DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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1ère Période: Ministère du Bab (1844-1853) [...] Page 47 Les vagues de tribulations effroyables qui déferlèrent violemment
sui la foi et qui, finalement, engloutirent coup sur coup les plus capables,
les plus aimés et les plus sûrs des disciples du Bab, plongèrent
celui-ci, comme on l'a déjà constaté, dans un indicible
chagrin. Pendant au moins six mois, le prisonnier de Chihriq fut, d'après
son chroniqueur, incapable d'écrire ou de dicter. Accablé de douleur
par les mauvaises nouvelles qui fondaient si rapidement sur lui, l'informant
des épreuves interminables qui assaillaient ses plus habiles lieutenants,
de l'agonie endurée par les assiégés et de l'indigne trahison
subie par les survivants, des désolantes misères accablant les
prisonniers, de l'abominable massacre d'hommes, de femmes et d'enfants ainsi
que des traitements ignobles infligés à leurs corps, le Bab
- d'après son secrétaire - refusa pendant neuf jours de voir aucun
de ses amis, et consentit à peine à toucher à la nourriture
et à la boisson qu'on lui présentait. Des larmes coulaient sans
trêve de ses yeux, et de son coeur blessé s'échappaient
à profusion les manifestations de son angoisse, au cours des cinq mois
au moins pendant lesquels il resta languissant, solitaire et inconsolable dans
sa prison. Les piliers de sa foi naissante avaient, pour la plupart, été
jetés bas par les premiers assauts de l'ouragan qui s'était
déchaîné sur elle. Quddùs, immortalisé par
le Bab sous le titre de Ismu'Ilahi'l-àkhir (le dernier Nom de
Dieu), à qui Baha'u'llah, dans sa Tablette de Kullu't-Ta'dm*,
conféra plus tard le titre suprême de Nuqtiy-i-ukhrà (le
dernier Point) et qu'il éleva, dans une autre tablette, à un
rang que personne ne dépasse sauf le héraut de sa révélation,
qu'il identifia, dans une autre tablette encore, avec l'un des "messagers
accusés d'imposture" que mentionne le Qur'an, Quddùs,
que le Bayan persan célébra comme ce compagnon de pèlerinage
autour duquel gravitent des miroirs au nombre de huit vàhids, dont
"Dieu se ,glorifie Lui-même dans l'Assemblée céleste,
pour son détachement et pour la sincérité de son dévouement
à la volonté divine", qui fut désigné par 'Abdu'l-Baha
comme la "Lune de direction", et dont la venue fut annoncée, dans l'Apocalypse
de saint-jean le divin, comme l'un des deux "témoins" dans lequel doit
pénétrer "l'esprit de vie venant de Dieu", avant que le "second
malheur ne soit passé'', un tel homme avait, dans le plein épanouissement
de sa jeunesse, souffert sur la Sabzih-maydàn de Bàrfurùsh
une mort que même Jésus-Christ, comme l'a attesté Baha'u'llah,
n'avait pas affrontée à l'heure de sa plus grande agonie. [...] Page 48 Mullà Husayn, la première Lettre du Vivant, surnommé
le Babu'l-Bab (la Porte de la Porte), dénommé
"premier Miroir", auquel louanges, prières et tablettes de visitation
en quantité équivalant à trois volumes comme le Qur'an,
avaient été prodiguées par la plume du Bab - louanges
qui le mentionnaient comme le "bien-aimé de mon coeur" - , dont les
cendres, avait écrit cette même plume, détenaient le pouvoir
de réconforter l'affligé et de guérir le malade, celui
que "les créatures suscitées au début et à la
fin" de la dispensation Babi envient et continueront d'envier
jusqu'au "jour du jugement", que le Kitab-i-Iqan a acclamé
comme celui sans lequel " Dieu n'aurait pas été établi
sur le siège de sa miséricorde et ne serait pas monté
sur le trône de gloire éternelle ", à qui Siyyid Kàzim
avait rendu un tel hommage que ses disciples se demandèrent si le bénéficiaire
de pareilles louanges ne serait pas le Promis lui-même, un tel homme
avait également trouvé, à la fleur de l'âge, une
mort de martyr à Tabarsi. Vahid, qualifié dans le Kitab-i-Iqan
comme le "personnage unique et sans égal de son temps", homme d'une
vaste érudition, le plus éminent de ceux qui s'enrôlèrent
sous la bannière de la nouvelle foi, dont les "capacités et
la sainteté" ainsi que les "hautes connaissances en science et en philosophie"
furent attestées par le Bab dans son Dalà'il-i-Sab'ih
(Sept Preuves), avait déjà, dans des circonstances analogues,
été emporté par le tourbillon d'un autre bouleversement,
et ne tarda pas à boire à son tour la coupe vidée par
les héroïques martyrs de Mazindaran. Hujjat, autre
champion d'une audace manifeste, d'une volonté indomptable, d'une remarquable
originalité et d'un zèle impétueux, fut fatalement et
rapidement attiré dans la fournaise ardente dont les flammes avaient
déjà enveloppé Zanjàn et ses environs. L'oncle
maternel du Bab, seul père qu'il eût connu depuis son
enfance, son bouclier et son soutien, fidèle gardien de sa mère
et de sa femme, lui avait en outre été enlevé par la
hache du bourreau de Tihran. Au moins la moitié de ses disciples
choisis, les Lettres du Vivant, l'avaient déjà précédé
sur la route du martyre. Tàhirih, bien qu'encore en vie, poursuivait
courageusement une course qui devait la conduire inévitablement à
sa perte. Cette vie au déclin rapide, si remplie d'inquiétudes, de déceptions,
de trahisons et de chagrins dus à son ministère tragique, approchait
maintenant à grands pas de son terme. La période la plus tumultueuse
de l'âge héroïque de la nouvelle dispensation parviendrait
bientôt à son apogée. Le calice d'amertume auquel le héraut
de cette dispensation avait goûté était prêt à
déborder. A vrai dire, il avait déjà pressenti sa fin
prochaine. Dans le Kitab-i-Panj-Sha'n, l'une de ses dernières
oeuvres, il avait fait allusion au fait que le sixième Naw-Rùz
après la déclaration de sa mission serait le dernier qu'il était
destiné à célébrer sur terre. Dans son interprétation
de la lettre Hà, il avait exprimé son ardent désir du
martyre, tandis que dans le Qayyaimu'i-Asmd', il avait effectivement prophétisé
l'inexorabilité d'une telle fin pour sa glorieuse carrière.
Quarante jours avant son départ définitif de Chihriq, il avait
même rassemblé tous les documents en sa possession et les avait
remis, ainsi que son plumier, ses sceaux et ses bagues entre les mains de
Mullà Bàqir, une Lettre du Vivant, le chargeant de les confier
à Mullà 'Abdu'l-Karim-i-Qazvini, surnommé Mirza
Ahmad, qui devait les remettre à Baha'u'llah à
Tihran. [...] Page 49 Tandis que les bouleversements de Mazindaran et de Nayriz suivaient
leur cours sanglant, le grand vizir du shah Nàsiri'd-Din, réfléchissant
avec anxiété sur la portée de ces pénibles événements
et redoutant leurs répercussions sur ses concitoyens, son gouvernement
et son souverain, mûrissait fiévreusement en son esprit cette
fatale décision qui était non seulement appelée à
laisser son empreinte indélébile sur les destinées de
son pays, mais qui devait encore s'avérer pleine de conséquences
imprévisibles pour l'avenir de l'humanité tout entière.
Les mesures de répression prises contre les disciples du Bab
n'avaient servi, il en était maintenant pleinement convaincu, qu'à
exciter leur zèle, cuirasser leur résolution et raffermir leur
loyalisme envers leur foi persécutée. L'isolement et la détention
du Bab avaient produit l'effet opposé à celui qu'en toute
confiance l'amir-nizàm escomptait. Profondément troublé,
celui-ci condamna avec amertume l'indulgence désastreuse de son prédécesseur
Hàji Mirza Àqàsi qui avait conduit à un
tel état de choses. Un châtiment plus énergique et encore
plus exemplaire devait être à présent administré,
croyait-il, pour ce qu'il considérait comme une abominable hérésie
en train de corrompre les institutions civiles et ecclésiastiques du
royaume. a Rien de moins que la disparition de celui qui était la source
d'une doctrine aussi odieuse et la force propulsante d'un mouvement aussi
dynamique n'était capable, croyait-il, d'endiguer le flot qui avait
produit tant de ravages sur le pays. Le siège de Zanjàn était encore en cours lorsque, se
passant d'un ordre explicite de son souverain et agissant en dehors de ses
conseillers et des autres ministres, l'amir-nizàm fit parvenir au prince
Hamzih Mirza, le hishmatu'd-dawlih*, gouverneur de l'Adhirbàyjàn,
l'ordre de procéder à l'exécution du Bab. Craignant
que le fait d'infliger un châtiment aussi exemplaire dans la capitale
du royaume ne mette en mouvement des forces dont le contrôle pourrait
lui échapper, il ordonna d'amener le prisonnier à Tabriz pour
y être exécuté. Essuyant du prince indigné un refus
catégorique d'accomplir ce qu'il considérait comme un crime
infâme, l'amir-nizàm dépêcha son propre frère,
Mirza Hasan Khàn, pour exécuter ses ordres. Les formalités
habituelles pour obtenir l'autorisation indispensable des mujtahids principaux
de Tabriz furent remplies en hâte et sans difficulté. Mais ni Mullà Muhammad-i-Mamàqàni,
qui avait signé l'arrêt de mort du Bab le jour même
de son interrogatoire à Tabriz, ni Hàji Mirza Bàqir,
ni Mullà Murtadà-Quli, aux demeures desquels, sur l'ordre du
grand vizir, le farràsh-bàshi* conduisit leur victime de façon
humiliante, ne condescendirent à rencontrer face à face leur
adversaire redouté. [...] Page 50 Deux événements très importants se produisirent juste
avant et peu de temps après le traitement humiliant subi par le Bab,
événements qui jettent une vive lumière sur les circonstances
mystérieuses entourant la première phase de son martyre. Le
farràsh-bàshi avait brusquement interrompu la dernière
conversation confidentielle que le Bab poursuivait avec son secrétaire
Siyyid Husayn dans une salle de la caserne et, écartant ce dernier,
il le tançait vertement quand le prisonnier s'adressa à lui
en ces termes: " Tant que je ne lui aurai pas dit tout ce que je désire,
aucune puissance terrestre ne pourra me réduire au silence. Le monde
entier serait-il armé contre moi qu'il serait encore impuissant à
m'empêcher d'aller jusqu'au bout de mon dessein." Au chrétien
Sàm Khàn - colonel du régiment arménien chargé
de procéder à l'exécution - qui, saisi de crainte à
l'idée de provoquer la colère de Dieu par son acte, suppliait
qu'on le libérât de cette tâche imposée, le Bab
donna cette assurance: "Suivez les instructions reçues, et si vos intentions
sont pures, le Tout-Puissant pourra certainement vous délivrer de votre
angoisse." Sàm Khàn se prépara donc à accomplir son devoir.
Une pointe fut enfoncée dans l'une des poutres qui, sur la cour, séparait
deux salles de la caserne. On y fixa deux cordes auxquelles on suspendit,
séparément, le Bab et l'un de ses disciples, le jeune
et fervent Mirza Muhammad-'Ali-iZunùzi surnommé Anis
qui, auparavant, s'était jeté aux pieds de son maître,
le suppliant de n'être séparé de lui en aucun cas. Le
peloton d'exécution s'aligna sur trois rangs comprenant chacun deux
cent cinquante hommes. Chaque rang, tour à tour, ouvrit le feu jusqu'à
ce que tout le détachement ait déchargé ses balles. La
fumée qui s'échappa des sept cent cinquante fusils était
si épaisse que le ciel en fut obscurci. Dès qu'elle se fut dissipée,
la multitude d'environ dix mille âmes, massées, sur le toit de
la caserne ainsi qu'au faîte des maisons voisines, furent les témoins
abasourdis d'une scène à laquelle leurs yeux pouvaient à
peine croire. Le Bab avait disparu de leur vue. Seul demeurait son compagnon, vivant
et indemne, se tenant près du mur contre lequel tous deux avaient été
suspendus. Les cordes qui les avaient attachés étaient seules
coupées. "Le Siyyid-i-Bab a disparu", s'écrièrent
les spectateurs effarés. Des recherches affolées s'ensuivirent
immédiatement. On le retrouva sain et sauf, très calme, dans
la pièce même qu'il occupait la nuit précédente,
en train de terminer avec son secrétaire sa conversation interrompue.
"J'ai fini mon entretien avec Siyyid Husayn " furent les paroles avec lesquelles
le prisonnier, si providentiellement préservé, accueillit l'apparition
du farràsh-bàshi. " Maintenant, vous pouvez accomplir votre
mission. " Se rappelant l'affirmation audacieuse faite précédemment
par son prisonnier, et ébranlé par une révélation
aussi stupéfiante, le farràsh-bàshi quitta immédiatement
la place et donna sa démission. [...] Page 51 Sàm Khàn, se remémorant également, avec un sentiment
de crainte et d'émerveillement, les paroles rassurantes que le Bab
lui avait adressées, ordonna à ses hommes de quitter instantanément
la caserne et jura, en sortant de la cour, de ne jamais recommencer cet acte,
fut-ce au péril de sa vie. Aqà jàn-i-Khamsih, colonel
du corps de garde, s'offrit pour le remplacer. Contre le même mur et
de la même façon, on suspendit de nouveau le Bab et son
compagnon, tandis qu'un autre régiment se mettait en ligne, puis ouvrait
le feu sur eux. Alors, cette fois, leurs poitrines furent criblées
de balles et leurs corps entièrement déchiquetés; seuls,
leurs visages ne furent que légèrement abîmés.
"O génération entêtée!" disait le Bab, adressant
ses dernières paroles à la foule qui le regardait pendant que
le régiment se préparait à tirer, "si vous aviez cru
en moi, chacun de vous aurait suivi l'exemple de ce jeune homme dont le rang
est supérieur à celui de la plupart d'entre vous, et se serait
sacrifié volontairement sur ma route. Le jour viendra où vous
me reconnaîtrez; ce jour-là, j'aurai cessé d'être
avec vous. " Ce ne fut pas tout. Au moment même où les coups furent tirés,
un ouragan d'une violence exceptionnelle s'éleva et balaya la ville.
Depuis midi jusqu'au soir, un tourbillon de poussière obscurcit la
lumière du soleil et aveugla les gens. A Shiraz, en 1868 A.H.,
se produisit un tremblement de terre - prédit dans un livre aussi important
que l'Apocalypse de saint jean - qui jeta le trouble dans toute la ville et
fit des ravages parmi ses habitants, ravages fortement aggravés par
l'apparition du choléra, de la famine et autres afflictions. Au cours
de la même année, au moins deux cent cinquante hommes appartenant
au peloton d'exécution qui avait remplacé le régiment
de Sàm Khàn trouvèrent la mort, ainsi que leurs officiers,
dans un terrible tremblement de terre, tandis que trois ans plus tard, les
cinq cents autres subissaient, comme châtiment à leur mutinerie,
le sort même que leurs mains avaient infligé au Bab. Pour
être sûr qu'aucun d'eux ne survive, ils furent criblés
d'une seconde décharge, après quoi, leurs corps furent transpercés
de piques et de lances et exposés aux regards de la population de Tabriz.
Le premier instigateur de la mort du Bab, l'implacable amir-nizàm,
ainsi que son frère, son principal complice, trouvèrent la mort
deux ans après leur sauvage forfait. Au soir même de l'exécution du Bab, qui se produisit
le 9 juillet 1850 (28 sha'bàn 1266 A.H.), dans sa trente et unième
année, la septième de son ministère, les corps mutilés
furent transportés hors de la cour de la caserne et déposés
au bord du fossé situé à l'extérieur des portes
de la ville. [...] Page 52 Quatre compagnies, composées chacune de dix sentinelles, reçurent
l'ordre de les surveiller à tour de rôle. Le matin suivant, le
consul russe à Tabriz visita les lieux, et fit faire à l'artiste
qui l'accompagnait un dessin des restes qui gisaient au bord du fossé.
Au milieu de la nuit suivante, un disciple du Bab, Hàji Sulaymàn
Khàn. réussit. grâce à l'aide d'un certain Hàji
Allah-Yar, à enlever les corps et à les conduire
à la fabrique de soieries appartenant à l'un des croyants de
Milàn*. Le jour suivant, il les plaça dans un coffre en bois
spécialement construit qu'il transporta plus tard en lieu sûr.
Pendant ce temps, les mullàs proclamaient avec suffisance, du haut
de leurs chaires, que le corps sanctifié de l'imàm immaculé
aurait été préservé des oiseaux de proie et de
tout ce qui rampe, alors que celui de cet homme avait été dévoré
par les animaux sauvages. A peine la nouvelle du transfert des restes du Bab
et de son compagnon de douleur parvint-elle à Baha'u'llah
qu'il ordonna à ce même Sulaymàn Khàn de les amener
à Tihran; là, ils furent entreposés dans l'Imàm-Zàdih-Hasan*
d'où ils furent transférés en différents endroits
jusqu'au jour où, sur les instructions d'Abdu'l-Baha, ils furent
ramenés en Terre sainte, auprès de lui, et déposés
avec solennité et pour toujours, dans un mausolée spécialement
érigé sur les pentes du mont Carmel. 'Ainsi se termina une vie que la postérité reconnaîtra
comme située au confluent de deux cycles prophétiques universels:
Le cycle d'Adam qui remonte aux premières lueurs de l'aube de l'histoire
religieuse connue, et le cycle baha'i, destiné à se déployer
à travers les temps à venir pendant une période d'au
moins cinq mille siècles. L'apothéose à laquelle se haussa
la fin d'une telle vie marque, comme on l'a déjà observé,
le sommet de la phase la plus héroïque de l'âge héroïque
de la dispensation baha'i. De plus, cette apothéose ne peut
qu'être considérée comme l'événement le
plus dramatique et le plus tragique qui eut lieu au cours du premier siècle
baha'i. Elle peut certes être estimée à juste titre
comme sans parallèle dans l'histoire de la vie de tous les fondateurs
de religion du monde. Un événement aussi important ne pouvait manquer d'éveiller
un vif et large intérêt, même au-delà des frontières
du pays où il s'était produit. "C'est un des plus magnifiques
exemples de courage qu'il ait été donné à l'humanité
de contempler", atteste un érudit* chrétien, agent du gouvernement,
qui avait vécu en Perse et s'était familiarisé avec la
vie et les enseignements du Bab, "et c'est aussi une admirable preuve
de l'amour que notre héros portait à ses concitoyens. Il s'est
sacrifié pour l'humanité; pour elle, il a donné son corps
et son âme; pour elle, il a subi les privations, les affronts, les injures,
la torture et le martyre. Il a scellé de son sang le pacte de la fraternité
universelle, et comme jésus, il a payé de sa vie l'annonce du
règne de la concorde, de l'équité et de l'amour du prochain."
" Un fait étrange, unique dans les annales de l'humanité ",
témoigne encore la plume de ce même érudit qui commente
les circonstances entourant le martyre du Bab. "Un vrai miracle", déclare
un célèbre orientaliste français. "Un véritable
homme de Dieu", estime un grand voyageur britannique, écrivain de renom.
"L'esprit le plus distingué produit par son pays", dit un journaliste
français* bien connu, lui rendant hommage. Ce jésus de notre
âge ... un prophète, et plus qu'un prophète", juge un
ecclésiastique anglais distingué. "Le mouvement religieux le
plus important depuis la fondation du christianisme", déclare feu le
directeur de Balliol*, célèbre savant d'Oxford, envisageant
les possibilités futures pour la foi établie par le Bab. [...] Page 53 "De nombreuses personnes venant de toutes les parties du monde", affirme
'Abdu'l-Baha par écrit, "se mirent en route pour la Perse et
commencèrent à étudier la question de tout leur coeur."
D'après un chroniqueur contemporain, le tsar de Russie avait même
chargé le consul russe à Tabriz, peu avant le martyre du Bab,
de faire une enquête approfondie et de rédiger un rapport sur
les péripéties d'un mouvement aussi étonnant, instructions
qui ne purent être suivies en raison de l'exécution du Bab.
Dans des pays aussi lointains que ceux de l'Europe occidentale, un intérêt
non moins profond se fit jour, intérêt qui s'étendit très
rapidement aux milieux littéraires, artistiques, diplomatiques et intellectuels.
"Toute l'Europe", atteste le journaliste cité plus haut, "fut émue
de pitié et d'indignation ... Parmi les littérateurs de ma génération,
dans le Paris de 1890 le martyre du Bab était encore un sujet
d'actualité comme l'avait été la première nouvelle
de sa mort. Nous écrivions des poèmes sur lui. Sarah Bernhardt
pria Catulle-Mendès de composer une pièce ayant pour thème
cette historique tragédie." Une poétesse russe, membre des Sociétés
philosophiques, orientale et bibliographique de Saint-Pétersbourg,
publia en 1903 un drame intitulé "Le Bab" qui, un plus tard,
fut joué dans l'un des principaux théâtres de cette ville.
Il fit, par la suite, l'objet d'une certaine publicité à Londres,
fut traduit en français à Paris, puis en allemand par le poète
Fiedler. Présenté de nouveau, peu après la révolution
russe, au théâtre folklorique de Leningrad, il réussit
à éveiller l'intérêt et la sincère sympathie
du fameux Tolstoï dont l'éloge sur ce poème fut publié
plus tard dans la presse russe. [...] Page 53 Il ne serait certes pas exagéré de dire que, dans l'ensemble
de la littérature religieuse du monde, excepté dans les Evangiles,
on ne trouve nulle part de document relatif à la mort de l'un des fondateurs
de religion du passé qui soit comparable au martyre subi par le prophète
de Shiraz. Un phénomène si étrange, si inexplicable,
attesté par des témoins oculaires, confirmé par des hommes
d'honorabilité établie, et reconnu tant par les historiens privés
que par ceux du gouvernement d'un peuple qui avait voué une animosité
sans merci à la foi baha'i, un tel phénomène peut
vraiment passer pour la plus merveilleuse manifestation des possibilités
uniques dont cette dispensation, annoncée par toutes les dispensations
antérieures, a été dotée. Seuls, la passion de
Jésus-Christ, et même tout son ministère public, peuvent
être mis en parallèle avec la mission et la mort du Bab,
parallèle qu'aucun étudiant en religions comparées ne
peut manquer d'apercevoir ou de reconnaître. La jeunesse et la douceur
du fondateur de la dispensation Babi, la brièveté
extrême et mouvementée de son ministère public, la rapidité
dramatique avec laquelle ce ministère a évolué vers son
point culminant, l'ordre apostolique institué ainsi que la primauté
conférée à l'un de ses membres, la hardiesse de son défi
aux coutumes, aux rites et aux lois consacrés par l'usage et tissés
sur la trame de la religion au sein de laquelle lui-même était
né, le rôle que joua - en tant que principale instigatrice des
outrages qu'il eut à souffrir - une hiérarchie religieuse officiellement
reconnue et solidement établie, les ignominies qui l'accablèrent,
la soudaineté de son arrestation, l'interrogatoire auquel il fut soumis,
les sarcasmes déversés sur lui et la flagellation subie, les
affronts publics qu'il dut supporter, et à la fin, l'indigne traitement
qu'il endura, suspendu à une corde et exposé aux regards d'une
foule hostile, dans tous ces faits, nous ne pouvons manquer de découvrir
une similitude remarquable avec les principales caractéristiques de
la carrière de Jésus-Christ. Il faut cependant garder à l'esprit que, mis à part le miracle
concomitant à l'exécution du Bab, celui-ci, à
la différence du fondateur de la religion chrétienne, doit être
non seulement considéré comme l'auteur indépendant d'une
dispensation divinement révélée, mais encore être
reconnu comme le héraut d'une ère nouvelle et l'inaugurateur
d'un grand cycle prophétique universel. Il ne faut pas davantage perdre
de vue ce fait important qu'à l'époque de Jésus-Christ,
ses principaux adversaires furent les rabbins juifs et leurs acolytes, tandis
que les forces liguées contre le Bab comprenaient les autorités
civiles et ecclésiastiques réunies de la Perse qui, du jour
de sa déclaration jusqu'à l'heure de sa mort, continuèrent
conjointement, et par tous les moyens à leur disposition, à
conspirer contre les partisans de sa révélation et à
dénigrer ses principes. [...] Page 55 Le Bab, acclamé par Baha'u'llah comme "l'Essence
des essences", l'Océan des océans ", le - Point autour duquel
gravitent les réalités des prophètes et des messagers
", "Celui dont Dieu a fait émaner la connaissance de tout ce qui fut
et sera", dont "le rang surpasse celui de tous les prophètes", et dont
"la révélation transcende la conception et la compréhension
de tous leurs élus", le Bab avait délivré son
message et accompli sa mission. Celui qui, selon les paroles d'Abdu'l-Baha,
fut le "Matin de la Vérité", l'"Annonciateur de la plus grande
Lumière", dont l'avènement marqua la fin immédiate du
"cycle prophétique" et le commencement du " cycle d'accomplissement",
avait, par sa révélation, simultanément dispersé
les ombres de la nuit descendues sur son pays, et annoncé l'ascension
imminente de cet astre incomparable dont le rayonnement était appelé
à envelopper l'humanité tout entière. Lui, comme il l'affirme
lui-même, "le premier Point qui a engendré toutes les choses
créées", "l'un des piliers qui soutiennent le Verbe originel
de Dieu", le " Temple mystique ", la "grande Proclamation ", la " Flamme de
cette Lumière céleste qui brillait sur le Sinaï", le "
Souvenir de Dieu ", celui pour lequel "un covenant distinct a été
établi avec chacun et tous les prophètes" avait, d'un seul coup,
par son avènement, accompli la promesse de tous les âges et amorcé
le couronnement de toutes les révélations. Lui, le "Qà'im"
(Celui qui s'élève) promis aux shi'ahs, le "Mihdi" (Celui qui
est guidé) attendu par les sunnis*, le "retour de saint Jean-Baptiste
" espéré par les chrétiens, le "Ushidar-Màh*"
auquel les Ecritures zoroastriennes font allusion, le "retour d'Elie'' escompté
par les juifs, dont la révélation devait présenter "les
signes et les preuves de tous les prophètes", qui devait manifester
la perfection de Moïse, le rayonnement de jésus et la patience
de job celui-là avait paru et proclamé sa cause, puis il était
mort glorieusement après d'impitoyables persécutions. Le "second
malheur" dont il est parlé dans l'Apocalypse de saint jean le divin
était enfin arrivé, et le premier des deux "messagers", dont
l'apparition est annoncée dans le Qur'an, avait été
envoyé sur la terre. La première "sonnerie de trompette" destinée
à frapper la terre d'extermination, comme l'annonce ce dernier livre,
avait enfin retenti. "L'inévitable", "la catastrophe", "la résurrection",
"le tremblement de terre de la dernière heure" prédits par ce
même livre, tout ceci était accompli. Les "preuves claires "
avaient été " envoyées ", " l'esprit " avait "soufflé'',
les "âmes" s'étaient "éveillées", le "ciel' s'était
"entrouvert", les "anges'' s'étaient "alignés", les "étoiles"
s'étaient "éteintes", la "terre" avait "rejeté son fardeau",
le "paradis" s'était "rapproché" et "l'enfer" s'était
" mis à flamboyer ", le " livre " avait été donné,
le "pont jeté", et la " balance installée ", et les " montagnes
avaient été réduites en poussière ". La "purification
du sanctuaire", prédite par Daniel et confirmée par Jésus
Christ dans son allusion à "l'abomination de la désolation",
avait été réalisée. Le "jour dont la longueur
sera de mille années", prévu par l'Apôtre de Dieu dans
son livre, avait pris fin. Les "quarante-deux mois" pendant lesquels la "cité
sainte" serait foulée aux pieds, comme saint jean le divin l'avait
prédit, s'étaient écoulés. Le "temps de la fin"
était commencé, et le premier des "deux témoins" dans
lequel, "après trois jours et demi, l'esprit de vie venant de Dieu"
devait pénétrer, s'était levé, puis il était
"Monté aux cieux sur un nuage". Les "vingt-cinq lettres restant à
révéler", d'après la tradition islamique, sur les "vingt-sept
lettres" qui constituent la connaissance - comme ceci fut affirmé -
avaient été dévoilées. L' "enfant mâle"
mentionné dans l'Apocalypse, qui doit "gouverner toutes les nations
avec un sceptre de fer", avait libéré, par son avènement,
les énergies créatrices qui, renforcées par les effusions
d'une révélation infiniment plus puissante, venant immédiatement
après la première, allaient inculquer à la race humaine
tout entière la capacité de réaliser son unification
organique, d'atteindre sa maturité, et de parvenir ainsi à la
phase finale de sa longue évolution à travers les âges.
L'appel de clairon adressé à "l'assemblée des rois et
des fils de rois", et marquant le début d'un processus qui, accéléré
par les avertissements ultérieurs de Baha'u'llah à
tous les monarques d'Orient et d'Occident, devait produire une révolution
si généralisée dans les destinées de la royauté,
un tel appel avait été lancé dans le Quyyumu'l-Asmà'. [...] Page 56 L' "ordre" dont le Promis devait fixer les bases dans le Kitab-i-Aqdas,
dont le Centre du covenant allait tracer les caractéristiques dans
son testament, ordre dont tous les fidèles du Promis sont actuellement
en train d'édifier la structure administrative, avait été
catégoriquement annoncé dans le Bayan persan. Les lois
qui avaient pour objet, d'une part, d'abolir d'un seul coup les privilèges,
cérémonies, rites et institutions d'une dispensation surannée,
et d'autre part, de combler l'intervalle séparant un système
périmé des institutions d'un ordre mondial destiné à
le remplacer, lesdites lois avaient été clairement formulées
et proclamées. Le covenant qui, en dépit des attaques résolues lancées
contre lui, réussit - contrairement à toutes les dispensations
antérieures - à conserver son intégrité à
la foi de son auteur et à préparer la voie en vue de l'avènement
de celui qui devait être son centre et son objet, ce covenant-là
avait été établi solidement et d'une manière irrévocable.
La lumière venait de poindre qui, au cours de périodes successives,
allait se propager peu à peu, depuis son berceau jusqu'aux contrées
lointaines de Vancouver, à l'Ouest, et de la mer de Chine, à
l'Est, et diffuser sa clarté jusqu'en Islande, au Nord, et dans la
mer de Tasmanie, au Sud. Les forces des ténèbres, d'abord limitées
à l'hostilité combinée des pouvoirs civils et ecclésiastiques
de la Perse shi'ah, ayant acquis ultérieurement plus d'ampleur - par
suite de l'opposition ouverte et persistante, en Turquie, du calife de l'islam
et de la hiérarchie sunnite -, lesdites forces obscures, destinées,
à atteindre leur comble dans le féroce antagonisme des ordres
sacerdotaux appartenant à d'autres systèmes religieux encore
plus puissants, avaient lancé leur première attaque. Le noyau
de la communauté mondiale divinement instituée - communauté
dont la force avait, dans ses premières années, déjà
brisé les entraves de l'orthodoxie shi'ah et qui, au fur et à
mesure que le nombre de ses membres augmentait, allait chercher, et réussir,
à faire admettre, d'une manière plus large et plus significative
encore, sa prétention d'être la religion mondiale de l'avenir
-, le noyau d'une telle communauté avait été formé
et prenait, lentement, une forme définie. Cette graine, enfin, dotée
par la main de la Toute-Puissance d'aussi vastes possibilités, bien
que brutalement foulée aux pieds et ayant apparemment disparu de la
surface de la terre, s'était vu accorder, de par ce processus même,
l'occasion favorable de germer et de se manifester sous la forme d'une révélation
encore plus irrésistible, une révélation destinée
à s'épanouir, Plus tard, dans les institutions florissantes
d'une organisation administrative mondiale et à se transformer, dans
l'âge d'or encore à venir, en institutions fortes, qui fonctionneront
en conformité avec les principes d'un ordre rédempteur et unificateur
du monde.
CHAPITRE IV: Exécution du Bab