La perle inestimable
Par Ruhiyyih Rabbani


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Chapitre 13. L'édification de l'ordre administratif

Durant ces années où le Gardien posait les bases matérielles et tangibles de la foi au Centre mondial, et obtenait des autorités gouvernementales du pays où se trouvait ce Centre, et des autorités municipales des villes où ses plus importantes institutions devaient établir leurs états-majors, la reconnaissance de la foi, il réalisait en même temps une oeuvre similaire a l'extérieur. Des années plus tard il définit ce que fut un effort triple et mondial: démontrer le caractère indépendant de la foi, élargir ses frontières et augmenter le nombre de ses adeptes. Pour accomplir cette tâche, toutefois, il avait besoin d'instruments clairement fournis dans les enseignements: les Assemblées nationales et locales, la pierre angulaire de l'Ordre administratif. Il est intéressant de noter que dans une lettre de 1943 a un nonbaha'i, il définit clairement ses relations avec cette oeuvre de première importance: "... L'ordre administratif que je me suis efforcé d'établir et de développer en tant qu'interprète responsable désigné par Abdu'l-Baha... selon les instructions explicites écrites par Abdu'l-Baha dans son Testament...". Voulant de toute évidence supprimer toute ambiguïté, il reformule sa pensée dans la même lettre en ajoutant qu'il en "avait reçu le pour voir" et qu'il était '"appelé" a l'établir.

Shoghi Effendi parlait très rarement de lui-même et employait encore plus rarement le mot "je" dans ses messages généraux. Cependant, les pouvoirs que lui conférait le Testament étaient tels que sans lui, l'Ordre administratif baha'i n'aurait pu être édifié et les fondations de l'Ordre mondial de Baha'u'llah n'auraient jamais été posées. Avec la multiplication des institutions locales et nationales de la Cause et le renforcement de leurs relations, la position du Gardien devenait de plus en plus évidente non seulement aux baha'is les plus anciens, qui l'avaient toujours reconnue, mais aussi aux nouveaux et souvent inexpérimentés qui n'avaient pas encore saisi sa vraie signification et ses implications.

Dans une lettre, afin de protéger la foi, il fut obligé de développer ses propres pouvoirs administratifs. C'était en réponse a une lettre singulièrement ignorante du secrétaire d'une Assemblée nationale. Fait encore plus rare il n'ajouta aucun post-scriptum de sa main mais simplement: "lu et approuvé, Shoghi". Cette réponse disait:

De même que l'ASN a pleine juridiction sur ses Assemblées locales, de même le Gardien a pleine juridiction sur toutes les Assemblées nationales. Il n'est pas tenu de les consulter s'il croit une décision bonne pour les intérêts de la cause. C'est lui qui juge la sagesse et l'opportunité de ses décisions. Une lecture attentive du Testament rendra ce principe tout a fait clair. Il est le Gardien de la cause, dans toute la plénitude du terme, et l'interprète désigné des enseignements et il est guidé dans ses décisions pour faire ce qui protège la cause et favorise son bien et ses plus hauts intérêts.

Il a toujours le droit d'intervenir dans les décisions d'une Assemblée spirituelle nationale ou de la contre amender. S'il n'avait pas ce droit, il serait absolument incapable de protéger la foi; comme l'Assemblée spirituelle nationale qui, si elle était privée du droit de contre amender les décisions d'une Assemblée locale, serait incapable de surveiller et de guider le bien-être de la communauté baha'ie.

Cela arrive très rarement, mais cela arrive quand même, qu'il se sente poussé a changer une décision importante (comme vous le dites) d'une Assemblée spirituelle nationale, et si nécessaire, il le fera toujours sans hésitation; et l'Assemblée en question doit l'accepter avec joie et sans hésitation comme une mesure destinée au bien de la foi que ses représentants élus cherchent avec tant de dévouement a servir.

Il n'est pas étonnant que Shoghi Effendi ait qualifié cette période de la Dispensation baha'ie inaugurée par l'ascension d'Abdu'l-Baha comme "l'Âge de Fer", "l'Âge de transition", "la période de formation de la foi". C'était l'âge dans lequel les institutions de la cause, aussi bien locales que nationales et internationales, étaient créées, ces institutions qui, disait Shoghi Effendi, constituent le modèle embryonnaire qui devra de toute nécessité évoluer, pendant l'Âge d'Or de la Dispensation Baha'ie, vers un Commonwealth Universel. "L'esprit vivifiant du monde" de la foi, écrivit-il, avait atteint le point où il était prêt a "s'incarner dans des institutions conçues pour canaliser ses inépuisables énergies et a stimuler sa croissance". Les principes, gouvernant cet Ordre Administratif, établis dans le Testament, il les avait définis, pendant les premières années de son ministère, dans un flot de lettres envoyées aux croyants, partout dans le monde.

Il expliquait clairement les fonctions des Assemblées, les domaines de leur juridiction et ce qui était encore plus essentiel, l'esprit qui devait les animer si elles voulaient réaliser leurs objectifs, dans le futur immédiat.

Les institutions administratives peuvent être comparées aux veines et aux artères du corps. Elles charrient le flot vital des enseignements de Baha'u'llah dans toutes les parties du monde. Elles aident la naissance d'une société recréée, "ce Royaume promis du Christ, cet Ordre mondial dont l'impulsion génératrice n'est autre que Baha'u'llah lui-même, dont le domaine est la planète entière, dont le mot d'ordre est l'unité, dont le pouvoir animateur est la force de la justice, dont le but est le règne de la droiture et de la vérité, dont la gloire suprême est la félicité durable, complète et sans trouble de tout le genre humain".

Après les définitions purement techniques de la façon dont les Assemblées doivent être élues et doivent diriger les affaires, les admonitions du Gardien traitent souvent de l'unité. Si "le mot d'ordre" de la société future est "l'unité", elle devrait donc, de toute évidence, être assidûment cultivée par les baha'is. En 1923, il écrivait a une Assemblée locale: "Une harmonie et une compréhension totale parmi les amis, a l'extérieur et a l'intérieur de l'Assemblée Spirituelle; une confiance implicite de la part des non-membres dans toute décision prise par leurs représentants élus; la détermination de ceux-ci a négliger leur propre préférence et aversion et a ne considérer que l'intérêt général du Mouvement; tout ceci constitue la seule fondation solide sur laquelle quelqu'oeuvre constructive pourrait être bâtie dans l'avenir et qui rendrait service aux intérêts de la cause." Ses lettres aux Assemblées nationales n'étaient pas moins énergiques, comme en témoignent ces extraits de deux lettres écrites en 1925: "La première exigence, toutefois, de toute entreprise dans laquelle les amis pourraient être engagés c'est le maintien d'un esprit immaculé de compagnonnage, de coopération sincère et loyale... l'esprit de vrai baha'i, le seul a nous ôter les nombreuses perplexités de la vie, le seul a résoudre ces inévitables problèmes que nous rencontrerons au cours de nos travaux pour notre bien-aimée cause."

"Une Assemblée spirituelle nationale active, unie, harmonieuse, correctement et consciencieusement élue, fonctionnant avec vigueur, alertée et consciente de ses nombreuses et pressantes responsabilités, en contact étroit et continuel avec le centre international en Terre Sainte, et très attentive au développement en tout sens de son champ d'activité toujours plus étendu, une telle Assemblée est sûrement en ce jour, d'une nécessité urgente et d'une importance capitale; car elle est la pierre angulaire sur laquelle l'édifice de l'administration divine doit finalement reposer."


Lentement, patiemment, avec un amour et une compréhension infinies Shoghi Effendi éduqua les Assemblées de l'Est et de l'Ouest, afin qu'elles conduisent les affaires de la cause de Dieu sur des bases correctes et selon les enseignements. Les membres de ces institutions vraiment naissantes, tels des enfants, étaient parfois enclins a chahuter entre eux; mais le Gardien ne permettait jamais qu'ils mettent les intérêts de la cause en danger. Lorsqu'une fois, une des plus importantes Assemblées nationales, mécontente d'un de ses membres vota l'exclusion de celui-ci de l'Assemblée, Shoghi Effendi télégraphia un avertissement énergique, disant que cette attitude pourrait avoir des "répercussions mondiales infliger préjudice irréparable cause Baha'u'llah" et que la personne en question devait rester membre de l'Assemblée et que toute critique et discussion abandonnées et oubliées car elles "altéraient l'autorité indivisible de l'institution de l'Assemblée nationale".

Cette façon d'agir n'était pas inhabituelle au Gardien; il savait très bien que le monde, les croyants et les Assemblées n'avaient pas encore atteint la maturité nécessaire. L'administration de la "justice" - en elle-même un sujet extrêmement complexe - présuppose un certain degré de maturité, d'expérience, de connaissance profonde des enseignements, de la part de ceux qui sont concernés Elle demande aussi beaucoup de temps. Souvent, tout au long de son ministère, le Gardien refusa d'arbitrer les différends qui lui étaient soumis, insistant auprès des personnes concernées de s'élever au-dessus des contingences, d'oublier le passé et de pardonner, de se concentrer sur les besoins urgents et importants de la foi qui étaient d'accomplir les buts du Plan en cours et de propager ce message sauveur parmi tout le genre humain. Lorsqu'il s'agissait de divorces, de différends financiers et autres matières tangibles, il conseillait aux amis de s'en rapporter a leurs Assemblées et insistait auprès de ces institutions d'étudier ces cas et d'arriver a une décision. En fait, au fur et a mesure que les corps administratifs gagnaient en maturité, il encourageait les baha'is a leur soumettre leurs problèmes, de cette façon les baha'is et les Assemblées pouvaient acquérir de l'expérience et apprendre a rendre effectif le merveilleux Ordre de Baha'u'llah dans leur vie personnelle et communautaire.

Néanmoins, lorsque le manque d'harmonie, la médisance et la méfiance mutuelle étaient a l'origine d'une situation donnée, il demandait toujours aux amis de s'élever au-dessus de cet état de faits dans l'intérêt et pour le bien de la cause. Ses conseils et appels dans de telles circonstances avaient l'effet d'une main fraîche sur un front fiévreux: ils calmaient et réconfortaient les contestataires fâchés et vexés, les calmaient jusqu'à ce que leur amour essentiel pour la foi coule, une nouvelle fois, dans leur coeur et les guérisse de leurs blessures.

Dès qu'une Assemblée nationale était correctement élue et fonctionnait, il s'attachait a la mettre sur une base légale, sans équivoque et claire. Grâce a ses encouragements, l'une des plus importantes bornes marquant le cours de l'histoire baha'ie fut posée en 1927, cinq ans après le commencement du Gardiennat. Cette borne n'était autre que "la rédaction et l'adoption de la constitution nationale baha'ie, la première conçue et promulguée par les représentants élus de la communauté baha'ie américaine". Il la décrivit comme le premier pas vers "l'unification de la Communauté mondiale baha'ie et la consolidation de l'Ordre administratif". Il dit que c'était "un exposé fidèle et digne des bases constitutionnelles des communautés baha'ies dans tous les pays, préfigurant l'émergence finale du Commonwealth mondial baha'i de l'avenir. "

Ce document devint "la Charte" de toutes les Assemblées nationales et fut traduit dans toutes les langues employées dans le monde baha'i: l'arabe, le persan, le français, l'allemand et l'espagnol. Ses clauses (basées sur les lignes directrices que Shoghi Effendi avait tracées dans ses écrits en interprétant les enseignements de la foi, étaient, comme il l'écrivit, "le système complet de l'administration mondiale implicite dans les enseignements de Baha'u'llah") furent résumées par le Gardien en ces termes: "Le texte de cette constitution comprend une Déclaration dont les articles énoncent le caractère et l'objet de la communauté baha'ie nationale; établissent les fonctions, désignent le siège et décrivent le sceau officiel du corps de ses représentants élus; et un règlement intérieur qui définit le statut, le mode d'élection, les pouvoirs et les devoirs des Assemblées nationales et locales; décrit la relation de l'Assemblée nationale avec la Maison Internationale de justice, ainsi qu'avec les Assemblées locales et les croyants individuels; délimite les droits et les obligations de la Convention nationale et ses relations avec l'Assemblée nationale; dévoile le caractère des élections baha'ies et détermine les conditions pour être membre votant dans toutes les communautés."

La rédaction du règlement intérieur de l'Assemblée Spirituelle des Baha'is de New York, en 1931, et l'incorporation de cette Assemblée, un an plus tard, furent un autre grand pas dans l'évolution de l'Ordre administratif. Au sujet de ce règlement intérieur, Shoghi Effendi écrivit qu'il "servirait de patron a toutes les Assemblées locales en Amérique et de modèle a toutes les communautés locales partout dans le monde baha'i.

La formulation de ce prototype de constitution nationale, et la rédaction du règlement intérieur pour toute Assemblée spirituelle locale posaient des bases solides sur lesquelles les Assemblées baha'ies locales et nationales pouvaient être incorporées ou enregistrées selon les lois du pays dans lequel elles fonctionnaient. Elles pouvaient dès lors posséder les titres des dotations de la foi telles que terrains, centres locaux ou national, sites historiques et parfois Maison d'Adoration qui sont des étapes auxquelles Shoghi Effendi attachait la plus grande importance. En 1928, le Gardien commença a insister auprès des Assemblées nationales orientales pour qu'elles formulent leur constitution nationale, sur le modèle américain, et cherchent, en outre, a être reconnues en tant que Cours religieuses habilitées a appliquer les lois baha'ies dans les matières du statut personnel comme le mariage, le divorce, la succession etc... matières qui dans la plupart des pays islamiques ne tombent pas sous la juridiction des tribunaux civils.

Tout ceci impliquait, en premier lieu, la lutte d'une foi indépendante pour obtenir la reconnaissance pleine et entière de sa position dans l'histoire et afin d'être traitée sur un pied d'égalité avec les autres religions mondiales. Dans le processus constant de l'orientation des destinées des communautés baha'ies vers leur but commun de devenir un corps international uni, dirigé par un Centre mondial et travaillant a la réalisation de rien de moins que la fraternité universelle, la paix mondiale et finalement un Commonwealth mondial des nations dans ce processus, Shoghi Effendi saisit l'occasion de la formation des Nations Unies comme un moyen pour hâter la concrétisation et servir les intérêts de cet objectif suprême...

Dès qu'il devint apparent que l'ossature de ce corps international permettait a des organisations non-gouvernementales d'envoyer des représentants accrédités aux diverses conférences organisées sous les auspices de l'O.N.U., Shoghi Effendi instruisit l'Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is des Etats-Unis et du Canada de demander ce statut. Elle l'obtint en 1947. Tout en adressant sa demande d'admission, cette Assemblée soumettait a l'organisation internationale une Déclaration baha'ie des Droits et Obligations de l'Homme ainsi qu'une Déclaration baha'ie des Droits de la femme. Un comité Baha'i des Nations-Unies fut désigné et un observateur assista aux sessions des Nations-Unies. Le statut obtenu par l'Assemblée américaine étant très limité dans sa portée, on chercha les voies et moyens pour l'améliorer. Durant l'hiver 1947-48, sept Assemblées Spirituelles nationales autorisèrent l'Assemblée américaine a agir comme leur représentant sous la dénomination de Communauté Internationale Baha'ie, dûment reconnue comme une organisation internationale accréditée auprès des Nations-Unies. Cela rehaussa le prestige de la foi et augmenta les privilèges des représentants officiels baha'is qui participèrent régulièrement aux diverses conférences des Nations-Unies ouvertes aux organisations jouissant de ce statut. Au fur et a mesure que de nouvelles Assemblées nationales se formaient, elles rejoignaient et renforçaient l'organisation représentant le monde baha'i.

L'importance de ce lien rattachant la cause au plus grand appareil international jamais forgé de toute l'histoire humaine est illustré par les propres paroles du Gardien: "cela marque un important pas en avant dans la lutte de notre foi bien-aimée pour recevoir aux yeux du monde son juste dû et pour être reconnue comme une religion mondiale indépendante. En fait, ce pas devrait avoir une réaction favorable pour le progrès de la cause partout, et particulièrement dans ces parties du monde où elle est persécutée, amoindrie ou méprisée et notamment en Orient". Lorsqu'une vague de persécution intense déferla sur la communauté baha'ie de l'Iran, en 1955, les relations soigneusement établies et entretenues avec les Nations-Unies portèrent leurs fruits. Suite a la documentation détaillée des torts et des atrocités que les disciples de Baha'u'llah avaient soufferts dans son pays natal, documentation qui fut soumise au Secrétaire Général des Nations-Unies, celui-ci désigna une commission d'enquête conduite par le Haut Commissaire aux Réfugiés et donna des instructions nécessaires pour contacter le gouvernement iranien et obtenir l'assurance formelle que les droits de la minorité baha'ie seraient sauvegardés.

Le Gardien attachait une telle importance a cette relation que l'un des vingt-sept buts du Plan International d'Enseignement et de Consolidation de Dix Ans, la Croisade mondiale, était "le renforcement des liens rattachant la communauté mondiale baha'ie aux Nations-Unies".

"On peut dire que l'histoire de la cause", écrivait Shoghi Effendi, "si elle est bien lue, peut se ramener a une série de pulsations, une alternance de crises et de triomphes, l'approchant toujours plus de son destin divinement fixé". Certes, l'ascension de chaque figure centrale de la foi, le Bab, Baha'u'llah et Abdu'l-Baha, avait précipité inévitablement une crise, mais la plupart des chocs qui poussèrent en avant la cause étaient le fait des persécutions qu'elle souffrit habituellement, mais non exclusivement, des mains de ses ennemis invétérés, les ecclésiastiques musulmans. Pendant les trente-six ans du ministère de Shoghi Effendi, les troubles violents, brutaux et sanglants éclatèrent en Perse; les adeptes de la foi furent persécutés et injustement accusés en Turquie; les disciples de la cause subirent des attaques sur leurs personnes, leurs biens, leurs cimetières et leurs droits légaux, en Egypte; les baha'is virent leurs Assemblées dissoutes, leurs propriétés confisquées et furent eux-mêmes pour la plupart déportés ou exilés, en Russie; la communauté baha'ie de l'Allemagne fut officiellement dissoute et ses activités furent interdites en 1937, ses archives nationales furent confisquées et certains de ses membres interrogés et même arrêtés.

Ces événements affligeaient Shoghi Effendi, prenaient beaucoup de son temps et ajoutaient au fardeau d'un coeur déjà surchargé. L'Iran était toutefois la grande question. C'était le pays où une "communauté longtemps maltraitée, piétinée, durement éprouvée" luttait perpétuellement pour son existence même, face a une persécution continuelle. Cette "communauté chèrement aimée", comme l'appelait souvent le Gardien avec amour, préoccupa Shoghi Effendi dès les premiers jours de son ministère. Il inonda ses membres et son institution nationale élue sous un flot constant de communications. C'était un sujet fréquent de sa sollicitude, dans ses communications aux baha'is de l'Occident, a qui il demandait d'aider, de défendre cette communauté qui, disait-il, avait animé l'Âge héroïque de la foi; et il leur expliquait les raisons pour lesquelles elle était si amèrement attaquée par le peuple de son pays natal.

Le fait que la Manifestation suprême de Dieu soit apparue en Iran, et que ce pays soit, par conséquent, "le berceau de notre foi et l'objet de nos plus tendres affections", comme le dit Shoghi Effendi; le fait que, comme il le dit encore, l'avenir "doive témoigner de l'ascendance spirituelle et matérielle de l'Iran sur toutes les nations du monde", ne signifie pas qu'actuellement le caractère national soit changé a tel point qu'il promette l'accomplissement rapide de cette prophétie." "Seul un observateur proche et impartial", écrivait-il dans une de ses lettres générales, "des coutumes et des habitudes du peuple persan... peut vraiment estimer l'immensité de la tâche qu'affronte chaque croyant consciencieux de ce pays" a cause des "tendances dominantes des différentes couches de la population", tendances qui se nomment: apathie, indolence, absence du sens de devoir public et de loyauté envers un principe, manque d'effort concerté et de constance dans l'action, habitude de s'abandonner aveuglément et silencieusement a un clergé ironique et fanatique. Le message de Baha'u'llah doit changer le monde, il changera aussi son pays natal qui, lorsqu'il sera sous son ombre, aura un grand avenir.

Il fut un temps où Shoghi Effendi espéra que le fondateur de la nouvelle dynastie Pahlavi, qui introduisit dans le pays de nombreuses réformes nécessaires, inaugurerait une nouvelle phase dans le développement de la foi de Baha'u'llah dans son pays; en 1929, Shoghi Effendi écrivait que les croyants iraniens "'goûtaient les premiers fruits de leur émancipation longtemps rêvée". En vue de ce processus de réformes, il conseilla a l'Assemblée nationale de demander l'autorisation d'imprimer des livres et d'établir une Maison d'Editions Baha'ies. Cette demande ayant été refusée, il télégraphia a l'Amérique en janvier 1932: "Insiste transmettre rapidement intermédiaire Assemblée Téhéran deux communications écrites gouvernement persan et Shah exprimant au nom croyants américains vive appréciation réformes intérieures récentes bénéfiques insistant liens spirituels réunissant deux pays et plaidant instamment levée interdiction entrée littérature baha'ie soulignant leur haute valeur morale avec référence particulière a Nabil et Baha'i World." Les espoirs de Shoghi Effendi durèrent peu. Les réformes n'étaient pas suffisamment profondes pour englober une communauté détestée et cette requête fut rejetée.

Décidé a ne pas abandonner la partie sans une lutte réelle, le Gardien câbla, cinq mois plus tard, a l'Amérique: "presse adresser pétition écrite de la part croyants américains au Shah présentant Ramson-Kehler représentante choisie habilitée faire appel entrée littérature Baha'ie Iran. Souligner appréciation générale réformes intérieures et liens spirituels réunissant deux pays, insister haut tribut payé écrits baha'is a Islam et leur valeur morale pour Iran. Poster pétition Assemblée Nationale Iran."

Cette affaire nous fournit un excellent exemple de la façon dont le Gardien saisissait tout outil a portée de sa main et l'utilisait au service des intérêts de la foi. Mme Keith Ramson-Kehler, une croyante américaine et une femme de grande capacité de caractère, était venue a Haïfa en tant que pèlerin. Shoghi Effendi décida de l'envoyer en Iran. Avant d'être baha'ie, elle avait été ministre d'une Eglise Chrétienne. Elle était un orateur capable et enflammé. Elle resta de nombreuses semaines a Haïfa, et Shoghi Effendi lui parla de la Perse, de ce qu'il voulait et espérait, lui disant que sa tâche consistait a essayer d'obtenir une plus grande liberté pour la foi et au moins une mesure tendant a la faire connaître. La mission confiée a Mme Ramson-Kehler échoua, car le Shah refusa de la recevoir; néanmoins la visite de cet émissaire du Gardien en Iran eut un effet historique sur la communauté baha'ie persane, car elle avait reçu des instructions concernant le développement de l'Ordre administratif dans ce pays, et elle put remuer une communauté souvent intimidée, toujours piétinée et quelques fois apathique. Elle lui fit prendre conscience de sa mission future et de l'urgence de ses devoirs immédiats.

Mais, comme dans le cas du Dr. Esslemont, cet instrument nouvellement choisi fut arraché des mains du Gardien. Le 28 octobre 1933 il télégraphiait a l'Amérique: "Vie précieuse Keith offerte en sacrifice cause bien-aimée dans pays natal Baha'u'llah. Sur terre persane pour intérêt Perse elle releva défi et combattit forces des ténèbres avec haute distinction volonté indomptable loyauté inébranlable exemplaire. Masse ses frères faibles persans pleure perte soudaine leur vaillante émancipatrice croyants américains reconnaissants et fiers 'souvenir leur premier et distingué martyr. Affligé et frappé je me lamente séparation terrestre collaboratrice inestimable conseillère sûre et amie fidèle et estimée. Presse Assemblées Locales organiser réunions souvenirs dignes a la mémoire celle dont services internationaux lui ont procuré rang éminent parmi Mains de Cause de Baha'u'llah."

La grande perte que cette mort entraînait pour la Perse, devenait un grand gain pour l'Amérique.

L'émissaire de Shoghi Effendi était digne des honneurs posthumes qu'il amoncela sur elle. Ce mérite apparaît nettement dans les paroles qu'elle écrivit, en Iran, lorsqu'elle sentit l'échec de sa mission première: "je suis tombée, et pourtant je n'ai jamais chancelé. Mon rapport: des mois d'efforts sans avoir rien obtenu. Si quelqu'un, plus tard, devait s'intéresser a cette aventure contrariée qui fut mienne, lui seul pourra dire si mon vieux corps fatigué est tombé près ou loin des sommets apparemment inexpugnables de complaisance et d'indifférence. La fumée et le tumulte de la bataille sont aujourd'hui trop denses pour m'assurer si je suis allée de l'avant ou si j'ai été tuée dans les tranchées. Rien au monde n'est sans signification, la souffrance moins que tout autre. Le sacrifice, avec son escorte d'angoisse, est un germe, un organisme. L'homme ne peut en abîmer le fruit, comme il le peut avec les graines dans la terre. Une fois semé, le sacrifice fleurit, je pense pour toujours, dans les doux champs de l'éternité. Le mien sera une très modeste fleur, peut-être comme ce petit myosotis, abreuvé du sang de Quddus, que j'ai cueilli dans le Sabz-i-Maydan de Barfurush; si jamais il devait attirer un regard, que celui qui semble lutter en vain le conserve

au nom de Shoghi Effendi et le chérisse en son cher souvenir." En décembre 1934, Shoghi Effendi télégraphia a l'Assemblée Nationale de l'Iran: "Ecole Tarbiyat a-t-elle été fermée définitivement enquêtez et télégraphiez". L'origine de cette question apparaît dans la réponse de cette Assemblée au Gardien: "Suite votre demande deux écoles Tarbiyat Téhéran fermées jour Martyre du Bab, en conséquence Ministère Education imposa fermeture deux écoles et demanda pourquoi nous n'avons pas dissimulé..." On peut citer cette affaire comme un exemple classique de la lutte des baha'is persans, constamment éperonnés et guidés par Shoghi Effendi, afin d'obtenir au moins une mesure raisonnable de liberté dans la pratique de leur religion qui, numériquement, est la plus importante du pays après l'Islam. Les écoles mixtes Tarbiyat appartenaient aux baha'is et étaient dirigées par eux depuis trente six ans. Fondées en 1898, au temps d'Abdu'l-Baha, elles avaient été un projet très cher a son coeur. Elles avaient toujours eu une excellente réputation et, quoique leurs élèves fussent principalement des baha'is, les enfants de toute origine y étaient admis.

Ces écoles avaient toujours fermé les neufs jours saints baha'is. Et, maintenant, sous prétexte qu'elles appartenaient a une religion non-officiellement reconnue en Iran, le Ministère de l'Education avait soudain exigé que ces écoles restent ouvertes pendant ces jours. Cela signifiait un recul au lieu d'un progrès dans la bataille que menait la cause, si désespérément, pour son émancipation. Shoghi Effendi refusa net et demanda a l'Assemblée de fermer ces écoles le jour de l'anniversaire du Martyre du Bab. Comme il ne voulait ni ne conseillait aux amis de dissimuler leur foi, ni garder ouvertes les écoles les jours saints baha'is et que le gouvernement refusait également de changer d'attitude, les écoles Tarbiyat, deux des meilleures écoles de l'Iran, furent fermées et restent encore fermées actuellement.

Le lendemain de la réception de la réponse de Téhéran, Shoghi Effendi annonçait ces mauvaises nouvelles aux baha'is du pays qui jouissait de la plus grande liberté dans le monde. Le courroux du Gardien apparaît dans chaque liste qu'il dresse des indignités et des souffrances infligées aux baha'is de l'Iran: "Information juste reçue indique efforts délibérés miner toutes institutions baha'ies en Perse. Ecoles fermées a Kashan, Qazvin, Sultanabal. Dans plusieurs centres importants comprenant Qazvin Kirmanshah ordres donnés suspendre activités enseignement, interdisent réunions, ferment Hall baha'i, dénient droit funérailles dans cimetières baha'is. Baha'is de Téhéran contraints sous peine prison s'enregistrer musulmans cartes d'identité. Haut clergé incitant population. Pétitions Assemblées Nationales Téhéran au Shah non délivrées rejetées. Faire sentir Ministre Persan gravité situation intolérable."

Ces attaques injustifiées venaient a un moment où on pouvait logiquement s'attendre a ce que la politique plus libérale appliquée a l'ensemble du pays serait étendue aux membres d'une foi qui constituait, depuis l'époque de Darius et de ses successeurs, le seul renom sérieux auquel cette nation pouvait prétendre. C'est pourtant a ce moment que les baha'is persans réunissaient une convention dont les délégués étaient suffisamment représentatifs de la communauté baha'i pour élire une Assemblée Nationale que Shoghi Effendi fit figurer dans ses statistiques comme étant formée en 1934. En fait, déjà en 1927 avait eu lieu ce que le Gardien appela "leur première conférence historique représentative de nombreux délégués" qui avait décidé de tenir des réunions annuelles similaires.

(Photo)

En 1928, Shoghi Effendi avait commencé a appeler les Assemblées élues par ces conférences l'Assemblée Spirituelle Nationale de l'Iran. Une des raisons principales de ce long retard apporté a des élections correctes, "selon le modèle et la méthode suivis par leurs frères aux Etats-Unis et au Canada", comme il l'exprima, c'était que l'Assemblée n'avait pas pu appliquer ses instructions et établir soigneusement une liste de tous les croyants du pays nécessaire a toute procédure administrative de l'élection d'une institution nationale.

En 1931, Shoghi Effendi avait donné l'ordre d'acheter un terrain pour le futur Mashriqu'l-Adhkar et de commencer la construction d'une Haziratu'l-Quds a Téhéran. C'était sans doute a cause de ces affirmations de son droit a l'existence, qu'un gouvernement irrité, loin de reconnaître la foi, s'était raidi dans sa détermination de lui dénier ce droit. Et ce, malgré la patience du Gardien et de la communauté qui essayaient, avec un effort raisonnable, de ne pas provoquer les autorités et le peuple inutilement. Cette modération est illustrée, par exemple, par le fait que le Gardien, afin d'éviter les troubles, demanda aux femmes baha'ies de ne pas prendre la tête du mouvement d'émancipation des femmes que le Shah avait entrepris. Cette émancipation impliquait l'abandon du voile et était tout a fait en accord avec les enseignements du Bab et de Baha'u'llah.

La situation des baha'is en Orient et particulièrement en Iran n'est jamais vraiment paisible. Elle est toujours dans un déséquilibre précaire, toujours prête a s'enflammer dans une persécution violente et fréquemment sanglante. Il y avait souvent des cas isolés de baha'is tués, dont quelques uns étaient mentionnés par le Gardien comme des martyrs. Il y avait constamment une fièvre de persécution, quelquefois plus chaude ici, parfois plus brûlante la, mais toujours présente. Aux vicissitudes affligeant les amis persans, le Gardien répondait toujours avec des messages affectueux, des sommes d'argent pour soulager les victimes, des instructions a l'Assemblée Nationale de l'Amérique pour qu'elle intervienne et réclame justice. Des communications telles que la suivante n'étaient pas rares et reflètent l'esprit de ses messages: "Conseille... tenir réunion dévotion auditorium Temple suppliant assistance des armées invisibles Royaume Abha pour émancipation terre natale Baha'u'llah. Puissent combats incessants et efforts redoublés Amérique compenser inactivité forcée, section si large corps organisé ses disciples."

Cependant, la pire des crises expérimentée par la communauté baha'ie iranienne, durant les trente-six ans du ministère du Gardien, survint en 1955. Ce fut, comme il le télégraphia, une détérioration soudaine dans les affaires de la plus grande communauté du monde baha'i. Dans un long câble, daté du 23 août 1955, il informa les Mains de la Cause et les Assemblées Nationales de ce qui se passait en Iran: après la saisie par les autorités gouvernementales du Centre national a Téhéran son grand dôme ornemental avait été démoli (une destruction au cours de laquelle un chef religieux et un général en activité prirent eux mêmes la pioche). Les centres locaux administratifs baha'is étaient saisis sur toute l'étendue du territoire. Le Parlement avait mis hors la loi la cause.

Une campagne virulente a travers la presse et la radio, déformant l'histoire de la foi, calomniant ses fondateurs, défigurant ses enseignements, ternissant ses buts et objectifs, était déchaînée. Une série d'atrocités était ensuite perpétrée contre les membres de cette communauté cruellement éprouvée. Résumant ces terribles événements et ces "actes barbares" Shoghi Effendi citait entre autres des faits tels que: la profanation de la demeure du Bab a Shiraz, le premier Mausolée de la foi en Perse qui avait été sérieusement endommagé; l'occupation de la maison ancestrale de Baha'u'llah; le pillage des boutiques et des fermes appartenant aux croyants; la mise a sac de leurs maisons; la destruction de leurs provisions. On brûla leur récolte, on éventra et profana les cimetières baha'is; on battit les adultes; on enleva les jeunes femmes a leurs maris et on les obligea a épouser des musulmans. Les enfants furent raillés, injuriés, battus et expulsés des écoles; les commerçants boycottèrent les baha'is et refusèrent de leur vendre des vivres. Une fille de quinze ans fut violée et un enfant de onze mois foulé aux pieds. On fit pression sur les croyants pour qu'ils abjurent leur foi. Plus récemment, poursuivait-il, une meute forte de deux mille personnes avait coupé en morceaux avec des haches et des pelles au son de la musique des tambours, une famille de sept personnes, le plus âgé avait quatre-vingts ans et le plus jeune dix-neuf.

Les baha'is, plus de milles groupes et Assemblées partout dans le monde, suivant les instructions du Gardien, protestèrent contre ces actes injustes, en envoyant des télégrammes et des lettres aux autorités iraniennes. En plus, toutes les Assemblées nationales adressèrent des lettres au Shah, au Gouvernement et au Parlement, protestant contre cette persécution injustifiable d'une communauté innocente pour des raisons purement religieuses.

Comme aucune réponse ne vint des sphères officielles, le Gardien donna instruction a la Communauté Internationale Baha'ie accréditée auprès des Nations-Unies en tant qu'organisation internationale non-gouvernementale de porter la question auprès de l'institution de Genève. Il désigna ceux qui devaient être les représentants de la Communauté dans cette importante occasion. On distribua des copies de l'appel baha'i aux représentants des nations membres du Conseil Economique et Social, au Directeur de la Division des Droits de l'Homme, ainsi qu'a certaines agences des Organisations non-gouvernementales ayant un statut Consultatif. L'Assemblée nationale américaine et toutes les Assemblées locales et tous les groupe de l'Amérique en appelèrent également au Président de l'O.N.U. en faveur de leurs frères et soeurs en Iran.

C'était la première fois, dans son histoire, qu'une foi attaquée pouvait combattre et se défendre avec des armes d'une certaine valeur. Shoghi Effendi fit clairement ressortir l'importance de ce fait: quelque "navrant" que soient les effets de ces événements, ils avaient cependant mis en lumière un fait majeur: la foi de Dieu, encore dans l'enfance, qui depuis l'ascension d'Abdu'l-Baha s'était donné les rouages de son ordre administratif, qui s'était employée par l'intermédiaire, de ces institutions nouvellement nées a propager systématiquement la cause grâce a une série de plans nationaux culminant dans la Croisade mondiale, cette foi de Dieu était maintenant sortie de l'obscurité, dans le sillage de cette épreuve, bouleversant la majorité écrasante de ses disciples. Les répercussions mondiales de ces événements seraient saluées par la postérité comme le "puissant souffle de la trompette de Dieu" qui, par l'intermédiaire des "adversaires les plus anciens, les plus redoutables, les plus pervers, les plus fanatiques" de la cause, devait éveiller l'attention des gouvernements et des Chefs d'Etat de l'Est et de l'Ouest a l'existence et aux implications de la foi. Les circonstances entourant ces événements furent si orageuses en Iran et leurs répercussions a l'étranger si impressionnantes que le Gardien affirma qu'ils étaient destinés a paver la voie de l'émancipation de la foi du joug de l'orthodoxie dans les pays islamiques et de la reconnaissance finale, dans sa propre patrie, du caractère indépendant de la révélation de Baha'u'llah.

Pour soulager les souffrances et améliorer la condition pitoyable des croyants persans, Shoghi Effendi inaugura un fonds "d'aide aux persécutés" en contribuant lui même l'équivalent de 18.000 dollars a "cette noble fin". Non content de cette preuve de solidarité baha'ie il lança la construction a Kampala, dans le coeur de l'Afrique, du "Temple mère" du continent comme une "consolation suprême" des "masses oppressées" de nos il vaillants frères" du berceau de la foi. Il fit face aux forces des ténèbres grouillant dans le plus ancien bastion de la foi, avec des armes a sa disposition: les forces du progrès créateur, de la lumière et de la foi.

Il est difficile de réaliser qu'un homme, tout seul dans sa retraite suisse, sans aucun conseiller pour l'aider ou le réconforter, supporta le choc de cette violente vague de persécutions qui déferla soudain sur l'Iran, en 1955. Il établit, seul, sa stratégie, câbla a ses capitaines, les différentes Assemblées nationales, les actions qu'ils devaient entreprendre, nomma ceux qui devaient représenter les intérêts de la foi auprès de la plus haute institution internationale, les Nations-Unies, réconforta les piétinés, leva de l'argent pour les secourir et lança son trident a gauche et a droite pour les défendre.

Quant a la question de la liquidation de la foi en Russie, il faut d'abord se rappeler que dès la fin du siècle dernier, une communauté baha'ie existait au Caucase et en Turkistan. De nombreux Persans, fuyant les persécutions de leur pays natal, avaient trouvé dans ces régions un refuge sûr. Ils s'étaient établis dans plusieurs villes et en particulier a Ishqabad où ils avaient érigé le premier temple du monde baha'i et ouvert des écoles qui fonctionnaient depuis plus de trente ans. En 1928, ils avaient plusieurs Assemblées spirituelles (dont une a Moscou) et deux Assemblées Centrales qui, en attendant des élections représentatives, nationales et correctes, administraient leurs affaires et figuraient sur les listes publiées aux Etats-Unis comme les Assemblées Nationales du Caucase et du Turkistan. En septembre 1927, Shoghi Effendi écrivait a l'Assemblée Spirituelle Locale d'Ishqabad de préparer graduellement la réunion des délégués de toutes les Assemblées Locales a Ishqabad afin d'élire l'Assemblée nationale. Le 22 juin 1928, Shoghi Effendi recevait le télégramme suivant de l'Assemblée d'Ishqabad: "En application agrément général 1917 gouvernement soviétique a nationalisé tous temples mais sous conditions particulières les loue gratuitement aux communautés religieuses respectives.

Concernant Mashriqu'l-Adhkar gouvernement a donné mêmes conditions agrément a l'Assemblée supplions directives par télégramme." Le Gardien câbla immédiatement a l'Assemblée de Moscou "intercéder énergiquement autorités empêcher expropriation Mashriqu'l-Adhkar. Demander détails Ishqabad..." et a Ishqabad "réie7rer Assemblée Moscou adresser pétition autorités au nom tous baha'is Russie. Agissez fermement vous assure prières"...

Il faut cependant faire une nette distinction entre ces événements de la Russie et les persécutions de l'Iran. En Perse, les croyants étaient les victimes choisies de toutes sortes d'injustices parce qu'ils étaient des disciples de Baha'u'llah et uniquement pour cette raison. Tandis qu'en Russie, les baha'is ne faisaient l'objet d'aucune discrimination, mais la politique gouvernementale combattait toutes les communautés religieuses.

En septembre 1928, dans une lettre a Martha Root, Shoghi Effendi indiquait ce qui se passait en Russie et comme il en était affecté personnellement: "L'été, cette année, a été très déprimant pour moi, car la situation de la cause en Russie empire de jour en jour. Le Mashriqu'l-Adhkar a été saisi par l'Etat, fermé et scellé. On demande des amis une grande somme, en cas de location, sinon, on menace de le vendre, en partie a d'autres. La situation est très critique et de nombreuses familles ont émigré en Iran. Les réunions sont suspendues, les Assemblées dissoutes, de lourdes restrictions et pénalités imposées... cela et d'autres faits aussi m'ont rendu réellement déprimé et triste." Le Gardien n'approuvait pas le retour des baha'is de Russie en Iran. Il informa l'Assemblée d'Ishqabad que le "départ des amis pour l'Iran est excessivement nuisible". Il leur dit que, si nécessaire, ils devraient changer de nationalité et adopter la nationalité russe. Auparavant, il avait pressé les immigrants en Russie d'apprendre la langue russe et de traduire la littérature baha'ie en cette langue. En 1929, il écrivit a l'Assemblée Nationale de l'Iran que les amis d'Ishqabad devaient rester dans cette ville, ne pas désespérer et attendre que les nuages de l'injustice passent et que le soleil de la justice réapparaisse.

Les persécutions sont toujours exacerbées par le manque de sagesse des victimes elles-mêmes et par l'imprudence des subordonnés exécutant les instructions des supérieurs (qui sont peut-être ou ne sont pas mal disposés), c'est la un système que nous ne résoudrons probablement jamais. Toutefois, il ne me semble pas déraisonnable de supposer qu'au moins en partie nos malheurs sont amplifiés par nos propres actes.

Le premier janvier 1929, dans une longue lettre aux baha'is de l'Ouest, Shoghi Effendi expliquait les événements de la Russie. Les baha'is subissaient enfin "l'application rigide des principes déjà énoncés par les autorités étatiques et imposés universellement a toutes les autres communautés religieuses." Les baha'is, comme il "convient a leur position de citoyens loyaux et respectueux de la loi", avaient obéi aux il mesures que l'Etat, dans le libre exercice de ses droits légitimes avait choisi d'appliquer".

Les mesures que les autorités avaient prises "Fidèles a leur politique d'expropriation au profit de l'Etat de tous les édifies a caractère religieux" les avaient conduit a exproprier et a assumer les droits de propriété et de contrôle sur "cette possession la plus chérie, et universellement admirée, le Mashriqu'l-Adhkar d'Ishqabad." En outre, "les ordres gouvernementaux, oralement et par écrit" avaient "été officiellement communiqués aux Assemblées baha'ies et aux croyants individuels, suspendant les réunions... supprimant les comités de toutes les Assemblées baha'ies nationales et locales, interdisant la levée des fonds... exigeant le droit d'inspection totale et fréquente des délibérations... des Assemblées baha'ies... suspendant les périodiques baha'is.

A tout ceci", affirmait Shoghi Effendi, "les disciples de la foi de Baha'u'llah s'étaient soumis avec un sentiment brûlant d'angoisse et un courage héroïque, sans animosité ni réserve, se rappelant toujours les principes directeurs de la conduite baha'ie qui veulent qu'en matière d'activités administratives (la suspension desquelles ne constituent pas en elle-même un manque de loyauté envers la foi), les jugements délibérés et les arrêtés arbitraires décrétés par les dirigeants responsables, soient minutieusement respectés et loyalement obéis, peu importe si cette immixtion dans les activités administratives affecte gravement le cours de l'extension du Mouvement."

Il ajoutait que les baha'is du Turkestan et du Caucase, ayant épuisé tous les moyens légaux pour alléger ces restrictions, avaient décidé "d'exécuter consciencieusement le jugement délibéré de leur gouvernement reconnu" et "avec un espoir qu'aucune puissance terrestre ne peut affaiblir... (ils avaient) confié les intérêts de la cause a la garde de ce vigilant, de ce divin Libérateur Tout-Puissant..."

Dans ce même message, Shoghi Effendi assurait qu'il demandera l'intervention du monde baha'i, lorsqu'il la jugera opportune.

En avril 1930, le Gardien pensa qu'il fallait intervenir: par suite d'une série de mesures supplémentaires et très dures, les baha'is risquaient de perdre définitivement le contrôle du précieux temple qu'ils avaient réussi a louer après sa confiscation. Il télégraphia a l'Assemblée Nationale d'Amérique: fi... action prompte exige. Soulignez caractère international temple..." Il avait déjà défini, dans une précédente lettre, ce que devrait être l'attitude des croyants de l'extérieur dans cette éventualité: les Assemblées Nationales et Locales du monde, dans un geste de solidarité baha'ie, réfuteraient tout dessein politique ou autre qui pourrait être imputé a leurs frères de ce pays et attireraient l'attention des autorités russes sur "la nature humanitaire et spirituelle de l'oeuvre accomplie par les baha'is de tout pays et toute race" et sur le caractère international de cet édifice, la première Maison Universelle d'Adoration de Baha'u'llah, dont les plan avaient été conçus par Abdu'l-Baha lui-même, et qui avait été construit sous sa direction et financé par des contributions collectives des croyants du monde entier.

Mais les dés étaient jetés. Shoghi Effendi télégraphia finalement a l'Assemblée d'Ishqabad: "s'incliner devant la décision autorités Etat". Ce cas concernant le premier des deux temples baha'is érigés sous l'égide d'Abdu'l-Baha, illustre notre devoir envers le gouvernement, quelque soit la nature de ce gouvernement, et constitue un modèle pour les Assemblées baha'ies et une source d'informations pour les croyants.

Deux autres pays, la Turquie et l'Egypte, formèrent avec l'Iran, l'Allemagne et la Russie la scène des répressions et des restrictions contre la foi. La Turquie menait, depuis la chute du Califat, comme l'écrivit Shoghi Effendi, "une politique intransigeante ayant pour but la sécularisation de l'Etat et sa séparation de l'Islam". De grandes réformes civiles qui avaient la sympathie des baha'is, étaient en cours. Le nouveau régime avait découvert que, dans le passé, des groupes soi-disant religieux couvraient l'agitation politique. Une communauté baha'ie bien organisée, poursuivant ses activités ouvertement et enseignant la foi, attira donc les soupçons et la méfiance du gouvernement. On perquisitionna dans de nombreuses maisons baha'ies; on saisit des livres; on fit subir des interrogatoires sévères a quelques amis et finalement on emprisonna de nombreux baha'is. Une grande publicité fut faite a la foi, quelque peu a l'étranger, mais surtout en Turquie, où la presse réagit favorablement.

Et lorsque, le 13 décembre 1928, l'affaire parvint devant le Tribunal Criminel, la Cour prêta une oreille impartiale a la cause des accusés. Ces événements marquèrent un nouveau départ de l'extension de la cause: "jamais auparavant, dans l'histoire baha'ie", écrivait Shoghi Effendi, "les disciples de Baha'u'llah n'avaient été appelés par les officiels d'un Etat... a exposer l'histoire et les principes de leur foi... '.

Il est intéressant de noter que les autorités trouvèrent dans les papiers de l'Assemblée de Constantinople (actuellement Istanbul) un des hommages de la Reine Marie dont les implications n'échappèrent pas aux juges. Le président de l'Assemblée Spirituelle de Constantinople, en témoignant devant les juges, exposa brillamment les principes de la foi et cita ces paroles de Baha'u'llah: "Devant la Justice, dites la vérité et ne craignez rien". En conclusion, les baha'is devaient payer une amende pour infraction aux lois sur les associations (celles-ci devaient être enregistrées et devaient obtenir l'autorisation de tenir des réunions publiques). Mais ils étaient acquittés de toute autre accusation. Le 12 février 1929, dans une lettre générale aux Baha'is de l'occident, Shoghi Effendi, résuma ainsi le verdict de la Cour:
"En ce qui concerne le verdict... il est clairement affirmé que quoique les disciples de Baha'u'llah dans leur conception innocente du caractère spirituel de leur foi, aient trouvé inutile de solliciter une autorisation pour la conduite de leurs activités administratives et soient ainsi condamnés au payement d'une amende, néanmoins ils ont non seulement établi, a la satisfaction des représentants légaux de l'Etat, l'innocence de la cause de Baha'u'llah, mais se sont aussi méritoirement acquittés de la tâche de revendiquer son indépendance, son origine divine, son aptitude de répondre aux circonstances et aux exigences du présent âge."

Ce fut le premier grand épisode impliquant les baha'is en Turquie, depuis la chute du Califat. Ce ne fut pas la dernière. Le pouvoir séculier était toujours sur ses gardes contre les forces réactionnaires et la mémoire officielle est courte. En 1933, les mêmes suspicions et accusations furent reprises. Le 27 janvier, Shoghi Effendi câblait a l'Assemblée Nationale américaine: "Baha'is Constantinople et Adana au nombre environ quarante emprisonnés accusés motifs subversifs. Presse persuader Ministre turc Washington faire représentations immédiates son gouvernement relâcher disciples respectueux foi apolitique.

Conseille également Assemblée Nationale câbler autorités Angora approcher Département d'Etat". Il télégraphia en même temps a l'Assemblée Nationale iranienne: "Presse représentations immédiates Ambassadeur turc au nom baha'is emprisonnés Stamboul et Adana accusés motifs politiques". Le lendemain, il télégraphiait a un Turc éminent:

"Son excellence Ismat Pacha
Ankara

En tant que chef foi baha'ie ai appris avec étonnement emprisonnement disciples de Baha'u'llah a Stamboul et Adana. Respectueusement appelle intervention Votre Excellence au nom disciples d'une foi les engageant loyauté envers votre gouvernement pour réformes historiques duquel ses adeptes monde entier nourrissent admiration illimitée."

Les baha'is, mis au courant de la situation grâce aux lettres détaillées du Gardien sur l'affaire précédente, réagirent immédiatement. Leurs représentations auprès des autorités turques, et sans doute les efforts faits en Turquie en faisant connaître le verdict donné par la Cour Criminelle lors de l'affaire précédente, aboutirent après plusieurs mois au relâchement et a l'acquittement des amis. Le 5 mars, le Gardien informait l'Assemblée américaine: "Amis Istambul acquittés, 53 encore emprisonnés Adana presse renouveler énergiquement représentations relâchement immédiat" et le 4 avril, il câblait: "Amis Adana relâchés. Conseille transmettre appréciation Ambassadeur turc."


Ces derniers événements de la Turquie se déroulaient au moment où Shoghi Effendi luttait pour obtenir quelque liberté pour les baha'is d'Iran, alors que Mme Ranson Kehler était dans ce pays. Cela nous donne une faible idée du nombre et de la nature des problèmes que le Gardien devait constamment traiter. Malgré une recrudescence régulière de la suspicion des autorités turques envers la foi, Shoghi Effendi put établir, durant sa vie, des fondations solides dans ce pays, et la communauté baha'ie turque, après l'ascension du Gardien, put achever un des buts du Plan de Dix ans: l'élection de l'Assemblée Nationale des Baha'is de la Turquie.

Les événements d'Egypte, un des premiers pays a recevoir la lumière de la révélation divine, pendant la vie même de Baha'u'llah, survinrent trois ans avant la première affaire turque. Commençant par une attaque féroce contre un groupe de baha'is dans un petit village de la Haute-Egypte, ces attaques se terminèrent par ce que Shoghi Effendi qualifia du "premier pas vers l'acceptation universelle de la foi baha'ie en tant qu'un des systèmes religieux indépendants et reconnus du monde."

Dans presque tous les pays islamiques les lois concernant le statut personnel sont administrées par des tribunaux religieux. Lorsque les baha'is de ce village formèrent leur Assemblée Spirituelle, le Chef du village, mû par un fanatisme religieux aveugle, souleva le sentiment populaire contre trois hommes mariés qui étaient devenus baha'is. On demanda par des moyens légaux le divorce de leurs femmes musulmanes, attendu qu'elles étaient mariées a des hérétiques. Le cas vint donc par devant la Cour d'Appel religieuse de Beba qui rendit son jugement le 10 mai 1925. La Cour condamnait très fortement les hérétiques pour avoir violé les lois et les ordonnances de l'Islam et annulait leurs mariages. Cette condamnation était en soi très importante, mais le Gardien attachait encore plus d'importance au texte du jugement qui "allait même aussi loin que de faire l'assertion positive, saisissante et en fait historique selon laquelle la foi embrassée par ces hérétiques devait être regardée comme une religion distincte, entièrement indépendante des systèmes religieux qui l'avaient précédée." En résumant le verdict, Shoghi Effendi citait les termes effectifs de ce jugement d'une importance historique pour les baha'is:

"La foi baha'ie est une religion nouvelle, entièrement indépendante avec des croyances, des principes et des lois qui lui sont propres et qui différent des croyances, principes et lois de l'Islam et qui les contredisent. Aucun baha'i, par conséquent, ne peut être regardé comme un musulman ou vice-versa, de même qu'aucun bouddhiste, brahman ou chrétien ne peut être considéré comme musulman ou vice-versa."

Même si ce verdict était resté un phénomène isolé d'un obscur tribunal local d'Egypte, il aurait été une arme appréciable dans les mains des croyants du monde entier qui cherchaient a affirmer justement cette indépendance énoncée si clairement par ce jugement. Mais l'affaire n'en resta pas la, le verdict fut ratifié et maintenu par les plus hautes autorités ecclésiastiques du Caire. Il fut imprimé et distribué par les musulmans eux-mêmes.

Le Gardien qui était toujours a l'affût du plus fragile instrument, que ce fût des êtres humains ou des morceaux de papiers, pour s'en saisir comme une arme dans sa lutte pour l'obtention de la reconnaissance et de la libération de la foi, empoigna cette nouvelle épée que les ennemis de la cause lui fournissaient et s'en servit toute sa vie.

"C'était" affirma-t-il, "la première charte de l'émancipation de la cause des chaînes de l'Islam". En Orient, les baha'is l'employèrent, sous sa direction avisée, comme un levier afin d'arracher a leurs ennemis le fait que la foi baha'ie n'était pas une hérésie a l'intérieur de l'Islam. En Occident, ils l'utilisèrent comme un désavoeu de la même accusation. Ce jugement fut même cité par le Gardien comme une des raisons le poussant a demander avec insistance au Ministère des Affaires religieuses d'Israël que les affaires de la Communauté baha'ie ne soient pas traitées par le Directeur du Service des Affaires islamiques. Il souligna que cela créait l'impression que la cause était une branche de l'islam et déclara qu'il préférait que les affaires baha'ies soient placées sous la juridiction du chef du Service des Affaires chrétiennes, car de cette façon il ne pourrait y avoir d'ambiguïté quant au caractère indépendant de la foi. Cette argumentation amena le Ministère des Affaires religieuses a créer un Service des Affaires baha'ies distinct des autres Services du Ministère et ayant un Directeur a part entière.

L'Assemblée Spirituelle des baha'is d'Egypte combattit pendant de longues années, avec en main le puissant levier du jugement de Beba, pour obtenir ne serait-ce qu'une très modeste reconnaissance de son statut religieux. L'Assemblée publia, afin de faciliter cette reconnaissance, une compilation des lois baha'ies relatives au statut personnel et par la force de ce document et les incidents répétés provoqués par les fanatiques, elle réussit a obtenir du gouvernement égyptien des terrains dans les villes où il y avait un grand nombre de croyants, terrains officiellement accordés a l'Assemblée pour servir de cimetière exclusif aux baha'is.

Cette compilation des lois relatives au statut personnel fut traduite en persan et en anglais et servit comme un guide dans la conduite des affaires baha'ies dans les pays où il n'y avait pas de lois civiles couvrant ces matières. Malgré certaines concessions arrachées aux autorités, dans les pays musulmans comme l'Egypte, l'Iran, la Palestine et l'Inde, le fait demeurait que la situation légale des baha'is, particulièrement en Egypte et en Iran, était très ambiguë. Souvent, les baha'is n'avaient aucun droit, vivant dans une sorte de "no man's land" légal. C'était particulièrement vrai pour leur mariage et divorce qui étaient enregistrés auprès de leurs Assemblées et selon les lois baha'ies, mais qui étaient considérés comme inexistants aux yeux du gouvernement de leurs pays.

Le fait que 'de grandes communautés de croyants acceptaient fièrement cette situation, refusant de se voir humiliées aux yeux de leurs compatriotes moqueurs et continuant jusqu'à ce jour a lutter pour la reconnaissance de leurs droits dans ces matières fondamentales, c'est le plus grand hommage a l'esprit de foi que les enseignements de Baha'u'llah avaient engendré dans leur coeur et a la loyauté avec laquelle ils exécutaient les instructions de leur bien-aimé Gardien, sans se soucier "d'aucune vague d'impopularité, de troubles ou de critiques qu'une adhésion stricte a leurs idéaux pouvait provoquer".

En récapitulant ces événements, qui doivent finalement conduire a la reconnaissance et a la libération de la foi, dans Dieu passe près de nous, Shoghi Effendi écrit ces paroles mémorables: "A toutes les réglementations administratives que les autorités temporelles ont établies de temps a autre... la communauté baha'ie, fidèle a ses obligations sacrées envers son gouvernement et consciente de ses devoirs civiques, s'est soumise et continuera a se soumettre avec une obéissance absolue... Mais elle refusera obstinément de s'incliner devant des ordres impliquant une abjuration de leur foi de la part de ses membres ou constituant un acte de déloyauté envers les principes et préceptes spirituels, fondamentaux et venant de Dieu, préférant l'emprisonnement, la déportation et toute forme de persécution, y compris la mort (déjà subie par vingt mille martyrs qui ont laissé leur vie dans le chemin de ses fondateurs) plutôt que d'obéir aux diktats d'une autorité temporelle exigeant le renoncement a sa fidélité a la cause."

En administrant les affaires de la foi, Shoghi Effendi avait cette qualité, caractérisant tout dirigeant vraiment grand, d'intransigeance sur les points essentiels et de flexibilité sur ce qui était non-essentiel. Tandis que sur les matières fondamentales, il ne peut y avoir de compromis, il peut et il doit y avoir, lorsqu'on administre les affaires d'une communauté mondiale, une reconnaissance du fait que les peuples sont a des stades différents de l'évolution. Un exemple de cette sagesse et habileté de Shoghi Effendi est la façon dont il traitait les différentes communautés.

Il ne permettait jamais a une communauté - fut elle celle d'une des plus grandes métropoles du monde ou celle d'un village de paysans analphabètes - de mésestimer les enseignements fondamentaux de Baha'u'llah, mais reconnaissant en même temps qu'on ne doit pas exiger d'un enfant de cinq ans ce qu'on exige d'un adolescent ou demander la même sagesse, obéissance et expérience d'un jeune homme de 21 ans que d'une personne ayant passé plus de soixante ans a l'école de la vie. C'est a cause de cette compréhension des différentes étapes de l'inexpérience et de la maturité, suivant le cas, que Shoghi Effendi traitait la communauté baha'ie d'Iran, la plus ancienne, la plus éprouvée par le feu des épreuves avec le plus de sévérité, attendant de ces croyants privilégiés qu'ils soient un exemple de fidélité et d'obéissance aux lois de Baha'u'llah dans toutes les circonstances.

C'est a cause de cette politique qu'il prépara les baha'is Nord-Américains, la plus ancienne communauté occidentale du monde, a suivre les lois, (peu nombreuses, mais essentielles) qu'il leur donna finalement, c'est pour cette raison qu'il patienta, pendant de nombreuses années, avec eux, les éduquant jusqu'à ce qu'ils veuillent et puissent accepter et appliquer ces lois. C'est d'après cette même attitude compréhensive qu'il ordonna aux Assemblées nationales engagées dans l'enseignement de la foi dans les nombreux pays ouverts a la cause pendant la Croisade mondiale, pays dont les habitants étaient pour la plupart d'origine païenne, d'exiger des nouveaux adeptes de la cause de Baha'u'llah un minimum de connaissance de ses enseignements et lois avant de les accepter dans la Communauté du Plus Grand Nom.

Aucun exemple mieux que la dernière lettre du Gardien a une des grandes Assemblées régionales d'Afrique, ne peut illustrer cette différenciation dans les stades du développement des différentes communautés baha'ies actuelles. Cette lettre datée du 8 août 1957, fut écrite sur les instructions du Gardien par son secrétaire et elle souligne l'essence même de ses idées sur cet important sujet:

"Pendant la visite de Mme X.... le Gardien a discuté avec elle du travail de l'enseignement a Y... où il y a une telle réponse au Message et où les gens des régions lointaines paraissent impatients de s'enrôler. Il pense que les personnes responsables de l'acceptation de ces nouveaux croyants devraient considérer que la qualification la plus importante et fondamentale pour l'acceptation c'est la reconnaissance du rang de Baha'u'llah en ce jour de la part du candidat.

Nous ne pouvons pas attendre des gens illettrés (ce qui n'a aucun rapport avec leurs capacités mentales) d'étudier d'abord les enseignements, surtout lorsqu'il y a si peu de littérature disponible dans leur langue, et d'en saisir toutes les ramifications, comme on peut l'attendre d'un Africain, disons, de Londres. La chose importante, c'est l'esprit de la personne, la reconnaissance de Baha'u'llah et de sa position dans le monde actuel. Par conséquent, les amis ne doivent pas être trop stricts, sinon ils verront se refroidir la grande vague d'enthousiasme affectueux avec lequel les peuples de l'Afrique se sont tournés vers la foi, beaucoup d'entre ceux qui ayant déjà accepté la foi, étant très sensibles, trouveront, de quelque manière subtile, qu'ils sont l'objet de rebuffades et le travail de la foi en souffrira.

"Le but des nouvelles Assemblées Nationales en Afrique, et le but de tout corps administratif, c'est de porter le message aux gens et d'enregistrer les personnes sincères sous la bannière de Baha'u'llah.

"Votre Assemblée ne doit jamais perdre cela de vue et doit continuer courageusement a augmenter le nombre des membres des communautés sous votre juridiction, a éduquer graduellement les amis dans les enseignements et dans l'administration. Rien ne serait plus tragique si l'établissement de ces grands corps administratifs devait étouffer ou enliser le travail de l'enseignement. Les premiers croyants d'Orient et d'Occident, nous devons toujours nous en souvenir, ne savaient pratiquement rien par rapport a ce que sait le baha'i moyen aujourd'hui; et pourtant ce sont eux qui ont versé leur sang et qui se sont levés et ont dit: "je crois", ne demandant aucune preuve, et souvent n'ayant jamais lu le moindre mot des enseignements. Par conséquent, les personnes responsables de l'acceptation des nouvelles déclarations doivent s'assurer d'une seule chose: que le coeur du candidat a été touché par l'esprit de la foi. Tout le reste peut être construit graduellement sur cette fondation.

"Il espère que durant l'année a venir, il sera de plus en plus possible a des enseignants baha'is africains de circuler parmi les baha'is nouvellement enrôlés et d'approfondir leur connaissance et compréhension des enseignements."

Le jugement équilibré de Shoghi Effendi, une de ses qualités les plus marquantes, est mieux illustré dans les instructions qu'il donnait dans cette même lettre:

"En ce qui concerne la question de pratiques tribales, le Gardien désire que vous soyez très indulgents et patients en détachant les baha'is des anciennes coutumes.

Cela ne peut se faire qu'en prenant chaque cas individuellement lorsque cela se présente, en employant la plus grande sagesse et amabilité et en n'essayant pas d'imposer rigoureusement toutes les lois baha'ies, dans les moindres détails actuellement.

"Certes, il est évident qu'un baha'i ayant déjà une femme ne peut en prendre une autre, quelque soit la loi tribale. Votre Assemblée doit distinguer entre ce point fondamental et les autres éléments de la vie tribale dans laquelle le nouveau baha'i est encore profondément impliqué et de laquelle il ne peut se soustraire tant que l'élément baha'i dans sa communauté n'est pas suffisamment fort pour constituer une puissance a part entière.

Il est d'accord avec votre Assemblée que commencer par imposer la dure sanction du retrait de droit de vote serait très imprudent en ce moment. La meilleure politique est celle d'une éducation affectueuse. "


Shoghi Effendi nous fit comprendre que le grand arbre de l'Ordre mondial de Baha'u'llah n'est au commencement, lorsqu'on la plante, qu'une petite graine: croire en lui. Petit a petit, comme toute chose vivante, il poussera, deviendra de plus en plus grand. Propager la foi partout dans le monde et enrôler sous sa bannière tous les peuples de la terre, était pour Shoghi Effendi sa plus grande tâche: c'était appliquer les instructions données par Abdu'l-Baha dans son Testament. Il savait que pour construire la société future, il fallait d'abord assembler la matière première. Certes d'autres choses étaient nécessaires pour modeler cette société, des choses, de toute évidence, essentielles et indispensables a la création même de cette civilisation future. Mais il n'en restait pas moins vrai que les masses devaient d'abord venir sous l'ombre de Baha'u'llah avant que son ordre mondial puisse émerger dans toute sa gloire.

Le Gardien passa seize ans pour poser une fondation ferme et un modèle pour toutes les institutions baha'ies en Amérique du Nord, le berceau de l'Ordre administratif. Nous dirons, dans notre terminologie moderne, qu'il construisit une base de lancement a partir de laquelle il pouvait lancer ses fusées: les grands plans d'enseignement qui prirent tellement de son temps dans les deux dernières décennies de sa vie.

Shoghi Effendi expliqua clairement que "l'administration de la foi doit être conçue comme un instrument et non comme un substitut a la foi de Baha'u'llah, qu'elle doit être regardée comme un canal par lequel ses bénédictions promises peuvent couler, qu'elle doit se garder d'une rigidité qui entraverait et enchaînerait les forces libératrices dégagées par sa révélation..." "Sûrement", poursuit-il, "ceux a qui un héritage aussi inestimable a été confié doivent dévotement veiller de crainte que l'instrument ne remplace la foi elle-même, de crainte qu'un souci indu des détails mineurs de l'administration de la cause n'obscurcisse la vision de ses promoteurs, de crainte que la partialité, l'ambition et la mondanité ne tendent, au cours des ans, a ternir la radiance, a salir la pureté, a affaiblir l'efficacité de la foi de Baha'u'llah."

En janvier 1922, quatre ans après sa première correspondance avec les baha'is de l'Est et de l'Ouest, Shoghi Effendi commença a souligner ce point qu'il considéra, de toute évidence, comme un danger depuis le commencement jusqu'à la fin de son ministère. En janvier 1926, il écrivit a l'Assemblée Spirituelle Nationale des baha'is des Etats-Unis et du Canada:
"comme le travail administratif de la cause augmente constamment, comme ses différentes branches grandissent en importance et en nombre, il est absolument nécessaire que nous gardions a vue ce fait fondamental que toutes ces activités administratives, quelque harmonieusement et efficacement qu'elles soient conduites, ne sont que des moyens pour une fin, et doivent être regardées comme un instrument direct pour la propagation de la foi baha'ie. Prenons garde de crainte que dans notre grand souci de la perfection des rouages de l'administration de la cause, nous ne perdions de vue l'objectif divin pour lequel elle a été créée."

En 1957, lors de la formation des premières Assemblées régionales d'Europe, ces corps intermédiaires qui devaient administrer quelques uns des dix pays buts du second Plan de Sept ans, en attendant la formation des Assemblées Nationales indépendantes, le Gardien écrivit a chacune de ces institutions une lettre soulignant, une fois encore, comme il l'avait fait pendant des années avec toutes les Assemblées nationales, cette question que l'administration est un moyen et non une fin en soi. "Tout l'objectif des corps administratifs baha'is, en ce moment, est d'enseigner, d'accroître le nombre des membres, d'augmenter les Assemblées nationales, et a une autre: "le but fondamental de l'administration Baha'ie est actuellement d'enseigner la foi. L'administrer c'est seulement coordonner ses activités et la protéger. Les amis doivent garder clairement cela en mémoire.

Et il sent qu'il doit souligner a votre Assemblée, s'embarquant juste dans ses tâches historiques, ce qu'il a maintes fois souligné aux corps nationaux anciens et éprouvés, que vous devriez rigoureusement éviter d'introduire des règles et règlements qui compliqueraient le travail régulier de la foi dans votre région, handicaperaient les baha'is sans nécessité et les embrouilleraient. Mise a part l'essentiel, qui est déjà mentionné dans les enseignements et clairement disponibles, les institutions nationales doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour encourager les amis a enseigner individuellement, a ouvrir des nouveaux centres, a transformer les groupes en Assemblées ......

Après avoir formulé et lancé le premier Plan de Sept ans, le Gardien sachant toujours clairement ce qu'il faisait et comment ce devait être fait, informa, en 1939 les Baha'is de l'Amérique du Nord qui étaient les exécutants de ce Plan qu'ils "favorisaient la croissance et la consolidation du mouvement de pionnier pour lequel tout le rouage de leur Ordre administratif avait été primitivement conçu et érigé".

Dans une galaxie stellaire, il y a de nombreux univers dans les différents stades de l'évolution, de même dans la galaxie Planétaire de la cause de Dieu, les différentes parties du monde baha'i étaient a des stades différents du développement. Les communautés du Moyen-Orient étaient très avancées pour l'application des lois baha'ies dans la vie des croyants, mais elles n'étaient ni émancipées, ni reconnues, ni libres. Les communautés occidentales en Amérique, en Europe et en Australie étaient libres, mais a cause de leur passé culturel et du fait que dans leurs pays les lois relatives au statut personnel étaient administrées par des tribunaux civils et non religieux, elles étaient loin

derrière l'Orient dans l'application des nombreuses lois de leur foi, et dans l'observation de ses ordonnances. Les nouveaux Baha'is dans de nombreux pays moins évolués étaient libres, au sens qu'ils n'étaient pas, comme leurs frères orientaux, victimes de gouvernements fanatiques dont la religion d'état était l'islam, mais ils ne pouvaient pas toujours appliquer les lois baha'ies a cause de sociétés tribales dans lesquelles ils vivaient; ils étaient également handicapés, du moins temporairement, par le fait que leurs origines historiques étaient totalement différentes, de celles des gens d'ascendance juive, chrétienne ou musulmane de l'origine commune desquelles la foi baha'ie elle-même était issue.

A cause de ces facteurs, Shoghi Effendi, comme un grand chef d'orchestre, s'assurait que chaque communauté du monde baha'i jouait sa note dans la symphonie de l'ensemble.

Les partitions étaient différentes, mais chacun devait suivre les notes qui lui étaient données. A moins que nous ne saisissions cette image du monde baha'i dans le stade actuel de son développement, nous ne pourrions jamais comprendre correctement ce que Shoghi Effendi créa et accomplit durant son ministère, ni combien ses oeuvres sont émouvantes.

Ces différents exemples indiquent que, bien que l'humanité soit une et la foi une, bien que son ordre administratif soit un et son ordre mondial un, néanmoins la mise en application des lois, des ordonnances et des procédures administratives de la cause doit nécessairement progresser a des vitesses différentes selon les lieux. Il fallut longtemps aux baha'is, en Orient comme en Occident, pour atteindre une maturité et acquérir une compréhension suffisante de l'ordre administratif, pour que Shoghi Effendi introduise, par exemple, les sanctions. Il consacra de nombreuses années a édifier, sur des fondations déjà créées par le Maître, un système organisé dans lequel un baha'i était clairement différencié d'un non baha'i. Puis, il franchit l'étape suivante: instituer un moyen pour s'assurer qu'a l'intérieur des communautés, les baha'is faisaient l'effort raisonnable pour suivre les enseignements baha'is et que s'ils les desservaient d'une manière trop flagrante, il y aurait un moyen de punition, une sanction, afin qu'ils ne mettent pas en danger le bon renom et le caractère indépendant de la foi. Cette sanction consistait dans le retrait des droits administratifs d'un croyant. Elle signifiait que le croyant concerné ne pouvait plus voter lors des élections baha'ies, ni être élu membre des Assemblées baha'ies ou désigné membre des comités, il ne pouvait divorcer ou se marier selon les lois baha'ies, assister a des réunions où les baha'is, en tant que communauté, étaient assemblés.

Shoghi Effendi expliqua clairement aux croyants que cette sanction est la plus lourde punition administrative que les baha'is possèdent; qu'elle ne doit pas être appliquée a la légère, mais plutôt comme une mesure extrême et (en Occident) seulement après l'approbation de l'Assemblée nationale. Il ne faut pas confondre ce retrait des droits administratifs avec la violation du Covenant et l'excommunication qui l'accompagne qui est l'isolement dû a une maladie spirituelle. En Orient où de nombreuses lois relatives au statut personnel étaient appliquées, cette sanction intervenait lors de la non-application de certains clauses de l'Aqdas;

En Occident, elle concernait l'obéissance aux lois que le Gardien considérait que les baha'is devaient suivre actuellement: obtention du consentement des parents pour le mariage, la célébration du mariage baha'i et l'observance des lois relatives au divorce. Cette sanction étaient également invoquée dans les cas où un baha'i, négligeant complètement les enseignements de la foi, faisait de la politique, ou encore dans les cas que le Gardien qualifia très précisément d' "immoralité flagrante" qui entraînait une mauvaise réputation pour toute la communauté; ou encore dans le cas des infractions sérieuses a ce qu'il appelait les principes directeurs et régulateurs de la croyance baha'ie" que "les défenseurs de la cause... se sentent tenus, alors que leur ordre administratif se développe et se consolide, d'affirmer et d'appliquer avec vigueur." Shoghi Effendi expliqua que le retrait des droits de vote ne doit jamais être employé a la légère et que son emploi doit être évité autant que possible, a la fois pour protéger les baha'is individuels contre les représailles hâtives d'institutions irritées et pour permettre aux amis de comprendre qu'en étant baha'is, ils avaient des privilèges et des responsabilités et qu'en perdant leurs droits de vote ils perdaient quelque chose d'important et de précieux.

Shoghi Effendi appliqua universellement cette importante procédure aux baha'is du monde entier, sans tenir compte de types de société dans laquelle ils vivaient. Cette procédure faisait partie de l'implantation graduelle des lois et des principes ordonnés par Baha'u'llah "qui constituent", affirmait-il, "la chaîne et la trame des institutions sur lesquelles la structure de son ordre mondial doit finalement reposer".

Cette direction de la foi a partir de son Centre mondial qui nécessitait rigidité et universalité dans les matières fondamentales et qui permettait et même encourageait la fluidité sur les matières secondaires, est un sujet fascinant d'observation. Le ministère de Shoghi Effendi fut une suite de ruptures constantes des maillons liant les baha'is a leur passé, et aux sociétés dans lesquelles ils vivaient et une construction continuelle de leurs connaissances dans la foi et des institutions administratives de la cause. Comme un médecin habile, le Gardien donna des règles générales de santé tout en administrant des remèdes particuliers Pour les cas spécifiques. Les exemples sont nombreux mais nous ne pouvons en citer que quelques uns ici.

En 1923, Shoghi Effendi écrivait a l'Assemblée Nationale de l'Inde et de la Birmanie que les femmes devaient participer a toute les activités administratives au même titre que les hommes; les femmes de ces parties du monde jouissaient déjà d'une plus grande liberté qu'on ne pensait généralement en Occident. Mais dans les pays du Moyen-Orient comme l'Iran, l'Egypte et l'Irak où les femmes étaient complètement absentes de la vie sociale, le Gardien ne désirant pas provoquer inutilement la population musulmane par une mesure hautement provoquante, ne permit qu'un quart de siècle plus tard aux femmes de prendre part a l'administration de la foi. Malgré les chaleureux hommages aux femmes baha'ies, malgré le témoignage d'Abdu'l-Baha disant que "les femmes ont montré une plus grande audace que les hommes, une fois qu'elles ont embrassé cette foi", malgré le principe fondamental énoncé dans les enseignements baha'is selon lequel les hommes et les femmes sont égaux, Shoghi Effendi estima que l'application de ce principe dans les rouages de l'ordre administratif était secondaire et relativement peu importante face a la nécessité primordiale de faire avancer les intérêts supérieurs de la foi dans les pays islamiques et a la sauvegarde de son existence même.

Un autre exemple excellent est la façon dont il modifia ses propres instructions explicites a certaines Assemblées nationales exécutant les Plans sous sa direction. L'acquisition des dotations et des centres nationaux faisait partie des buts du Plan de Dix ans. Il demanda aux Assemblées nationales d'éviter l'achat des dotations ou des centres locaux afin de ne pas drainer les ressources limitées de la foi, ressources qui devaient déjà supporter un très lourd programme. N'aurait-il pas donné ces instructions que ces importants buts n'auraient jamais été atteints. Cependant, en été 1957, son secrétaire écrivait de sa part a une des Assemblées régionales d'Afrique: "Maintenant que le travail, partout dans le monde baha'i, progresse remarquablement et que de ce fait les Haziratu'l-Quds et les dotations nationales ont été achetées, il pense que les amis doivent être libres d'acheter des Haziratu'l-Quds et des dotations supplémentaires où ils désirent."

C'est grâce a une telle politique que le Gardien réussit, bien avant son ascension, a édifier l'administration de la foi dans le monde entier et a créer une telle organisation internationale fonctionnant avec régularité. Il n'aurait jamais pu la réaliser durant sa vie s'il n'avait pas eu un aussi remarquable sens des proportions.

Il a toujours su quand il pouvait laisser libre cours a la pression des événements sans préjudice pour la foi, et quand il devait insister afin qu'a tout prix, tel principe soit méticuleusement suivi, car agir autrement aurait compromis un point fondamental. Prenons les instructions qu'il donna, a diverses occasions, sur le même sujet: la Convention nationale. En 1932, l'Assemblée américaine proposa de supprimer la Convention nationale pour l'année en cours et de procéder aux élections par correspondance, a cause de la nécessité absolue de faire des économies Shoghi Effendi câbla: "Avantages spirituels tirés des délibérations des délégués réunis en Convention dépassent considérations financières. Presse éliminer dépenses inutiles". A une autre occasion, en 1937, lorsqu'il inaugura le premier Plan de Sept ans des croyants nord-américains, il adressa un télégramme a la Convention, alors qu'elle était en session, demandant aux délégués de prolonger la Convention afin d'avoir le temps de considérer les détails de ce plan qu'ils devaient formuler et lancer.

Et pourtant, en 1934, lorsqu'il ordonna la formation de l'Assemblée Nationale de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, il devait parfaitement savoir que les deux pays étaient éloignés l'un de l'autre et que la traversée était coûteuse, et que l'Assemblée Nationale pouvait avoir des difficultés a se réunir. De toute évidence, il considérait que les avantages dépassaient les inconvénients. Les baha'is d'Australie et de la Nouvelle Zélande eurent une Convention en 1934, une en 1937 et une en 1944, au total trois Conventions en dix ans. Ils dirigèrent leurs activités principalement par correspondance, un quorum opérant en Australie dans des cas urgents.

Cet exemple, totalement différent du conseil donné aux croyants américains, révèle de quelle façon Shoghi Effendi, grâce a sa sagesse et son jugement, contribua au développement rapide de la foi, ne permettant jamais que des considérations mineures le gênent, ou fassent échouer son objectif. La formation de nouvelles Assemblées, aussitôt qu'une base raisonnable pour leurs élections était établie, était d'une importance primordiale; il était désirable que les Conventions se tiennent annuellement, désirable qu'autant de délégués que possible y prennent part, désirable que l'Assemblée se réunisse aussi souvent que possible afin de délibérer, mais ce n'était pas fondamental, l'objectif pouvait être réalisé, si nécessaire, par d'autres moyens.

L'attitude de Shoghi Effendi envers les fonds baha'is est un autre exemple de son merveilleux équilibre en tout.

Baha'u'llah avait pris des dispositions pour le soutien financier de la cause de Dieu et Abdu'l-Baha les avait souvent rappelées, mais ce n'est qu'en 1923 que Shoghi Effendi entreprit de poser les fondations pour un soutien financier systématique des activités. Le 12 mars de cette même année, il écrivit une lettre générale adressée "Aux bien-aimés du Seigneur et aux servantes du Miséricordieux partout en Amérique, la Grande Bretagne, l'Allemagne, la France, la Suisse, l'Italie, le japon et l'Australie" où il affirmait: "Comme le progrès et l'extension des activités spirituelles dépendent des moyens matériels et sont conditionnés par eux, il est d'une nécessité absolue qu'immédiatement après l'établissement des Assemblées locales et nationales, un Fonds baha'i soit établi... C'est une obligation sacrée pour tout serviteur fidèle de Baha'u'llah qui désire voir progresser sa cause, de contribuer librement et généreusement a l'accroissement de ce Fonds." Et le 6 mai, il écrivait a l'Assemblée américaine qu'afin de renforcer la vitalité nécessaire de la campagne d'enseignement qu'elle entreprenait et pour mener correctement et efficacement les nombreuses activités dont elle était responsable, il était "urgent et nécessaire d'établir un Fonds central qui, s'il est généreusement soutenu et alimenté par les amis individuellement et par les Assemblées locales, vous rendra bientôt a même d'exécuter vos plans avec rapidité et vigueur". Au mois d'octobre de la même année, il exprimait sa préoccupation de l'urgence du travail que les amis devaient entreprendre en ces termes: "La cause qui a un douloureux besoin d'aide et d'assistance matérielles".

Il était évident que d'une part, l'Ordre rédempteur de Baha'u'llah ne pourra, en aucune façon, être établi sans de grandes dépenses financières; et d'autre part, il fallait respecter deux principes sur lesquels, Shoghi Effendi attira l'attention des baha'is: deux principes qui, s'ils ne sont pas correctement compris, pourraient militer contre le flot tant nécessaire des contributions aux différents fonds. Le premier voulait que les baha'is, ayant reçu la grâce de connaître et d'accepter Baha'u'llah et étant devenus, en conséquence, son peuple, et ayant le privilège d'édifier son royaume divin sur terre, les baha'is devaient donc faire bénéficier gratuitement a leurs prochains ce don: on ne peut pas demander aux gens de payer pour quelque chose, dans notre cas les multiples institutions de la foi baha'ie, qu'on leur offre comme un cadeau! Dès 1929, Shoghi Effendi clarifia ce point:

"Nous devrions, je crois, considérer cela comme un axiome et un principe directeur de l'administration baha'ie: dans la conduite de toute activité spécifique baha'ie... seuls ceux qui se sont déjà identifiés avec la foi et se sont considérés comme ses soutiens avoués et sans réserve devraient être invités a nous joindre et a collaborer avec nous. Car, sans tenir compte des complications embarrassantes et facilement concevables que l'association des non baha'is au financement des institutions d'un caractère spécifiquement baha'i peut engendrer... il faut se rappeler que ces institutions spécifiquement baha'ies, qui doivent être regardées comme un don de Baha'u'llah au monde, ne peu vent mieux fonctionner et exercer plus puissamment leur influence dans le monde que si elles sont construites et maintenues par le seul soutien de ceux qui sont conscients des revendications inhérentes a la révélation de Baha'u'llah et s'y soumettent sans réserve." C'est le grand principe spirituel qui intervient dans ce monde.
La conséquence pratique et matérielle qui créerait "des complications embarrassantes" est la suivante: si on acceptait de l'argent des non baha'is pour les écoles baha'ies, les temples baha'is et les autres institutions baha'ies, y compris les nombreuses activités entreprises par les Assemblées, on risquerait de voir ces bienfaiteurs, que ce soit des gouvernements ou des individus, des associations ou des philanthropes, se croire un quelconque droit de regard pour savoir où va leur argent ou avoir leur mot a dire sur la conduite des affaires purement baha'ies. Le Gardien affirma donc que les baha'is pouvaient seulement accepter de l'argent des non baha'is pour des objectifs purement humanitaires comme les actions charitables envers les gens de toute race et religion et non seulement envers les baha'is.

Le second principe qu'il appela "le principe cardinal" dans son message a l'Assemblée Nationale d'Amérique en 1926, était "que toutes les contributions au Fonds doivent être purement et strictement volontaires. Il doit être clair et évident a chacun que toute forme de contrainte, aussi légère et indirecte qu'elle soit, frappe la racine même du principe étayant l'établissement du Fonds depuis son commencement." Cette instruction était le résultat logique de l'attitude baha'ie: le message de la manifestation de Dieu est un don offert aux peuples du monde; tous les hommes sont appelés par Lui a entrer dans le divin bercail et Pour cela, ce n'est pas l'argent qui est demandé mais la foi. Contrairement a tant d'églises, il n'y avait pas de droit d'entrée, pas de contributions forcées.

Le pauvre pouvait y trouver un refuge et le riche était également le bienvenu.

Ces deux principes expliquent, quels étaient les devoirs des Baha'is envers le Fonds. Car soutenir financièrement la cause était un devoir fort et indéniable: Shoghi Effendi l'expliqua clairement et abondamment: "Pourvoir au Fonds" écrivit-il a l'Assemblée Nationale d'Amérique en 1935, "pour soutenir la Trésorerie nationale, constitue actuellement le sang de la vie de ces institutions naissantes que vous érigez laborieusement. Son importance, assurément, ne peut être surestimée." Dans ce même passage, il dit que le Fonds national était "la roche de fond sur laquelle toutes les autres institutions doivent nécessairement reposer et être établies".
Il dit que le fonds "devrait être soutenu d'une manière croissante par le corps entier des croyants, a la fois par leurs capacités individuelles et par leurs efforts collectifs, qu'ils soient organisés en groupe ou en Assemblée locale." Le Gardien par ses injonctions et son exemple, éduqua les baha'is sur une période de plus d'un tiers de siècle, il leur donna une compréhension claire de ce qu'était un fonds baha'i, comment le soutenir et comment l'employer. De même que le coeur fait circuler le sang par des pulsations rythmées a travers les réseaux des artères et des vaisseaux pour donner vie a chaque cellule, de même les fonds, qu'ils soient international, national ou local, reversent dans le corps des croyants les avantages que leurs contributions ont rendues possibles.

Les institutions internationales proclament le renom et créent le coeur de la communauté mondiale; les institutions nationales, les temples baha'is, les Ecoles d'été, les Dotations, les Instituts d'enseignements, la littérature, les journaux remplissent les mêmes fonctions a l'échelle nationale; le fonds local permet aux croyants d'avoir des lieux de réunion, de poursuivre leurs activités d'enseignement et plus généralement de favoriser et de faire progresser les intérêts de la foi dans leur cité, village ou hameau. Shoghi Effendi expliqua qu'un des devoirs et des privilèges des disciples de Baha'u'llah était de supporter financièrement son oeuvre dans le monde. Il expliqua que le fait de donner est plus important que la somme donnée; les sous d'un homme pauvre qui pourrait représenter un réel sacrifice pour lui et sa famille, étaient aussi précieux, aussi nécessaires et aussi respectables qu'une contribution des centaines de milliers de dollars qu'un baha'i prospère pourrait faire. Il souligna plus d'une fois ces deux choses: l'universalité dans le don, la participation de tous comme un symbole de notre amour commun et notre solidarité dans la foi, et le sacrifice dans le don.

Au moment où le grand temple-mère de l'Occident avait un besoin urgent de contributions pour continuer sa construction, le Gardien écrivit: "On ne peut nier que les émanations de la puissance spirituelle et de l'inspiration, destinées a rayonner de cet édifice central de Mashriqu'l-Adhkar dépendront dans une large mesure, du degré et e la variété des croyants qui contribuent ainsi que de la nature et du degré des sacrifices que leurs offrandes non-sollicitées comporteront." Il est difficile au riche de sacrifier parce qu'il a tant; mais il est facile au pauvre de sacrifier parce qu'il a si peu. L'argent donné a la cause lorsque le donateur fait un sacrifice porte en lui une bénédiction particulière.

Il me souvient d'un exemple de ce don du pauvre et de l'humble au royaume de Dieu auquel le Gardien fait allusion dans Dieu Passe près de nous: "... La scène émouvante où Abdu'l-Baha, recevant des mains d'un ami persan, récemment arrivé d'Ishqabad a Londres, un mouchoir de coton contenant un morceau de pain noir sec et une pomme ridée (offrande d'un pauvre ouvrier baha'i de cette ville), ouvrit ce mouchoir devant ses hôtes réunis et laissant son déjeuner intact, rompit ce pain en morceau, le partagea lui-même, et en donna a tous ceux qui étaient présents." Le premier temple baha'i érigé en Russie, le temple-mère de l'Occident en Amérique, et les trois autres maisons d'adoration en Europe, Afrique et Australie ont tous été construits grâce aux contributions des croyants de partout dans le monde, ces contributions représentaient souvent des sacrifices réels de la part des hommes, des femmes et même des enfants.

Dès le début, lorsqu'il donna des instructions en vue de l'établissement du fonds national et des fonds locaux, Shoghi Effend, ' dans son télégramme de 1923 sur ce sujet souligna un autre principe: "Individuels ont liberté spécifier objet leurs dons. Mais principe général contributions libres et fréquentes par individuels et Assemblées locales au fonds central pour utilisation a discrétion Assemblée nationale hautement recommandé." Brièvement et simplement, comme a l'accoutumée, il posa chaque chose a sa place; les fonds des Assemblées, locales ou nationales, avaient besoin d'être alimentés fréquemment et librement, mais le principe de la liberté individuelle, inhérente a la foi, était souligné.

Shoghi Effendi aida lui-même financièrement de nombreuses activités... Peu après l'ascension du Maître, il commença a contribuer pour le Temple de l'Amérique, en 1957, il annonça qu'il payerait lui-même le tiers du prix de l'érection des trois nouveaux temples baha'is qui devaient être construits durant la Croisade mondiale, il aida beaucoup financièrement la traduction et l'impression des livres baha'is. Il contribua a l'achat des cimetières et de nombreux centres baha'is. Il donnait ainsi l'exemple a tous les croyants, et a toutes les institutions baha'ies, les incitant a donner et a participer avec les autres dans la joie pour mener a leur terme les plans de la cause de Dieu. Sa franchise totale en ces matières, son aveu a certaines occasions qu'il n'avait pas l'argent nécessaire pour faire telle chose qu'il désirait faire pour la cause, les mots touchants avec lesquels il envoyait une petite somme pour le temple de l'Amérique: "je prie de joindre mon humble contribution de 19 pounds, comme ma part des nombreuses donations qui sont parvenues au Trésorier du temple l'année dernière", tout cela fournit non seulement un exemple mais aussi un réel encouragement aux croyants, riches ou pauvres, a suivre ses traces, heureux d'avoir une trace a suivre.

En encourageant les baha'is a se lever et a propager leur foi parmi les multitudes spirituellement affamées, le Gardien rappelait fréquemment l'injonction de Baha'u'llah lui-même: "Concentrer vos énergies sur la propagation de la foi de Dieu. Celui qui est digne d'un si haut appel, qu'il se lève et le propage. Celui qui ne le peut, il est de son devoir de désigner celui qui, a sa place, proclamera cette révélation..." et disait que ceux qui ne pouvaient aller s'établir dans les lieux où les baha'is étaient nécessaires, ils devraient, en se rappelant ces paroles de Baha'u'llah, "décider... de désigner un délégué qui, de la part de ce croyant, se lèvera et exécutera une si noble entreprise." Plus d'une fois, il délégua lui-même, par l'intermédiaire d'une Assemblée nationale un certain nombre de baha'is pour remplir des buts spécifiques.

Le Gardien donna aux baha'is du monde ce que j'aime appeler des lignes directrices de la pensée, différents thèmes dans différents domaines. Ces lignes, pour employer une métaphore simple et graphique, étaient comme des rails qui retiennent le train sur sa route et lui permettent d'arriver a destination. Certains de ces thèmes doivent être rappelés, si nous voulons apprécier vraiment l'oeuvre de toute une vie de Shoghi Effendi et si nous voulons étudier comment il réussit a ériger les institutions naissantes de la société future.


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