La chronique
de Nabil
Nabil-i-A'zam
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CHAPITRE XIV : voyage de Mulla Husayn au Mazindaran
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Ali Khan invita cordialement Mulla Husayn à passer quelques jours chez lui avant
son départ de Mah-Ku. Il exprima son ardent désir de le voir accepter certains
moyens propres à faciliter son voyage au Mazindaran. Mulla Husayn refusa cependant
d'ajourner son départ ou de profiter de l'aide qu' 'Ali Khan avait, avec tant
de dévouement, mise à sa disposition.
Il s'arrêta, fidèle aux instructions qu'il avait reçues, dans toutes les villes
et les villages que le Bab lui avait dit de visiter, réunit les fidèles, leur
fit part de l'amour, des salutations et des assurances de leur maître bien-aimé,
ranima leur zèle et les exhorta à rester fermes dans sa voie. A Tihran, il eut
à nouveau le privilège de rencontrer Baha'u'llah et de recevoir de ses mains
cette nourriture spirituelle qui devait lui permettre de braver, avec un courage
indompté, les périls qui allaient l'assaillir si farouchement aux derniers jours
de sa vie.
De Tihran, Mulla Husayn se rendit au Mazindaran, impatient qu'il était de témoigner
de la révélation du trésor caché que lui avait promis son maître. Quddus vivait
en ce temps-là à Barfurush dans la maison qui avait autrefois appartenu à son
père. Il fréquentait en toute liberté toutes les classes de la société et, par
sa gentillesse et son grand savoir, s'était gagné l'affection et l'admiration
sans réserve des habitants de cette ville. A son arrivée à Barfurush, Mulla
Husayn alla directement chez Quddus et fut reçu affectueusement par ce dernier.
Quddus veilla en personne sur son hôte et fit son possible pour pourvoir à tout
ce qui lui semblait nécessaire à son confort. De ses propres mains, il enleva
la poussière des pieds de Mulla Husayn et lui en lava la peau couverte d'ampoules.
Il lui offrit le siège d'honneur parmi le groupe de ses amis et l'introduisit
avec un extrême respect auprès de chacun des fidèles qui s'étaient réunis pour
le rencontrer.
La nuit de son arrivée, dès que les croyants qui avaient été invités à dîner
pour rencontrer Mulla Husayn se furent retirés pour rentrer chez eux, l'hôte,
se tournant vers son invité, lui demanda s'il voulait bien le mettre au courant
des événements qu'il avait vécus en compagnie du Bab dans la forteresse de Mah-Ku.
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"Nombreuses et diverses, répondit Mulla Husayn, sont les choses que j'ai entendues
et dont j'ai été témoin durant les neuf jours que j'ai passés en compagnie du
Bab. Il me parla de choses concernant, tant directement qu'indirectement, sa
foi. Il ne me donna cependant aucune directive précise quant à la marche à suivre
pour la propagation de sa cause. Il me dit seulement ceci: "Sur le chemin de
Tihran, vous rendrez visite aux croyants de toutes les villes et de tous les
villages par lesquels vous passerez. De Tihran vous vous rendrez au Mazindaran,
car là gît caché un trésor qui vous sera révélé, un trésor qui dévoilera à vos
yeux le caractère de la tâche que vous êtes destiné à accomplir." Par ses allusions,
je pus vaguement percevoir la gloire de sa révélation et fus capable de discerner
les signes de l'ascendance prochaine de sa cause. De ses paroles, je conclus
que je serais appelé ultérieurement à offrir ma vie indigne en sacrifice dans
son sentier. Car, antérieurement, toutes les fois qu'il me congédiait, il m'affirmait
invariablement que je serais encore appelé à le rencontrer. Cette fois-là cependant,
en m'adressant ses paroles d'adieu, il ne me fit point une telle promesse, ni
aucune allusion à la possibilité d'une nouvelle rencontre en tête-à-tête entre
lui et moi en ce monde. "La fête du sacrifice, furent ses dernières paroles,
approche rapidement. Levez-vous, ceignez-vous les reins de l'effort et ne laissez
rien vous détourner de votre destinée. Ayant atteint votre destination, préparez-vous
à nous recevoir car, nous aussi, nous vous suivrons avant longtemps
Quddus demanda à Mulla Husayn s'il avait apporté avec lui quelque écrit de son
maître et, après avoir reçu une réponse négative, présenta à son hôte les pages
d'un manuscrit qu'il avait en sa possession et lui demanda d'en lire certains
passages. Dès que l'hôte eut achevé de lire une page de ce manuscrit, ses traits
changèrent d'une manière brusque et complète. Son visage trahit une expression
d'admiration et de surprise indéfinissable; la noblesse, la profondeur et, surtout,
l'influence pénétrante des paroles qu'il venait de lire, provoquèrent en son
coeur une agitation intense et l'incitèrent à exprimer des paroles de louange
infinie. Déposant le manuscrit, il dit:
"Je puis parfaitement réaliser que l'auteur de ces paroles a tiré son inspiration
de cette Source qui est incommensurablement supérieure à celles dont émane habituellement
le savoir des hommes. J'affirme par là reconnaître sans réserve le caractère
sublime de ces paroles et accepter inconditionnellement la vérité qu'elles révèlent."
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Constatant le silence qu'observait Quddus ainsi que l'expression que dénotait
son visage, Mulla Husayn conclut que personne, à part son hôte, ne pouvait avoir
écrit ces paroles. Il se leva aussitôt de son siège et, se tenant debout tête
baissée sur le seuil de la porte, déclara avec respect: "Le trésor caché dont
m'a parlé le Bab se trouve à présent dévoilé à mes yeux. Sa lumière a chassé
les ténèbres de perplexité et de doute. Bien que mon maître soit actuellement
caché au milieu des montagnes fortifiées de l'Adhirbayjan, le signe de sa splendeur
et la révélation de son pouvoir se trouvent manifestes devant mes yeux. J'ai
trouvé au Mazindaran le reflet de sa gloire."
Comme l'erreur de Haji Mirza Aqasi était grave et terrible! Ce ministre insensé
s'était vainement imaginé qu'en condamnant le Bab à une vie d'exil sans espoir
dans un coin reculé et isolé d'Adhirbayjan, il parviendrait à dérober aux yeux
de ses compatriotes cette flamme du feu éternel de Dieu. Il ne pouvait penser
qu'en posant la lumière de Dieu sur une colline, il contribuait à propager son
éclat et à proclamer sa gloire. Par ses propres actes, par ses mauvais calculs,
au lieu de cacher cette flamme céleste aux yeux des hommes, il lui donnait encore
plus d'éclat et l'aidait à accroître son intensité. Comme, d'autre part, Mulla
Husayn était admirable! Comme son jugement était précis et sûr! De ceux qui
l'avaient vu et connu, aucun ne pouvait mettre en doute un seul instant l'érudition
de ce jeune homme, son charme, sa haute intégrité et son étonnant courage. S'il
s'était déclaré, après la mort de Siyyid Kazim, le Qa'im promis, les plus distingués
de ses compagnons auraient unanimement reconnu sa revendication et se seraient
soumis à son autorité. Mulla Muhammad-i-Mamaqani, ce disciple érudit et notoire
de Shaykh Ahmad n'avait-il pas déclaré, après que Mulla Husayn l'eut mis au
courant des revendications de la nouvelle révélation: "Je prends Dieu pour témoin!
Si ce même Mulla Husayn avait revendiqué la station du Bab, j'aurais été, vu
les traits de son caractère remarquable et son savoir immense, le premier à
défendre sa cause et à la proclamer à tous les hommes. Etant donné cependant
qu'il a choisi de se soumettre à une autre personne, j'ai cessé d'avoir confiance
en sa parole et j'ai refusé de répondre à son appel." Siyyid Muhammad Baqir-i-Rashti
n'a-t-il pas témoigné, en des termes si éloquents, des vertus de Mulla Husayn
lorsque celui-ci eut dissipé de façon magistrale les doutes qui avaient longtemps
affligé son esprit; n'a-t-il pas dit: "Moi qui me croyais, de manière insensée,
capable de confondre et de réduire au silence Siyyid Kazim-i-Rashti, lorsque
pour la première fois je rencontrai Mulla Husayn et conversai avec lui, lui
qui prétendait n'être que l'humble disciple de ce maître, je réalisai le caractère
profondément erroné de mon jugement.
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La force dont ce jeune homme semble être doué est telle que s'il venait à déclarer
que le jour est la nuit, je le croirais malgré tout capable de sortir des preuves
susceptibles de démontrer de façon concluante, aux yeux des théologiens érudits,
la vérité de son affirmation."
Mulla Husayn, la nuit même où il fut amené à rencontrer le Bab, bien qu'au début
il se sentît de beaucoup supérieur à celui-ci et porté à minimiser les revendications
de ce fils d'un marchand obscur de Shiraz n'avait pas manqué de percevoir, dès
que son hôte eut commencé à développer son thème, les incalculables bienfaits
que recelait sa révélation. Il avait embrassé avec empressement sa cause et
abandonné avec dédain tout ce qui aurait pu entraver ses propres efforts en
vue de la compréhension exacte et de la promotion effective des intérêts de
cette cause. Et lorsque, en temps voulu, Mulla Husayn eut l'occasion d'apprécier
le caractère sublime et transcendant des écrits de Quddus, il put de même, avec
sa sagacité habituelle et son infaillible jugement, estimer à leur juste valeur
et selon leurs mérites les dons particuliers dont Quddus, ainsi que ses paroles,
étaient doués. L'immensité de son propre savoir acquis se réduisait à néant
devant les vertus infinies, accordées par Dieu, que manifestait l'esprit de
ce jeune homme. A ce moment même, il promit sa loyauté éternelle à celui qui
reflétait avec tant de puissance l'éclat de son propre maître bien-aimé. Il
sentit que son premier devoir était de se soumettre entièrement à Quddus, de
suivre ses pas, d'obéir à sa volonté et de faire son possible pour lui procurer
tous les moyens nécessaires à son salut et à son bien-être. Jusqu'à l'heure
de son martyre, Mulla Husayn devait rester fidèle à sa promesse. Le motif essentiel
de l'extrême déférence que Mulla Husayn manifesta désormais à l'égard de Quddus
était sa conviction ferme et inébranlable de la réalité de ces dons surnaturels
qui distinguaient si nettement Quddus du reste de ses condisciples. Aucune autre
considération ne le poussait à faire preuve d'une telle déférence et d'une telle
humilité envers celui qui ne semblait être que son égal. Le sens de perception
très aigu de Mulla Husayn lui permit de saisir rapidement la grandeur de la
force qui gisait latente en cet homme, et la noblesse de son caractère l'incitait
à montrer qu'il reconnaissait cette vérité.
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La transformation qui s'était opérée dans l'attitude de Mulla Husayn envers
Quddus fut telle que les croyants qui se réunirent le lendemain matin chez ce
dernier furent extrêmement surpris de trouver l'invité debout sur le seuil,
dans une attitude d'humilité absolue au lieu d'occuper, comme la veille au soir,
le siège d'honneur où il avait été l'objet d'une telle amabilité et d'une si
généreuse hospitalité; en fait, cette fois, c'était Quddus qui avait pris la
place de Mulla Husayn. Les premières paroles que Quddus lui adressa, en présence
des fidèles rassemblés, furent celles-ci: "À présent, à cet instant même, vous
devez vous lever et, armé du sceptre de la sagesse et du pouvoir, réduire au
silence l'armée des vils comploteurs qui s'efforcent de discréditer le nom de
la foi de Dieu. Vous devez faire face à cette multitude et confondre ses forces.
Vous devez mettre votre confiance en la grâce de Dieu et considérer les machinations
de ces gens-là comme de futiles tentatives destinées à ternir l'éclat de la
cause. Vous devez rencontrer le sa`idu'l-`ulama', ce tyran notoire et faux,
et dévoiler hardiment à ses yeux les traits distinctifs de cette révélation.
De là, vous vous rendrez au Khurasan. Dans la ville de Mashhad, vous devrez
bâtir une maison d'une conception telle qu'elle puisse à la fois nous servir
de résidence privée et offrir les commodités adéquates en vue de l'hébergement
de nos hôtes. Nous nous rendrons sous peu dans cette ville et résiderons dans
cette maison. C'est là que vous inviterez toutes les âmes réceptives qui, nous
l'espérons, pourront être guidées vers la rivière de vie éternelle. Nous les
préparerons et les exhorterons a s'unir et à proclamer la cause de Dieu."
Mulla Husayn partit le lendemain, au lever du soleil, rencontrer le sa`idu'l-`ulama'.
Seul et sans aide, il se rendit auprès de ce dernier et lui transmit le message
du nouveau jour, obéissant ainsi aux ordres de Quddus. Courageux et éloquent,
il plaida, au milieu des disciples réunis, la cause de son maître bien-aimé,
fit appel à ce théologien afin qu'il anéantisse les idoles que son imagination
fantaisiste avait forgées et qu'il implante sur les fragments brisés de celles-ci,
l'étendard de la direction divine. Il fit appel à lui afin qu'il libère son
esprit des credos gênants du passé et qu'il se hâte, libre et sans entrave,
vers les rivages du salut éternel. Avec une vigueur caractéristique, il repoussa
toutes les preuves grâce auxquelles ce sorcier trompeur cherchait à réfuter
la vérité du message divin et exposa, en se servant de sa logique infaillible,
les erreurs de toutes les doctrines qu'il s'efforçait de proposer. Saisi par
la peur de voir la congrégation de ses disciples se rallier unanimement à la
personne de Mulla Husayn, le sa`idu'l-`ulama' eut recours aux plus méprisables
stratagèmes et donna libre cours au plus abusif des langages, espérant par là
conserver intacte sa position.
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Il hurla ses calomnies à la face de Mulla Husayn et, ignorant avec dédain les
preuves et les témoignages fournis par son adversaire, il se mit à affirmer
avec assurance et sans la moindre justification, la futilité de la cause qu'il
avait été appelé à embrasser. A peine Mulla Husayn avait-il réalisé l'impuissance
totale du théologien à saisir la signification du message qu'il lui avait apporté,
qu'il se leva de son siège et dit: "Mon discours n'a pas réussi à vous tirer
de votre sommeil de négligence. Mes actes aux cours des prochains jours vous
montreront le pouvoir du message que vous avez choisi de dédaigner." Il parla
avec une telle véhémence et une telle émotion que le sa`idu'l`ulama' fut totalement
confondu. Sa consternation fut telle qu'il fut incapable de répondre. Mulla
Husayn se tourna alors vers l'un des auditeurs qui semblait avoir senti l'influence
de ses paroles et le chargea de raconter à Quddus les circonstances de cette
entrevue. "Dites-lui, ajouta-t-il: "Puisque vous ne m'avez pas donné l'ordre
formel de venir vous voir, je me suis décidé à partir immédiatement pour le
Khurasan. Je m'en vais exécuter dans leur entièreté les ordres que vous m'avez
ordonnés d'accomplir."
Seul et d'un coeur détaché de tout sauf de Dieu, Mulla Husayn entreprit son
voyage vers Mashhad. Son unique compagnon sur le chemin du Khurasan fut la pensée
de voir les voeux de Quddus fidèlement réalisés et sa seule subsistance, la
conscience de sa promesse infaillible. Il alla directement chez Mirza Muhammad
Baqir-i-Qa'ini et eut peu après la possibilité d'acheter, dans le voisinage
de la maison de celui-ci à Bala-Khiyiban, une parcelle de terre sur laquelle
il commença à construire la maison que Quddus lui avait ordonné de bâtir, et
à laquelle il donna le nom de Babiyyih, nom qu'elle porte encore de nos jours.
Peu de temps après l'inauguration de cette maison, Quddus arriva à Mashhad et
l'accepta comme résidence. Un flot continu de visiteurs, que l'énergie et le
zèle de Mulla Husayn avaient amenés à la foi, déferla chez Quddus, reconnut
les revendications de la cause et s'engagea volontiers sous sa bannière. La
vigilance dont Mulla Husayn fit preuve dans ses efforts visant à propager la
nouvelle révélation, et la manière magistrale dont Quddus édifia ses adeptes
en nombre toujours croissant, provoquèrent une vague d'enthousiasme qui déferla
sur toute la ville de Mashhad dont les effets s'étendirent rapidement au-delà
des confins du Khurasan. La maison Babiyyih fut peu après transformée en un
centre de réunions pour la foule des dévots qui étaient embrasés par la résolution
inébranlable de démontrer, par tous les moyens en leur pouvoir, les grandes
énergies latentes de leur foi.