La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XXII : le soulèvement de Nayriz

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Aux premiers jours du siège du fort de Tabarsi, Vahid était occupé à propager les enseignements de la cause à Burujird, ainsi que dans la province du Kurdistan. Il avait résolu d'amener à la foi du Bab la majorité des habitants de ces régions, et avait l'intention de se rendre ensuite au Fars pour y poursuivre ses activités. Dès qu'il apprit le départ de Mulla Husayn pour le Mazindaran, il se hâta d'aller vers la capitale et y entreprit les préparatifs nécessaires à son voyage au fort de Tabarsi. Il se préparait à partir lorsque Baha'u'llah revint du Mazindaran et l'informa de l'impossibilité de rejoindre ses frères. Vahid fut fort attristé par cette nouvelle et, en ces jours, trouva son unique consolation dans les visites qu'il rendait fréquemment à Baha'u'llah et dans les avantages qu'il tirait de ses conseils avisés et inestimables. (22.1)

Vahid décida finalement de partir pour Qazvin afin d'y reprendre la tâche à laquelle il s'était engagé. De là, il se rendit à Qum et à Kashan, où il rencontra ses condisciples et put stimuler leur enthousiasme et consolider leurs efforts. Il poursuivit son voyage vers Isfahan, Ardistan et Ardikan; dans chacune de ces villes, il proclama, avec zèle et intrépidité, les enseignements fondamentaux de son Maître et parvint à gagner à la cause un nombre considérable de partisans capables. Il atteignit Yazd juste à temps pour célébrer la fête de Naw-Ruz avec ses frères, qui exprimèrent leur joie de le voir arriver et furent grandement encouragés par sa présence parmi eux. Etant un homme dont l'influence était connue de tous, Vahid possédait, en plus de sa maison de Yazd où s'étaient établis sa femme et ses quatre fils, une maison à Darab, qui avait été la résidence de ses ancêtres, et une autre à Nayriz, qui était superbement meublée.

Vahid arriva à Yazd le premier jour du mois de jamadiyu'l-avval de l'an 1266 après l'hégire (22.2), dont le cinquième jour, anniversaire de la déclaration du Bab, coïncidait avec la fête de Naw-Ruz. Les principaux 'ulamas et notables de cette ville vinrent tous ce jour-là le saluer et lui présenter leurs meilleurs voeux. Navvab-i-Radavi, le plus vil et le plus en vue de ses adversaires, était présent à cette occasion et fit allusion, de façon malveillante, à l'extravagance et à la splendeur de cette réception.

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"Le banquet impérial du shah, l'entendit-on affirmer, peut à peine espérer égaler les somptueux repas que vous avez étalés devant nous. Je suppose qu'en plus de cette fête nationale que nous célébrons aujourd'hui, vous en commémorez une autre encore." La réponse hardie et sarcastique de Vahid provoqua le rire de tous les assistants. Tous applaudirent, étant donné l'avarice et la malveillance du navvab, à l'opportunité de sa remarque. Le navvab, qui n'avait jamais été ridiculisé par un groupe aussi nombreux et aussi distingué, fut piqué au vif par cette réponse. Le feu qui couvait en lui et qui était dirigé contre son adversaire devait se manifester avec une intensité accrue et le pousser à satisfaire sa soif de vengeance.

Vahid saisit l'occasion pour proclamer, avec intrépidité et sans réserve, au cours de cette réunion, les principes fondamentaux de sa foi et démontrer leur validité. La majorité de ceux qui l'entendirent ne connaissait que partiellement les traits distinctifs de la cause et ignorait la pleine portée de celle-ci. Certains d'entre eux furent irrésistiblement attirés et l'embrassèrent avec empressement; les autres,

incapables de défier publiquement ses revendications, la dénoncèrent dans leur coeur et jurèrent de l'exterminer par tous les moyens en leur pouvoir. Son éloquence et son exposé hardi de la Vérité enflammèrent leur hostilité et renforcèrent leur détermination de chercher sans délai à supprimer son influence.

PHOTO: maison de Vahid à Yazd

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Ce même jour vit la coalition de leurs forces contre lui et marqua le début d'un épisode qui était destiné à entraîner dans son sillage tant de souffrances et de détresses. (22.3)

Anéantir la vie de Vahid devint désormais l'objectif principal de leur activité. Ils répandirent la nouvelle selon laquelle, au jour de Naw-Ruz, parmi les dignitaires assemblés de la ville, tant civils qu'ecclésiastiques, Siyyid Yahyay-i-Darabi avait eu l'audace de dévoiler les traits provocateurs de la foi du Bab et avait fourni, pour appuyer ses arguments, des preuves et des signes recueillis à la fois dans le Qur'an et dans les traditions islamiques. "Bien que ses auditeurs, dirent-ils avec insistance, comptassent parmi les plus illustres mujtahids de la ville, aucun d'eux, dans cette assemblée, ne se hasarda à protester contre ses affirmations véhémentes concernant les revendications de sa croyance. Le silence que gardèrent ceux qui l'écoutaient causa une vague d'enthousiasme en sa faveur, enthousiasme qui déferla sur la ville et amena non moins de la moitié de ses habitants à ses pieds, alors que le reste se trouve à présent rapidement attiré par cette doctrine.

Ce rapport se répandit comme une traînée de poudre à travers Yazd et la région environnante. Il suscita d'une part la haine la plus vive et contribua, d'autre part, à accroître considérablement le nombre de ceux qui s'étaient déjà identifiés à cette foi. D'Ardikan et de Manshad, ainsi que des villes et des villages plus éloignés, des foules de personnes, avides d'entendre le nouveau message, affluèrent chez Vahid. "Que devons-nous faire?" lui demandèrent-elles. "De quelle façon nous conseillez-vous de montrer la sincérité de notre foi et l'intensité de notre dévotion?" Du matin au soir, Vahid ne faisait que vaincre leurs perplexités et guider leurs pas dans le sentier du service.

Durant quarante jours, cette activité fébrile persista chez tous les partisans zélés, aussi bien hommes que femmes. La maison de Vahid était devenue le centre de ralliement d'une armée innombrable de dévots, qui souhaitaient démontrer dignement l'esprit de la foi qui avait enflammé leurs âmes. L'agitation qui s'ensuivit fournit au Navvab-i-Radavi un nouveau prétexte pour s'assurer l'appui du gouverneur de la ville, (22.4) qui était jeune et inexpérimenté dans les affaires de l'Etat, dans sa lutte contre son adversaire. Le gouverneur tomba bientôt victime des intrigues et des machinations de ce vil comploteur, qui parvint à le décider à envoyer une force composée d'hommes armés assiéger la maison de Vahid.

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Alors qu'un régiment de l'armée se rendait vers ce lieu, une foule composée des éléments foi les plus abjects de la ville, à l'instigation du navvab, dirigeait ses pas vers ce même endroit, déterminée à intimider les occupants par ses menaces et ses imprécations.

Bien qu'assiégé de tous côtés par des forces hostiles, Vahid continua, de la fenêtre de l'étage supérieur de sa maison, d'animer le zèle de ses partisans et d'expliquer tout ce qui leur semblait encore obscur. A la vue d'un régiment entier, appuyé par une foule en furie, se préparant à les attaquer, ceux-ci dans leur détresse se tournèrent vers Vahid et le prièrent de leur donner des directives. "Cette même épée qui gît devant moi", répondit ce dernier en se tenant assis près de la fenêtre, "m'a été donnée par le Qa'im lui-même. Dieu le sait, si j'avais été autorisé par celui-ci à mener la guerre sainte contre ce peuple, j'aurais, seul et sans aide, anéanti ses forces. J'ai cependant reçu l'ordre de m'abstenir d'un tel acte." "Cette même monture", ajouta-t-il en jetant un regard sur le cheval que son serviteur Hasan avait sellé et amené devant sa maison, "feu Muhammad Shah me la donna pour que je pusse entreprendre la mission qu'il m'avait confiée, et qui consistait à mener une enquête impartiale sur la nature de la foi proclamée par le Siyyid-i-Bab. Il me demanda de lui rapporter en personne les résultats de mes recherches, car j'étais le seul parmi les chefs ecclésiastiques de Tihran, en qui il pouvait placer une confiance absolue. J'entrepris cette mission avec la ferme résolution de détruire les arguments de ce siyyid, de le décider à abandonner ses idées, de l'amener à reconnaître mon rang de chef, et de l'emmener finalement avec moi à Tihran en tant que témoin de mon triomphe à venir. Cependant, lorsque je fus introduit auprès de lui et que j'entendis ses paroles, l'inverse de ce que j'avais imaginé se produisit. Au cours de ma première entrevue avec lui, je fus totalement décontenancé; au terme de la deuxième audience, je me sentis comme un enfant impuissant et ignorant; la troisième me vit aussi humble que la poussière sous ses pieds. Il avait en effet cessé d'être le méprisable siyyid que j'avais imaginé auparavant. Pour moi, il était désormais la manifestation de Dieu Lui-même, la vivante incarnation de l'Esprit divin. Depuis ce jour-là, je n'aspire qu'à offrir ma vie en sacrifice par amour pour lui. Je me réjouis de savoir que le jour que j'ai tant en attendu est imminent."

Voyant l'agitation qui s'était emparée de ses amis, Vahid les exhorta à être calmes, patients, et certains que le Vengeur omnipotent infligerait bientôt, de sa main invisible, une défaite écrasante aux forces qu'on avait déployées contre ses bien-aimés.

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A peine avait-il prononcé ces paroles qu'une nouvelle arriva, selon laquelle un certain Muhammad-'Abdu'llah, que personne n'imaginait être encore en vie, était soudain sorti, en compagnie de certains de ses camarades également disparus, qu'il s'était jeté, en lançant le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman !" (22.5) sur leurs assaillants, et avait dispersé leurs forces. Il avait fait preuve d'un tel courage que le détachement tout entier, abandonnant ses armes, avait cherché refuge, avec le gouverneur, dans le fort de Narin.

PHOTO: vue 1 du fort de Narin, à Yazd

PHOTO: vue 2 du fort de Narin, à Yazd

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Cette nuit-là, Muhammad-'Abdu'llah demanda à être introduit auprès de Vahid. Il l'assura de sa foi en la cause et le mit au courant des plans qu'il avait conçus pour subjuguer l'ennemi. "Bien que votre intervention, répondit Vahid, ait aujourd'hui éloigné de cette maison le danger d'une calamité imprévue, vous devez cependant reconnaître que, jusqu'à présent, notre différend avec le peuple se limitait à un débat centré sur la révélation du Sahibu'z-Zaman. Le navvab sera désormais incité à soulever le peuple contre nous, et prétendra que je me suis levé pour établir ma souveraineté incontestée sur la province tout entière et que j'entends étendre celle-ci à la Perse." Vahid lui conseilla de quitter aussitôt la ville et de s'en remettre aux soins et à la protection du Tout-Puissant. "L'ennemi, lui affirma-t-il, ne pourra nous infliger le moindre mal avant que notre heure soit arrivée."

Muhammad- 'Abdu-llah préféra cependant ignorer l'avis de Vahid. "Ce serait lâche de ma part", l'entendit-on dire au moment où il se retirait, "que d'abandonner mes amis à la merci d'un adversaire meurtrier et excité. Quelle différence y aurait-il alors entre moi et ceux qui abandonnèrent le Siyyidu'sh-Shuhada (22.6) au jour de 1' 'Ashura (22.7) et le laissèrent seul sur la plaine de Karbila? Un Dieu miséricordieux sera, je le crois, indulgent envers moi et me pardonnera mon acte."

Ayant prononcé ces paroles, Muhammad-'Abdu'llah se dirigea vers le fort de Narin, obligea les forces qui s'étaient massées dans son voisinage à chercher un refuge peu glorieux à l'intérieur de ses murs, et réussit à garder le gouverneur prisonnier avec ceux qui étaient assiégés. Il monta lui-même la garde, prêt à intercepter tous les renforts qui pourraient tenter de leur parvenir.

Pendant ce temps, le navvab réussissait à provoquer une insurrection générale à laquelle la masse des habitants devait prendre part. Ceux-ci se préparaient à attaquer la maison de Vahid lorsque ce dernier appela Siyyid 'Abdu'l-'Azim-i-Khu'i, surnommé le Siyyid-i-Khal-Dar, qui avait pris part durant quelques jours à la défense du fort de Tabarsi, et dont la dignité de comportement attirait

l'attention de beaucoup, et lui dit de monter son propre cheval et de lancer publiquement, à travers les rues et les bazars, un appel de sa part à toute la foule pour l'exhorter à embrasser la cause du Sahibu'z-Zaman.

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"Qu'elle sache, ajouta-t-il, que je me défends d'avoir l'intention que l'on me prête de mener la guerre sainte contre elle. Qu'elle soit avertie cependant que, si elle persiste à assiéger ma maison et poursuit ses attaques contre ma personne, au mépris de mon rang et de ma descendance, je serai contraint pour me défendre à la repousser et à la disperser. Si elle décide de rejeter mon conseil et cède aux médisances du rusé navvab, je donnerai l'ordre à sept de mes compagnons de la repousser et d'anéantir ses espoirs."

Siyyid-i-Kha1-Dar enfourcha sa monture et, escorté de quatre de ses frères choisis entre tous, alla à travers le marché lancer, dans un langage majestueux, l'avertissement qu'il était chargé de proclamer. Non satisfait par le message qui lui avait été confié, il osa y ajouter, à sa propre manière inimitable, quelques paroles par lesquelles il essaya d'accroître l'effet qu'avait produit la proclamation. "Gare à vous, gronda-t-il, si vous dédaignez notre appel. Ma haute voix, je vous en avertis, suffira à faire trembler les murs mêmes de votre fort, et la puissance de mon bras sera capable de briser la résistance de ses portes!"

Sa voix de stentor se fit entendre telle une trompette et sema la consternation dans les coeurs de ceux qui l'entendirent. D'une seule voix, la population terrifiée déclara son intention de déposer les épées et de cesser de molester Vahid, dont la descendance, disait-elle, serait désormais reconnue et respectée.

Contraint par le refus massif du peuple de combattre Vahid, le navvab le persuada de diriger son attaque contre Muhammad'Abdu'llah et ses camarades, qui stationnaient dans le voisinage du fort. Le choc de ces forces détermina le gouverneur à sortir de son refuge et à donner l'ordre au détachement assiégé de prêter main forte à ceux qui avaient été recrutés par le navvab. Muhammad-'Abdu'llah avait commencé à disperser la foule qui s'était ruée vers lui lorsqu'il fut soudain assailli par le feu que les troupes ouvraient sur lui par ordre du gouverneur. Une balle l'atteignit au pied et le fit tomber à terre. Certains de ses partisans furent également blessés. Son frère l'emporta en hâte en un lieu sûr et, de là, le transporta, sur sa demande, chez Vahid.

L'ennemi le suivit jusqu'à cette maison, absolument décidé à s'emparer de lui et à le tuer. La clameur de la foule qui s'était massée autour de sa maison obligea Vahid à donner l'ordre à Mulla Muhammad-Riday-i-Manshadi, l'un des 'ulamas les plus éclairés de Manshad, qui s'était débarrassé de son turban et s'était offert comme portier, de faire une sortie et, avec l'aide de six compagnons de son choix, d'éparpiller leurs forces.

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"Que chacun de vous élève la voix, leur commanda-t-il, et répète sept fois les mots "Allah-u-

Akbar" (22.8) et, à la septième invocation, qu'il se lance en avant, au même moment, au milieu des assaillants."

Mulla Muhammad-Rida, que Baha'u'llah avait surnommé Rada'r-Ruh, se leva d'un bond et se mit aussitôt, avec ses compagnons, à exécuter les instructions qu'il avait reçues. Ceux qui l'accompagnèrent, quoique frêles de corps et inexpérimentés dans le maniement de l'épée étaient embrasés par une telle foi qu'ils devinrent la terreur de leurs adversaires. Sept des plus redoutables ennemis périrent ce jour-là, c'est-à-dire le 27 jamadiyu'th-thani. (22.9) "A peine avions-nous mis l'ennemi en déroute, relata Mulla Muhammad-Rida, et nous en retournions-nous chez Vahid, que nous trouvâmes Muhammad-'Abdu'llah gisant blessé devant nous. Il fut emmené chez notre chef, et partagea le repas que l'on servit à ce dernier. Ensuite, il fut transporté vers une cachette où il resta à l'abri jusqu'à sa guérison. Il devait finalement être saisi par l'ennemi et mis à mort."

Cette nuit-là, Vahid ordonna à ses compagnons de se disperser et de faire preuve de la plus grande vigilance pour assurer leur salut. Il conseilla à sa femme de se rendre, avec ses enfants et tous leurs biens, chez son père, et de laisser derrière elle tout ce qui lui appartenait à lui. "Cette somptueuse résidence, lui dit-il, je l'ai construite dans l'unique intention qu'elle soit finalement détruite dans le sentier de la cause, et le mobilier imposant avec lequel je l'ai décorée a été acheté dans l'espoir qu'un jour je pourrai le sacrifier pour l'amour de mon Bien-Aimé. Alors, ami comme ennemi réaliseront que celui à qui appartenait cette maison était doté d'un héritage si grand et si inestimable, qu'une résidence terrestre aussi somptueuse qu'elle fût et pourvue d'un mobilier aussi magnifique, n'avait aucune valeur à ses yeux; qu'elle s'était réduite en un tas d'ossements qui ne pouvait

attirer que les chiens de la terre. Si seulement une preuve aussi irréfutable de l'esprit de renoncement pouvait ouvrir les yeux à ce peuple pervers et susciter en lui le désir de suivre le sentier de celui qui a manifesté cet esprit!"

Vers le milieu de cette même nuit, Vahid se leva, rassembla les Écrits du Bab qu'il avait en sa possession, ainsi que les copies de tous les traités qu'il avait lui-même rédigés, les confia à son serviteur Hasan et lui ordonna de les porter en un lieu situé hors de la porte de la ville, à la bifurcation de la route de Mihriz. Il lui dit aussi d'y attendre son arrivée et l'avertit que, s'il négligeait ses instructions, il ne pourrait plus jamais le revoir.

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A peine Hasan avait-il enfourché sa monture et se préparait-il à partir, que les cris des sentinelles qui surveillaient l'entrée du fort parvinrent à ses oreilles. Craignant qu'elles ne le capturassent et ne se saisissent des précieux manuscrits qu'il avait en sa possession, il décida de suivre une route différente de celle que son maître lui avait ordonné de prendre. Au moment où il passait derrière le fort, les sentinelles le reconnurent, abattirent son cheval et s'emparèrent du cavalier.

Pendant ce temps, Vahid se préparait à quitter Yazd. Laissant ses deux fils, Siyyid Isma'il et Siyyid 'Ali-Muhammad, aux soins de leur mère, il partit, accompagné de ses deux autres fils, Siyyid Ahmad et Siyyid Mihdi, ainsi qu'avec deux de ses compagnons résidant à Yazd, qui lui avaient demandé l'autorisation de l'accompagner dans son voyage. Le premier Ghulàm-Rida, était un homme d'un courage exceptionnel alors que le second, Ghulam-Riday-i-Kuchik s'était distingué dans l'art de tirer. Vahid choisit la même route qu'il avait conseillée à son serviteur, arriva sain et sauf à l'endroit fixé et fut surpris de ne pas y trouver Hasan. Il comprit aussitôt que celui-ci avait négligé ses directives et avait été capturé par l'ennemi. Il déplora le sort de son serviteur et se souvint de l'initiative de Muhammad'Abdu'llah, qui avait également agi contre sa volonté et, en conséquence, avait été blessé. Ils apprirent ultérieurement qu'au matin de ce jour-là, Hasan avait été projeté de la gueule d'un canon (22.10) et qu'un certain Mirza Hasan, qui avait été l'imam de l'un des quartiers de Yazd et qui était bien connu pour sa piété, avait également été capturé une heure plus tard et avait subi le même sort que son camarade.

Le départ de Vahid de Yazd incita l'ennemi à déployer de nouveaux efforts. Il se rua sur la maison de celui-ci, pilla ses biens, et la démolit complètement. (22.11) Vahid lui-même se dirigeait, pendant ce temps, vers Nayriz. Quoique peu habitué à marcher, il couvrit cette nuit-là sept farsangs (22.12) alors que ses fils étaient, sur une partie du trajet, portés par ses deux compagnons. Au cours de la journée suivante, il se cacha dans les vallées d'une montagne avoisinante. Dès que son frère, qui résidait dans les parages et nourrissait une profonde affection pour lui, apprit son arrivée, il envoya en secret les provisions dont Vahid pourrait avoir besoin. Ce même jour, un détachement de la suite montée du gouverneur, qui était parti à la poursuite de Vahid, arriva dans ce village, se rendit à la maison de son frère où il supposait le trouver caché et s'empara d'une grande partie de ses biens. Incapable de le retrouver, le détachement repartit alors pour Yazd.

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Vahid, pendant ce temps, poursuivait son chemin à travers les montagnes et arrivait au district de Bavanit-i-Fars. La plupart des habitants de ce village, qui étaient de ses fervents admirateurs, embrassèrent volontiers la cause; parmi, eux se trouvait le célèbre Haji Siyyid Isma'il, le shaykhu'l-islam de Bavanat. Un nombre considérable des habitants de ce lieu l'accompagnèrent jusqu'au village de Fasa, dont la population refusa de répondre au message qu'il lui apportait.

Tout au long de sa route, partout où il séjournait, la première pensée de Vahid était, dès sa descente de cheval, de chercher la mosquée avoisinante, où il appelait le peuple à l'entendre annoncer la nouvelle du jour nouveau. Totalement oublieux des fatigues de son voyage, il montait rapidement à la chaire et proclamait avec hardiesse, devant l'assistance, le caractère de la foi qu'il avait décidé de défendre. Il passait une seule nuit en cet endroit dans le cas où il réussissait à gagner à la cause des âmes auxquelles il pouvait confier la tâche de la propager après son départ. Autrement, il reprenait aussitôt sa marche et refusait de rester plus longtemps en leur compagnie. "A travers quelque village où je passe, disait-il souvent, et où je ne hume pas chez ses habitants la fragrance de la croyance, sa nourriture et sa boisson me répugnent."

En arrivant au village de Runiz dans le district de Fasa, Vahid décida d'y passer quelques jours. Ces coeurs qu'il trouva réceptifs à son appel, il s'efforça de les attirer et de les enflammer par le feu de l'amour de Dieu. Dès que la nouvelle de son arrivée parvint à Nayriz, toute la population du quartier de Chinar-Sukhtih se hâta d'aller à sa rencontre. Des gens d'autres quartiers aussi, poussés par

leur amour et leur admiration envers lui, décidèrent de se joindre aux premiers. Craignant que Zaynu'l-'Abidin Khan le gouverneur de Nayriz, ne leur refusât la permission d'aller voir Vahid, la plupart d'entre eux partirent de nuit. Du quartier de Chinar-Sukhtih seul, plus d'une centaine d'étudiants, précédés de leur chef Haji Shaykh 'Abdu'l-'Ali, le beau-père de Vahid et juge de haut rang bien connu dans tout le district, se joignirent à quelques notables parmi les plus

éminents de Nayriz pour accueillir le visiteur attendu, lors de son arrivée dans leur ville. Parmi ceux-ci se trouvaient Mulla 'Abdu'l-Husayn, vénérable vieillard de quatre-vingts ans, qui était fort estimé pour sa piété et son savoir;

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Mulla Baqir qui était l'Imam du quartier de Chinar-Sukhtih; Mirza Husayn-i-Qutb, le kad-khuda (22.13) du quartier du Bazar, suivi de tous ses parents; Mirza Abu'l-Qasim, un parent du gouverneur; Haji Muhammad-Taqi-qui a été cité par Baha'u'llah dans le "Suriy-i-Ayyub"-accompagné de son gendre; Mirza Nawrà et Mirza 'Ali-Rida, tous deux du quartier de Sadat. (22.14)

Toutes ces personnes, certaines de jour, d'autres de nuit, allèrent jusqu'au village de Runiz afin d'y exprimer leur bienvenue au visiteur et de l'assurer de leur immuable dévouement. Bien que le Bab eut révélé une Tablette générale adressée spécialement à ceux qui venaient d'embrasser sa cause à Nayriz, ses destinataires, cependant, n'en comprirent ni la signification ni les principes fondamentaux. Elle fut remise à Vahid qui devait les éclairer quant à sa véritable portée et leur exposer ses traits distinctifs.

A peine Zaynu'l-'Abidin Khan fut-il informé de l'exode considérable qui s'était produit à l'occasion de l'arrivée de Vahid, qu'il envoya un messager spécial pour rattraper et informer ceux qui étaient déjà partis, de sa détermination d'ôter la vie, de capturer les femmes et de confisquer les biens de quiconque persistait à prêter serment de fidélité à Vahid. Aucun de ceux qui étaient partis ne tint compte de cet avertissement; au contraire, tous s'attachèrent plus passionnément encore à leur chef. Leur détermination inébranlable et leur dédain du messager du gouverneur remplirent ce dernier de consternation. Craignant qu'ils ne se soulevassent contre lui, il décida de transférer sa résidence au village de Qutrih, où se trouvait sa maison natale, et qui était situé à une distance de huit farsangs (22.15) de Nayriz. Il choisit ce village car, à proximité, se dressait une forteresse massive qui pouvait lui servir de refuge en cas de danger. Il était, en outre, assure que ses habitants étaient des tireurs d'élite et qu'il pouvait compter sur eux pour le défendre à tout moment.

Vahid, pendant ce temps, avait quitté Runiz pour le tombeau de Pir-Murad, qui se trouvait en dehors du village d'Istahbanat. Malgré l'interdiction d'y accéder, prononcée par les 'ulamas de ce village, au moins vingt de ses habitants sortirent pour souhaiter la bienvenue à Vahid et l'accompagner jusqu'à Nayriz. Lorsqu'ils arrivèrent dans cette ville, dans la matinée du 15 rajab, (22.16) la première chose que fit Vahid dans son quartier natal de Chinar-Sukhtih, avant même d'aller chez lui, fut d'entrer dans le masjid et d'inviter les fidèles qui s'y étaient réunis à reconnaître et à embrasser le message du Bab. Impatient de voir la multitude qui l'attendait, et encore habillé de ses vêtements chargés de poussière, il monta à la chaire et parla avec une éloquence si persuasive que tout l'auditoire fut comme électrisé par son appel. (22.17)

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Pas moins de mille personnes, toutes natives du quartier de Chinar-Sukhtih, et cinq cents autres de divers autres quartiers de Nayriz, qui avaient toutes envahi le bâtiment, répondirent spontanément à son appel. "Nous avons entendu et nous obéissons!" s'écria, avec un enthousiasme effréné, la foule joyeuse tout en s'avançant vers lui pour l'assurer de son hommage et de sa gratitude. Les auditeurs furent si charmés par cette allocution passionnée que l'on vit pour la première fois une telle conversion à Nayriz.

"Mon unique but en venant à Nayriz", poursuivit Vahid en s'expliquant auprès de son auditoire, dès que le premier accès d'excitation fut passé, "est de proclamer la cause de Dieu. Je le remercie

et le glorifie de m'avoir permis de toucher vos coeurs par son message. Il est inutile que je séjourne plus longtemps parmi vous car, d si je prolonge mon séjour, je crains que le gouverneur ne vous mal-traite à cause de moi. Il pourrait faire venir des renforts de Shiraz, détruire vos maisons et vous faire subir d'indicibles outrages." "Nous sommes prêts et résignés à la volonté de Dieu", répondirent unanimement les fidèles. "Que Dieu daigne nous accorder sa grâce pour que nous résistions aux calamités qui peuvent encore nous frapper. Nous ne pouvons, cependant, nous résoudre à être aussi brusquement et hâtivement séparés de vous."

PHOTO: panorama de Nayriz

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À peine ces paroles furent-elles prononcées qu'hommes et femmes joignirent leurs mains pour porter Vahid en triomphe chez lui. Emportés par l'excitation et exultant de joie, ils se pressèrent autour de lui et, avec applaudissements et acclamations, l'escortèrent jusqu'à l'entrée même de sa maison.

Les quelques jours que Vahid consentit à demeurer à Nayriz furent passés en grande partie dans le masjid où il continua, avec son éloquence habituelle et sans la moindre réserve, à exposer les enseignements fondamentaux qu'il avait reçus de son maître. Chaque jour voyait s'accroître le nombre de ses auditeurs et, partout, les preuves de sa merveilleuse influence devenaient de plus en plus manifestes.

La fascination qu'il exerçait sur les gens ne pouvait manquer de rendre furieuse l'hostilité latente de Zaynu'l-'Abidin Khan. Il décida de recourir à la force et donna l'ordre de lever une armée dans le but juré de déraciner une cause qui, sentait-il, était en train de miner rapidement sa propre position. Il parvint bientôt à recruter environ un millier d'hommes, comprenant aussi bien de la cavalerie que de l'infanterie, tous bien entraînés dans l'art de la guerre et équipés d'une ample réserve de munitions. Son plan était de capturer Vahid grâce à une attaque surprise.

Dès que Vahid fut informé des intentions du gouverneur, il donna l'ordre à vingt de ses compagnons, qui avaient quitté Istahbanat pour lui souhaiter la bienvenue et l'avaient accompagné jusqu'à Nayriz, d'occuper le fort de Khajih, qui se trouvait dans le voisinage du quartier de Chinar-Sukhtih.

PHOTO: maison de Vahid à Nayriz

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Il désigna Shaykh Hadi, fils de Shaykh Muhsin, comme chef du groupe, et pressa ses adeptes qui habitaient dans ce quartier de fortifier les portes, les tourelles et les murs de cette forteresse.

Le gouverneur avait pendant ce temps transféré son siège à sa maison du quartier du Bazar. La troupe qu'il avait levée l'accompagna et occupa le fort situé à proximité de ce quartier. Ses tours et ses murs, qu'il commença à fortifier, dominaient la ville tout entière. Après avoir obligé Siyyid Abu-Talib, le kad-khudà (22.18) de ce quartier et l'un des compagnons de Vahid, à évacuer sa maison, il fortifia le toit de celle-ci, y plaça quelques-uns de ses hommes sous le commandement de Muhammad'Ali Khan, et donna l'ordre d'ouvrir le feu sur son adversaire.

PHOTO: pièce du fort occupée par Vahid

PHOTO: le fort de Khajih

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La première victime fut ce même Mulla 'Abdu'l-Husayn qui, en dépit de son âge avancé, était sorti pour accueillir Vahid. Il faisait sa prière sur le toit de sa maison lorsqu'une balle le frappa au pied droit, le faisant abondamment saigner. Ce coup cruel suscita la sympathie de Vahid, qui se hâta d'exprimer, dans un message écrit à la victime, son chagrin devant la blessure qu'il avait reçue, et de le consoler par la pensée qu'il était, à ce stade avancé de sa vie, le premier à avoir été choisi pour victime dans le sentier de la cause.

La soudaineté de l'attaque jeta la consternation parmi un certain nombre des compagnons qui avaient en toute hâte embrassé le message et n'avaient pu en apprécier la pleine signification. Leur foi fut si sérieusement ébranlée que quelques-uns, au coeur de la nuit, se séparèrent de leurs compagnons pour aller prêter main forte à l'ennemi. Dès que Vahid apprit leurs agissements, il se leva à l'aube, monta à cheval et, en compagnie de certains de ses partisans, sortit de la ville pour se rendre au fort de Khajih, où il établit sa demeure.

Son arrivée marqua le début d'une nouvelle attaque dirigée contre lui. Zaynu'l-'Abidin Khan envoya aussitôt son frère aîné, 'Ali-Asghar Khan accompagné d'un millier d'hommes, tous armés et bien entraînés, assiéger ce fort dans lequel soixante-douze des compagnons s'étaient déjà réfugiés. Au lever du soleil, quelques-uns d'entre eux, agissant suivant les instructions de Vahid, firent une sortie et, avec une rapidité extraordinaire, forcèrent les assiégeants à se disperser.

Seuls trois des compagnons trouvèrent la mort au cours de cet engagement. Le premier fut Taju'd-Din, un homme renommé pour son intrépidité et dont le métier consistait à fabriquer des kulahs (22.19) en laine; le deuxième, qui s'appelait Zaynil, était le fils d'Iskandar, agriculteur de profession; le troisième, enfin, était Mirza Abu'l-Qasim, homme de grand mérite.

Cette déroute complète et soudaine souleva les appréhensions du prince Firuz Mirza, le Nusratu'd-Dawlih, gouverneur de Shiraz, qui donna l'ordre d'exterminer promptement les occupants du fort. Zaynu'l-'Abidin Khan envoya l'un des assistants du prince auprès de Vahid pour le prier de partir de Nayriz puisque leurs relations étaient tendues; il espérait ainsi pouvoir bientôt étouffer l'agitation qui avait été soulevée. "Dites-lui, fut la réponse de Vahid, que mes deux enfants et leurs deux serviteurs constituent toute ma suite.

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Si ma présence dans cette ville cause des troubles, je suis prêt à partir. Pourquoi, au lieu de nous réserver l'accueil qui convient à un descendant du Prophète, nous a-t-il privé d'eau et a-t-il incité ses hommes à nous assiéger et à nous attaquer? S'il persiste à nous refuser les nécessités de la vie, je l'avertis que sept de mes compagnons, qu'il considère comme les plus méprisables des hommes, infligeront à ses forces réunies une défaite humiliante."

Voyant que Zaynu'l-'Abidin Khan ignorait son avertissement, Vahid donna l'ordre à ses compagnons de sortir du fort et de châtier les assaillants. Avec un courage et une confiance admirables, ils réussirent, malgré leur extrême jeunesse et leur manque d'expérience dans

l'usage des armes, à démoraliser une armée organisée et entraînée. 'Ali-Asghar Khan lui-même périt, et deux de ses fils furent faits prisonniers. Zaynu'l-'Abidin Khan se retira honteusement, avec ce

qui restait encore de ses forces éparpillées, dans le village de Qutrih, mit le prince au courant de la gravité de la situation et le pria d'envoyer immédiatement des renforts, soulignant en particulier les besoins en artillerie lourde et le fait qu'un important détachement d'infanterie et de cavalerie était indispensable.

Vahid, de son côté, constatant que l'ennemi était décidé à les exterminer, donna l'ordre de renforcer les défenses du fort, de construire une citerne pour l'eau à l'intérieur des murs et de dresser, à l'extérieur des portes, les tentes qu'ils avaient apportées avec eux. Ce jour-là, quelques-uns des compagnons se virent confier des fonctions et des tâches particulières. Karbila'i Mirza Muhammad devint le portier du fort; Shaykh Yusuf, le trésorier; Karbila'i Muhammad, fils de Shamsu'd-Din, le super intendant des jardins contigus au fort et à ses barricades; Mirza Ahmad, l'oncle d' 'Aliy-i-Sardar, fut désigné comme officier chargé de la tour du moulin connu sous le nom de Chinar et situé dans le voisinage du fort; Shaykhay-i-Shivih-Kash, comme bourreau; Mirza Muhammad-Ja'far, cousin de Zaynu'l-'Abidin Khan, comme chroniqueur; Mirza Fadlu'llah fut chargé de lire ces chroniques; Mashhadi Taqi-Baqqal devint geôlier, Haji Muhammad-Taqi greffier et Ghulam-Riday-i-Yazdi, capitaine des troupes. En plus des soixante-douze compagnons qui étaient avec lui à l'intérieur du fort et qui l'avaient accompagné d'Istahbanat à Nayriz, Vahid fut amené, à la demande instante de Siyyid Ja'far-i-Yazdi, théologien bien connu, et de Shaykh 'Abdu'l-'Ali, le beau-père de Vahid, à admettre au fort un certain nombre de résidents du quartier du Bazar ainsi que plusieurs de ses propres parents.

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Zaynu'l-'Abidin Khan renouvela son appel au prince et joignit cette fois à sa pétition, qui exigeait des renforts urgents et adéquats, la somme de cinq mille tumans (22.20) a titre de cadeau personnel au prince. Il confia sa lettre à l'un de ses amis intimes, Mulla Baqir, lui donna la permission de monter son propre cheval, et le chargea de remettre son message au prince en personne. Il avait choisi cet homme pour son intrépidité, sa grande facilité d'élocution et son tact. Mulla Baqir prit une route peu fréquentée et, après un jour de voyage, atteignit le lieu dit Hudashtak, à proximité d'un fort autour duquel les tribus nomades de la région dressaient parfois leurs tentes.

Mulla Baqir descendit de cheval près de l'une de ces tentes et, alors qu'il parlait à ses occupants, Haji Siyyid Isma'il, le shaykhu'l-islam de Bavanat, arriva. Il avait obtenu la permission de Vahid de se rendre dans son village natal pour régler une affaire urgente et de retourner aussitôt à Nayriz. Après son déjeuner, il vit qu'un cheval richement caparaçonné était attaché aux cordes de l'une des tentes avoisinantes. Ayant appris qu'il appartenait à un des amis de Zaynu'l-'Abidin Khan qui était arrivé de Nayriz et faisait route vers Shiraz, Haji Siyyid Isma'il, qui avait un courage exceptionnel, alla aussitôt vers cette tente, monta le cheval et, dégainant son épée, adressa avec dureté les paroles suivantes au propriétaire de la tente avec qui Mulla Baqir conversait encore: "Arrête ce scélérat qui a fui devant le visage du Sahibu'z-Zaman. (22.21) Attache-lui les mains et livre-le moi !" Effrayé par les paroles et le comportement de Haji Mulla Isma'il, les occupants de la tente obéirent aussitôt. Ils lièrent les mains de Mulla Baqir et remirent la corde au moyen de laquelle ils l'avaient lié à Ijaji Siyyid Isma'il, qui éperonna sa monture, fonça en direction de Nayriz et obligea son prisonnier à le suivre. A une distance de deux farsangs de cette ville, il atteignit le village de Rastaq et remit son captif aux mains du kad-khuda de ce village, qui s'appelait Haji Akbar, le priant de le conduire auprès de Vahid. Lorsque l'homme fut amené devant Vahid, ce dernier l'interrogea sur le but de son voyage à Shiraz, et le prisonnier apporta une réponse franche et détaillée. Bien que Vahid fût prêt à pardonner à Mulla Baqir, celui-ci fut finalement, à cause de son attitude envers Vahid, exécuté par les compagnons.

Zaynu'l-'Abidin Khan loin de faiblir dans sa détermination de solliciter l'aide de Shiraz dont il avait besoin, fit cette fois appel au prince avec une véhémence accrue, le priant de redoubler ses efforts en vue d'exterminer ce qu'il considérait comme la plus grave menace à la sécurité de sa province.

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Point satisfait par cette supplication, il envoya à Shiraz quelques-uns de ses hommes les plus sûrs, à qui il remit de nombreux présents pour le prince, espérant ainsi le décider à agir promptement. Dans un effort supplémentaire pour faire aboutir ses tentatives, il adressa plusieurs appels aux principaux 'ulamas et siyyids de Shiraz, appels dans lesquels il dénaturait manifestement les intentions de Vahid, s'étendait sur ses activités subversives et les priait d'intercéder auprès du prince et de le supplier d'accélérer l'envoi de renforts.

Le prince accéda volontiers à leur requête. Il donna l'ordre à'Abdu'llah Khan, le Shuja'u'l-Mulk, de se rendre aussitôt à Nayriz, accompagné des régiments Hamadani et Silakhuri, à la tête desquels se trouvaient plusieurs officiers et qui étaient dotés d'une artillerie suffisante. Il ordonna en outre à son représentant à Nayriz de recruter tous les hommes physiquement aptes du district environnant, y compris les villages d'Istahbanat, d'Iraj, de Panj-Ma'adin, de Qutrih, de Bashnih, de Dih-Chah, de Mushkan et de Rastaq. A cela, il ajouta les membres de la tribu connue sous le nom de Visbaklariyyih, à laquelle il donna l'ordre de rejoindre l'armée de Zaynu '1- 'Abidin Khan.

Une armée innombrable encercla soudain le fort dans lequel Vahid et ses compagnons étaient assiégés, et commença à creuser des tranchées tout autour et à dresser des barricades le long de ces tranchées. (22.22) Dès que le travail fut achevé, elle ouvrit le feu sur les occupants du fort. Un boulet frappa le cheval sur lequel se tenait l'un des assistants de Vahid, alors qu'il surveillait la porte. Un autre suivit aussitôt le premier et pénétra la tourelle qui se trouvait au-dessus de cette porte. Au cours de ce bombardement, l'un des compagnons, visant de son fusil l'officier en chef de l'artillerie, le tua instantanément, après quoi le grondement du canon cessa. Les assaillants se retirèrent et se cachèrent dans leurs tranchées. Cette nuit-là, ni les assiégés ni ceux qui les attaquaient n'osèrent sortir de leurs abris.

La deuxième nuit, cependant, Valild appela Ghulam-Riday-iYazdi et lui ordonna de faire une sortie en compagnie de quatorze de ses camarades, afin de repousser l'ennemi. Ceux qui furent appelés à accomplir cette tâche étaient pour la plupart des hommes d'un âge avancé, que personne n'aurait crus capables de supporter la violence d'un tel combat. Parmi eux se trouvait un cordonnier qui, bien qu'âgé de plus de quatre-vingt-dix ans, montra un enthousiasme et une vigueur tels qu'aucun jeune homme ne pourrait espérer le surpasser.

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Les treize autres étaient des hommes simples peu entraînés jusqu'alors à faire face aux périls et à endurer le rude effort qu'impliquait une telle sortie. L'âge, cependant, importait peu à ces héros qu'une volonté indomptable et une confiance immuable en la haute destinée de leur cause avaient complètement transformés. Leur chef leur ordonna de se séparer immédiatement après leur départ du fort et, lançant simultanément le cri d" 'Allah-u-Akbar !" (22.23) de se ruer sur l'ennemi.

A peine le signal avait-il été donné qu'ils se levèrent et, se précipitant sur leurs montures et leurs fusils, franchirent la porte du fort. Point découragés par le feu qui jaillissait de la gueule des canons et par les boulets qui pleuvaient autour d'eux, ils plongèrent, tête baissée, au milieu de leurs adversaires. Cet engagement soudain ne dura pas moins de huit heures, durant lesquelles ce groupe intrépide fit preuve d'une telle habileté et d'une telle bravoure que les vétérans dans les rangs de l'ennemi en furent stupéfaits. De la ville de Nayriz, ainsi que des fortifications environnantes, les renforts se précipitèrent pour venir en aide à la petite compagnie qui avait si vaillamment tenu tête aux forces combinées de toute une armée. Comme le champ de bataille s'étendait, l'on entendit de tous côtés les voix des femmes de Nayriz, qui s'étaient ruées sur le toit de leur maison, acclamant l'héroïsme dont faisaient preuve, avec tant d'éclat, les combattants. Ces cris d'encouragement s'ajoutaient au bruit des canons, et les cris d' "Allah-u-Akbar!" que lançaient les compagnons au milieu du tumulte, dans une frénésie d'excitation, ne firent qu'augmenter. Le vacarme causé par les femmes, leur surprenante audace et leur confiance démoralisèrent totalement leurs adversaires et paralysèrent leurs efforts. Le camp de l'ennemi apparut bientôt désolé et abandonné; il n'offrait plus qu'un triste spectacle lorsque les vainqueurs revinrent sur leurs pas pour rentrer au fort. Ils emportèrent avec eux, en plus de ceux qui étaient gravement blessés, pas moins de soixante morts parmi lesquels se trouvaient:

1. Ghulam-Riday-i-Yazdi (à ne pas confondre avec le capitaine des troupes qui portait le même nom),

2. Le frère de Ghulam-Riday-i-Yazdi,

3. 'Ali, fils de Khayru'llah,

4. Khajih Husayn-i-Qannad, fils de Khajih Ghani,

5. Asghar fils de Mulla Mihdi,

6. Karbila'i 'Abdu'l-Karim,

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7. Husayn, fils de Mashhadi Muhammad,

8. Zaynu'l-'Abidin, fils de Mashhadi Baqir-i-Sabbagh,

9. Mulla Ja'far-i-Mudhahhib,

10. 'Abdu'llah, fils de Mulla Musa,

11. Muhammad, fils de Mashhadi Rajab-i-Haddad,

12. Karbila'i Hasan, fils de Karbila'i Shamsu'd-Din-i-Maliki-Duz,

13. Karbila'i Mirza Muhammad-i-Zari',

14. Karbila'i Baqir-i-Kafsh-Duz,

15. Mirza Ahmad, fils de Mirza Husayn-i-Kashi-Saz,

16. Mulla Hasan, fils de Mulla 'Abdu'llah,

17. Mashhadi Haji Muhammad,

18. Abu-Talib, fils de Mir Ahmad-i-Nukhud-Biriz,

19. Akbar, fils de Muhammad-i-'Ashur,

20. Taqiy-i-Yazdi,

21. Mulla 'Ali, fils de Mulla Ja'far,

22. Karbila'i Mirza Husayn,

23. Husayn Khan, fils de Sharif

24. Karbila'i Qurban,

25. Khajih Kazim, fils de Khajih 'Ali,

26. Aqa, fils de Haji 'Ali,

27. Mirza Nawra, fils de Mirza Mu 'ina.


Une défaite aussi complète persuada Zaynu'l-'Abidin Khan et son état-major de la futilité de leurs efforts qui tendaient à obliger leurs adversaires à se soumettre lors d'un combat ouvert. (22.24) Comme dans le cas de l'armée du prince Mihdi-Quli Mirza, qui avait vainement tenté de vaincre loyalement ses adversaires sur le champ de bataille, la tromperie et la fraude se montrèrent finalement les uniques armes au moyen desquelles un peuple couard pouvait triompher d'un ennemi invincible. Par les artifices auxquels Zaynu'l-'Abidin Khan et son état-major eurent finalement recours, l'ennemi trahit son impuissance, malgré les grands moyens mis à sa disposition et le soutien moral que lui apportaient le gouverneur du Fars et les habitants de toute la province, à vaincre ce qui ne constituait apparemment qu'une poignée de personnes méprisables et sans entraînement. Dans leur coeur, ils étaient convaincus que, derrière les murs de ce fort, se trouvait enfermé un groupe de volontaires qu'aucune force à leurs ordres ne pouvait affronter ni défaire.

En lançant le cri de paix, l'adversaire ne cherchait qu'à tromper, par fourberie, ces coeurs nobles et purs. Durant quelques jours, il suspendit toute forme d'hostilité, puis il adressa aux assiégés un appel solennel et écrit dans lequel il disait en substance:

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"Jusqu'ici, étant donné que nous ignorions le vrai caractère de votre foi, nous nous sommes laissés convaincre par les fauteurs de troubles que chacun d'entre vous avait violé les préceptes sacrés de l'islam. C'est pour cela que nous nous sommes levés contre vous et que nous nous sommes efforcés d'exterminer votre foi. Durant ces derniers jours, nous nous sommes aperçus que vos activités ne comportent aucun motif politique, qu'aucun de vous ne nourrit l'espoir de renverser les fondements de l'Etat. Nous avons été convaincus également du fait que vos enseignements ne comportent aucune grave déviation des enseignements fondamentaux de l'islam. Tout ce que vous semblez soutenir est l'affirmation qu'un homme est apparu, quelqu'un dont les paroles sont inspirées, dont le témoignage est sûr, et que tous les adeptes de l'islam doivent reconnaître et défendre. Nous ne pouvons, en aucune façon, être convaincus de la validité de cette revendication, à moins que vous ne consentiez à placer la plus grande confiance en notre sincérité et à accepter notre demande de permettre à quelques-uns de vos représentants de sortir du fort et de nous rencontrer dans ce camp où nous pourrions, en l'espace de quelques jours, vérifier le caractère de votre croyance. Si vous vous montrez capables de démontrer les véritables revendications de votre foi, nous aussi, nous embrasserons volontiers celle-ci, car nous ne sommes pas les ennemis de la vérité et aucun d'entre nous ne désire la rejeter. Votre chef, nous l'avons toujours reconnu comme l'un des défenseurs les plus capables de l'islam, et nous le considérons comme notre guide et notre exemple. Ce Qur'an, sur lequel nous apposons nos sceaux, est le témoignage de l'intégrité de notre but. Que ce Livre sacré décide si la revendication que vous avancez est vraie ou fausse. Que la malédiction de Dieu et de son Prophète nous frappe si nous essayons de vous tromper. Votre acceptation de l'invitation que nous vous adressons sauvera toute une armée de la destruction, alors que votre refus la livrera au doute et à l'indécision. Nous donnons notre parole que, dès que nous serons convaincus de l'authenticité de votre message, nous nous efforcerons de montrer le même zèle et le même dévouement que vous avez déjà manifestés d'une manière si frappante. Vos amis seront nos amis et vos ennemis, nos ennemis. Nous nous engageons à obéir à tout ce qu'ordonnera votre chef. D'autre part, si nous ne sommes pas convaincus de la véracité de votre revendication, nous promettons solennellement que nous n'empêcherons en aucun cas votre retour sain et sauf au fort, et reprendrons volontiers notre combat contre vous.

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Nous vous supplions de ne plus laisser le sang se répandre avant de tenter d'établir la vérité de votre cause."

Vahid reçut le Qur'an avec un grand respect et le baisa pieusement. "Notre heure fixée a sonné, observa-t-il. Notre acceptation de l'invitation leur fera certainement comprendre la bassesse de leur tromperie." "Bien que je sois parfaitement au courant de leurs desseins", ajouta-t-il en se tournant vers ses compagnons, "je considère de mon devoir d'accepter leur appel et de saisir l'occasion de tenter une nouvelle fois d'exposer les vérités de ma foi bien-aimée." Il leur dit de continuer à accomplir leur tâche et de ne placer nulle confiance en ce que leurs adversaires pourraient déclarer croire. Il les exhorta en outre à suspendre toute forme d'hostilité jusqu'à nouvel ordre.

Là-dessus, il dit adieu à ses compagnons et, accompagné de cinq assistants parmi lesquels se trouvaient Mulla 'Aliy-i-Mudhahhib et le traître Haji Siyyid 'Abid, partit pour le camp de l'ennemi. Zaynu'l'Àbidin Khan, suivi de Shuja'u'l-Mulk et de tous les membres de son état-major, sortit pour l'accueillir. Vahid fut reçu avec cérémonie; il fut conduit sous une tente qu'on avait spécialement dressée à son intention, et on l'introduisit auprès du reste de la compagnie. Il s'assit sur une chaise alors que le reste du groupe, à l'exception de Zaynu'l-'Abidin Khan, de Shuja'u'l-Mulk et d'un autre officier, auxquels il fit signe de s'asseoir, resta debout devant lui. Les paroles que Vahid leur adressa furent telles que même un homme au coeur de pierre n'aurait pu manquer d'en ressentir le pouvoir. Baha'u'llah, dans le "Suriy-i-Sabr", a immortalisé ce noble appel et en a révélé, dans sa plénitude, la signification. "Je suis venu à vous, déclara Vahid, armé du témoignage que mon Seigneur m'a confié. Ne suis-je pas un descendant du Prophète de Dieu? Pourquoi vous êtes-vous levés pour me tuer? Pour quels motifs avez-vous prononce ma sentence de mort et refusé de reconnaître les droits incontestés que m'a conférés ma descendance?"

La majesté de son comportement, associée à son éloquence persuasive, confondit ses auditeurs. Durant trois jours et trois nuits, ils le servirent avec prodigalité et le traitèrent avec un respect marqué. Ils le suivirent avec constance dans leurs prières en commun et écoutèrent attentivement ses sermons. Bien qu'apparemment ils parussent se conformer à sa volonté, ils complotaient cependant en secret contre sa vie et conspiraient pour exterminer le reste de ses compagnons.

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Ils savaient parfaitement que, s'ils lui infligeaient le moindre mal alors que ses compagnons restaient retranchés derrière les murs de leur fort, ils s'exposeraient à un péril encore plus grand que celui qu'ils avaient déjà été obligés d'affronter. Ils tressaillaient en pensant à la furie et à la vengeance de leurs femmes, aussi bien qu'à la bravoure et à l'habileté de leurs hommes. Ils réalisaient que toutes les ressources de l'armée avaient été impuissantes à vaincre une poignée d'adolescents et de vieillards décrépits. Seul un stratagème hardi et bien conçu pouvait leur assurer la victoire finale. La peur qui envahit leurs coeurs était en grande partie inspirée par les paroles de Zaynu'l-'Abidin Khan qui, avec une détermination inébranlable, cherchait à maintenir intacte la haine dont il leur avait enflammé le coeur. Les exhortations répétées de Vahid avaient soulevé les appréhensions de ce dernier; il avait peur en effet que celui-ci ne réussît, par la magie de ses paroles, à les inciter à obéir désormais à un adversaire aussi éloquent.

Zaynu'l-'Abidin Khan et ses amis décidèrent finalement de demander à Vahid d'adresser, de sa propre main, un message à ses compagnons qui se trouvaient encore dans le fort, les informant qu'un arrangement à l'amiable de leurs différends avait été conclu, et les priant de le rejoindre au quartier général de l'armée, ou de retourner chez eux. Bien que peu disposé à donner son consentement à une telle requête, Vahid se vit finalement forcé de s'y soumettre. En complément à ce message, il informa secrètement ses compagnons, dans une seconde lettre, des desseins malveillants de l'ennemi, et les avertit de ne pas se laisser duper. Il confia les deux lettres à Haji Siyyid 'Abid, en le chargeant de détruire la première et de remettre la seconde à ses compagnons. Il 1e chargea en outre de les pousser à choisir les plus capables d'entre eux pour faire une sortie en pleine nuit et disperser les forces de l'ennemi.

A peine Haji Siyyid 'Abid eut-il reçu ces directives qu'il les communiqua traîtreusement à Zaynu'l-'Abidin Khan. Celui-ci chercha aussitôt à le décider à dire aux occupants du fort, et ce au nom de leur chef, de se disperser, promettant qu'il le récompenserait généreusement en retour. Le messager déloyal remit la première lettre aux compagnons de Vahid et les informa que leur chef était parvenu à gagner à sa foi l'armée tout entière, et que du fait de cette conversion, il leur avait conseillé de rentrer chez eux.

Bien qu'il fussent extrêmement surpris par un tel message, les compagnons se sentirent incapables de négliger les voeux que Vahid avaient si clairement exprimés.

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PHOTO: vue 1 du masjid-i-jami` à Nayriz ou Vahid s'adressa aux fidèles

PHOTO: vue 2 du masjid-i-jami` à Nayriz ou Vahid s'adressa aux fidèles

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Ils se dispersèrent à contre-coeur, laissant toutes les fortifications sans surveillance. Obéissant aux ordres écrits de leur chef, plusieurs d'entre eux se débarrassèrent de leurs armes et se dirigèrent vers Nayriz.

Zaynu'l-'Abidin Khan, prévoyant l'évacuation immédiate du fort, envoya un détachement intercepter les croyants qui se rendaient à la ville. Ceux-ci se trouvèrent bientôt encerclés par une foule d'hommes armés que relevaient continuellement des renforts du quartier général de l'armée. Se voyant donc brusquement assiégés, ils décidèrent de repousser l'attaque de l'ennemi par tous les moyens en leur pouvoir et de gagner le Masjid-i-Jami' aussi rapidement que possible. Quelques-uns à l'aide des épées et des fusils qu'ils portaient sur eux, d'autres uniquement au moyen de gourdins et de pierres, cherchèrent à se forcer un passage vers la ville. Le cri d' "Allah-u'Akbar !" (22.25) se fit de nouveau entendre, plus fier et plus irrésistible que jamais. Quelques-uns des compagnons tombèrent martyrs au moment où ils se frayaient un chemin à travers les rangs de leurs perfides assaillants. Les autres, quoique blessés et harcelés par de nouveaux renforts qui les pressaient de tous côtés, réussirent finalement à trouver refuge dans le masjid.

Pendant ce temps, Mulla Hasan, fils de Mulla Muhammad-'Ali, officier dans l'armée de Zaynu'l-'Abidin Khan, réussissait, en compagnie de ses hommes, à devancer ses adversaires et, se cachant dans l'un des minarets de ce masjid, y demeura dans l'attente des fugitifs. Dès que le groupe éparpillé parvint à proximité de ce bâtiment, il ouvrit le feu sur lui. Un certain Mulla Husayn le reconnut et, en lançant le cri de "Allah-u-Akbar!" grimpa sur le minaret, visa de son fusil ce lâche officier et le précipita à terre. Ses amis le transportèrent en un endroit où il put guérir de sa blessure.

Les compagnons, qui ne pouvaient plus trouver refuge dans le masjid, furent obligés de se cacher dans tous les lieux sûrs qu'ils pouvaient trouver, en attendant de s'assurer du sort de leur chef. La première idée qu'ils avaient eue après la trahison avait été d'aller auprès de lui et de se conformer aux instructions qu'il désirait leur donner. Ils n'avaient pu cependant savoir ce qui lui était advenu et tremblaient à l'idée qu'il pouvait avoir été exécuté.

Entre-temps, Zaynu'l-'Abidin Khan et son état-major, enhardis par la dispersion des compagnons, s'efforçaient de concevoir les moyens par lesquels ils pourraient passer outre aux obligations contenues dans leur serment solennel et procéder sans entraves à l'assassinat de leur principal adversaire.

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Ils s'efforcèrent, par un artifice spécieux, de ne pas tenir leurs promesses sacrées et de se hâter d'accomplir un désir longtemps nourri. Au milieu de leurs délibérations, 'Abbas-Quli Khan, un homme connu pour sa cruauté et son caractère impitoyable, assura ses camarades que, si la pensée d'avoir pris part à ce serment les tracassait, il n'avait lui-même en aucune façon participé à cette déclaration, et qu'il était prêt à exécuter ce qu'ils estimaient être incapables d'accomplir. "Je puis arrêter à n'importe quel moment", s'écria-t-il dans un accès d'indignation, "et mettre à mort toute personne que j'estime coupable d'avoir violé les lois du pays." Il fit venir ensuite tous ceux dont les parents avaient péri et leur demanda d'exécuter la sentence de mort prononcée contre Vahid. Le premier à se présenter fut Mulla Rida dont le frère, Mulla Baqir, avait été fait prisonnier par le shaykhu'l-ishm de Bavanat; le suivant fut un certain Safar, dont le frère Sha'ban avait été tué; le troisième fut Aqa Khan, dont le père, 'Ali-Asghar Khan, frère aîné de Zaynu'l-`Abidin Khan, avait subi le même sort.

Dans leur empressement à mettre à exécution la suggestion d"Abbas-Quli Khan, ces hommes arrachèrent le turban de la tête de Vahid, le nouèrent autour de son cou et, l'attachant à un cheval, le traînèrent ignominieusement à travers les rues. (22.26) Les indignités dont Vahid fut accablé rappelèrent à ceux qui voyaient cet horrible spectacle la fin tragique de l'Imam Husayn, dont le corps avait été abandonné à la merci d'un ennemi en furie et qu'une foule de cavaliers avait piétiné sans pitié. Les femmes de Nayriz, excitées au plus haut degré par les cris de triomphe que lançait un ennemi sanguinaire, affluèrent de tous côtés autour du corps et, accompagnées par les tambours et les cymbales, donnèrent libre cours à leurs sentiments de fanatisme effréné. Elles dansèrent joyeusement autour de lui, méprisant les paroles que Vahid avait prononcées en pleine agonie, paroles que l'Imam Husayn avait dites avant lui et dans des circonstances similaires: "Tu sais, ô mon Bien-Aimé, que j'ai délaissé ce monde par amour pour toi et que j'ai placé ma confiance en toi seul. Je suis impatient de venir à toi, car la beauté de ta face a été dévoilée à mes yeux. Tu es témoin des vils desseins que mon misérable persécuteur nourrit à mon égard. Non, jamais je ne me soumettrai à ses voeux et ne lui prêterai serment de fidélité." Ainsi fut-il mis fin à une vie noble et héroïque. Une carrière aussi brillante et aussi fertile en événements, caractérisée par un si vaste savoir, (22.27) un courage aussi indomptable et un esprit d'abnégation aussi rare nécessitait sûrement, pour l'auréoler, une mort aussi glorieuse que celle qui acheva son martyre. (22.28)

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La fin de cette vie fut le signal d'un assaut féroce contre la vie et les biens de ceux qui s'étaient identifiés à cette foi. Pas moins de cinq mille hommes furent chargés d'accomplir cette vile mission. Les hommes furent saisis, enchaînés, maltraités et, finalement, massacrés. Les femmes et les enfants furent capturés et soumis à des brutalités qu'aucune plume ne saurait décrire. Leurs biens furent confisqués et leurs maisons détruites. Le fort de Khajih fut complètement incendié. La plupart des hommes furent d'abord emmenés enchaînés à Shiraz afin d'y subir, pour la plupart, une mort cruelle. (22.29) Ceux que Zaynu'l-'Abidin Khan avait envoyés, pour des raisons d'intérêts personnels, dans des cachots souterrains et obscurs furent remis, une fois l'objectif du tyran atteint, aux mains de ses myrmidons qui perpétrèrent sur eux des actes d'une indicible cruauté. (22.30) On les promena d'abord à travers les rues de Nayriz, après quoi ils furent soumis à un traitement atroce dans l'espoir de tirer d'eux tous les avantages matériels que leurs persécuteurs n'avaient pu jusque-là obtenir. Ceux-ci, après avoir satisfait leur cupidité, réservaient alors, à chacune de leurs victimes, une mort atroce. Tous les moyens de torture que leurs bourreaux pouvaient imaginer furent employés pour étancher leur soif de vengeance. On les marqua au fer, on leur arracha les ongles, on leur fouetta le corps, on leur fit un trou dans le nez à travers lequel on fit passer une petite corde et l'on traîna chacun d'eux, dans cet état pitoyable, à travers les rues, en faisant un objet de mépris et de dérision pour la populace.

Parmi les victimes, il y eut un certain Siyyid Ja'far-i-Yazdi, qui avait exercé auparavant une immense influence et avait été tenu en grande estime par le peuple. Le respect que l'on avait pour lui était si grand que Zaynu'l-'Abidin Khan lui donnait la priorité sur lui-même et le traitait avec une déférence et une courtoisie extrêmes. Cependant, il donna l'ordre de piétiner et de jeter au feu son turban. Dépourvu de l'emblème de sa descendance, le pauvre homme fut exposé aux yeux du public qui marchait devant lui et l'accablait d'injures et de ridicule. (22.31)

Une autre victime de leur tyrannie s'appelait Haji Muhammad Taqi, qui avait joui auparavant d'une telle réputation d'honnêteté et de justice que les juges de la Cour considéraient toujours son opinion comme le mot décisif de leur jugement. Un homme aussi grand et aussi estimé fut, au coeur de l'hiver, déshabillé, jeté dans un bassin et sévèrement fouetté. Siyyid Ja'far et Shaykh 'Abdu'l-'Ali, qui était le beau-père de Vahid et le théologien le plus éminent de Nayriz ainsi que juge de grande renommée, durent, en compagnie de Siyyid Husayn, l'un des notables de la ville, subir le même sort que les précédents.

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PHOTO: lieu où se déroulèrent les martyres à Nayriz

PHOTO: tombes des martyres de Nayriz

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Alors qu'ils étaient exposés au froid, le rebut de la population fut invité à accabler d'abominables cruautés leurs corps frissonnants. Beaucoup de ces pauvres hommes qui se hâtèrent d'aller recevoir la récompense promise pour cette vile tâche, se révoltèrent lorsqu'on les informa de la nature de l'acte qu'ils devaient accomplir et, refusant l'argent, se détournèrent avec dégoût et mépris. (22.32)

PHOTO: tombeau de Vahid à Nayriz

Le jour où eut lieu le martyre de Vahid était le 18 sha'ban de l'an 1266 après l'hégire. (22.33) Dix jours plus tard, le Bab était fusillé à Tabriz.

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NOTE DU CHAPITRE 22:

(22.1) Lorsqu'après quelque temps, écrit Mirza Jani, j'eus de nouveau l'honneur de rencontrer Aqa Siyyid Yahya à Tihran, je remarquai sur cet auguste visage les signes d'une gloire et d'un pouvoir que je n'avais pas notés ni durant mon premier voyage avec lui à la capitale, ni lors d'autres rencontres, et je sus que ces signes annonçaient l'imminence de son départ de ce monde.
Par la suite, plusieurs fois au cours de la conversation, il prononça ces paroles: "C'est mon dernier voyage et, désormais, vous ne me verrez plus"; et il exprimait souvent, soit explicitement, soit implicitement, cette même pensée. Quelquefois, lorsque nous étions ensemble et que la conversation prenait une tournure adéquate, il remarquait: "Les saints de Dieu sont capables de prédire les événements futurs, et je jure, par ce Bien-Aimé dans le pouvoir de qui gît mon âme, que je sais et que je pourrais dire où et comment je serai tué et qui me tuera. Et comme il est glorieux et béni que mon sang soit versé pour l'exaltation de la parole de vérité! "(Le "Tarikh-i-Jadid", p. 115.)

(22.2) 1850 ap. J-C.

(22.3) Son ardeur l'entraînait, et, rempli de l'amour de Dieu, il voulut faire connaître à la Perse tout entière la gloire et la joie de l'unique et éternelle Vérité. "Aimer et cacher son secret est chose impossible", a dit le poète: aussi notre Siyyid se mit-il à prêcher ouvertement, dans les mosquées, dans les rues, dans les bazars, sur les places publiques, enfin partout où il rencontrait des auditeurs. Un tel enthousiasme porta ses fruits, et les conversions vinrent à lui, nombreuses et désintéressées: les mullas s'émurent et dénoncèrent violemment le sacrilège au Gouverneur de la ville." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 390.)

(22.4) Il s'appelait Aqa Khan.

(22.5) Voir glossaire.

(22.6) L'Imam Husayn.

(22.7) Le 10 muharram, jour où eut lieu le martyre de l'Imam Husayn.

(22.8) Dieu est le Plus Grand".

(22.9) 10 mai 1850 ap. J-C.

(22.10) "Lorsqu'on l'eut attaché le dos vers le canon, il dit: "Attachez-moi, je vous en prie, le visage tourné vers le canon, pour que je puisse le voir en feu." Les artilleurs et ceux qui se tenaient à côté comme spectateurs furent tous étonnés par son sang-froid et son entrain et, de fait, celui qui peut être joyeux dans pareille situation doit forcément avoir une grande foi et une grande force d'âme. (Le "Tarikh-i-Jadid", p. 117.)

(22.11) "Aqa Khan, quand il eut constaté la disparition du rebelle, poussa un soupir de soulagement. Il jugea d'ailleurs que la poursuite des fugitifs pouvait offrir quelques dangers et qu'il était infiniment plus pratique, plus salutaire, plus profitable et moins dangereux de torturer - à la condition qu'ils fussent riches - les Babis ou soi-disant tels qui restaient dans la ville. Il fit donc rechercher les plus opulents, les fit mettre à mort et confisqua leurs biens, vengeant ainsi la religion outragée, ce qui peut-être lui importait peu, mais remplissant ainsi ses coffres, ce qui lui plaisait infiniment." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 391.)

(22.12) Voir glossaire.

(22.13) Voir glossaire.

(22.14) "Les Nayrizis accueillirent Siyyid Yahya avec le plus grand enthousiasme; il n'y avait pas deux jours qu'il était arrivé qu'une foule de gens venaient le voir de nuit, par crainte du Gouvernement, dit le Fars-Namih, et se mirent à sa disposition en haine de l'autorité. D'autres, fort nombreux, et habitant plus particulièrement le quartier du Chinar-Sukhtih, se convertirent en masse.
Ceci en entraîna d'autres et bientôt les Babis comptèrent dans leurs rangs les tullabs de ChinarSukhtih qui étaient environ une centaine, leur chef Haji Shaykh 'Abdu'l-'Ali- père de la femme de Siyyid Yahya -, feu Akhùnd Mulla 'Abdu'l-Husayn, homme fort âgé et versé dans les lettres religieuses, Akhund Mulla Baqir, pish-namaz du quartier, Mulla Ah Katib, un autre Mulla Ali avec ses quatre frères, et le kad-khuda, et des Rish-Safid, et des gens du quartier, dit Bazar, tels que feu Mashhadi Mirza Husayn surnommé Qutb, avec toute sa famille et ses parents, feu Mirza Abu'l-Qasim qui était neveu du Gouverneur, feu Haji Muhammad-Taqi, surnommé Ayyub et son gendre, Mirza Husayn et bien d'autres du quartier des Sadats [Siyyids], et le fils de Mirza Nawra, et Mirza 'Ali-Rida, fils de Mirza Husayn, et le fils de Haji Ali, etc., etc. Tous se convertirent, les uns de nuit et en tremblant, les autres sans peur et en plein jour." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 393.)

(22.15) Voir glossaire.

(22.16) 27 mai 1850 ap. J-C.

(22.17) "Il monta sur la chaire et s'écria: "Ne suis-je donc pas celui que vous avez toujours considéré comme votre pasteur et votre guide? N'est-ce pas sur mon avis et sur mes ordres que vous dirigiez vos consciences dans la voie du salut? Ne suis-je pas celui dont vous avez toujours écouté la parole et les conseils? Que s'est-il donc passé que vous me traitiez aujourd'hui en ennemi de votre religion et de vous-mêmes? Quelle chose licite ai-je défendue? Quelle chose défendue ai-je permise? Quelle impiété ai-je commise? Dans quelle erreur vous ai-je engagés? Et voilà que parce que j'ai dit la vérité, que parce que loyalement j'ai cherché à vous instruire, on m'opprime et on me torture! Mon coeur brûle d'amour pour vous, et vous me martyrisez. Souvenez-vous, souvenez-vous bien que quiconque me contriste, contriste mon aïeul, Muhammad le radieux Prophète, et quiconque me vient en aide vient à son secours. Au nom de tout ce que vous avez de plus sacré, quiconque aime le Prophète me suive!" (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 395.)

(22.18) Voir glossaire.

(22.19) Voir glossaire.

(22.20) Voir glossaire.

(22.21) Voir glossaire.

(22.22) "L'auteur du Nasikhu't-Tavarikh constate sans la moindre mélancolie que les troupes impériales étaient mal exercées et fort peu désireuses de se battre: aussi, ne songeant pas une seconde à donner l'assaut, elle établirent un camp qu'elles se hâtèrent de fortifier le plus possible." (A.L.M. Nicohas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 401.)

(22.23) Voir glossaire.

(22.24) "Quoique les pertes fussent à peu près égales cette fois, les troupes impériales n'en avaient pas moins fort peur: les choses traînaient en longueur, et pouvaient au surplus tourner à la confusion des musulmans. Ceux-ci résolurent donc d'user de ruse." (A.L.M. Nicohas: "Siyyid AliMuhammad dit le Bab", p. 403.)

(22.25) Voir glossaire.

(22.26) "Il s'empara de la ceinture verte de Yahya, symbole de sa descendance sacrée, la lui noua autour du cou par un noeud et se prit à le traîner par terre. Puis vint Safar, dont le frère Sha'ban était tombé victime de la guerre, puis Aqa Jan, fils de 'Ali-Asghar Khan, frère de Zaynu'h-'Abidin Khan. Et les musulmans, excités par ce spectacle, lapidèrent le malheureux et l'achevèrent à coups de bâton. On lui coupa alors la tête, on en arracha la peau qu'on remplit de paille et l'on envoya ce trophée à Shiraz." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 406.)

(22.27) D'après le témoignage d' 'Abdu'l-Baha, il connaissait par coeur pas moins de trente mille traditions. (Manuscrit intitulé "Martyrs baha'is".)

(22.28) Baha'u'llah parle de lui comme de "cette unique et incomparable figure de son temps". (Le "Kitab-i-Iqan", p. 188.) Le Bab, faisant allusion à lui dans le "Daha'il-i-Sab'ih, dit: "Vois encore le nombre du nom de Dieu (Siyyid Yahya). Cet homme vivait tranquille et pur au point que personne, ami ou ennemi ne nie ses talents et sa sainteté; tous admirèrent sa grandeur dans les sciences et la hauteur à laquelle il s'était élevé dans la philosophie. Reporte-toi au commentaire de la Suratu'h-Kawthar (Qur'an: S. 108) et aux autres traités qui ont été écrits pour lui et qui prouvent l'élévation du rang qu'il occupe près de Dieu!" ("Le Livre des Sept Preuves", traduction par A.L.M. Nicolas, pp. 54-5.)

(22.29) "Siyyid Yahya fut étranglé au moyen de sa propre ceinture par une personne dont les deux frères avaient été tués durant le siège, et les autres Babis furent tués de la même manière par les mains du bourreau. Les têtes des victimes furent remplies de paille et l'armée victorieuse, emportant avec elle ces trophées macabres signes de sa prouesse, ainsi que quelque quarante ou cinquante femmes Babies et un enfant en bas âge comme captifs, retourna à Shiraz.
Son entrée dans cette ville donna lieu à des réjouissances générales; les prisonniers furent promenés à travers les rues et les bazars et finalement amenés devant le prince Firuz Mirza, qui festoyait dans une résidence d'été appelée Kuhah-i-Farangi. En sa présence, Mihr-'Ali Khan, Mirza Na'im, et les autres officiers relatèrent les détails de leur victoire, et reçurent des félicitations et des marques de faveur.
Les femmes captives furent finalement emprisonnées dans un vieux caravansérail à l'extérieur de la porte d'Isfahan. Quant au traitement que leur réservèrent les ravisseurs, on nous le laisse imaginer." (A Travehler's Narrative", Note H, p. 190.) "C'était un jour de fête, ce jour-là, raconte un témoin oculaire. Les habitants s'étaient répandus dans les campagnes avoisinantes, apportant leur repas et beaucoup d'entre eux buvant, à la dérobée, de pleines bouteilles de vin. L'air retentissait des sons de musique, des chants des musiciennes, des cris et des rires des filles publiques: le bazar était pavoisé, la joie éclatait partout. Soudain ce fut un grand silence.
Le peuple venait d'apercevoir trente-deux chameaux, chargés, chacun d'un malheureux prisonnier, d'une femme ou d'un enfant, ficelés et jetés en travers de la selle comme un paquet. Tout autour, des soldats portaient de longues lances au bout desquelles étaient fichées les têtes des Babis tués à Nayriz. La hideur du spectacle saisit violemment la mobile population de Shiraz, et chacun rentra tristement chez soi. L'horrible caravane traversa les bazars et parvint jusqu'au palais du Gouverneur. Celui-ci se trouvait dans son jardin et avait réuni dans son kiosque, surnommé Kulah-i-Farangi, tout ce que Shiraz comptait d'hommes riches ou éminents. La musique se tut d'elle-même, les danseurs s'arrêtèrent et Muhammad-'Ali_Khan ainsi que Mirza Na'im, deux petits chefs de tribu qui avaient pris part àla campagne, vinrent raconter leurs hauts faits et nommer les prisonniers un à un." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ah-Muhammad dit le Bab", p. 407.)

(22.30) "Il semble, hélas! que tout ce sang répandu eût dû suffire à apaiser la haine et la cupidité des musulmans; il n'en fut rien. Mirza Zaynu'l-'Abidin_Khan, se sentant menacé par le désir de vengeance des gens qu'il avait trompés et vaincus, ne laissa ni trêve ni repos aux survivants de la secte: sa haine s'était déchaînée, elle ne devait finir qu'avec sa vie. C'était, en effet, les pauvres diables qu'on avait envoyés à Shiraz, les riches avaient été retenus.
Zaynu'h-'Abidin Khan les confia à un individu chargé de les promener en les bâtonnant à travers la ville. On s'amusait à Nayriz, en ce moment-là. On pendait les Babis à quatre clous, et chacun venait se repaître de l'angoisse du malheureux supplicié, on leur mettait des roseaux enflammés sous les ongles, on les brûlait au fer rouge, on les privait d'eau et de pain, on leur faisait un trou dans le nez, on y introduisait une ficelle et on les promenait ainsi comme des ours." (Ibid., p. 408.)

(22.31) "Aqa Siyyid Ja'far-i-Yazdi vit les bourreaux lui brûler son turban, puis le promener lui-même de porte en porte en réclamant de l'argent aux propriétaires." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali Muhammad dit le Bab", p. 408.)

(22.32) "Aqa Siyyid Abu-Talib, qui était fort riche, fut chargé de chaînes, envoyé par le Gouverneur de Nayriz à Ma'dan et là empoisonné par Haji Mirza Nasir, le même qui à Shiraz avait ordonné au Bab de baiser la main de Shaykh Abu-Turab. Deux femmes Babies, avant d'être faites prisonnières, se jetèrent dans un puits et se tuèrent. Quelques Babis, désireux de se venger de Mirza Zaynu'l-'Abidin Khan, se dirigèrent sur Tihran pour aller se plaindre à S.M. des atrocités qui avaient été commises.
Ils étaient arrivés jusqu'à deux ou trois stations de la capitale et se reposaient des fatigues du voyage quand une caravane de Shirazi vint à passer qui les reconnurent, les arrêtèrent tous, sauf un certain Zaynu'l-'Abidin qui put parvenir à Tihran. On conduisit les autres à Shiraz où le prince les fit exécuter aussitôt. Là moururent Karbila'i Abu'l-Hasan, faïencier, Aqa Shaykh Hadi, oncle de la femme de Vahid, Mirza Ali et Abu'l-Qasim-ibn-i-Haji-Zayna, Akbar-ibn-i-'Abid, Mirza Hasan et son frère Mirza Baba." (ibid., pp. 408-9.)

(22.33) 29 juin 1850 ap. J.-C.

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