors, il a posé quelques questions sur la Cause, il a dit qu'il la connaissait et qu'elle est 'un mouvement social' sur quoi le Gardien a répondu que c'était plus que cela, qu'elle est divinement inspirée par Dieu etc... Il n'a pas trop insisté. Ben Gourion a également demandé quel était le rapport entre Shoghi Effendi et la Cause et a eu sa réponse.

"Le Gardien n'a pas voulu l'empêcher de dîner et il s'est levé après une petite entrevue. Ben Gourion l'a accompagné jusqu'à la porte extérieure et un serviteur jusqu'à la voiture, et a ouvert la porte...

"Ben Gourion a demandé au Gardien s'il y avait une histoire de la Cause qu'il puisse lire et Shoghi Effendi lui a répondu qu'il serait très heureux de lui envoyer un livre. (Il lui a envoyé Dieu passe près de nous). Il lui a également dit qu'il serait très heureux de lui montrer les Mausolées, si jamais il en avait l'occasion. Mais le Premier Ministre a dit qu'il était très occupé, ce qui peut-être pris pour un refus, je suppose... Il a été évidemment très courtois, pour un homme aussi pressé que Ben Gourion, deux jours avant les élections générales, d'accorder une entrevue et je pense que c'était un acte vraiment amical de la part du Maire Levy de l'avoir arrangée. La première chose que le Gardien a dit a été qu'il voulait réaffirmer en personne les sentiments qu'il avait exprimés dans sa lettre que le Premier Ministre se souvient peut-être avoir reçue? Ben Gourion a dit oui, bien sûr.

Le Gardien a été très chaleureux avec lui, m'a-t-il dit, et je suis sûre que sa personnalité merveilleusement franche, nette, sincère a dû impressionner un homme qui doit être un juge subtil de la nature humaine..."

"A trois heures du matin le chaland a sombré avec toutes nos pierres dedans! Encore un joli événement de plus. Quand j'en ai parlé avec Shoghi Effendi, il m'a dit 'je ne m'en soucie plus'. Il est trop usé, trop fatigué par les problèmes qui se succèdent l'un après l'autre! C'était tout ce qui restait, aussi loin que nous puissions voir! Le temps, des complications perpétuelles, et maintenant ceci! Ils peuvent le sauver, je l'ai entendu dire!"

"Shoghi Effendi a vu Gladys, Ben et moi dans le salon, comme il le fait parfois, quand il en a le temps. J'ai vu qu'il avait de la boue sur sa veste et je lui ai demandé ce qu'il avait fait? Il a dit 'j'ai eu un combat avec le Général Boue, seulement il a gagné.' Il a alors expliqué qu'il était encore une fois tombé, parce que c'était glissant après la pluie, mais nous avons bien ri."

"Je doute d'avoir le temps ou la force de tenir encore mon journal, c'est dommage quand je vois et je sais qu'il y a tant de travaux intérieurs ici..."

di je suppose qu'il y a autant d'enfers que de gens. Mais j'espère que peu de gens vivent l'enfer particulier que nous endurons Shoghi Effendi et moi-même. Si quelqu'un devait me demander de le définir, je dirai, quoiqu'il y en ait de nombreuses sortes, qu'en principe, il y a deux genres: l'enfer sans responsabilité et l'enfer avec responsabilité..." (Pour ceux qui pourraient ne pas comprendre l'acception anglaise du mot "enfer" comme employé ici, je veux dire angoisse, souffrance intense et consumante) .

"La nouvelle de la mort de Vargha est parvenue au Gardien. Shoghi Effendi a dit 'il était le meilleur homme que nous ayons'. Bien sûr, depuis longtemps, on s'y attendait, mais il en ressent la perte, car il y a si peu de baha'is capables et éminents."


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