DIEU PASSE PRES DE NOUS
Shoghi Effendi
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3ième Période: Ministère d'Abdu'l-Baha, 1892-1921 [...] Page 299 La grande oeuvre d'Abdu'l-Baha était maintenant achevée.
La mission historique dont son père l'avait chargé vingt-neuf
ans auparavant avait été glorieusement accomplie. Un chapitre
mémorable de l'histoire du premier siècle baha'i venait
d'être écrit. L'âge héroïque de la dispensation
baha'i, qu'il avait vécu depuis le commencement et où il
avait joué un rôle vraiment unique, était arrivé
à sa fin. Il avait souffert comme aucun des disciples de la foi, qui
but la coupe du martyre, n'avait souffert; il avait peiné comme aucun
de ses plus grands héros ne l'avaient fait. Il avait assisté à
des triomphes comme ni le héraut de la foi ni son auteur n'en avaient
jamais contemplés. A la fin de ses voyages exténuants en Occident, qui avaient consumé
la dernière once de ses forces déclinantes, il écrivit:
"Amis, le temps vient où je ne serai plus parmi vous. J'ai fait tout
ce qui pouvait être fait. J'ai servi la cause de Baha'u'llah
du mieux que j'ai pu. J'ai travaillé nuit et jour pendant toutes les
années de mon existence. 0 combien je désire voir les croyants
prendre les responsabilités de la cause! ... Mes jours sont comptés,
et en dehors de cela il n'y a plus, ici-bas, aucune joie pour moi." Plusieurs
années auparavant, il avait fait allusion à son départ
en ces termes: "0 vous mes fidèles bien-aimés! Si jamais, à
n'importe quel moment, des événements malheureux survenaient en
Terre sainte, n'en soyez jamais émus ni troublés. N'ayez ni crainte
ni chagrin. Car quoi qu'il advienne, cela servira à glorifier la parole
de Dieu, et à répandre ses parfums divins." Et encore: "Souvenez-vous
que, présent ou non sur la terre, je serai toujours avec vous."" Ne considérez
pas la personne d'Abdu'l-Baha, conseilla t-il à ses amis dans
l'une de ses dernières tablettes, "car il prendra finalement congé
de vous tous, mais fixez plutôt vos regards sur la parole de Dieu ...
Les bien-aimés de Dieu doivent se lever avec une fermeté telle
que si, d'un seul coup, des centaines d'âmes, et même Abdu'l-Baha
en personne, étaient en butte aux atteintes du malheur, leur activité
... au service de la cause de Dieu n'en serait aucunement affectée ni
affaiblie." Dans une tablette adressée aux croyants américains quelques jours
avant sa disparition, il exprima ainsi son désir contenu de quitter ce
monde: J'ai renoncé au monde et à ses peuples ... Dans cette cage qu'est
le monde, je bats des ailes comme un oiseau effrayé, et chaque jour je
brille du désir de prendre mon vol vers ton royaume. [...] Page 300 Ya Baha'u'l-Abha! Fais-moi boire la coupe du sacrifice
et libère-moi." Moins de six mois avant son ascension, il révéla
une prière en l'honneur d'un parent du Bab, dans laquelle il écrivait:
"0 Seigneur! Mes os sont affaiblis et les frimas de mes cheveux blancs scintillent
sur ma tête, et J'ai maintenant atteint un âge avancé où
mes forces se dérobent ... Nulle énergie ne me reste pour pouvoir
me lever et servir tes bien-aimés ... 0 Seigneur, mon Dieu! Hâte
mon ascension vers le seuil suprême de ta porte ... mon accès au
chemin de ta grâce, à l'ombre de ta très grande miséricorde..." Par les rêves qu'il fit, par les conversations qu'il eut, par les tablettes
qu'il révéla, il devint de plus en plus évident que sa
fin approchait rapidement. Deux mois avant sa mort, il fit part à sa
famille d'un rêve qu'il avait fait: "Il me semblait", dit-il, "que je
me tenais debout, dans une grande mosquée, au coeur du sanctuaire, face
au qiblih, à la place de l'imàm lui-même. je me rendis compte
qu'une grande quantité de gens entraient dans la mosquée. Ils
affluaient, de plus en plus nombreux, prenant place en rangs derrière
moi, jusqu'à former une grande multitude. De la place que j'occupais,
je lançai d'une voix forte l'appel à la prière. Soudain,
la pensée me vint de sortir de la mosquée. Lorsque je me retrouvai
au dehors, je me demandai: Pour quelle raison suis je parti sans avoir dirigé
la prière? Mais peu importe; maintenant que j'ai lancé l'appel,
d'elle-même, la grande foule de gens entonnera le chant de la prière.-
Quelques semaines plus tard, dans la pièce isolée où il
logeait alors, située dans le jardin de sa maison, il raconta un autre
rêve à ceux qui l'entouraient: "J'ai fait un rêve", dit-il
"et voici que parut la Beauté bénie" (Baha'u'llah)
"qui me dit: 'Détruis cette chambre."' Aucun de ceux qui étaient
présents ne comprit la signification de ce rêve sinon après
son décès survenu peu de temps après, lorsqu'il devint
clair pour tous que par la "chambre", il entendait le temple de son corps. Un mois avant sa mort (qui eut lieu dans sa soixante-dix-huitième année,
aux premières heures du 28 novembre 1921),il avait fait une allusion,
formelle à celle-ci en adressant quelques paroles de réconfort
et de consolation à un croyant qui déplorait la perte de son frère.
Et deux semaines environ avant son décès, il avait parlé
à son fidèle jardinier d'une manière montrant clairement
qu'il savait sa fin toute proche. "je suis si fatigué", lui fit-il remarquer,
"l'heure est venue pour moi de quitter toutes choses et de prendre mon essor.
je suis trop las pour marcher. "Il ajouta: "C'est pendant les derniers jours
de la Beauté bénie, alors que j'étais en train de ramasser
ses papiers éparpillés sur le sofa, dans la chambre où
il écrivait, à Bahji, qu'il se tourna vers moi et me dit: 'Inutile
de les rassembler, car je dois les laisser et prendre mon vol J'ai, moi aussi,
terminé ma tâche. je ne puis rien faire de plus. Aussi dois-je
la laisser et m'en aller." [...] Page 301 jusqu'au dernier jour de sa vie terrestre, Abdu'l-Baha ne cessa de prodiguer
ce même amour aux petits comme aux grands, d'apporter cette même
assistance aux pauvres et aux opprimés, et d'accomplir ces mêmes
devoirs pour servir la foi de son père, comme il y était accoutumé
depuis son adolescence. Le vendredi qui précéda sa fin, malgré
sa grande fatigue, il assista à la prière de midi à la
mosquée et distribua ensuite des aumônes aux pauvres, selon son
habitude; puis il dicta quelques tablettes - les dernières qu'il révéla
-, bénit le mariage d'un serviteur fidèle qui, à sa demande
instante, eut lieu ce jour-là et assista, chez lui, à la réunion
habituelle des amis. Le jour suivant, il se sentit fiévreux et, incapable
de quitter la maison le lendemain, dimanche, envoya tous les croyants au tombeau
du Bab pour assister à une fête qu'un pèlerin parsi
donnait, à l'occasion de l'anniversaire de la déclaration du covenant.
Ce même après midi, malgré sa faiblesse croissante, il reçut
avec sa courtoisie et son amabilité inaltérables, le mufti, le
maire et le chef de la police de Haïfa Cette nuit-là - la dernière
de sa vie -, il s'informa, avant de se retirer, de la santé de chacun
des membres de sa famille et de celle des pèlerins et des amis de Haïfa. A 1 h 15 du matin, il se leva et, marchant jusqu'à la table de sa chambre,
but un peu d'eau et retourna se coucher. Plus tard, il demanda à l'une
de ses deux filles qui veillaient et prenaient soin de lui, de relever la moustiquaire,
se plaignant d'avoir des difficultés à respirer. On lui apporta
un peu d'eau de rose et, après en avoir bu, il s'étendit de nouveau,
et quand on lui offrit à manger, il observa distinctement: "Vous voulez
que je prenne de la nourriture alors que je suis en train de m'en aller. "Une
minute plus tard, son esprit s'était envolé vers sa demeure éternelle
pour participer enfin à la gloire de son père bien-aimé
et goûter la joie d'une réunion sans fin avec lui. La nouvelle de sa fin si soudaine, si inattendue, se répandit comme
une traînée de poudre à travers la ville et fut transmise
sur-le-champ, par télégramme, aux régions lointaines du
globe où elle frappa de douleur la communauté des disciples de
Baha'u'llah, en Orient et en Occident. Des messages venus de près
et de loin arrivèrent en masse, émanant aussi bien de personnalités
que de gens simples, sous forme de télégrammes et de lettres,
apportant aux membres d'une famille accablée par un inconsolable chagrin
des témoignages de louange, de dévotion, de peine et de sympathie. Le ministre anglais des colonies, M. Winston Churchill, télégraphia
immédiatement au haut-commissaire en Palestine, Sir Herbert Samuel, le
chargeant de "transmettre à la communauté baha'i, de la
part du gouvernement de Sa Majesté, sa sympathie et ses condoléances.
"Le vicomte Allenby, haut-commissaire en Egypte, télégraphia au
haut-commissaire en Palestine, lui demandant de "présenter aux parents
de feu Sir 'Abdu'l-Baha 'Abbas Effendi et à la communauté
baha'i" sa "sympathie sincère pour la perte de leur chef vénéré".
[...] Page 302 Le Conseil des ministres de Baghdad chargea le Premier ministre Siyyid
'Abdu'l-Rahmàn d'exprimer sa "sympathie à la famille de Sa Sainteté
Abdu'l-Baha, à l'occasion de son deuil'. Le commandant en chef
du corps expéditionnaire égyptien, le général Congreve,
adressa un message au haut-commissaire en Palestine, le priant de "transmettre
sa plus profonde sympathie à la famille de feu Sir 'Abbas Baha'i".
Le général Sir Arthur Money, ancien administrateur en chef de
Palestine, écrivit pour exprimer sa tristesse, son profond respect et
son admiration pour lui, ainsi que sa sympathie pour la perte subie par sa famille.
Une éminente personnalité, appartenant aux milieux des lettres
de l'université d'Oxford, professeur et savant de renom, écrivit
en son propre nom et en celui de sa femme: "Le passage derrière le voile
à une existence plus large doit être particulièrement merveilleux
et béni pour celui qui a toujours dirigé ses pensées vers
le ciel, et lutté pour mener une vie supérieure ici-bas." Un grand nombre de journaux, de langues et de pays divers, tels que le "Times"
de Londres, le "Morning Post", le "Daily Mail', le "New York World', le "Temps",
le "Times of India" et d'autres payèrent leur tribut à celui qui
avait rendu des services aussi marquants qu'impérissables à la
cause de la fraternité humaine et de la paix. Le haut-commissaire, Sir Herbert Samuel, envoya immédiatement un message
faisant connaître son désir d'assister aux funérailles en
personne, afin d' "exprimer", écrivit-il lui-même plus tard, "mon
respect pour la croyance d'Abdu'l-Baha et mon estime pour sa personne".
Quant aux obsèques mêmes, qui eurent lieu le mardi matin - des
obsèques comme la Palestine n'en avait jamais vues -, dix mille personnes
au moins y assistèrent, représentant toutes les classes, religions
et races dans ce pays. "Une foule immense", rapporta plus tard le haut-commissaire
lui-même, "s'était rassemblée, s'affligeant de sa mort mais
aussi se félicitant de sa vie. "Sir Ronald Storrs, gouverneur de Jérusalem
à l'époque, décrivant les funérailles, écrivit
également: "je n'ai jamais vu une manifestation unanime de respect et
de regret comme celle que souleva l'extrême simplicité de la cérémonie." Le cercueil contenant la dépouille mortelle d'Abdu'l-Baha fut
porté jusqu'à sa dernière demeure sur les épaules
de ses bien-aimés. En tête du cortège venait un détachement
de police de la ville, qui faisait figure de garde d'honneur; derrière
lui suivaient, dans l'ordre, les boy-scouts des communautés musulmane
et chrétienne, toutes bannières déployées, une compagnie
de choristes musulmans qui chantaient les versets du Qur'an, les chefs
de la communauté musulmane, mufti en tête, et un certain nombre
de prêtres chrétiens d'origine latine, grecque et anglicane. [...] Page 303 Derrière le cercueil marchaient les membres de la famille d'Abdu'l-Baha,
le haut-commissaire britannique, Sir Herbert Samuel, le gouverneur de Jérusalem,
Sir Ronald Storrs, le gouverneur de Phénicie, Sir Stewart Symes, des
fonctionnaires du gouvernement, des consuls de divers pays résidant à
Haïfa, des notables de la Palestine, musulmans, juifs, chrétiens
et druzes, des Egyptiens, des Grecs, Turcs, Arabes, Kurdes, Européens
et Américains comprenant des hommes, des femmes et des enfants. Le long
cortège funèbre s'achemina lentement, au milieu des sanglots et
des lamentations de bien des coeurs douloureusement frappés, sur les pentes
du mont Carmel, vers le mausolée du Bab. Près de l'entrée orientale du tombeau, le cercueil sacré
fut placé sur une simple table et, en présence de cette vaste
assemblée, neuf orateurs, y compris le mufti de Haïfa, qui représentaient
les croyances musulmane, juive et chrétienne, prononcèrent leurs
diverses oraisons funèbres. Celles-ci terminées, le haut-commissaire
s'approcha du cercueil et, tête inclinée, face au tombeau, offrit
un dernier hommage d'adieu à Abdu'l-Baha; les autres fonctionnaires
du gouvernement suivirent son exemple. Le cercueil fut alors transporté
dans l'une des salles du tombeau et là, on le descendit, avec respect
et tristesse, jusqu'à son ultime lieu de repos, dans un caveau contigu
à celui où reposent les restes du Bab. Au cours de la semaine qui suivit son décès, cinquante à
cent pauvres de Haïfa furent nourris quotidiennement à son domicile,
et le septième jour on distribua du blé en son nom à un
millier d'entre eux environ, sans distinction de croyance ni de race. Le quatorzième
jour, une impressionnante fête du souvenir fut donnée en sa mémoire,
fête à laquelle furent invités plus de six cents personnes
de Haifa, d'Akka et des régions voisines de Palestine et de Syrie,
et qui comprenaient des fonctionnaires et des notabilités de diverses
religions et races. Ce jour-là, plus de cent pauvres furent également
nourris. A cette fête, l'un des invités, le gouverneur de Phénicie,
rendit un dernier hommage à la mémoire d'Abdu'l-Baha en
ces termes: "La plupart de ceux qui sont ici présents conservent, je
pense, une image claire de Sir Abdu'l-Baha 'Abbas, de sa silhouette
pleine de dignité parcourant pensivement nos rues, de ses manières
aimables et courtoises, de sa bonté, de son amour pour les petits enfants
et les fleurs, de sa générosité et de sa sollicitude pour
les pauvres et pour ceux qui souffrent. Il était si doux et si simple
qu'en sa présence on oubliait presque qu'il était aussi un grand
maître, et que ses écrits et ses paroles ont apporté réconfort
et inspiration à des centaines et des milliers de gens de l'Orient et
de l'Occident." [...] Page 304 Ainsi se termina le ministère de celui qui était, en vertu du
rang que son père lui avait conféré, l'incarnation d'une
institution qui n'a pas son égale dans toute l'histoire religieuse, ministère
qui marque l'étape finale de l'âge apostolique et héroïque,
l'âge le plus glorieux de la dispensation de Baha'u'llah. Grâce à Abdu'l-Baha, le covenant, cet héritage exceptionnel
et sans prix", légué par l'auteur de la révélation
baha'i, avait été proclamé, soutenu et justifié.
Par le pouvoir que lui avait conféré cet instrument divin, la
lumière de la foi naissante de Dieu avait pénétré
en Occident; elle s'était répandue jusqu'aux îles du Pacifique
et avait illuminé les confins du continent australien. Par son intervention
personnelle, le message, dont l'auteur avait connu l'amertume d'une captivité
à vie, s'était propagé à l'étranger et, pour
la première fois de son histoire, son caractère et son but avaient
été divulgués devant des auditoires divers et enthousiastes,
dans les principales villes d'Europe et d'Amérique du Nord. Grâce
à sa vigilance incessante, la dépouille sacrée du Bab,
cachée pendant cinquante ans, avait enfin été sortie de
son abri et transportée à bon port en Terre sainte, puis inhumée
de façon convenable et définitive à l'endroit même
désigné par Baha'u'llah et consacré par sa
présence. Sur son initiative hardie, le premier Mashriqu'l-Adhkar
du monde baha'i avait été construit en Asie centrale, dans
le Turkistàn russe. Dans le même temps, et sur ses continuels encouragements,
une construction semblable, aux proportions encore plus vastes, avait été
entreprise sur un emplacement consacré par lui-même, au coeur du
continent nord-américain. La grâce protectrice qui, depuis le début
de son ministère, l'avait couvert de son ombre, avait précipité
son royal adversaire dans l'humiliation, complètement abattu l'Archi
briseur du covenant de son père, et définitivement éliminé
le danger qui avait menacé le coeur de la foi depuis l'exil de Baha'u'llah
en territoire turc. Conformément à ses instructions et suivant
les principes énoncés et les lois prescrites par son père,
les institutions rudimentaires, préfigurant l'inauguration formelle de
l'ordre administratif qui devait être édifié après
sa mort, avaient pris forme et s'étaient établies. Ses efforts
ininterrompus, que prouvent les traités qu'il écrivit, les milliers
de tablettes qu'il révéla, les discours qu'il prononça,
les prières, poèmes et commentaires qu'il laissa à la postérité,
le plus souvent en persan, parfois en arabe et plus rarement en turc, lui avaient
permis d'expliquer les lois et principes constituant la chaîne et la trame
de la révélation de son père, d'énoncer à
nouveau et d'interpréter les principes fondamentaux de cette révélation,
d'exposer en détail les applications de ses préceptes, et de démontrer
amplement et au grand jour la valeur de ses vérités, et combien
elles nous sont nécessaires. Les avertissements qu'il avait lancés
à une humanité insouciante, plongée dans le matérialisme
et oublieuse de son Dieu, avaient prévenu celle-ci des dangers qui menaçaient
de briser l'ordre actuel de sa vie et, en raison de sa perversité obstinée,
ladite humanité avait subi les premières atteintes de ce bouleversement
mondial qui continue, jusqu'à l'heure présente, d'ébranler
ses fondations. [...] Page 305 Et pour finir, tout en donnant un mandat à une vaillante communauté
dont les membres, par leurs efforts conjugués, avaient rehaussé
d'un si vif éclat les annales de son propre ministère, il avait
mis en route un plan qui, peu après son inauguration officielle, permit
d'ouvrir à la foi le continent australien et qui, plus tard, fournit
le moyen de gagner le coeur d'une convertie royale à la cause de son père.
Et aujourd'hui ce plan, grâce au déploiement irrésistible
de ses vertus latentes, est en train de ranimer de façon si merveilleuse
la vie spirituelle de toutes les républiques d'Amérique latine,
qu'il constitue une fin digne des chroniques de tout un siècle. Une étude des traits caractéristiques d'un ministère tant
béni que fructueux ne saurait omettre de mentionner les prophéties
rapportées par la plume infaillible du Centre qualifié du covenant
de Baha'u'llah. Ces prophéties annoncent les furieuses
attaques que les progrès irrésistibles de la foi provoqueront
en Occident, aux Indes et en Extrême-Orient, lorsqu'elle affrontera les
ordres sacerdotaux vénérables des religions chrétienne,
bouddhiste et hindoue. Elles prévoient le trouble dans lequel son émancipation
des chaînes de l'orthodoxie religieuse entraînera les continents
américain, européen, asiatique et africain. Elles annoncent que
les enfants d'Israël se rassembleront dans leur ancienne patrie, que l'étendard
de Baha'u'llah flottera sur la citadelle égyptienne de
l'islam sunnite, et que l'influence puissante détenue en Perse
par les ecclésiastiques shi'ah disparaîtra; elles prévoient
le fardeau des misères qui doivent forcément accabler le restant
des pitoyables briseurs du covenant de Baha'u'llah au centre mondial
de sa foi, la splendeur des institutions que cette foi triomphante édifiera
sur les flancs d'une montagne destinée à être si étroitement
reliée à la ville d'Akka, qu'une seule et immense métropole
sera constituée, renfermant les sièges spirituel et administratif
de la future communauté mondiale baha'i; elles prédisent
l'honneur insigne dont les habitants du pays natal de Baha'u'llah
en général et son gouvernement en particulier seront l'objet dans
un avenir éloigné, la position unique et enviable qui sera celle
de la communauté du très grand Nom en Amérique du Nord,
lorsqu'elle aura accompli la mission mondiale qu'Abdu'l-Baha lui a confiée;
enfin, ces prophéties annoncent que l'événement suprême,
le couronnement de tout sera "le déploiement de l'étendard de
Dieu au-dessus de toutes les nations", et l'unification de la race humaine tout
entière, ce qui s'accomplira lorsque "tous les hommes n'auront qu'une
seule religion ... qu'ils auront fusionné en une seule race et seront
devenus un seul et unique peuple". [...] Page 306 On ne peut pas davantage se permettre de passer sous silence les changements
révolutionnaires survenus dans le vaste monde pendant ce ministère,
conséquences directes, pour la plupart, des avertissements donnés
par le Bab dans le premier chapitre de son Quayyùmù'l-Asmàla
nuit même de la déclaration de sa mission à Shiraz,
et qui furent confirmés plus tard dans les passages suggestifs que Baha'u'llah
adressa aux rois de la terre et aux chefs religieux du monde, à la fois
dans la Sùriy-i-Mùlùk et dans le Kitab_i_Aqdas.
La transformation de la monarchie portugaise et de l'Empire chinois en républiques,
l'effondrement des Empires russe, allemand et autrichien et la fin ignominieuse
de leurs souverains, l'assassinat du shah Nàsiri'd-Din, la chute
du sultàn 'Abdu'l-Hamid, ces faits peuvent être considérés
comme de nouvelles phases dans le déroulement du processus catastrophique
dont le début s'était signalé, du vivant de Baha'u'llah,
par le meurtre du sultan 'Abdu'l-'Aziz, la chute dramatique de Napoléon
111 et l'extinction du troisième Empire, et par l'emprisonnement volontaire
que s'imposa le pape et la fin effective de son pouvoir temporel. Plus tard,
après le décès d'Abdu'l-Baha, le même processus
devait s'accélérer par la déposition de la dynastie qàjàr
en Perse, le renversement de la monarchie espagnole, la chute du sultanat et
du califat en Turquie, par un rapide déclin de la position de l'islam
shi'ah et des missions chrétiennes en Orient, et par le sort cruel qui
frappe actuellement tant de têtes couronnées d'Europe. On ne peut pas non plus abandonner ce sujet sans faire une référence
particulière aux noms de ces hommes éminents, de ces érudits,
qui furent poussés, à divers moments du ministère d'Abdu'l-Baha,
à rendre hommage non seulement à Abdu'l-Baha lui-même,
mais également à la foi de Baha'u'llah. Le comte
Léon Tolstoï, les professeurs Arminius Vambery et Auguste Forel,
le Dr David Starr Jordan, le vénérable archidiacre Wilberforce,
le Pr Jowett de Balliol, le Dr T. K. Cheyne, le Dr Estlin Carpenter de l'université
d'Oxford, le vicomte Samuel du Carmel, Lord Lamington, Sir Valentine Chirol,
le rabbin Stephen Wise, le prince Muhammad-'Ali d'Egypte, le shaykh Muhammad
'Abdu, les pachas Midhat et Khurshid, des noms tels que ceux-ci attestent, en
raison des tributs qu'ils lui ont rendus, le grand progrès réalisé
par la foi de Baha'u'llah, sous la brillante direction de son
auguste fils. Ces hommages impressionnants devaient encore être rehaussés,
dans les années suivantes, par les témoignages historiques, écrits
et plusieurs fois renouvelés, qu'une reine illustre, petite-fille de
la reine Victoria, fut amenée à léguer à la postérité,
pour attester qu'elle avait reconnu la mission prophétique de Baha'u'llah. Quant à ces ennemis qui avaient cherché avec persévérance
à éteindre la lumière du covenant de Baha'u'llah,
le châtiment mérité qu'ils eurent à souffrir n'est
pas moins évident que le sort funeste de ceux qui, à une époque
antérieure, s'étaient efforcés avec tant de bassesse, de
briser les espérances d'une foi naissante et de détruire ses fondations. [...] Page 307 L'assassinat du shah de Perse, le tyrannique Nàsiri'd-Din, et
l'extinction de la dynastie qàjàr qui s'ensuivit ont déjà
été mentionnés. Le sultàn 'Abdu'l-Hamid, après
avoir été déposé, fut fait prisonnier d'Etat et
condamné à une vie tout à fait obscure et humiliante, méprisé
des autres souverains et dénigré par ses sujets. Le sanguinaire
pacha Jamàl, qui avait décidé de crucifier Abdu'l-Baha
et de faire raser le tombeau sacré de Baha'u'llah, dut
s'enfuir pour sauver sa vie, mais fut tué dans le Caucase où il
s'était réfugié, par la main d'un Arménien dont
il avait si impitoyablement persécuté les compatriotes. L'intrigant
jamàlu'd-din* Afghani, dont l'hostilité sans merci et l'influence
puissante avaient si gravement compromis les progrès de la foi dans les
pays du Proche-Orient, fut affligé d'un cancer, après une carrière
contrariée et remplie de vicissitudes; sa langue fut, en grande partie,
coupée au cours d'une opération malheureuse, et il mourut dans
la souffrance. Les quatre membres de l'infortunée commission d'enquête
envoyée de Constantinople pour décider du sort d'Abdu'l-Baha
subirent, chacun à leur tour, une mortification à peine moins
sévère que celle qu'ils avaient projetée pour lui. Le bey
'Àrif, chef de la commission, cherchant furtivement, à minuit,
à fuir la colère des jeunes-Turcs, fut mortellement blessé
par une sentinelle. Le bey Adham réussit à s'enfuir en Egypte,
mais en chemin il fut dépouillé par son serviteur de ce qu'il
possédait, et fut finalement contraint à chercher une aide financière
auprès des baha'is du Caire, aide qui ne lui fut pas refusée.
Plus tard, il sollicita l'aide d'Abdu'l-Baha qui chargea immédiatement
les croyants de lui remettre une certaine somme de sa part, ordre qu'ils ne
purent exécuter en raison de sa brusque disparition. Quant aux deux autres
membres, l'un fut exilé au loin, l'autre mourut peu après dans
une pauvreté sordide. Yahya, le fameux bey, chef de la police
d'Akka, instrument consentant et puissant entre les mains de Mirza
Muhammad 'Ali, le suprême violateur du covenant de Baha'u'llah,
frustré de tous les espoirs qu'il avait caressés, perdit sa situation
et dut, en fin de compte, solliciter une aide pécuniaire auprès
d'Abdu'l-Baha. A Constantinople, l'année qui vit la chute d'Abdu'l-Hamid,
au moins trente et un dignitaires de l'Etat, comprenant des ministres et d'autres
haut fonctionnaires du gouvernement, parmi lesquels se trouvaient de redoutables
ennemis de la foi, furent, en une seule journée, arrêtés
et condamnés à être pendus, rétribution spectaculaire
pour le rôle qu'ils avaient joué en soutenant un régime
de tyrannie, et pour leurs efforts en vue d'exterminer la foi et ses institutions. En Perse, outre le souverain qui, dans la plénitude de son pouvoir et
au plus fort de ses espérances, avait été éliminé
de la scène de si surprenante manière, nombre de princes, ministres
et mujtahids, qui s'étaient joints activement aux efforts destinés
à supprimer une communauté persécutée - et parmi
lesquels figuraient Kàmràn Mirza, le nà'ibu'ssaltanih,
le jalàlu'd-dawlih et Mirza 'Ali-Asghar Khàn, l'atàbik-i-a'zàm
et le Shaykh Muhammad-Taqiy-i-Najafi, le "fils du Loup"-, ces personnages perdirent,
l'un après l'autre, leur prestige et leur autorité, s'enfoncèrent
dans une vie obscure et abandonnèrent tout espoir de réaliser
leurs desseins malveillants. [...] Page 308 Certains d'entre eux vécurent assez longtemps pour assister aux premiers
signes visibles de l'ascendant pris par une cause qu'ils avaient tellement redoutée
et si violemment haïe. Compte tenu qu'en Terre sainte, en Perse et aux Etats-Unis d'Amérique,
certains membres du sacerdoce chrétien tels que Vatralsky, Wilson, Richardson
ou Easton ayant constaté, et en certains cas s'inquiétant de la
vigoureuse marche en avant accomplie par la foi de Baha'u'llah
en pays chrétiens, se sont dressés pour enrayer sa progression;
et lorsqu'on observe la détérioration récente et régulière
de leur influence, le déclin de leur puissance, la confusion qui règne
dans leurs rangs et la dissolution de certaines de leurs missions et institutions
fondées de longue date en Europe, dans le Moyen-Orient et en Asie orientale,
ne peut-on attribuer cet affaiblissement à l'opposition que les membres
de divers ordres sacerdotaux chrétiens ont commencé à manifester,
au cours du ministère d'Abdu'l-Baha, envers les fidèles
et les institutions d'une foi qui ne prétend rien moins qu'accomplir
la promesse faite par Jésus-Christ, et fonder le royaume qu'il a annoncé,
et pour lequel lui-même a prié? Et pour finir, celui qui, depuis le moment même où naquit le divin
covenant et jusqu'à la fin de sa vie, fit preuve d'une haine plus implacable
que celle des adversaires d'Abdu'l-Baha déjà mentionnés,
qui complota contre lui avec plus d'énergie qu'aucun d'entre eux, et
qui couvrit la foi de son père d'une honte encore plus grave que toutes
celles infligées par ses ennemis extérieurs, un tel homme, tout
comme l'infâme équipe des violateurs du covenant qu'il avait égarés
et incités au mal, fut condamné, comme l'avait été
Mirza Yahya et ses acolytes, à être frustré
de ses mauvais desseins, à voir tous ses espoirs s'évanouir, ses
véritables motifs paraître au grand jour, et son honneur et sa
gloire d'autrefois s'éteindre sans rémission. Son frère,
Mirza Diya'u'llah ' mourut prématurément.
Trois ans après, celui qu'il avait suborné, Mirza' Aqà
Jàn, suivit ce même frère dans la tombe, et Mirza
Badi'u'llàh, son principal complice, trahit sa cause et fit connaître
publiquement ses mauvaises actions par une dénonciation signée;
puis il se rallia de nouveau à lui, mais seulement pour se faire renvoyer,
en raison de la conduite scandaleuse de sa propre fille. La demi-soeur de Mirza
Muhammad-'Ali, Furùghiyyih, mourut d'un cancer, son mari, Siyyid 'AI!,
décéda d'une crise cardiaque avant que ses fils ne puissent le
rejoindre, et l'aîné de ceux-ci fut, par la suite, frappé
par la même maladie, dans la fleur de l'âge. Muhammad javàd-i-Qazvini,
violateur notoire du covenant, périt misérablement. [...] Page 309 Shu'à'u'llah qui, ainsi qu'en témoigne Abdu'l-Baha
dans son testament, avait compté sur le meurtre du Centre du covenant,
et que son père avait envoyé aux Etats-Unis pour se joindre à
Ibràhim Khayru'llah, s'en revint, déconfit et les mains
vides, de sa mission sans gloire. jamàl-i-Burùjirdi, le lieutenant
le plus habile de Mirza Muhammad-'Ali en Perse, fut victime d'une maladie
fatale et repoussante; Siyyid Mihdiy-i-Dahaji, qui trahit 'Abdu'l-Baha
et se joignit aux briseurs du covenant, mourut obscurément et dans la
pauvreté, suivi par sa femme et ses deux fils; Mirza Husayn 'Aliy-iHusayn-i-Shiraziy-i-Khurtùmi
et Hàji MuhammadHusayn-i-Kàshàni, qui représentaient
l'Archi briseur du covenant en Perse, dans l'Inde et en Egypte, échouèrent
complètement dans leur mission. Le cupide et vaniteux Ibràhim-i-Khayru'llàh,
qui avait préféré brandir la bannière de la révolte
en Amérique pendant non moins de vingt ans, et qui eut l'audace de dénoncer
Abdu'l-Baha par écrit pour "faux enseignements, déformations
du baha'isme, dissimulation", de discréditer sa visite à
l'Amérique, la qualifiant de "coup mortel' porté à la "cause
de Dieu", trouva la mort peu après avoir proféré ces dénonciations,
complètement abandonné et méprisé par l'ensemble
des membres d'une communauté dont lui-même avait converti les fondateurs,
ceci dans le pays même qui portait témoignage, par des preuves
multiples, de l'ascendant acquis par Abdu'l-Baha dont cet homme s'était
juré, dans ses dernières années, de déraciner l'autorité. Quant à ceux qui avaient ouvertement épousé la cause de
ce superviolateur (Mirza-Muhammad-'Ali, cité plus haut) du covenant
de Baha'u'llah, ou qui avaient sympathisé avec lui en
secret, tout en soutenant Abdu'l-Baha en apparence, certains d'entre
eux se repentirent par la suite et furent pardonnés; d'autres furent
déçus et perdirent leur foi; quelques-uns abjurèrent,
et le restant diminua peu à peu, le laissant finalement seul et sans
soutien, sauf quelques parents. Ayant survécu à Abdu'l-Baha
pendant près de vingt ans, celui qui, avec une telle audace, lui avait
déclaré en face qu'il n'avait aucune garantie de lui survivre,
vécut assez longtemps pour assister à la ruine complète
de sa cause, tout en traînant une existence misérable, dans une
demeure qui avait abrité autrefois une foule de ses partisans. En raison
de la crise qu'il avait stupidement provoquée après le décès
d'Abdu'l-Baha, les autorités civiles lui refusèrent la
garde officielle du tombeau de son père. Quelques années après,
il fut obligé d'évacuer cette même demeure qui, vu sa
criante négligence, s'était délabrée. Il fut frappé
d'une paralysie qui le rendit à moitié impotent, et il resta
étendu sur un lit de douleur pendant des Mois avant de mourir. On l'enterra
selon le rite musulman, tout près d'un tombeau musulman de la localité;
et jusqu'à présent, sa sépulture reste privée
même d'une pierre tombale, rappel pitoyable de la fausseté des
revendications qu'il avança, des profondeurs d'infamie dans lesquelles
il sombra et de la sévérité d'un châtiment que
ses actes lui avaient si amplement mérité.
CHAPITRE XXI: Derniers moments d'Abdu'l-Baha