DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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1ère Période: Ministère du Bab (1844-1853) [...] Page 33 La détention du Bab dans un coin perdu de l'Adhirbàyjàn,
immortalisé par les débats de la conférence de Badasht,
et illustré par des événements notables tels que la déclaration
publique de sa mission, l'exposé des lois de sa dispensation et l'instauration
de son covenant, devait prendre plus d'importance à cause des bouleversements
terribles dus aux actes de ses adversaires comme à ceux de ses disciples.
Les troubles qui s'ensuivirent à mesure que les années de cette
captivité touchaient à leur fin -, et qui atteignirent leur
paroxysme avec son propre martyre, soulevèrent l'héroïsme
de ses fidèles et l'hostilité féroce de ses ennemis,
à un degré encore jamais atteint au cours des trois premières
années de son ministère. Certes, cette période, brève
mais très agitée, peut être à bon droit considérée
comme la plus sanglante et la plus dramatique de l'âge héroïque
de l'ère baha'i. Les événements d'importance capitale corrélatifs à
l'incarcération du Bab à MàhKù et à
Chihriq, constituant en fait l'apogée de sa révélation,
ne pouvaient avoir d'autre conséquence que d'attiser plus ardemment
la flamme de la ferveur chez ses amis et la fureur chez ses ennemis. Une persécution
plus implacable, plus odieuse et plus astucieusement organisée que
toutes celles suscitées par Husayn Khàn ou même par Hàji
Mirza Aqàsi, se déchaîna bientôt, en même
temps qu'une manifestation correspondante d'héroïsme sans comparaison
avec les premiers élans d'enthousiasme qui avaient accueilli la naissance
de la foi, soit à Shiraz soit à Isfàhàn.
Cette période d'agitation continuelle et sans précédent
devait priver cette foi, coup sur coup, de ses principaux protagonistes, atteindre
son maximum avec le décès de son auteur, et elle devait être
suivie par une nouvelle et presque complète élimination, cette
fois, de ses éminents défenseurs, à la seule exception
de celui qui, à son heure la plus sombre, se vit confier, par les soins
de la Providence, le double rôle de sauver de l'anéantissement
une foi gravement frappée, et d'amorcer la dispensation destinée
à la remplacer. [...] Page 34 L'assurance formelle faite par le Bab qu'il possédait l'autorité
du Qà'im promis, assurance donnée en des circonstances aussi
dramatiques et sur un ton si plein de défi, devant une assemblée
distinguée d'éminents ecclésiastiques shi'ah, puissants,
jaloux, inquiets et hostiles, fut l'étincelle explosive qui déchaîna
une véritable avalanche de calamités sur la foi et sur le peuple
au sein duquel elle était née. Elle transporta d'une ardeur
fervente les âmes rayonnantes de zèle des disciples éparpillés
du Bab, déjà exaspérés par la captivité
cruelle de leur chef, et dont la fougue redoublait encore sous l'abondance
de ses écrits qui leur parvenaient sans arrêt du lieu de sa détention.
Cette assurance provoqua, d'un bout à l'autre du pays, une controverse
passionnée et prolongée dans les bazars, les masjids, les madrisihs
et autres lieux publics, accentuant encore la scission qui avait déjà
déchiré le peuple. Le shah Muhammad, à une heure
aussi dangereuse, était en train de succomber rapidement sous le poids
de ses infirmités physiques. Hàji Mirza Aqàsi,
esprit superficiel, devenu maintenant le pivot des affaires de l'Etat, faisait
montre d'une indécision et d'une incompétence qui semblaient
croître à mesure que grandissait l'étendue de ses graves
responsabilités. A un moment donné, il semblait disposé
à soutenir le verdict des 'ulamà; à un autre, il blâmait
leur agressivité et se défiait de leurs affirmations; à
un autre encore, il retombait dans le mysticisme et, plongé dans ses
rêves, perdait de vue la gravité de la situation à laquelle
il avait à faire face. Une aussi effarante gestion des affaires nationales enhardit le clergé
dont les membres, avec un zèle malfaisant, lançaient maintenant
l'anathème du haut de leurs chaires et incitaient, par leurs vociférations,
les congrégations superstitieuses à prendre les armes contre
les défenseurs d'une croyance aussi exécrée, à
ravir l'honneur de leurs femmes, piller leurs biens, tourmenter et faire du
mal à leurs enfants. "Où sont les signes et les prodiges qui
doivent nécessairement annoncer l'avènement du Qà'im",
clamaient-ils devant d'innombrables rassemblements. "Où sont les occultations*
majeure et mineure? Qu'en est-il des cités de Jàbulqà
et Jàbulsà?* Comment devons-nous expliquer les dires de Husayn-ibn-Rùh*,
et quelle interprétation donner aux traditions certifiées authentiques
attribuées à Ibn-i-Mihriyar?* Où sont les Hommes
de l'invisible* qui, en une semaine, doivent traverser la terre tout entière?
Que devient la conquête de l'Orient et de l'Occident que le Qà'im
doit faire lors de son apparition? Où est l'Antéchrist borgne*
et l'âne sur lequel il doit monter? Qu'advient-il de Sufyan*
et de son empire?" "Nous faut-il', reprochaient-ils bruyamment, "nous faut-il
considérer comme lettre morte les innombrables et incontestables traditions
de nos saints Imàms, ou devons-nous éteindre par le fer et par
le feu cette cynique hérésie qui a osé lever la tête
dans notre pays?" [...] Page 35 A ces diffamations, à ces menaces et à ces protestations, les
champions érudits et résolus d'une foi présentée
sous un faux jour, suivant l'exemple de leur chef, s'opposèrent sans
hésiter, par des traités, des commentaires et des réfutations
soigneusement rédigés, irrésistibles par leurs arguments,
remplis de témoignages clairs, éloquents et convaincants, affirmant
leur foi dans la qualité de prophète de Muhammad, dans la légitimité
des Imàms et la souveraineté spirituelle du Sàhibu'z-Zamàn
(le Seigneur de cet âge), interprétant de façon magistrale
les traditions volontairement obscures, allégoriques et abstruses,
les versets des prophéties et des saintes Ecritures de l'islam,
et alléguant, pour soutenir leurs affirmations, la douceur et l'apparente
impuissance de l'Imàm Husayn qui, malgré sa défaite,
sa déconfiture et son martyr infamant, avait été salué
par leurs adversaires comme l'incarnation même et le symbole incomparable
de la souveraineté toute conquérante et de la puissance de Dieu. Cette controverse acharnée, d'une ampleur nationale, avait atteint
des proportions alarmantes quand le shah Muhammad succomba finalement
à la maladie, entraînant par sa mort la chute de son ministre
favori et tout puissant, Hàji Mirza Aqàsi qui, bientôt
dépouillé des trésors qu'il avait amassés, tomba
en disgrâce, fut expulsé de la capitale, et alla chercher refuge
à Karbilà. Nàsiri'd-Din-Mirza, alors âgé
de dix-sept ans, monta sur le trône, laissant la direction des affaires
à l'amir-nizàm, Mirza Taqi Khàn, homme inflexible
au coeur de pierre qui, sans consulter ses collègues les ministres,
décida de faire infliger un châtiment immédiat et exemplaire
aux malheureux Babis. Les gouverneurs, magistrats et autres
fonctionnaires de toutes les provinces, incités par la monstrueuse
compagne de dénigrements menée par le clergé, et poussés
par leur soif de récompenses pécuniaires rivalisèrent
les uns avec les autres, dans leurs domaines respectifs, pour traquer et couvrir
d'opprobre les adeptes d'une foi proscrite. Pour la première fois dans
l'histoire de la foi, une campagne systématique, dans laquelle les
pouvoirs civils et cléricaux avaient partie liée, fut lancée
contre elle, campagne dont le point culminant devait être atteint par
les traitements horribles subis par Baha'u'llah dans le Siyah-Chàl
de Tihran, et par son exil ultérieur en 'Iraq. Le gouvernement,
le clergé et le peuple se levèrent comme un seul homme pour
attaquer et exterminer leur ennemi commun. Dans les centres éloignés
et isolés, les disciples disséminés d'une communauté
persécutée furent abattus sans pitié par l'épée
de leurs ennemis, tandis que dans les centres où s'étaient rassemblés
un grand nombre de croyants, des mesures de protection furent prises, mesures
qui, mal interprétées par un adversaire rusé et fourbe,
servirent à leur tour à augmenter encore l'hostilité
des autorités et à multiplier les violences perpétrées
par l'oppresseur. Dans l'est, à Shaykh Tabarsi, dans le sud, à
Nayriz, dans l'ouest, à Zanjàn, et dans la capitale elle-même,
massacres, soulèvements, manifestations, combats, sièges et
actes de traîtrise montrèrent, par leur rapide succession, la
violence de la tempête qui s'était déchaînée,
mirent en évidence le déclin et noircirent les annales d'un
peuple fier mais cependant dégénéré. [...] Page 36 L'audace de Mullà Husayn qui, sur l'ordre du Bab, s'était
coiffé du turban vert que son maître, après l'avoir porté,
lui avait envoyé, qui avait hissé l'étendard noir dont
le déploiement annoncerait, selon le prophète Muhammad, l'avènement
du vicaire de Dieu sur la terre, et qui, monté sur son coursier, s'avançait
à la tête de deux cent deux de ses condisciples pour rencontrer
et prêter assistance à Quddùs, dans la Jaziriy-i-Khadrà*
(île verte), une telle audace fut le signal d'un conflit dont les répercussions
allaient s'étendre à tout le pays. La lutte ne dura pas moins
de onze mois. Elle eut surtout pour théâtre la forêt de
Mazindaran. Ses héros étaient la fleur des disciples
du Bab. Ses martyrs n'englobaient pas moins de la moitié des
Lettres du Vivant, y compris Quddùs et Mullà Husayn, respectivement
dernière et première de ces Lettres. La puissance directrice
qui, bien que discrètement, soutenait cette lutte n'était autre
que celle émanée par l'esprit de Baha'u'llah.
Cette lutte était inspirée par la résolution, non dissimulée,
des précurseurs de l'âge nouveau de proclamer sans crainte, et
comme il convenait, l'avènement de cet âge, et par la décision
non moins opiniâtre - au cas où la persuasion se montrerait sans
effet - de résister et de se défendre contre les attaques d'assaillants
malfaisants et dénués de raison. Elle a prouvé, sans
l'ombre d'un doute, ce qu'un esprit indomptable pouvait faire accomplir à
un groupe de trois cent treize étudiants sédentaires, ni équipés
ni entraînés, mais enivrés de l'amour de Dieu, pensionnaires,
pour la plupart, dans un collège ou enfermés au cloître,
quand ils se trouvèrent aux prises avec une armée entraînée,
bien équipée, soutenue par les masses populaires, bénie
par le clergé, commandée par un prince de sang royal, armée
financée par les ressources de l'Etat, agissant avec l'approbation
enthousiaste de son souverain, et stimulée par les conseils inlassables
d'un ministre résolu et tout-puissant. Le conflit prit fin sur une
odieuse trahison qui se termina par une orgie de massacres, souillant ses
auteurs d'une éternelle infamie, entourant ses victimes d'un halo de
gloire impérissable et engendrant les germes mêmes qui, à
une époque ultérieure, devaient se développer en institutions
administratives à l'échelle mondiale et qui doivent, quand les
temps seront révolus, porter des fruits d'or, sous la forme d'un ordre
mondial rédempteur embrassant toute la terre. [...] Page 37 Il ne sera pas nécessaire d'essayer de narrer, même brièvement,
ce tragique épisode, malgré la gravité de ce qu'il implique,
et bien qu'il ait été fort mal interprété par
les chroniqueurs et les historiens de l'opposition. Un coup d'oeil sur ses
principales caractéristiques suffira pour atteindre le but de ces quelques
pages. En évoquant les événements de cette grande tragédie,
on peut constater que la force d'âme, le courage, la discipline et l'ingéniosité
de ses héros contrastent de façon frappante avec la bassesse,
la lâcheté, le dérèglement et l'inconstance de
leurs adversaires. On remarque la patience sublime, la noble réserve
déployée par l'un des principaux protagonistes Mullà
Husayn - l'homme au coeur de lion - qui refusa avec persistance de dégainer
son épée jusqu'à ce qu'une foule armée et furieuse,
lançant les plus abjectes invectives, se fût rassemblée
à une distance d'un farsang* de Bàrfùrùsh* pour
lui barrer le chemin, après avoir mortellement frappé sept de
ses innocents et dévoués compagnons. On est rempli d'admiration
pour la ténacité dans la foi de ce même Mullà Husayn,
ténacité que prouve sa résolution de continuer à
lancer l'appel de l'adhàn, alors qu'il était assiégé
dans le caravansérail de la Sabsih-maydàn*, et bien que trois
de ses compagnons, déjà montés tour à tour sur
le toit de l'auberge, précisément dans le but d'accomplir ce
rite sacré, eussent été instantanément tués
par les balles ennemies. On est émerveillé devant l'esprit de
renoncement qui poussa ces victimes cruellement opprimées à
ignorer dédaigneusement les biens laissés derrière eux
par leurs ennemis en fuite, qui les amena à se défaire de leurs
affaires personnelles et à se contenter de leurs chevaux et de leurs
épées, qui incita le père de Badi', l'un des membres
de cette vaillante communauté, à jeter sans hésitation,
sur le bord de la route, le sac rempli de turquoises qu'il avait rapporté
de la mine de son père, située à Nishàpùr*,
qui poussa Mirza Muhammad Taqiy-i-Juvayni à abandonner une fortune
équivalente en pièces d'or et d'argent, et qui poussa ces mêmes
compagnons à dédaigner, à refuser même, de toucher
à l'ameublement coûteux et aux coffres contenant de l'or et de
l'argent que, démoralisé et couvert de honte, le prince Mihdi
Quli Mirza, frère du shah Muhammad et commandant de l'armée
de Mazindaran, avait laissés derrière lui, dans
sa fuite précipitée hors de son camp. Nous ne pouvons qu'éprouver
de l'estime pour la sincérité passionnée avec laquelle
Mullà Husayn plaida sa cause auprès du prince, et pour la garantie
formelle qu'il lui donna, désavouant, en termes sans ambiguïté,
toute intention de sa part ou de la part de ses compagnons d'usurper l'autorité
du shah, ou de renverser les fondements de son empire. Nous ne pouvons
que considérer avec mépris la conduite du sa'idu'l-ulamà*,
ce fieffé gredin, hystérique, cruel et arrogant qui, effrayé
par l'approche de ces mêmes compagnons, prit la fuite, en proie à
une furieuse excitation et qui, devant une immense foule d'hommes et de femmes,
jetant son turban à terre, déchira le col de sa chemise, et
tout en se lamentant sur la condition dans laquelle l'islam était
tombé, implora les membres de sa congrégation de s'élancer
au combat et d'abattre la troupe qui approchait. Nous sommes frappés
d'étonnement en contemplant les prouesses surhumaines de Mullà
Husayn qui lui permirent, en dépit de son corps débile et de
sa main tremblante, de tuer un ennemi perfide réfugié derrière
un arbre, en fendant en deux, d'un seul coup de son sabre, l'arbre, l'homme
et son fusil. [...] Page 38 Nous sommes émus également par la scène de l'arrivée
de Baha'u'llah au fort, la joie indescriptible qu'elle apporta
à Mullà Husayn et l'accueil respectueux qu'elle suscita de la
part de ses compagnons, par l'inspection que fit Baha'u'llah
des fortifications élevées en hâte pour leur protection,
et par les conseils qu'il leur donna d'où s'ensuivit la miraculeuse
libération de Quddùs qui se joignit ensuite aux défenseurs
du fort, et qui participa effectivement aux exploits accomplis lors de son
siège et de sa destruction finale. Nous sommes émerveillés
par la sérénité et la sagacité de ce même
Quddùs, par la confiance qu'il inspira dès son arrivée,
l'ingéniosité qu'il déploya, la ferveur et la joie avec
lesquelles les assiégés écoutaient, à l'aurore
et au crépuscule, la voix entonnant les versets de son commentaire
célèbre sur le Sàd de Samad* auquel il avait déjà
consacré, pendant son séjour à Sàri*, un traité
trois fois plus gros que le Qur'an lui-même, et qu'il était
en train de rendre encore plus explicite -malgré les violentes attaques
de l'ennemi et les privations que ses compagnons et lui-même enduraient-,
en ajoutant à cette interprétation autant de versets qu'il en
avait déjà écrits. Nous nous souvenons, le coeur battant,
de cette mémorable rencontre où, au cri de "A cheval ô
héros de Dieu", Mullà Husayn, précédé de
Quddùs et accompagné par deux cent deux de ses compagnons, assiégés
et dans une cruelle détresse, émergea du fort avant l'aube et,
au cri de "Ya Sàhibu'z Zamàn*", chargea à bride
abattue vers le retranchement du prince et pénétra dans ses
appartements privés, pour s'apercevoir seulement que, dans sa frayeur,
le prince avait sauté dans le fossé, par une fenêtre de
derrière, et s'était enfui pieds nus, laissant son armée
dans la confusion et la déroute. Nous voyons revivre, en un souvenir
poignant, ce dernier jour de la vie terrestre de Mullà Husayn où,
peu après minuit, après avoir procédé à
ses ablutions, changé de vêtements et entouré sa tête
du turban du Bab, il enfourcha son cheval de bataille, donna l'ordre
d'ouvrir la porte du fort, chevaucha en tête de trois cent treize de
ses compagnons en criant d'une voix forte "Ya Sàhibu'z-Zamàn",
et s'élançant à l'assaut de chacune des sept barricades
élevées par l'ennemi, il s'en empara malgré la pluie
de balles et exécuta rapidement leurs défenseurs; il avait dispersé
leurs forces quand, dans le branle-bas qui s'ensuivit, son cheval s'empêtra
tout à coup dans les cordes d'une tente, et avant qu'il ait pu se dégager
lui-même, il fut touché en pleine poitrine par une balle que
le lâche 'Abbas-Quli Khàn-i-Làrijàni avait
tirée à travers les branches d'un arbre voisin où il
se tenait en embuscade. Nous saluons le magnifique courage qui, au cours d'un
autre engagement, incita dix-neuf de ces compagnons au coeur vaillant à
foncer, tête baissée, sur le camp d'un ennemi ne comprenant pas
moins de deux régiments d'infanterie et de cavalerie, ce qui provoqua
une telle consternation que l'un des chefs, ce même 'Abbas-Quli
Khàn, tombant de son cheval et, dans son désarroi, laissant
l'une de ses bottes suspendue à l'étrier, s'enfuit à
moitié chaussé puis, atterré, confessa au prince la honteuse
défaite qu'il avait subie. Nous ne pouvons davantage manquer de noter
la noble force d'âme avec laquelle ces hommes héroïques
supportèrent le fardeau de leurs terribles épreuves, quand leur
nourriture fut d'abord réduite à la chair des chevaux rapportés
du camp abandonné par l'ennemi, quand ils durent, par la suite, se
contenter de l'herbe arrachée dans les champs chaque fois que leurs
assiégeants leur laissaient quelque répit, lorsqu'ils furent
contraints, à la fin, de consommer l'écorce des arbres et le
cuir de leur selle, de leur ceinture, de leur fourreau et de leurs chaussures,
lorsque, pendant dix-huit jours, ils n'eurent rien d'autre que de l'eau dont
ils absorbaient une gorgée chaque matin, quand le feu du canon ennemi
les obligea à creuser des passages souterrains à l'intérieur
du fort où, séjournant dans la boue et dans l'eau, leurs vêtements
pourrissant d'humidité, ils eurent pour toute subsistance des os pilés,
et quand, pour finir, tenaillés par une faim dévorante, ils
en arrivèrent, comme l'atteste un chroniqueur contemporain, à
déterrer le coursier de leur chef vénéré, Mullà
Husayn, à le découper en morceaux, à broyer finement
ses os et les mélanger à la viande putréfiée pour
en faire une sorte de ragoût qu'ils dévorèrent avec avidité. [...] Page 39 On ne peut davantage omettre de rappeler la trahison abjecte à laquelle
eut finalement recours le prince impuissant et discrédité, ni
sa violation du serment soi-disant irrévocable, inscrit et revêtu
de son sceau, en marge de la première sùrih du Qur'an,
serment par lequel il jurait sur ce livre sacré de faire libérer
tous les défenseurs du fort, garantissant, sur son honneur, que personne,
ni dans son armée ni aux alentours, ne les molesterait, et que lui-même
assurerait, à ses propres frais, leur retour sains et saufs dans leurs
demeures. Et enfin nous nous souvenons de la scène finale de cette
sombre tragédie où, par suite de la violation de l'engagement
sacré pris par le prince, un certain nombre des compagnons de Quddùs,
ayant été trahis, furent rassemblés dans le camp ennemi,
dépouillés de ce qu'ils possédaient et vendus comme esclaves,
les autres étant, soit tués à l'épée ou
à la lance par les officiers, soit déchirés en deux ou
attachés aux arbres et criblés de balles, soufflés à
la bouche des canons et livrés aux flammes ou encore étripés,
tandis que leurs têtes étaient fichées sur des lances
et des piques. Commettant une nouvelle infamie, le prince, par intimidation,
livra Quddùs, leur chef bien - aimé aux mains du diabolique
sa'idu'l Mamà qui, dans son insatiable animosité et avec l'aide
de la populace dont il s'était attaché à exciter les
passions, dépouilla la victime de ses vêtements, la chargea de
chaînes, l'exhiba dans les rues de Bàrfurùsh, et incita
le rebut de l'élément féminin à la maudire et
à cracher sur elle, à l'attaquer avec des couteaux et des haches,
à mutiler son corps et à jeter ses lambeaux déchiquetés
dans un brasier. Ce poignant épisode, si glorieux pour la foi, si infamant pour la
réputation de ses ennemis - épisode qui doit être tenu
pour un phénomène rarement vu dans l'histoire des temps modernes
-, fut bientôt suivi par un bouleversement parallèle, remarquablement
semblable dans ses caractères essentiels. Le théâtre de
ces affreuses tribulations s'était maintenant déplacé
vers le sud, dans la province de Fàrs, non loin de la ville où
la lumière naissante de la foi était apparue. Nayriz et ses
environs devaient soutenir le choc de cette nouvelle épreuve dans toute
sa fureur. Le fort de Khàjih, à proximité de Chinàr-Sùkhtih*,
l'un des quartiers de ce village violemment agité, devint le centre
de l'ouragan déchaîné de la nouvelle conflagration. Le
héros qui s'éleva au-dessus de ses compagnons, qui lutta vaillamment
et périt, victime des flammes dévorantes de cet incendie, fut
cette "figure unique et sans égale de son époque", le célèbre
Siyyid Yahyay-i-Dàràbi, plus connu sous le nom de Vahid.
Au premier plan de ses perfides adversaires qui suscitèrent et alimentèrent
les flammes de cet incendie, se trouvait le vil et fanatique gouverneur de
Nayriz, Zaynu'l 'Abidin Khàn, secondé par 'Abdu'Llah
Khàn, le shujà'u'l-mulk*, et appuyé par le prince Firùz
Mirza, gouverneur de Shiraz. [...] Page 40 Beaucoup moins long que le conflit de Mazindaran qui ne dura
pas moins de onze mois, les atrocités qui marquèrent la période
finale de ce combat ne causèrent pas moins de ravages par leurs conséquences.
Une fois de plus, une poignée d'hommes innocents, respectueux de la
loi, pacifiques mais pourtant intrépides et indomptables, en partie
composée cette fois de jeunes gens sans expérience et d'hommes
âgés, fut, par surprise, provoquée, encerclée et
attaquée par les forces supérieures d'un ennemi cruel et rusé,
une légion d'hommes robustes qui, malgré leur entraînement,
leur équipement suffisant et les renforts qui arrivaient constamment,
fut incapable de forcer ses adversaires à se soumettre ou d'abattre
leur force morale. Cette nouvelle commotion prit naissance à la suite de déclarations
de foi aussi courageuses et passionnées, et de manifestations d'enthousiasme
religieux presque aussi véhémentes et dramatiques que celles
qui avaient provoqué le conflit de Mazindaran. Suscitée
par le déchaînement aussi violent et aussi soutenu d'une hostilité
ecclésiastique intransigeante, elle s'accompagna des manifestations
correspondantes d'un fanatisme religieux aveugle. Elle fut provoquée
par des actes semblables d'agression non déguisée, de la part
du clergé et du peuple. Une fois encore, elle trahit les mêmes
intentions, fut animée d'un bout à l'autre du même esprit,
et s'éleva presque à la même hauteur d'héroïsme,
d'endurance, de bravoure et de renonciation. Elle révéla une
coordination non moins judicieusement réfléchie des plans et
des efforts entre les autorités civiles et les autorités ecclésiastiques
chargées de provoquer et de détruire un ennemi commun. Elle
fut précédée par une même et catégorique
dénégation des Babis de toute intention de leur
part de s'immiscer dans les affaires civiles du royaume, ou de saper l'autorité
légitime de son souverain. Elle apporta un témoignage non moins
convainquant de la réserve et de la patience des victimes vis-à-vis
de l'agression injustifiée et impitoyable de l'oppresseur. [...] Page 41 A mesure qu'elle approchait de son paroxysme, cette commotion mit en lumière,
d'une manière à peine moins frappante, la lâcheté,
le manque de discipline et l'avilissement d'un ennemi spirituellement perdu.
Marquée vers sa fin par une trahison aussi infâme et aussi honteuse,
elle se termina par un massacre encore plus révoltant, de par les horreurs
qu'il suscita et les misères qu'il fit naître. Elle fixa le sort
de Vahid qui, à l'aide de son turban vert, emblème de sa haute
ascendance, fut attaché à un cheval et traîné de
façon ignoble à travers les rues; après quoi, sa tête
fut tranchée, bourrés de paille et envoyée comme trophée
au prince - en train de festoyer à Shiraz -, tandis que son
corps était laissé à Nayriz, à la merci des femmes
en fureur qui, grisées d'une joie barbare par les cris de triomphe
d'un ennemi vainqueur, dansèrent autour de lui, au son des tambours
et des cymbales. Et finalement, cette commotion eut pour conséquence
avec l'aide d'au moins cinq mille hommes spécialement nommés
à cet effet - une attaque générale et sauvage, dirigée
contre les Babis sans défense dont les biens furent confisqués,
les maisons détruites, la place forte incendiée et rasée,
et dont les femmes et les enfants furent capturés. Certains d'entre
eux furent hissés, à moitié nus, sur des ânes,
des mulets et des chameaux, et on les fit passer entre des rangées
de tètes coupées provenant des cadavres de leurs pères,
de leurs frères, de leurs fils et de leurs époux; ceux-ci avaient
été préalablement marqués au fer chaud ou fouettés
à mort; on leur avait arraché les ongles ou enfoncé des
pointes à coups de marteau dans les mains et les pieds, ou percé
le nez pour y faire passer une ficelle avec laquelle on les avait conduits
à travers les rues, sous les regards d'une foule courroucée
et ironique. Cette tourmente si désastreuse et si affligeante était à
peine calmée qu'une nouvelle conflagration, encore plus dévastatrice
que les deux conflits précédents, s'alluma à Zanjàn
et dans ses environs immédiats. Sans précédent, à
la fois par sa durée et par le nombre de ceux qui furent emportés
par sa fureur, cette violente tempête, qui éclata dans l'ouest
de la Perse et au cours de laquelle Mullà Muhammad-Aliy-i-Zanjàni
surnommé Hujjat, l'un des plus habiles et des plus redoutables champions
de la foi, ainsi que dix-huit cents au moins de ses compagnons burent le calice
du martyre, cette tempête délimita, plus nettement que jamais,
le gouffre infranchissable qui séparait les porte-flambeaux de la foi
nouvelle et les représentants civils et ecclésiastiques d'un
ordre sérieusement ébranlé. Les principaux personnages
responsables au premier chef de cette horrible tragédie, et qui y furent
directement mêlés, furent l'envieux, l'hypocrite Amir-Arslàn
Khàn, le majdu'd-dawlih*, oncle maternel du shah Nàsiri'd
Din, ainsi que ses associés, le sadru'd-dawliy-i-lsfàhàni*
et Muhammad Khàn, l'Amir-Tùmàn, aidés d'un côté
par d'importants renforts militaires envoyés sur l'ordre de l'amir-nizàm,
et de l'autre par le soutien moral enthousiaste de tout le clergé de
Zanjàn. L'emplacement qui devint le théâtre d'efforts
héroïques, la scène de souffrances inouïes ainsi que
l'objectif d'assauts furieux et répétés, était
le fort d'Ali-Mardàn-Khàn qui, à un moment donné,
n'abrita pas moins de trois mille Babis, y compris des hommes,
des femmes et des enfants, et dont les récits d'agonie restent sans
précédent dans les annales de tout un siècle. [...] Page 42 Un bref aperçu sur certains points marquants de cet épisode
lamentable, qui dota la foi, à ses débuts, de possibilités
illimitées, suffira à révéler son caractère
distinctif. Les scènes pathétiques qui suivirent la scission
ordonnée par le gouverneur -des habitants de Zanjàn en deux
camps distincts, décision annoncée de façon dramatique
par un crieur, et qui rompit les liens basés sur les intérêts
et les affections de ce monde en vue d'un loyalisme plus élevé,
les exhortations répétées, adressées par Hujjat
aux assiégés, d'avoir à s'abstenir de tout acte d'agression
ou de violence, l'assurance qu'il donna en rappelant la tragédie de
Mazindaran que leur victoire' n'était faite que du sacrifice
de tous sur l'autel de la cause du Sàhibu'z-Zamàn, et sa déclaration
selon laquelle l'intention immuable de ses compagnons était de servir
loyalement leur souverain et d'être les amis bienveillants de ses sujets,
l'étonnante bravoure avec laquelle ces mêmes compagnons repoussèrent
l'attaque féroce lancée contre eux par le sadru'd-dawlih, qui
dut finalement reconnaître sa piteuse défaite, qui fut blâmé
par le shah et déchu de son rang, le mépris avec lequel
les occupants du fort accueillirent les appels du crieur public essayant,
au nom d'un ennemi exaspéré, de les persuader de renoncer à
leur cause, et tâchant de les attirer par les offres généreuses
et les promesses du souverain, l'ingéniosité et l'incroyable
audace de Zaynab, une jeune villageoise qui, brûlant d'un irrésistible
désir de partager le sort des défenseurs du fort, coupa ses
boucles, se déguisa en homme, ceignit sa taille d'une épée
et, au cri de "Ya Sàhibu'z-Zamàn", s'élança
tête baissée à la poursuite des assaillants et qui, négligeant
de se nourrir et de se reposer, ne cessa pendant cinq mois, au plus fort de
la tourmente, de ranimer le zèle de ses compagnons masculins et de
courir à leur aide, la stupéfiante clameur poussée par
les gardes des barricades lorsque, la nuit même où ils avaient
reçu les instructions du Bab, ces hommes clamèrent d'une
voix forte les cinq invocations prescrites clameur qui causa la mort brutale
de quelques personnes dans le camp ennemi, qui amena les officiers dissolus
à lâcher aussitôt leur verre de vin, à renverser
les tables de jeu et à se sauver pieds nus, et qui incita les autres
à courir, à demi-vêtus, dans le désert ou à
s'enfuir, frappés de panique, vers les demeures des 'ulamà -,
tous ces faits se détachent comme les scènes d'intérêt
capital de cette lutte sanglante. Rappelons-nous encore le contraste entre
le camp ennemi caractérisé par le désordre, les blasphèmes,
les rires grossiers, la débauche et l'indignité, et le fort
empreint d'une atmosphère de dévotion respectueuse et d'où
s'élevaient continuellement des antiennes de louange et des hymnes
de joie. [...] Page 43 Nous ne pouvons manquer de faire état des recours adressés
au shah par Hujjat et par ses principaux coreligionnaires, réfutant
les assertions malveillantes de leurs ennemis, l'assurant de leur loyalisme
envers lui et son gouvernement, et se déclarant prêts à
établir, en sa présence, le bien-fondé de leur cause,
de l'interception de ces messages par le gouverneur, messages auxquels il
substitua des lettres fabriquées de toutes pièces et remplies
d'injures qu'il expédia à leur place à Tihran,
du soutien enthousiaste apporté par les femmes occupant le fort, de
leurs cris d'exultation, de l'ardeur avec laquelle certaines d'entre elles,
revêtues de vêtements masculins, se précipitèrent
pour renforcer les défenses et remplacer leurs frères tombés,
pendant que d'autres soignaient les malades, transportaient sur leurs épaules
des outres d'eau pour les blessés, et que d'autres encore, comme les
femmes carthaginoises d'antan, coupaient leurs longs cheveux, puis les enroulaient
en lourdes torsades autour des canons pour les renforcer. Nous ne pouvons
manquer non plus de faire allusion à l'infâme perfidie des assiégeants
qui, le jour même où ils avaient rédigé et écrit
en toutes lettres un appel à la paix, y joignant une copie du Qur'an
portant leur cachet comme gage de leur bonne foi, et l'avait adressé
à Hujjat, ne craignirent pas de jeter dans un cachot les membres de
la délégation, y compris les enfants, envoyés par Hujjat
pour traiter avec eux, d'arracher la barbe du chef vénérable
de cette délégation et de mutiler sauvagement l'un de ses condisciples.
Souvenons-nous, qui plus est, de la magnanimité de Hujjat qui, bien
qu'affecté par la perte subite de sa femme et de son fils, continua,
avec un calme imperturbable, à exhorter ses compagnons à patienter
et à se résigner à la volonté de Dieu, jusqu'à
ce qu'il succombe lui-même à une blessure faite par l'ennemi.
Souvenons-nous de la vengeance barbare qu'un adversaire, incomparablement
supérieur en nombre et en équipement, tira de ses victimes,
les livrant à un pillage et à un massacre d'une envergure et
d'une férocité sans exemples, au cours desquels une armée
de rapaces, une populace avide et un clergé implacable s'en donnèrent
sans retenue, de l'exposition des prisonniers des deux sexes, affamés
et mal vêtus, pendant au moins quinze jours et quinze nuits, au froid
mordant d'un hiver exceptionnellement rigoureux, tandis que des groupes de
femmes dansaient joyeusement autour d'eux, leur crachaient au visage et les
insultaient, leur lançant les injures les plus immondes. Souvenons-nous
de la cruauté sauvage qui fit condamner les autres à être
éjectés par l'embouchure d'un canon ou plongés dans l'eau
glacée et fouettés durement, à avoir le crâne trempé
dans l'huile bouillante, à être enduits de mélasse et
abandonnés dans la neige où ils périrent. Souvenons-nous
enfin du rusé gouverneur qui, poussé par sa haine inextinguible,
réussit, par ses insinuations, à faire dévoiler par le
fils de Hujjat, âgé de sept ans, l'emplacement de la tombe de
son père, qui viola sa sépulture, déterra son cadavre,
ordonna qu'il soit traîné au son des tambours et des trompettes
à travers les rues de Zanjàn, et exposé pendant trois
jours et trois nuits à d'inqualifiables traitements. Ces faits et bien
d'autres de même nature, qui se rattachent au récit épique
du soulèvement de Zanjàn - que Lord Curzon définit comme
"un siège et un carnage terrifiants " -, ces faits s'unissent pour
revêtir cette histoire d'une morne gloire qu'aucun épisode de
nature correspondante n'a dépassé dans les annales de l'époque
héroïque de la foi de Baha'u'llah. [...] Page 44 La vague de calamités qui, pendant les dernières années
du ministère du Bab, balaya avec une furie aussi menaçante
les provinces de la Perse, à l'est, au sud ou à l'ouest, ne
pouvait épargner le coeur ni le centre du royaume lui-même. Quatre
mois avant le martyre du Bab, Tihran devait participer à
son tour, à un degré moindre et dans des circonstances moins
dramatiques, au carnage qui entachait la dignité du pays. Une tragédie
était en train de se jouer dans cette ville, tragédie qui devait,
ainsi qu'elle le prouva, n'être qu'un prélude à l'orgie
de massacres qui, après l'exécution du Bab, bouleversa
ses habitants et sema la consternation jusque dans les provinces voisines.
Elle fut provoquée par les ordres et exécutée sous les
yeux mêmes de l'irascible et sanguinaire armir-nizàm, qui fut
soutenu par Mahmùd Khàn-i-Kalantar et aidé par un certain
Husayn, l'un des 'ulamà de Kàshàn*. Les héros
de cette tragédie furent les Sept-Martyrs de Tihran, qui représentaient
les classes les plus importantes de leur pays, et qui refusèrent délibérément
d'acheter leur vie par cette simple dénégation verbale que,
sous le nom de taqiyyih, l'islam shi'ah acceptait depuis des siècles
comme un subterfuge tout à fait justifié et même recommandable
aux heures de péril. Ni les interventions énergiques et répétées
de membres haut placés dans les professions auxquelles ces martyrs
appartenaient, ni les sommes d'argent considérables que, pour l'un
d'entre eux - le noble et paisible Hàji Mirza Siyyid 'AI!, oncle
maternel du Bab -, de riches commerçants de Shiraz et
de Tihran désiraient offrir comme rançon, ni les plaidoiries
passionnées de fonctionnaires de l'Etat en faveur d'un autre le pieux
derviche Mirza Qurbàn-'Ali, profondément estimé
-, ni même l'intervention personnelle de l'amir-nizàm, qui s'efforça
d'amener ces deux hommes héroïques à se rétracter,
ne purent convaincre aucun des sept de renoncer aux palmes ardemment désirées
du martyre. [...] Page 45 Les réponses pleines de défi lancées à leurs
persécuteurs, la joie extatique qui s'emparait d'eux à mesure
qu'ils approchaient du théâtre de leur trépas, les transports
de jubilation dont ils furent saisis devant leurs bourreaux, le caractère
poignant des versets que récitèrent quelques-uns d'entre eux
à leurs derniers moments, les appels et les défis qu'ils adressèrent
à la foule des spectateurs qui les considéraient avec stupéfaction,
l'ardeur avec laquelle chacune des trois dernières victimes, lutta
pour être la première à sceller sa foi de son sang, et
enfin les atrocités qu'un adversaire assoiffé de sang, se dégradant
lui-même, fit subir à leurs corps inanimés qui demeurèrent
sans sépulture, sur la Sabzih-maydàn, pendant trois jours et
trois nuits au cours desquels des milliers de shi'ahs soi-disant très
dévots leur lancèrent des coups de pied, les lapidèrent,
crachèrent sur leurs visages, les maudirent, les tournèrent
en dérision et entassèrent des ordures sur eux, telles sont
les caractéristiques essentielles de la tragédie des Sept-Martyrs
de Tihran, tragédie qui se détache comme l'un des plus
sinistres épisodes observés au cours des premiers développements
de la foi de Baha'u'llah. Il n'est pas étonnant que le
Bab courbé sous le poids des chagrins accumulés sur lui
pendant son séjour dans la forteresse de Chihriq, ait loué et
glorifié ces martyrs, dans les pages d'une longue oraison, immortalisant
leur fidélité à sa cause, et les désignant comme
ces mêmes " Sept-Chèvres " qui, suivant la tradition islamique
doivent, au jour du jugement, " marcher devant" le Qà'im promis, et
dont la mort doit précéder le martyre imminent de leur vrai
berger.
CHAPITRE III: Soulèvements de Mazindaran, Nayriz et Zanjàn