La chronique de Nabil
Nabil-i-A'zam


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CHAPITRE XXIV : le soulèvement de Zanjan

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L'étincelle qui avait allumé les grandes conflagrations du Mazindaran et de Nayriz avait déjà mis le feu à Zanjan (24.1) et à ses environs lorsque le Bab trouva la mort à Tabriz. Son chagrin déjà profond, provoqué par le sort triste et désastreux qui avait frappé les héros de Shaykh Tabarsi, fut encore aggravé par la nouvelle des souffrances non moins tragiques qu'avaient dû subir Vahid et ses compagnons, une nouvelle qui porta un nouveau coup à son coeur déjà oppressé par le poids d'innombrables afflictions. La conscience des dangers qui s'étaient accumulés autour de lui; le souvenir des affronts qu'il avait endurés lors de son dernier séjour a Tabriz; la fatigue d'une captivité rigoureuse et prolongée au milieu des montagnes fortifiées de l'Adhirbayjan; les terribles massacres qui marquèrent les phases finales des soulèvements du Mazindaran et de Nayriz; les outrages envers sa foi commis par les persécuteurs des sept martyrs de Tihran-tout cela n'avait pas constitué les seuls troubles qui obscurcirent les derniers jours d'une vie arrivant rapidement à son terme. Il était déjà abattu par la sévérité de ces coups lorsque la nouvelle des événements de Zanjan, qui commençaient alors à présager de leurs tristes épisodes, lui parvint et contribua à accroître encore l'angoisse de ses derniers jours.

PHOTO: vue de Zanjan

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Quelles souffrances terribles n'a-t-il pas dû endurer alors que les spectres de la mort se rassemblaient rapidement autour de lui!

PHOTO: vue 1 du masjid construit pour Hujjat par ses compagnons

PHOTO: vue 2 du masjid construit pour Hujjat par ses compagnons

Dans chaque domaine, au Nord comme au Sud, les défenseurs de sa foi avaient été soumis à des souffrances imméritées, trompés de façon infâme, dépouillés de leurs biens et massacrés de manière inhumaine. Et à présent, comme pour faire déborder la coupe de ses malheurs, la tourmente de Zanjan avait éclaté, la plus violente et la plus dévastatrice de toutes. (24.2)

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Je vais maintenant relater les circonstances qui ont fait de cet événement l'un des plus vibrants épisodes de l'histoire de cette révélation. Son personnage principal fut Hujjat-i-Zanjani, dont le nom était Mulla Muhammad-'Ali (24.3) l'un des dignitaires ecclésiastiques les plus capables de son époque et certainement l'un des défenseurs les plus puissants de la cause. Son père, Mulla Rahim-i-Zanjan, était l'un des principaux mujtahids de Zanjan et tenu en grande estime à cause de sa piété, de son savoir et de sa force de caractère. Mulla Muhammad'Ali, surnommé Hujjat, naquit en l'an 1227 après l'hégire. (24.4) Dès sa tendre enfance, il montra de si grandes capacités que son père apporta beaucoup de soins à son éducation. Il l'envoya à Najaf, où il se distingua par sa vue pénétrante, son talent et son ardeur passionnée. (24.5) Son érudition et sa vive intelligence suscitèrent l'admiration de ses amis, alors que sa franchise et la force de son caractère firent de lui la terreur de ses adversaires. Son père lui conseilla de ne pas retourner à Zanjan, où ses ennemis conspiraient contre lui. Il décida, en conséquence, d'établir sa résidence à Hamadan, (24.6) où il épousa l'une de ses parentes et vécut durant deux ans et demi, jusqu'au moment où la nouvelle de la mort de son père le décida à partir pour sa ville natale. L'ovation qu'on lui fit à son arrivée attisa l'hostilité des 'ulamas qui, malgré leur opposition jurée, reçurent de lui toutes les marques de considération et de bonté. (24.7)

De la chaire du masjid qu'avaient érigé ses amis en son honneur, il exhorta la grande foule qui s'était réunie pour l'entendre à ne pas être indulgente envers elle-même et à faire preuve de modération dans tous ses actes. (24.8) Il fit disparaître impitoyablement toute forme d'abus et, par son exemple, encouragea le peuple à s'en tenir strictement aux principes inculqués par le Qur'an. Le soin et le talent avec lesquels il enseigna ses disciples étaient tels qu'ils surpassaient en connaissance et en compréhension les 'ulamas de Zanjan. Durant dix-sept ans, il poursuivit ses travaux méritoires et réussit à débarrasser l'esprit et le coeur des habitants de la ville de tout ce qui semblait contraire à l'esprit et aux enseignements de leur foi. (24.9)

Lorsque l'appel de Shiraz lui parvint, il envoya son messager sûr, Mulla Iskandar, se renseigner sur les revendications de la nouvelle révélation, et la nature de sa réponse à ce message incita ses ennemis à redoubler leurs attaques contre lui. Incapables jusqu'alors de le mettre en disgrâce aux yeux du gouvernement et du peuple, ils s'efforçaient désormais de le dénoncer comme un défenseur de l'hérésie et comme un homme répudiant tout ce qui est sacré et chéri dans l'islam.

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"Sa réputation d'homme juste, pieux, sage et érudit, se murmuraient-ils, a été telle que nous ne pouvons plus ébranler sa position. Lorsqu'il fut convoqué à Tihran auprès de Muhammad Shah, ne put-il pas, grâce à son éloquence magnétique, gagner l'appui de celui-ci et faire de lui l'un de ses admirateurs les plus dévoués? A présent, cependant qu'il a si ouvertement défendu la cause du Siyyidi-Bab, nous pouvons sûrement obtenir du gouvernement l'ordre de l'arrêter et de le bannir de notre ville."

Ils rédigèrent donc une pétition destinée à Muhammad Shah, dans laquelle ils cherchèrent, par tous les artifices que leur esprit rusé et malveillant pouvait inventer, à discréditer son nom. "Tout en se prétendant encore adepte de notre foi, se plaignirent-ils, il a pu, avec l'aide de ses disciples, répudier notre autorité. Quelle humiliation ne nous infligera-t-il pas, à présent qu'il s'est identifié à la cause du Siyyidi-Bab et a gagné à cette haïssable croyance les deux tiers des habitants de Zanjan! La foule qui afflue à ses portes ne peut désormais être contenue dans le masjid. Son influence est telle que le masjid qui a appartenu à son père et celui qui a été construit en son honneur ont été réunis et transformés en un seul édifice pouvant loger la multitude toujours croissante qui se hâte de le suivre lors de la prière en commun. L'heure est imminente où non seulement Zanjan, mais aussi les villages avoisinants, se seront déclarés ses partisans."

Le Shah fut fort surpris par le ton et le langage que les solliciteurs employaient pour tenter d'accuser Hujjat. Il fit part de son étonnement à Mirza Nazar-'Ali, le hakim-bashi, et rappela les brillants éloges que plus d'un visiteur venant à Zanjan avait adressés aux talents et à l'intégrité de l'accusé. Il décida de convoquer ce dernier, ainsi que ses adversaires, à Tihran. Dans une réunion spéciale à laquelle il participa ainsi que Haji Mirza Aqasi, les principaux fonctionnaires du gouvernement et plusieurs 'ulamas reconnus de Tihran, il fit appel aux chefs ecclésiastiques de Zanjan pour justifier les revendications qu'ils avaient avancées. Toutes les questions qu'ils soumirent à Hujjat concernant les enseignements de leur foi reçurent une réponse qui ne manqua pas de provoquer l'admiration de ses auditeurs et d'affermir la confiance du souverain dans l'innocence de l'accusé. Le Shah exprima son entière satisfaction et récompensa généreusement Hujjat pour la manière excellente dont il avait réussi à réfuter les allégations de ses ennemis. Il lui ordonna de retourner à Zanjan et d'y reprendre les précieux services qu'il rendait à la cause de son peuple, l'assurant qu'il le défendrait en toutes circonstances, et lui demandant de l'informer de toute difficulté qu'il pourrait rencontrer dans l'avenir. (24.10)

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L'arrivée de Hujjat à Zanjan marqua le début d'un accès de fureur chez ses adversaires humiliés. Au fur et à mesure que les signes de leur hostilité se multipliaient, les marques de dévouement, de la part de ses amis et de ses défenseurs, augmentaient parallèlement. (24.11) Dédaignant complètement leurs machinations, il poursuivit ses activités avec un zèle soutenu. (24.12) Les principes libéraux qu'il défendait sans cesse et avec intrépidité frappèrent à la base même l'édifice qu'un ennemi sectaire avait laborieusement érigé. Celui-ci vit avec une furie impuissante l'anéantissement de son autorité et l'écroulement de ses institutions.

Ce fut alors que son envoyé particulier, Mashhadi Ahmad, qu'il avait secrètement envoyé à Shiraz avec une pétition et des cadeaux de sa part pour le Bab, arriva à Zanjan et lui remit, alors qu'il s'adressait à ses disciples, une lettre scellée de son Bien-Aimé. Dans la tablette qu'il reçut, le Bab lui conférait un de ses propres titres, celui de Hujjat, et le priait instamment de proclamer de la chaire, sans la moindre réserve, les enseignements fondamentaux de sa foi. Dès que Hujjat fut informé des voeux de son maître, il déclara sa résolution de se consacrer à la mise en pratique immédiate de toutes les injonctions que contenait cette tablette. Il congédia aussitôt ses disciples, les pria de fermer leurs livres et déclara son intention de mettre un terme à ses cours. "À quoi bon, dit-il, étudier et chercher alors que nous avons déjà trouvé la vérité, et pourquoi nous efforcer d'augmenter notre savoir lorsque celui qui est l'objet de toute connaissance est manifesté?"

Dès qu'il tenta de conduire l'assistance dans sa prière du vendredi, obéissant par là aux ordres du Bab (24.13), l'Imam-jum'ih, qui avait jusqu'alors rempli cette fonction, protesta avec véhémence, faisant valoir que ce droit était le privilège exclusif de ses propres aïeux, qu'il lui avait été conféré par son souverain et que personne, si élevé que fût son rang, ne pouvait le lui usurper. "Ce droit, rétorqua Hujjat, a été remplacé par l'autorité dont le Qa'im lui-même m'a investi. Il m'a donné l'ordre d'assumer publiquement cette fonction, et je ne puis permettre à quiconque d'empiéter sur ce droit. Si l'on m'attaque, je prendrai les mesures nécessaires pour me défendre et protéger la vie de mes compagnons."

Son insistance hardie à remplir la mission dont l'avait chargé le Bab incita les 'ulamas de Zanjan à se liguer avec l'imam-jum`ih (24.14) et à présenter leurs plaintes à Haji Mirza Aqasi, faisant valoir que Hujjat avait défié la validité d'institutions reconnues et foulé aux pieds leurs droits.

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"Nous devons soit fuir cette ville avec nos familles et nos biens, firent-ils valoir, et lui laisser la charge de mener seul la destinée de son peuple, soit obtenir de Muhammad Shah un édit tendant à son expulsion immédiate de ce pays, car nous croyons fermement que lui permettre de demeurer sur son sol serait aller au devant du désastre." Quoique Haji Mirza Aqasi se méfiât dans son coeur de l'ordre ecclésiastique de son pays et qu'il eût une aversion naturelle pour leurs croyances et leurs pratiques, il fut finalement contraint de céder à leurs exhortations et soumit l'affaire à Muhammad Shah qui donna l'ordre de transférer Hujjat de Zanjan à la capitale.

Un Kurde nommé Qilij Khan fut chargé par le Shah de remettre à Hujjat la convocation du roi. Le Bab était, pendant ce temps, arrivé dans le voisinage de Tihran alors qu'il se rendait à Tabriz. Avant l'arrivée du messager royal à Zanjan, Hujjat avait envoyé l'un de ses amis, un certain Khan-Muhammad-i-Tub-Chi vers son maître, chargé d'une requête dans laquelle il le priait de l'autoriser à le sauver des mains de l'ennemi. Le Bab lui assura que seul le Tout-Puissant pouvait réaliser sa libération et que personne ne pouvait se soustraire à son décret ou fuir sa loi. "Quant à notre rencontre, ajouta-t-il, elle aura lieu bientôt dans l'au-delà, la demeure de gloire éternelle."

Le jour où Hujjat reçut ce message, Qilij Khan arriva à Zanjan, le mit au courant des ordres qu'il avait reçus et partit en sa compagnie pour la capitale. Leur arrivée à Tihran coïncida avec le départ du Bab du village de Kulayn, où il avait été retenu quelques jours.

Les autorités, craignant qu'une rencontre entre le Bab et Hujjat ne conduise à de nouveaux troubles, avaient pris les précautions nécessaires pour s'assurer de l'absence de ce dernier de Zanjan durant le passage du Bab dans cette ville. Les compagnons qui suivaient Hujjat à distance, alors qu'il était en route vers la capitale, furent priés par lui de faire demi-tour et d'essayer de rencontrer leur maître pour l'assurer qu'il était prêt à venir à son secours. Sur le chemin du retour, ils rencontrèrent le Bab, qui exprima une nouvelle fois son désir de ne voir aucun de ses amis tenter de le délivrer de sa captivité. Il leur donna même l'ordre de dire aux croyants de Zanjan de ne pas se presser autour de lui, et même de l'éviter partout où il se rendait.

Dès que ce message fut communiqué à ceux qui étaient sortis pour l'accueillir alors qu'il approchait de leur ville, ceux-ci commencèrent à se lamenter et à déplorer leur sort.

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Ils ne purent cependant résister à la force qui les poussait à aller au-devant de leur maître, oubliant par là le désir qu'avait exprimé ce dernier.

A peine les hommes qui constituaient l'avant-garde du prisonnier les rencontrèrent-ils, qu'ils se mirent à les disperser impitoyablement. A une bifurcation de la route, il se produisit une altercation entre Muhammad Big-i-Chaparchi et son collègue, qui avait été envoyé de Tihran pour l'aider à mener le Bab à Tabriz.

PHOTO: le caravansérail de mirza Ma'sum-i-tabab à Zanjan

PHOTO: voir, marquée d'un x, la pièce occupée par le Bab

Muhammad Big soutenait que leur prisonnier devait être conduit dans la ville où l'on devait lui permettre de passer la nuit dans le caravansérail de Mirza Ma' sum-i-Tabib, le père de Mirza Muhammad-'Aliy-i-Tabib, martyr de la foi, avant de reprendre leur marche vers 1'Adhirbayjan.

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Il fit valoir que passer la nuit en dehors des murs de la ville équivaudrait à mettre leurs vies en péril et encouragerait leurs adversaires à tenter une attaque. Il réussit finalement à déterminer son collègue à emmener le Bab à ce caravansérail. Lors de leur passage à travers les rues, ils furent surpris de voir la foule qui s'était massée sur le toit des maisons, impatiente qu'elle était de jeter un coup d'oeil sur le visage du prisonnier. Mirza Ma'sum, l'ancien propriétaire du caravansérail, venait de mourir, et son fils aîné, Mirza Muhammad-'Ali, le principal médecin de Hamadan qui, bien que n'étant pas adepte du Bab, l'aimait de tout son coeur, était arrivé à Zanjan et portait le deuil de son père. Il reçut le Bab avec affection dans le caravansérail qu'il avait spécialement aménagé à son intention. Cette nuit-là, il resta auprès de lui jusqu'à une heure avancée et fut complètement gagné à sa cause.

"La nuit même qui vit ma conversion", l'ai-je entendu raconter par la suite, "je me levai avant l'aube, allumai ma lanterne et, précédé du serviteur de mon père, me dirigeai vers le caravansérail. Les gardes qui stationnaient à l'entrée me reconnurent et m'autorisèrent à entrer. Le Bab faisait ses ablutions lorsque je fus introduit auprès de lui. Je fus fort impressionné lorsque je le vis absorbé dans sa prière. Un sentiment de joie mêlé de respect envahit mon coeur alors que je me tenais debout derrière lui et priais. Je préparai moi-même son thé, et j'étais en train de le lui offrir lorsqu'il se tourna vers moi et me pria de partir pour Hamadan. "Cette ville, dit-il, sera en proie à un grand tumulte et, dans ses rues, le sang coulera à flot." Je lui exprimai mon ardent désir d'être autorisé à verser mon sang dans son sentier. Il m'assura que l'heure de mon martyre n'était pas encore venue, et me dit de me résigner à tout ce que Dieu pourrait décréter. Au lever du soleil, alors qu'il montait à cheval et se préparait à partir, je le suppliai de me permettre de le suivre, mais il me conseilla de rester sur place et m'assura de ses prières constantes. Me résignant à sa volonté, je le vis avec regret disparaître de ma vue."

A son arrivée à Tihran, Hujjat fut conduit auprès de Haji Mirza Aqasi qui exprima, de la part du Shah et en son propre nom, son embarras devant l'hostilité intense que sa conduite avait suscitée chez

les 'ulamas de Zanjan. "Muhammad Shah et moi, lui dit-il, sommes continuellement assiégés par les accusations verbales et écrites portées contre vous. Je puis à peine croire à leur dénonciation concernant votre abandon de la foi de vos aïeux. Le Shah n'est pas, lui non plus, enclin à accorder crédit à de telles affirmations.

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J'ai reçu de lui l'ordre de vous convoquer dans sa capitale et de faire appel à vous pour réfuter de telles accusations. Il m'est triste d'entendre qu'un homme, que je considère de loin supérieur, quant au savoir et au talent, au Siyyid-i-Bab, a décidé de s'identifier à la croyance de celui-ci." "Nullement, répondit Hujjat; Dieu sait que si ce même siyyid venait à me confier le moindre service dans sa maisonnée, je le considérerais comme un honneur que même les faveurs les plus grandes de mon souverain ne pourraient espérer surpasser." "Ce n'est pas possible!" s'exclama Haji Mirza Aqasi en proie à la colère. "C'est ma ferme et inaltérable conviction, réaffirma Hujjat, que ce siyyid de Shiraz est celui dont vous, ainsi que tous les peuples du monde, attendez impatiemment la venue. Il est notre Seigneur, notre Libérateur promis."

Haji Mirza Aqàs rapporta l'affaire à Muhammad Shah, à qui il exprima ses craintes qu'une politique tendant à permettre à un adversaire aussi redoutable que Hujjat, que le souverain lui-même considérait comme le plus accompli des 'ulamas de son royaume, de poursuivre sans entrave le cours de ses activités, ne comportât les plus graves dangers pour l'Etat. Le Shah, refusant d'accorder crédit à de tels rapports, qu'il attribuait à la malveillance et à la jalousie des ennemis de l'accusé, donna l'ordre de réunir une assemblée spéciale devant laquelle Hujjat serait appelé à défendre sa position en présence des 'ulamas de la capitale.

Plusieurs réunions furent tenues à cet effet; à chacune d'elles, Hujjat exposa avec éloquence les revendications essentielles de sa foi et repoussa les arguments de ceux qui tentaient de s'opposer à lui. "La tradition suivante, déclara-t-il hardiment, n'est-elle pas reconnue par l'islam shi'ah et sunni: "Je laisse parmi vous mes deux témoignages, le Livre de Dieu et ma famille"? Le second de ces témoins n'a-t-il pas, à votre avis, disparu, et, par conséquent, l'unique moyen qui puisse nous guider n'est-il pas contenu dans le témoignage du Livre sacré? Je fais appel à vous pour juger toute revendication que vous ou moi avancerons sur la base des normes établies dans ce Livre, et pour considérer celui-ci comme l'autorité suprême par laquelle on pourra juger de l'authenticité de notre argument." Incapable de défendre leur position, les 'ulamas s'aventurèrent en dernier ressort à lui demander de produire un miracle, afin d'établir la vérité de son assertion. "Quel miracle plus grand, s'exclama-t-il, que celui de m'avoir permis de triompher, seul et sans aide, par le simple pouvoir de mon argumentation, des forces combinées des mujtahids et des 'ulamas de Tihran?"

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La façon magistrale dont Hujjat réfuta les affirmations erronées avancées par ses adversaires lui gagna la faveur de son souverain qui, à partir de ce jour-là, ne se laissa plus influencer par les insinuations des ennemis de l'accusé. Bien que le groupe entier des 'ulamas de Zanjan, ainsi que certains des dirigeants ecclésiastiques de Tihran, l'eussent déclaré infidèle et l'eussent condamné à mort, Hujjat continua cependant à être l'objet des faveurs du Shah et reçut l'assurance qu'il pouvait compter sur l'appui de son souverain. Haji Mirza Aqasi, bien qu'opposé à Hujjat dans son coeur, fut incapable, en face de preuves aussi évidentes de la faveur royale, de s'opposer ouvertement à son influence et, par ses fréquentes visites chez lui ainsi que par les cadeaux qu'il lui octroya généreusement, ce ministre fourbe chercha à dissimuler son ressentiment et sa jalousie.

Hujjat se trouvait virtuellement prisonnier à Tihran. Il ne pouvait aller au-delà des murs de la capitale ni avoir des relations libres avec ses amis. Les croyants de sa ville décidèrent finalement d'envoyer une députation pour lui demander de nouvelles instructions concernant leur attitude envers les lois et les principes de leur foi. Hujjat leur enjoignit d'observer avec une loyauté absolue les exhortations qu'il avait reçues du Bab par l'intermédiaire des messagers qu'il avait envoyés s'informer quant à sa cause. Il énuméra une série de préceptes dont certains s'écartaient très nettement des traditions établies de l'islam. "Siyyid Kazim-i-Zanjani, leur affirma-t-il, a été en relation intime avec mon maître aussi bien à Shiraz qu'à Isfahan. Lui, ainsi que Mulla Iskandar et Mashhadi Ahmad, qui avaient tous deux été chargés par moi d'aller le voir, ont formellement déclaré qu'il est lui-même le premier à mettre en pratique les préceptes qu'il a prescrits aux fidèles. Il nous incombe par conséquent, à nous qui sommes ses défenseurs, de suivre son noble exemple."

Ces instructions explicites étaient à peine communiquées aux compagnons que ceux-ci sentirent en eux un irrésistible désir de mettre à exécution ses voeux. Ils se mirent avec enthousiasme à pratiquer les lois de la nouvelle dispensation et, abandonnant leurs habitudes et leurs rites d'autrefois, s'identifièrent sans réserve à ses revendications. Même les petits enfants furent encouragés à suivre scrupuleusement les préceptes du Bab. "Notre maître bien-aimé", leur apprit-on à dire, "est lui-même le premier à les pratiquer. Pourquoi nous, qui sommes ses disciples privilégiés, hésiterions-nous à en faire les principes directeurs de notre vie?"

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Hujjat se trouvait encore prisonnier à 'Tihran lorsque la nouvelle du siège du fort de Tabarsi lui parvint. Il désirait ardemment partager le sort de ceux de ses compagnons qui combattaient avec un si

magnifique héroïsme pour l'émancipation de leur foi, mais il déplorait en même temps le fait qu'il ne pouvait les rejoindre. Son unique consolation, en ce temps-là, était la fréquentation intime de Baha'u'llah, de qui il reçut la force de résistance qui devait lui permettre par la suite de se distinguer par des actes non moins remarquables que ceux que le groupe de Tabarsi avait manifestés dans les heures les plus sombres de sa mémorable bataille.

Il était encore à Tihran lorsque Muhammad Shah mourut, laissant le trône à son fils Nasiri'd-Din Shah. (24.15) L'amir-nizam, le nouveau Grand vazir, décida de rendre son emprisonnement plus rigoureux et de chercher pendant ce temps un moyen de l'anéantir. Lorsque son prisonnier apprit l'imminence du danger qui menaçait sa vie, il décida de quitter Tihran en cachette et de rejoindre ses compagnons, qui attendaient impatiemment son retour.

Son arrivée à sa ville natale, qu'un certain Karbila'i Vali-'Attar annonça à ses compagnons, fut marquée par une formidable démonstration de loyauté dévouée de la part de ses nombreux admirateurs. Ils affluèrent, hommes, femmes et enfants, pour l'accueillir et lui renouveler l'assurance de leur affection éternelle et constante. (24.16) Le gouverneur de Zanjan, majdu'd-dawlih, (24.17) l'oncle maternel de Nasiri'd-Din Shah, surpris par la spontanéité de cette ovation, donna, dans la furie du désespoir, l'ordre de couper aussitôt la langue à Karbila'i Vali-'Attar. Quoique, dans son coeur, il détestât Hujjat, il se prétendit son ami qui ne lui voulait que du bien. Il lui rendit souvent visite et lui montra une considération sans borne, tout en conspirant en secret contre sa vie et en attendant le moment où il pourrait lui porter le coup fatal.

Cette hostilité qui couvait devait bientôt s'extérioriser grâce à un incident banal en soi. L'occasion se présenta lorsqu'une querelle éclata soudain entre deux enfants de Zanjan, dont l'un était le fils d'un parent de l'un des compagnons de Hujjat. Le gouverneur donna aussitôt l'ordre d'arrêter l'enfant et de l'emprisonner. Les croyants offrirent une somme d'argent au gouverneur afin de l'inciter à relâcher son jeune prisonnier. Il refusa leur offre, sur quoi les compagnons plaignirent auprès de Hujjat, qui protesta avec véhémence. "Cet enfant, écrivit-il au gouverneur, est trop jeune pour être tenu responsable de son comportement.

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S'il mérite une punition, c'est à son père qu'on devrait l'infliger, et non à lui."

Constatant que l'appel avait été ignoré, Hujjat renouvela sa protestation et la confia à l'un de ses camarades influents, Mir Jalil, père de Siyyid Ashraf et martyr de la foi, en le chargeant de la présenter au gouverneur en personne. Les gardes qui stationnaient à l'entrée de la résidence refusèrent d'abord le passage. Indigné par leur refus, il menaça de se forcer un chemin à travers la porte et parvint, grâce à la simple menace de dégainer son épée, à vaincre leur résistance et à contraindre le gouverneur furieux à relâcher l'enfant.

L'acquiescement inconditionnel du gouverneur a la demande de Mir Jalil suscita la furieuse indignation des 'ulamas. Ils protestèrent violemment et désapprouvèrent sa soumission aux menaces par lesquelles leurs adversaires avaient cherché à l'intimider. Ils lui exprimèrent leur crainte qu'une telle soumission de sa part soit un encouragement à faire des réclamations plus importantes encore et ne lui permette bientôt plus de détenir les rênes de l'autorité, en lui refusant toute participation à l'administration gouvernementale. Ils le persuadèrent finalement de consentir à l'arrestation de Hujjat, un acte qui, d'après leur conviction, permettrait d'arrêter les progrès de son influence.

Le gouverneur consentit à contre-coeur. Les 'ulamas lui assurèrent à maintes reprises que son action ne menacerait en aucun cas la paix et la sécurité de la ville. Deux de leurs partisans, Pahlavan (24.18) Asadu'llah et Pahlavan Safar-'Ali, tous deux connus pour leur brutalité et leur force prodigieuse, se présentèrent comme volontaires tour s'emparer de Hujjat et le remettre, mains liées, au gouverneur. On promit à chacun d'eux une belle récompense en retour de ce service. Vêtus de leurs armures, casqués, et suivis d'une bande de malfaiteurs recrutés parmi les habitants les plus vils, ils partirent accomplir leur tâche. Les 'ulamas se mirent, pendant ce temps, à exciter la populace et à l'encourager à leur prêter main forte.

Dès que les émissaires arrivèrent dans le quartier où habitait Hujjat, ils eurent à faire face de manière inattendue à Mir Salah, l'un des partisans les plus redoutables de Hujjat qui, avec l'aide de sept de ses compagnons armés, s'opposa fermement à leur avance. Mir Sal'ah demanda à Asadu'llah où il se rendait et, après avoir reçu de ce dernier une réponse offensante, dégaina son épée et, au cri de " Ya Sahibu'z-Zaman !" (24.19) bondit sur lui et le blessa au front. L'audace de Mir Salah, malgré la lourde armure que portait son adversaire, effraya la bande tout entière et la fit s'enfuir dans toutes les directions. (24.20)

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Le cri que ce défenseur intrépide de la foi lança ce jour-là fut entendu pour la première fois à Zanjan et sema la panique à travers la ville. Le gouverneur fut terrifié par sa formidable puissance et demanda ce que signifiait ce cri et le nom de celui qui avait pu le lancer. Il fut sérieusement ébranlé lorsqu'il apprit que c'était le mot d'ordre des compagnons de Hujjat par lequel ils invoquaient l'assistance du Qa'im à l'heure de détresse.

Les survivants de cette bande terrifiée rencontrèrent peu après Shaykh Muhammad-i-Tub-Chi, qu'ils reconnurent aussitôt comme l'un de leurs adversaires les plus habiles. Le trouvant désarmé, ils se jetèrent sur lui et, à l'aide d'une hache que transportait l'un d'eux, le frappèrent à la tête et la lui brisèrent. Ils le transportèrent ensuite chez le gouverneur et, à peine avaient-ils déposé le corps du blessé, qu'un certain Siyyid Abu'l-Qasim, l'un des mujtahids de Zanjan qui assistait à la scène, bondit en avant et le poignarda au moyen de son couteau. Le gouverneur lui aussi, dégainant son épée, le frappa à la bouche, puis ce fut au tour des assistants de parachever le meurtre de leur malheureuse victime au moyen des armes qu'ils détenaient. Tandis que leurs coups pleuvaient sur lui, on entendit Shaykh Muhammad, peu soucieux de ses souffrances, prononcer ces mots:

"Je te remercie, ô mon Dieu, de m'avoir octroyé la couronne du martyre." Il fut le premier croyant de Zanjan à sacrifier sa vie dans le sentier de la cause. Sa mort, qui eut lieu un vendredi, le 4 rajab de l'an 1266 après l'hégire, (24.21) précéda de quarante-cinq jours le martyre de Vahid et de cinquante-cinq jours celui du Bab.

Le sang qui fut répandu ce jour-là, loin de calmer l'hostilité de l'ennemi, servit à enflammer ses passions et à renforcer sa détermination de faire subir le même sort au reste des compagnons. Encouragés par l'approbation tacite du gouverneur quant à leurs intentions, ils décidèrent de mettre à mort toutes les personnes qui leur tomberaient sous la main, sans obtenir au préalable l'autorisation expresse des responsables du gouvernement. Ils se promirent solennellement de ne pas s'arrêter avant d'avoir éteint le feu de ce qui leur semblait une ignoble hérésie. (24.22) Ils obligèrent le gouverneur à charger un crieur d'aller proclamer à travers Zanjan que quiconque désirait mettre sa vie en danger, faire saisir ses biens et exposer sa femme et ses enfants à la misère et à la honte n'avait qu'à partager le sort de Hujjat et de ses compagnons, et que ceux qui désiraient s'assurer leur bien être et leur honneur personnels ainsi que ceux de leurs familles devaient se retirer du voisinage des lieux de résidence de ces compagnons et chercher refuge auprès de leur souverain protecteur.

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Cet avertissement divisa aussitôt les habitants en deux camps distincts et éprouva sévèrement la foi de ceux qui hésitaient encore dans leur allégeance à la cause. Il donna lieu à des scènes des plus pathétiques et causa la séparation de pères et de fils, la rupture des relations entre frères et entre parents. Tous les liens d'affection temporelle semblèrent ce jour-là se dissoudre, et les serments solennels furent délaissés au profit d'une loyauté plus puissante et plus sacrée qu'une allégeance terrestre. Zanjan fut en proie à une agitation des plus farouches. Le cri de détresse que les membres des familles divisées lançaient vers le ciel dans la frénésie du désespoir, se mêlait aux appels blasphématoires que leur adressait un ennemi menaçant. Des cris de joie saluaient successivement ceux qui, se séparant de leurs parents et de leur maison, s'enrôlaient comme partisans volontaires de la cause de Hujjat. Le camp de l'ennemi bourdonnait d'une activité fébrile en vue de la grande bataille qu'il venait de décider secrètement de livrer. Des renforts furent dépêchés vers la ville à partir des villages avoisinants, par ordre du gouverneur et avec l'encouragement des mujtahids, des siyyids et des 'ulamas qui le supportaient. (24.23)

Point découragé par le tumulte croissant, Hujjat monta à la chaire et, d'une voix impressionnante, proclama à l'assistance: "La main d'Omnipotence a, en ce jour, séparé le vrai du faux et la lumière de direction des ténèbres de l'erreur. Je ne désire pas qu'à cause de moi, vous ayez à subir des maux. L'unique but du gouverneur et des 'ulamas qui le défendent est de s'emparer de moi et de me tuer. Ils ne caressent pas d'autre ambition. Ils ont soif de mon sang et ne cherchent personne sinon moi. Quiconque parmi vous ressent le moindre désir de sauvegarder sa vie contre les périls qui nous assaillent, quiconque hésite à offrir sa vie pour notre cause doit, avant qu'il ne soit trop tard, fuir ce lieu et retourner d'où il vient. " (24.24)

Ce jour-là, plus de trois mille hommes furent recrutés par le gouverneur dans les villages des environs de Zanjan. Pendant ce temps, Mir Salah, accompagné de quelques-uns de ses camarades qui observaient l'activité croissante de leurs adversaires, allèrent auprès de Hujjat et le prièrent de transférer, par mesure de précaution, sa résidence au fort d' 'Ali-Mardan Khan, (24.25) qui jouxtait le quartier dans lequel il résidait. Hujjat consentit et donna l'ordre d'emmener au fort les femmes et les enfants et d'y apporter les provisions dont les compagnons pourraient avoir besoin. Bien qu'ils trouvassent ce bâtiment occupé par ses propriétaires, les compagnons déterminèrent finalement ces derniers à se retirer et leur donnèrent en échange les maisons qu'ils avaient eux-mêmes habitées.

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L'ennemi, pendant ce temps, préparait contre eux une violente attaque. A peine un détachement de ses forces avait-il ouvert le feu sur les barricades qu'avaient érigées les compagnons, que Mir Rida, un siyyid au courage exceptionnel, demanda à son chef la permission de tenter de capturer le gouverneur et de l'amener prisonnier au fort. Hujjat, qui ne voulait pas accéder à sa requête, lui conseilla de ne pas risquer sa vie.

Le gouverneur eut si peur quand on l'informa de l'intention de ce siyyid qu'il décida de quitter Zanjan sur le champ. Il en fut toutefois dissuadé par un certain siyyid, qui fit valoir que son départ serait le signal de troubles si graves qu'ils pourraient le mettre en disgrâce aux yeux de ses supérieurs. Le siyyid lui-même se mit à lancer une offensive contre les occupants du fort, dans le but de prouver sa sincérité. A peine avait-il donné le signal de l'attaque et s'était-il avancé à la tête d'un groupe de trente de ses compagnons, qu'il rencontra de manière inattendue deux de ses adversaires qui marchaient, sabres au clair, vers lui. Croyant qu'ils avaient l'intention de l'attaquer ainsi que tout le groupe, il fut, comme ses hommes, pris de panique, regagna sa maison et, oubliant les assurances qu'il avait données au gouverneur, resta toute la journée enfermé dans sa chambre. Ceux qui étaient avec lui se dispersèrent rapidement, renonçant à l'idée de poursuivre l'attaque. Ils furent informés ultérieurement que les deux hommes qu'ils avaient rencontrés n'avaient aucune intention belliqueuse à leur égard et qu'ils se trouvaient simplement sur la route pour accomplir une mission qui leur avait été confiée.

Cet épisode humiliant fut bientôt suivi de quelques tentatives similaires de la part des partisans du gouverneur, tentatives qui échouèrent toutes. Chaque fois qu'ils se précipitaient pour attaquer le fort,

Hujjat donnait l'ordre à quelques-uns de ses compagnons, qui étaient au nombre de trois mille, de sortir de leur retraite pour disperser les forces en présence. Il ne manquait jamais de dire à ses condisciples, chaque fois qu'il leur donnait de tels ordres, d'éviter de verser inutilement le sang de leurs assaillants. Il leur rappelait toujours le caractère purement défensif de leur action, et leur disait que le unique but était de préserver, inviolée, la sécurité de leurs femmes et de leurs enfants. "Nous avons ordre", l'entendait-on fréquemment observer, "de ne pas mener la guerre sainte contre les impies, quelle que soit leur attitude envers nous.

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Cet état de choses dura (24.26) jusqu'au moment où les ordres de 1' amir-nizam parvinrent à l'un des généraux de l'armée impériale, en 1'occurence Sadru'd-Dawlih-i-Isfahani (24.27)qui était parti, à la tête de deux régiments, pour l'Adhirbayjan. Les ordres écrits du Grand vazir lui parvinrent à Khamsih; ils lui enjoignaient d'annuler son voyage prévu et de se rendre immédiatement à Zanjan pour prêter assistance aux forces qui avaient été mises sur pied par le gouvernement. "Vous avez été chargé par votre souverain", lui écrivait l'amir-nizam, "de détruire la bande de fauteurs de troubles de Zanjan et de ses alentours. Vous avez le privilège d'anéantir leurs espoirs et d'exterminer leurs forces. Un service aussi remarquable, à un moment aussi critique, vous gagnera la plus grande faveur du shah ainsi que l'estime et la louange de son peuple."

Ce farman encourageant éveilla l'imagination de l'ambitieux sadru'd-dawlih. Il marcha aussitôt sur Zanjan à la tête de ses deux régiments, organisa les forces que le gouverneur avait mises à sa disposition, et donna l'ordre de mener une attaque combinée contre le s fort et ses défenseurs. (24.28) La bataille fit rage dans les environs du fort durant trois jours et trois nuits au cours desquels les assiégés, dirigés par Hujjat, résistèrent avec une splendide audace aux farouches assauts de l'assaillant. Ni le nombre écrasant de celui-ci ni la supériorité de son équipement et de son entraînement ne lui permirent de réduire les intrépides compagnons à se rendre sans condition. (24.29) Point découragés par le feu des canons qui pleuvait sur eux, et oubliant sommeil et faim, ils se ruèrent tête baissée hors du fort, peu soucieux des dangers que comportait une telle sortie. Aux imprécations par lesquelles une armée adverse accueillait leur apparition hors de leur retraite, ils répondaient par le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman!" et, transportés par la magie que leur conférait cette invocation, se jetaient sur l'ennemi et éparpillaient ses forces. La fréquence et le succès de ces sorties démoralisèrent leurs assaillants et les convainquirent de la futilité de leurs efforts. Ils furent bientôt obligés de reconnaître leur impuissance à remporter une victoire décisive. Le sadru'd-dawlih lui-même dut confesser qu'après une période de neuf mois de combat soutenu, de tous les hommes qui avaient initialement appartenu à ses deux régiments, seuls trente soldats estropiés restaient encore pour le défendre. Plein d'humiliation, il dut finalement admettre son impuissance à dompter l'esprit de ses adversaires. Il fut déchu de son rang et sévèrement blâmé par son souverain. Les espoirs qu'il avait si tendrement caressés furent irrémédiablement brisés à la suite de cette défaite.

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Une défaite aussi abjecte frappa de consternation les habitants de Zanjan. Peu nombreux étaient ceux qui, après ce désastre, désiraient encore risquer leur vie dans des rencontres désespérées. Seuls ceux qui étaient obligés de combattre osèrent renouveler leurs attaques contre les assiégés. La violence de la bataille fut principalement soutenue par les régiments qui étaient successivement dépêchés de Tihran à cette fin. Alors que les habitants de la ville, et en particulier la classe marchande, tiraient grand profit de la venue soudaine d'un si grand nombre de soldats, les compagnons de Hujjat souffraient de privations à l'intérieur des murs du fort. Leurs réserves diminuaient rapidement; leur seul espoir de recevoir de la nourriture de l'extérieur résidait dans les efforts, souvent malheureux, de quelques femmes qui pouvaient réussir, sous des prétextes divers, à s'approcher du fort et à leur vendre, à un prix exorbitant, les provisions dont ils avaient un besoin si pressant.

Bien qu'ils fussent accablés par la faim et harcelés par des attaques soudaines et farouches, les compagnons soutinrent cependant, avec une détermination stoïque, la défense du fort. Soutenus par un espoir qu'aucune d'adversité ne pouvait affaiblir, ils réussirent à ériger pas moins de vingt-huit barricades dont chacune fut confiée aux soins d'un groupe de dix-neuf de leurs condisciples. A chaque barricade on fit stationner, en guise de sentinelles, dix-neuf compagnons supplémentaires dont la fonction était de surveiller et de rapporter les mouvements de l'ennemi.

Il furent fréquemment surpris par la voix du crieur que l'ennemi envoyait dans le voisinage du fort pour inciter ses occupants à abandonner Hujjat et sa cause. "Le gouverneur de la province, proclamait celui-ci, ainsi que le commandant en chef sont prêts à pardonner et à octroyer un sauf-conduit à tous ceux d'entre vous qui se décideront à quitter le fort et à renoncer à leur foi. Ces personnes seront amplement récompensées par leur souverain qui leur prodiguera non seulement ses dons mais les investira de la dignité de la noblesse. Le shah, ainsi que ses représentants, ont donné leur parole d'honneur qu'ils ne failliront pas à la promesse qu'ils ont donnée."Les assiégés, unanimes, ne répondaient qu'avec dédain et fermeté à cet appel.

On eut une preuve supplémentaire de l'esprit de renoncement sublime qui animait ces vaillants compagnons par le comportement d'une jeune villageoise qui, de son plein gré, vint partager le sort du groupe de femmes et d'enfants qui s'était joint aux défenseurs du fort.

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Elle s'appelait Zaynab et venait d'un hameau des environs de Zanjan. Elle était avenante et belle, animée d'une foi élevée, et douée d'un courage intrépide. La vue des épreuves et des difficultés que ses compagnons devaient endurer suscita en elle une irrésistible envie de se déguiser en homme et de contribuer à repousser les attaques répétées de l'ennemi. Elle mit une tunique et un couvre-chef semblables à ceux de ses compagnons, se coupa les tresses, s'attacha une épée à la ceinture et, s'emparant d'un fusil et d'un bouclier, s'introduisit dans leurs rangs. Personne ne la soupçonna d'être une femme lorsqu'elle sauta pour aller prendre place derrière la barricade. Dès que l'ennemi chargea, elle dégaina son épée et, lançant le cri de "Ya Sahibu' z-Zaman", se jeta avec une incroyable audace sur les forces déployées contre elle. Amis et ennemis furent ce jour-là émerveillés par un courage et une habileté dont ils n'avaient jamais vu d'égal. Elle fut considérée par ses ennemis comme un fléau qu'une Providence en colère leur avait envoyé. Ecrasés par le désespoir, ils abandonnèrent leurs barricades et fuirent honteusement devant elle.

Hujjat, qui observait les mouvements de l'ennemi d'une des tourelles, reconnut Zaynab et fut émerveillé par la vaillance dont elle faisait preuve. Elle s'était mise à poursuivre ses assaillants lorsqu'il donna l'ordre à ses hommes de la prier de retourner au fort et de renoncer à sa tentative. "Aucun homme", l'entendit-on dire au moment où il regardait la jeune fille plonger dans le feu dirigé contre elle par l'ennemi, "n'a montré autant de vitalité et de courage." Lorsque Hujjat l'interrogea sur le mobile de son comportement, elle fondit en larmes et dit: "Mon coeur souffrait de pitié et de tristesse lorsque je voyais la peine et les souffrances de mes condisciples. J'avançai, poussée par un appel intérieur auquel je ne pouvais résister. J'avais peur de vous voir me refuser le privilège de partager le sort de mes compagnons." "Vous êtes sûrement la même Zaynab, lui demanda Hujjat, qui s'était déclarée volontaire pour rejoindre les occupants du fort?" "Je le suis, répondit-elle. Je puis vous assurer en toute certitude que personne, jusqu'à présent, n'a découvert mon sexe. Vous seul m'avez reconnue. Je vous adjure par le Bab de ne pas 'ôter ce privilège inestimable qu'est la couronne du martyre, unique désir de ma vie."

Hujjat fut profondément impressionné par le ton et la forme de cet appel. Il chercha à calmer le tumulte de son âme, l'assura de ses prières en sa faveur et lui donna le nom de Rustam-'Ali, voulant marquer par là son noble courage.

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"C'est le jour de la résurrection, lui dit-il, le jour où "tous les secrets seront découverts" (24.30) Ce n'est pas par leur apparence extérieure, mais bien par le caractère de leur croyance et la manière de vivre de ses créatures que Dieu les jugera, qu'elles soient hommes ou femmes. Quoiqu'encore une jeune fille d'âge tendre et de peu d'expérience, vous avez fait preuve d'une vitalité et d'une habileté telles que peu d'hommes peuvent espérer vous surpasser." Il accepta la requête de Zaynab et lui dit de ne pas dépasser les limites que la foi leur avait imposées. "Nous sommes appelés à défendre nos vies, lui rappela-t-il, contre un traître assaillant et non à mener la guerre sainte contre lui."

Durant une période de non moins de cinq mois, cette jeune fille continua à tenir tête, avec un héroïsme inégalé, aux forces de l'ennemi. Se souciant peu de la nourriture et du sommeil, elle oeuvra avec une sincérité fiévreuse pour la cause qu'elle aimait par-dessus tout. Par l'exemple de sa splendide audace, elle ranima le courage des hésitants et leur rappela l'obéissance qu'on attendait de chacun d'eux. L'épée qu'elle portait resta, pendant tout ce temps, à ses côtés. On la voyait, au cours des brefs intervalles de sommeil qu'elle pouvait obtenir, se reposer, la tête sur son arme alors que son bouclier servait à lui couvrir le corps. Chacun de ses compagnons avait la charge d'un poste particulier qu'il devait surveiller et défendre, tandis que cette jeune fille intrépide avait seule la liberté de se déplacer où il lui plaisait. Sans cesse au milieu du combat et au tout premier rang du tumulte qui faisait rage autour d'elle, Zaynab était toujours prête à se précipiter au secours de tout poste que menaçait l'assaillant, et à prêter assistance à tous ceux qui avaient besoin de son encouragement ou de son soutien. Comme la fin de sa vie approchait, ses ennemis découvrirent son secret et continuèrent, bien qu'ils sussent qu'il s'agissait d'une jeune fille, de craindre son influence et de trembler à son approche. Le son aigu de sa voix suffisait à semer la consternation en leurs coeurs et à les remplir de désespoir.

Un jour, voyant que ses compagnons se trouvaient soudain débordés par les forces de l'ennemi, Zaynab courut désespérée chez Hujjat et, se jetant à ses pieds, le supplia, les yeux baignés de larmes, de lui permettre de se précipiter à leur secours. "Ma vie, je le sens, tire à sa fin, ajouta-t-elle. Je puis moi-même tomber sous l'épée de l'assaillant. Pardonnez-moi mes fautes, je vous en supplie, et intercédez en ma faveur auprès de mon maître, pour l'amour de qui je brûle d'offrir ma vie."

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Hujjat fut trop ému pour pouvoir répondre. Encouragée par son silence, qu'elle interpréta comme un acquiescement, Zaynab sortit en courant par la porte et, lançant sept fois le cri de "Ya Sahibu'zZaman", se précipita pour arrêter la main qui avait déjà tué un certain nombre de ses compagnons. "Pourquoi salissez-vous par vos actes le beau nom de l'islam?" cria-t-elle en bondissant vers eux. "Pourquoi fuir honteusement devant nous, si vous êtes de ceux qui disent la vérité?" Elle courut aux barricades que l'ennemi avait érigées, mit

déroute ceux qui gardaient les trois premières défenses, et était occupée à vaincre la quatrième lorsqu'elle tomba morte sous une pluie de balles. Pas une seule voix, parmi ses adversaires, n'osa mettre en doute sa chasteté ni ignorer le caractère sublime de sa foi et l'endurance de son caractère. Sa dévotion était telle qu'après sa mort, pas moins de vingt femmes, parmi ses connaissances, embrassèrent la cause du Bab. Pour elles, elle avait cessé d'être la fille de paysan qu'elles avaient connue; elle était désormais l'incarnation même des plus nobles principes de la conduite humaine, une vivante incarnation de l'esprit que seule une foi comme la sienne pouvait manifester.

Les messagers qui agissaient en qualité d'intermédiaires entre Hujjat et ses compagnons reçurent un jour l'ordre de charger les gardes des barricades de mettre en application l'injonction du Bab à ses disciples et de répéter, dix-neuf fois chaque nuit, chacune des invocations suivantes: "Allah-u-Akbar" (24.31), Allah-u-A'zam' (24.32), "Allah-u-Ajmal" (24.33), "Allah-u-Abha" (24.34) et "Allah-u-Athar". (24.35) La nuit même où l'ordre fut reçu, tous les défenseurs des barricades se joignirent pour clamer ensemble ces paroles. Ce cri fut si fort et si irrésistible que 1'ennemi fut brutalement tiré de son sommeil, abandonnant horrifié le camp et, se ruant vers les alentours de la résidence du gouverneur, chercha refuge dans les maisons avoisinantes. Quelques-uns furent si frappés de terreur qu'ils tombèrent aussitôt raides morts. Un nombre considérable d'habitants de Zanjan s'enfuirent, pris de panique, vers les villages proches. Beaucoup prirent cette immense clameur pour un signe présageant le jour du Jugement; d'autres pensèrent que c'était là un nouvel appel de Hujjat qui, selon eux, serait le prélude à une soudaine offensive dirigée contre eux, plus terrible que toutes celles qu'ils avaient vécues jusqu'alors.

"Que serait-ce", entendit-on Hujjat faire remarquer lorsqu'il fut informé de la terreur que cette soudaine invocation avait provoquée, "si mon maître m'avait autorisé à mener la guerre sainte contre ces lâches mécréants! Il m'a dit d'instiller dans le coeur des hommes les principes ennoblissant de charité et d'amour, et de m'abstenir de toute violence inutile.

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Mon but et celui de mes compagnons est, et sera toujours, de servir loyalement notre souverain et de vouloir le bien de son peuple. Si j'avais décidé de suivre les traces des 'ulamas de Zanjan, je serais demeuré, ma vie durant, l'objet de l'adoration servile de ce peuple. Jamais je n'accepterai d'échanger, contre tous les trésors et les honneurs de ce monde, la loyauté immuable que je porte envers sa cause.

Le souvenir de cette nuit demeure encore vivant à l'esprit de ceux qui vécurent sa terreur et son horreur. J'ai entendu plusieurs témoins oculaires exprimer, en termes glorieux, le contraste entre le tumulte et le désordre qui régnaient dans le camp de l'ennemi, et l'atmosphère de dévouement respectueux qui remplissait le fort. Alors que ceux qui étaient dans le fort invoquaient le nom de Dieu, l'imploraient de les guider et de leur accorder sa miséricorde, leurs adversaires, officiers et hommes de troupe, étaient absorbés par des actes honteux et de débauche. Bien qu'ils fussent épuisés, les occupants du fort continuaient à observer leurs veilles et à psalmodier les hymnes de louange que le Bab leur avait appris à répéter. Le camp de l'ennemi retentissait, au même moment, d'éclats de rire bruyants, d'imprécations et de blasphèmes. Cette nuit-là en particulier, dès que l'invocation se fit entendre, les officiers licencieux, qui tenaient à la main leurs verres de vin, les jetèrent instantanément à terre et déguerpirent, tête baissée et pieds nus, comme abasourdis par ce cri de stentor. Au milieu du désordre qui s'ensuivit, on renversa des tables de jeux. A moitié vêtus et tête nue, certains étaient sortis en courant dans les rues désertes alors que d'autres s'étaient rendus en hâte chez les 'ulamas pour les tirer de leur sommeil. Alarmés et terrifiés, ceux-ci commencèrent à se lancer les invectives les plus violentes, s'accusant mutuellement d'avoir allumé le feu d'un si grand trouble.

Dès que l'ennemi eut découvert le but de cette grande clameur, il retourna rassuré à ses postes, bien que fort humilié par son aventure. Les officiers ordonnèrent à certains de leurs hommes de se tenir en embuscade pour tirer dans la direction d'où ces voix pourraient de nouveau provenir. Ils parvenaient ainsi chaque nuit à tuer quelques compagnons. Point découragés par les pertes qu'ils subissaient régulièrement, les partisans de Hujjat continuèrent à lancer, avec la même ferveur, leur invocation, dédaignant les périls que comportait la récitation de leur prière. Au fur et à mesure que leur nombre diminuait, cette prière devenait plus forte et acquérait un caractère plus poignant.

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Même l'imminence de la mort était impuissante à décider les défenseurs intrépides du fort à abandonner ce qu'ils considéraient comme le plus noble et le plus puissant souvenir de leur Bien-Aimé.

La bataille faisait encore rage lorsque Hujjat fut amené à adresser son message écrit à Nasiri'd-Din Shah. "Les sujets de Votre Majesté Impériale, lui écrivit-il, vous considèrent aussi bien comme leur souverain temporel que comme le suprême gardien de leur foi. Ils font appel à vous pour que justice soit faite et voient en vous le protecteur suprême de leurs droits. Notre controverse concernait à l'origine uniquement les 'ulamas de Zanjan et n'impliquait en aucun cas votre gouvernement ni votre peuple. Je fus moi-même convoqué à Tihran par votre prédécesseur et dus, à sa demande, exposer les affirmations fondamentales de ma foi. Feu le Shah fut entièrement satisfait et fit hautement l'éloge de mes efforts. Je me résignai alors à quitter mon foyer et à m'installer à Tîhran, n'ayant pour but que de calmer la fureur qui faisait rage autour de ma personne et d'éteindre le feu qu'avaient allumé les fauteurs de troubles. Quoique libre de retourner chez moi, je préférai demeurer dans la capitale, me confiant totalement à la justice de mon souverain. Aux premiers jours de votre règne, alors que le soulèvement du Mazindaran était encore en cours, l'amir-nizam me suspecta de trahison et décida de m'ôter la vie. Ne trouvant personne à Tihràn capable de me protéger, je décidai, dans le but de me défendre, de fuir à Zanjan où je repris mes travaux et m'efforçai, de tout mon être, de promouvoir les véritables intérêts de l'islam. Je poursuivais mon oeuvre lorsque le majdu'ddawlih se leva contre moi. Je fis plusieurs fois appel à lui pour qu'il fasse preuve de modération et de justice, mais il refusa d'accéder à ma demande. A l'instigation des 'ulamas de Zanjan et encouragé par les flatteries dont il était l'objet, il décida de m'arrêter. Mes amis intervinrent et tentèrent de retenir sa main. Il continu de soulever le peuple contre moi et celui-ci, à son tour, a agi de telle façon que nous avons été mis devant la situation actuelle. Votre Majesté s'est jusqu'à présent abstenue de nous accorder sa gracieuse assistance, à nous qui sommes les innocentes victimes d'une cruauté si féroce. Nos ennemis ont même cherché à présenter notre cause, aux yeux de Votre Majesté, comme une conspiration contre l'autorité dont vous êtes investi. Certes, tout observateur impartial admettra aussitôt que nous ne nourrissons point en nos coeurs une telle intention. Notre unique but est de faire progresser les intérêts de votre gouvernement et de votre peuple. Mes principaux compagnons et moi, nous tenons prêts à partir pour Tihran afin de pouvoir, en votre présence ainsi qu'en celle de nos principaux adversaires, établir l'authenticité de notre cause.

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Ne se contentant point de sa propre requête, il pria ses principaux partisans d'adresser des appels similaires au Shah et d'appuyer sa demande visant à rétablir la justice.

A peine le messager qui transportait ces requêtes à Tihran s'était-il mis en route, qu'il fut arrêté et emmené auprès du gouverneur. Rendu furieux par cet acte de ses adversaires, celui-ci donna l'ordre de tuer aussitôt le messager. Il détruisit les pétitions et écrivit au Shah des lettres qu'il chargea d'insultes et, ajoutant les signatures de Hujjat et de ses principaux compagnons, les envoya à Tihran.

Le shah fut si indigné à la lecture de ces insolentes pétitions qu'il donna l'ordre d'envoyer aussitôt à Zanjan deux régiments équipés de canons et de munitions, et de leur enjoindre de ne laisser survivre aucun des partisans de Hujjat.

Pendant ce temps, la nouvelle du martyre du Bab parvenait aux occupants du fort durement éprouvés, grâce à Siyyid Hasan, frère de Siyyid Husayn, le secrétaire du Bab, qui était arrivé d'Adhirbayjan et se rendait à Qazvin. La nouvelle se répandit parmi l'ennemi qui l'accueillit avec des cris de joie sauvage. Il se hâta de se moquer des efforts des adeptes du martyr et de proférer des injures contre eux. "Pour quel motif", crièrent-ils dédaigneux et méprisants, "voulez-vous vous sacrifier désormais? Celui dans le sentier de qui vous désirez ardemment offrir vos vies est lui-même tombé victime des balles d'un ennemi triomphant. Son corps est déjà perdu, aussi bien pour ses ennemis que pour ses amis. Pourquoi persister dans votre obstination alors qu'un mot suffirait à vous libérer de vos ennemis ?" Cependant, malgré leurs efforts tendant à ébranler la confiance de la communauté endeuillée, ils ne purent finalement décider le plus faible d'entre eux à abandonner le fort ou à rejeter sa foi.

L'amir-nizam, pendant ce temps, exhortait son souverain à envoyer des renforts supplémentaires à Zanjan. Muhammad Khan, l'amirtuman, à la tête de cinq régiments équipés d'une quantité considérable d'armes et de munitions, fut finalement chargé de démolir le fort et d'exterminer ses occupants.

Durant les vingt jours où l'on suspendit les hostilités, 'Aziz Khan-i-Mukri, surnommé Sardar-i-Kull, qui se trouvait en mission militaire à Iravan (24.36), arrivait à Zanjan et réussissait à rencontrer Hujjat grâce à son hôte, Siyyid 'Ali Khan. Ce dernier raconta à 'Aziz Khan les circonstances d'une émouvante entrevue qu'il avait eue avec Hujjat et au cours de laquelle il avait obtenu tous les renseignements dont il avait besoin concernant les intentions et les propositions des assiégés.

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"Si le gouvernement, lui avait dit Hujjat, refuse de prêter l'oreille à mon appel, je suis prêt, avec sa permission, à partir en compagnie de ma famille pour un lieu situé au-delà des confins de ce pays. S'il refusait même d'accepter cette requête et continuait de nous attaquer, nous nous sentirions alors contraints à nous lever pour nous défendre." 'Aziz Khan assura Siyyid 'Ali Khan qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour décider les autorités à trouver une solution rapide à ce problème. A peine Siyyid 'Ali Khan s'était-il retiré qu' `Aziz Khan fut surpris par le farràsh (24.37) de 1' amir-nizam, qui était venu arrêter Siyyid 'Ali Khan pour le conduire à la capitale. 'Aziz Khan fut pris d'une grande frayeur et, dans le but d'écarter tout soupçon de sa propre personne, se mit à insulter Hujjat et à le dénoncer ouvertement devant le farrash. Il put ainsi écarter le danger qui menaçait sa propre vie.

L'arrivée de l'amir-tuman marqua la reprise des hostilités à une échelle telle que Zanjan n'en avait jamais connue auparavant. Dix-sept régiments de cavalerie et d'infanterie avaient rallié son étendard et combattaient sous son commandement. (24.38) Pas moins de quatorze canons furent, sur son ordre, pointés sur le fort. Cinq régiments supplémentaires, que l'amir avait recrutés dans le voisinage, s'entraînaient sous son commandement pour servir de renfort. La nuit même où il arriva, il donna l'ordre de sonner les trompettes pour signaler la reprise de l'attaque. Les officiers chargés de son artillerie reçurent l'ordre d'ouvrir aussitôt le feu sur les assiégés. Le grondement des canons, que l'on pouvait nettement entendre à une distance d'environ quatorze farsangs (24.39), avait à peine commencé lorsque Hujjat ordonna à ses compagnons de faire usage des deux canons qu'ils avaient eux-mêmes construits. L'un deux fut transporté vers un lieu surélevé qui dominait le quartier général de l'amir. Une balle frappa la tente de celui-ci et blessa mortellement sa monture. L'ennemi, pendant ce temps, tirait avec une fureur implacable sur le fort, et réussissait à tuer un grand nombre de ses occupants.

Au fur et à mesure que les jours passaient, il devenait de plus en plus évident que les forces de l'amir-tuman, en dépit de leur grande supériorité en nombre, en équipement et en entraînement, étaient incapables de remporter la victoire qu'elles avaient naïvement anticipée. La mort de Farrukh Khan, fils de Yahya Khan et frère de Haji Sulayman Khan, l'un des généraux de l'armée ennemie, suscita l'indignation de l'amir-nizam, qui adressa une communication très ferme au commandant en chef, le blâmant de n'avoir pu contraindre les assiégés à se rendre sans conditions.

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"Vous avez souillé le beau nom de votre pays, lui écrivit-il, vous avez démoralisé l'armée et gaspillé les vies de ses officiers les plus capables." Il lui ordonnait en outre de faire appliquer la discipline la plus stricte parmi ses subordonnés et de nettoyer son camp de toute trace de débauche et de vice. Il l'exhortait, de plus, à tenir conseil avec les chefs des habitants de Zanjan et l'avertissait que, s'il faillissait à atteindre son but, il serait dégradé. "Si vos efforts combinés, ajoutait-il, s'avèrent impuissants à les forcer à se soumettre, je me rendrai moi-même à Zanjan et donnerai l'ordre de procéder à un massacre général de ses habitants, sans tenir compte de leur rang ni de leur croyance. Une ville qui peut apporter tant d'humiliation au Shah et de détresse à son peuple est complètement indigne de la clémence de notre souverain.

Au comble du désespoir, l'amir-tuman convoqua tous les kad-khudàs (24.40) et les chefs du peuple, leur montra le texte de cette lettre et parvint, par ses pressantes supplications, à les pousser à agir immédiatement. Le lendemain, tout homme de Zanjan physiquement apte s'enrôlait sous l'étendard de l'amir-tuman. Menée par ses kad-khudas et précédée par quatre régiments, une foule immense se mettait en marche, au son d'une fanfare de trompettes et au battement des tambours, en direction du fort. Nullement ébranlés par ces clameurs, les compagnons de Hujjat lancèrent simultanément le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman!" et sortirent ensemble par les portes pour se jeter sur la foule. Cette rencontre fut l'engagement le plus féroce et le plus désespéré de tous ceux qu'ils avaient vécus jusqu-alors. L'élite de l'armée de Hujjat tomba ce jour-là, victime d'un carnage impitoyable. Beaucoup de fils furent massacrés dans des circonstances d'une cruauté effrénée sous les yeux de leur mère, alors que des soeurs virent avec horreur et angoisse les têtes de leurs frères mises au bout des lances et brutalement défigurées par les armes de leurs ennemis. Au milieu d'un tumulte où l'enthousiasme impétueux des compagnons de Hujjat eut à faire face à la furie et au barbarisme d'un ennemi exaspéré, les voix des femmes, qui combattaient côte à côte avec les hommes, se faisaient entendre de temps à autre, ranimant le zèle de leurs condisciples. La victoire qui fut remportée miraculeusement ce jour-là, les compagnons la durent, pour une large part, aux cris d'allégresse que ces femmes lançaient face à un ennemi puissant, et dont le caractère poignant était encore accru par leurs propres actes d'héroïsme et d'abnégation.

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Déguisées en hommes, quelques-unes s'étaient ruées sur l'ennemi dans leur impatience à remplacer leurs frères tombés, alors qu'on voyait les autres porter sur leurs épaules des outres pleines d'eau avec lesquelles elles s'efforçaient d'apaiser la soif et de raviver les forces des blessés. La confusion régnait, pendant ce temps, dans le camp de l'ennemi. Privé d'eau et affligé par la défection dans ses rangs, celui-ci combattait pour une bataille perdue d'avance, incapable de battre en retraite et impuissant à vaincre. Pas moins de trois cents compagnons burent, ce jour-là, à la coupe du martyre.

L'un des partisans de Hujjat s'appelait Muhsin dont la fonction était d'entonner l'adhan (24.41). Sa voix était douée d'une telle chaleur et d'une telle ampleur que personne, dans le voisinage, ne pouvait l'égaler. Son écho, lorsqu'il appelait les fidèles à la prière, pouvait être nettement entendu jusque dans les villages voisins, et pénétrait les coeurs de ceux qui l'entendaient. Souvent les croyants des environs, aux oreilles de qui parvenait la voix de Muhsin, exprimaient leur indignation devant les accusations d'hérésie portées contre Hujjat et ses amis. Leurs protestations devinrent si énergiques qu'elles parvinrent finalement aux oreilles du principal mujtahid de Zanjan qui, ne pouvant leur imposer le silence, implora l'amir-tuman d'inventer un moyen propre à faire sortir de l'esprit des habitants la croyance en la piété et en la droiture de Hujjat et de ses compagnons. "Jour et nuit, se plaignit-il, je m'efforce par mes sermons, ainsi que par mes entretiens privés avec les habitants, de leur inculquer la conviction que cette misérable bande est l'ennemie juré du Prophète et la destructrice de sa foi. Le cri de cette vile personne qui s'appelle Muhsin prive mes paroles de leur effet et réduit à néant mes efforts. Exterminer ce misérable est sûrement votre première obligation."

L'amir refusa tout d'abord de prêter l'oreille à l'appel du mujtahid. "Vous et vos semblables, répondit-il, devez être tenus pour responsables d'avoir déclaré la nécessité de mener la guerre sainte contre eux. Nous ne sommes que les serviteurs du gouvernement, et notre devoir est d'obéir aux ordres que nous recevons. Si vous cherchez cependant à lui ôter la vie, vous devriez être prêts à faire le sacrifice nécessaire." Le siyyid comprit aussitôt le but de l'allusion de l'amir. A peine avait-il regagné sa maison qu'il lui envoya, par l'intermédiaire d'un messager, un don de cent tumans. (24.42)

L'amir ordonna aussitôt à certains de ses hommes, qui étaient connus pour leur qualité de tireurs, de guetter Muhsin et de tirer sur lui au moment où il ferait sa prière.

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Ce fut vers l'aube, au moment où il lançait le cri de "Là Ilah-a-Illa'llah" (24.43), que Muhsin reçut une balle dans la bouche et fut tué instantanément. Dès que Hujjat fut informé de cet acte cruel, il donna l'ordre à un autre de ses compagnons de monter à la tourelle pour poursuivre la prière là où Muhsin avait dû l'interrompre. Bien qu'il restât vivant jusqu'à la cessation des hostilités, il dut lui aussi, en même temps que plusieurs de ses frères, subir finalement une mort non moins atroce que celle de son condisciple.

Comme les jours du siège tiraient à leur fin, Hujjat exhorta tous ceux qui étaient fiancés à célébrer leur mariage. Pour chaque jeune homme célibataire qui se trouvait parmi les assiégés, il choisit une épouse et paya, dans les limites des moyens dont il disposait et de sa propre bourse, tout ce qui pouvait accroître le confort et le bonheur des nouveaux mariés. Il vendit tous les bijoux que possédait sa femme et, avec l'argent qu'il en retira, pourvut à tout ce qu'il était possible d'acquérir pour procurer la joie et le bonheur au coeur de ceux qu'il avait unis. Ces festivités continuèrent durant plus de trois mois; elles se confondaient avec la terreur et les difficultés d'un siège soutenu depuis fort longtemps. Combien de fois les acclamations de joie par lesquelles époux et épouses se saluaient l'un l'autre furent-elles couvertes par la clameur d'un ennemi qui s'avançait! Avec quelle soudaineté les cris de joie faisaient-ils place à celui de "Ya Sahibu'zZaman!" qui appelait les fidèles à se lever et à repousser l'envahisseur! Avec quelle tendresse l'épouse suppliait-elle l'époux de passer encore quelque temps à ses côtés avant de s'élancer pour aller gagner la couronne du martyre! "Je ne puis perdre de temps, répondait-il. Je dois me hâter d'obtenir la couronne de gloire. Nous nous rencontrerons certainement sur les rives du grand au-delà, la demeure d'une réunion éternelle et bienheureuse."

Pas moins de deux cents jeunes hommes se marièrent durant ces jours troublés. Quelques-uns purent passer un mois paisible en compagnie de leur épouse, d'autres quelques jours, d'autres encore un bref moment; personne, parmi eux, ne faillit à répondre joyeusement à l'appel lorsque le battement du tambour annonça l'heure du départ. Tous, sans exception, s'offrirent généreusement en sacrifice pour leur véritable Bien-Aimé; tous devaient finalement boire à la coupe du martyre. Il n'est pas étonnant que le Bab ait appelé Ard-i-A`la (24.44) le lieu qui a été le théâtre de souffrances indicibles et qui a vu un tel héroïsme; ce titre demeure à jamais lié à son propre nom béni.

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Parmi les compagnons se trouvait un certain Karbila'i 'Abdu'l-Baqi, père de sept fils dont cinq furent mariés par Hujjat. Les cérémonies nuptiales étaient à peine terminées que des cris de terreur annoncèrent soudain la reprise d'une nouvelle offensive contre eux. Ils bondirent et, abandonnant leurs bien-aimées, se lancèrent aussitôt en avant pour repousser l'envahisseur. Tous les cinq tombèrent successivement au cours de cette rencontre. Le plus âgé, un jeune homme fort estimé pour son intelligence et renommé pour son courage, fut fait prisonnier et conduit auprès de l'amir-tuman. Déposez-le à terre, s'écria l'amir furieux, et allumez sur son sein, qui osa nourrir un si grand amour pour Hujjat, un feu qui le consumera." "Misérable", s'écria l'indomptable le jeune homme, "aucune flamme allumée de la main de vos hommes ne pourrait détruire l'amour qui brûle dans mon coeur." Jusqu'au dernier instant de sa vie, la louange de son Bien-Aimé demeura sur ses lèvres.

Parmi les femmes qui se distinguèrent par la fermeté de leur foi se trouvait une certaine Umm-i-Ashraf (24.45), qui venait de se marier lorsque la tempête de Zanjan éclata. Elle se trouvait à l'intérieur du fort lorsqu'elle donna naissance à son fils Ashraf. La mère et l'enfant survécurent au massacre qui marqua la phase finale de cette tragédie. Des années plus tard, alors que son fils était devenu un jeune homme prometteur, il fut impliqué dans les persécutions qui affligèrent ses frères.

PHOTO: tombes d'Ashraf (1a) et de sa mère (2)

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Ne pouvant le décider à rejeter sa foi, ses ennemis s'efforcèrent d'alarmer sa mère et de la convaincre de la nécessité de le sauver avant qu'il ne fût trop tard. "Tu ne seras plus mon fils", s 'écria la mère lorsqu'elle fut amenée en face de lui, "si tu cèdes à de si viles médisances et leur permets de te détourner de la vérité." Fidèle aux ordres de sa mère, Ashraf fit face à la mort avec un calme intrépide. Quoiqu'elle fût elle même témoin des cruautés infligées à son fils, elle ne se lamenta point et ne versa point de larmes. Cette mère merveilleuse fit preuve d'un courage et d'une force d'âme qui étonnèrent les auteurs de cet acte ignoble. "J'ai maintenant présent à l'esprit", s'exclama-t-elle en jetant un regard d'adieu sur le corps de son fils, "le voeu que je fis le jour de ta naissance, alors que nous étions assiégés dans le fort d'Ali-Mardàn Khan. Je me réjouis de ce que tu m'aies permis, toi l'unique fils que Dieu m'ait donné, de tenir ma parole."

Ma plume est impuissante à décrire et encore moins à rendre un digne hommage à l'enthousiasme dévorant qui brûlait dans ces coeurs vaillants. Malgré leurs violences, les vents de l'adversité ne purent éteindre la flamme de cet enthousiasme. Hommes et femmes travaillèrent avec une ferveur constante à renforcer les défenses du fort et à reconstruire tout ce que l'ennemi avait détruit. Chaque fois qu'ils avaient un moment de loisir, ils le consacraient à la prière. Chaque pensée, chaque désir était subordonné à la nécessité capitale de protéger la forteresse contre les attaques de l'assaillant. Le rôle que jouèrent les femmes dans ces opérations ne fut pas moins ardu que celui de leurs compagnons. Toutes, quels que soient leur rang et leur âge, participèrent avec énergie à la tâche commune. Elle cousaient les vêtements, cuisaient le pain, surveillaient les malades et les blessés, réparaient les barricades, débarrassaient les cours et les terrasses des balles et des projectiles que leur tirait l'ennemi et, enfin, ce qui n'était pas la moindre des tâches, redonnaient courage à ceux qui hésitaient et ranimaient la foi des indécis. (24.46) Les enfants eux-mêmes s'en mêlèrent, prêtant toute l'assistance en leur pouvoir à la cause commune; ils semblaient embrasés par un enthousiasme tout aussi remarquable que celui dont faisaient preuve leurs pères et leurs mères.

L'esprit de solidarité qui caractérisa leurs travaux et l'héroïsme de leurs actes furent tels, que l'ennemi fut porté à croire que leur nombre atteignait les dix mille. On admettait généralement que de continuelles réserves de vivres parvenaient au fort de manière inexplicable, et que de nouveaux renforts étaient continuellement envoyés de Nayriz, du Khurasan et de Tabriz.

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La puissance des assiégés leur semblait plus inébranlable que jamais, leurs ressources inépuisables.

L'amir-tuman, exaspéré par leur inflexible ténacité et poussé par les blâmes et les protestations des autorités de Tihran, décida de recourir à l'arme abjecte qu'est la tromperie, dans le but d'obtenir la reddition complète des assiégés. (24.47) Fermement convaincu de la futilité de ses efforts tendant à combattre loyalement ses ennemis sur le champ de bataille, il demanda, par la ruse, la suspension des hostilités, et fit courir le bruit que le Shah avait décidé de renoncer à toute son entreprise. Il prétendit que son souverain avait, dès le début, désapprouvé l'idée d'apporter son soutien aux forces qui combattaient au Mazindaran et à Nayriz, et avait déploré l'effusion de tant de sang pour une raison aussi insignifiante. La population de Zanjan et des villages environnants en vint à croire que Nasiri'd-Din Shah avait effectivement donné l'ordre à l'amir-tuman de négocier un accord à l'amiable avec Hujjat, et qu'il était de son intention de mettre fin, aussi rapidement que possible, à ce déplorable état de choses.

Certain de ce que le peuple avait été trompé par son plan astucieux, il lança un appel à la paix, dans lequel il assurait Hujjat de la sincérité de son intention quant à la réalisation d'un accord durable entre lui et ses partisans. Il accompagna cette déclaration d'un exemplaire scellé du Qur'an en signe de témoignage du caractère sacré de son serment. "Mon souverain, ajouta-t-il, vous a pardonné. Vous êtes, ainsi que vos disciples-je le déclare solennellement-sous la protection de Sa Majesté Impériale. Ce Livre de Dieu m'est témoin que, si l'un de vous décide de sortir du fort, il sera à l'abri de tout danger."

Hujjat reçut avec respect le Qur'an de la main du messager et, dès qu'il eut lu cet appel, pria le porteur d'informer son maître qu'il lui adresserait une réponse le lendemain. Cette nuit-là, il réunit ses principaux compagnons et leur parla des doutes qu'il nourrissait quant à la sincérité des déclarations de 1'ennemi. "Les perfidies du Mazindaran et de Nayriz sont encore vivantes en notre esprit. Ils veulent faire à notre encontre ce qu'ils ont perpétré là-bas. En signe de déférence envers le Qur'an, cependant, nous répondrons à leur invitation et enverrons à leur camp certains de nos compagnons, afin que leur fourberie soit ainsi rendue manifeste."

J'ai entendu Ustàd Mihr-'Aliy-i-Haddad, qui survécut au massacre de Zanjan, relater ce qui suit: "J'étais l'un des neuf enfants, dont aucun n'avait plus de dix ans, qui accompagnèrent la délégation envoyée par Hujjat à l'amir-tuman. Les autres étaient des hommes âgés de plus de quatre-vingts ans.

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Parmi eux se trouvaient Karbila'i Mawla-Quli-Aqa-Dadash, Darvish-Salah, Muhammad-Rahim et Muhammad. Darvish-Salah était une personnalité fort impressionnante, de haute stature, portant une barbe blanche, et d'une singulière beauté. Il était fort estimé pour sa conduite juste et honorable. Son intervention en faveur des opprimés rencontrait toujours la considération et la sympathie des autorités concernées. Il renonça, après sa conversion, à tous les honneurs qu'on lui avait conférés et, bien que très âgé, s'enrôla parmi les défenseurs du fort. Il marchait devant nous, portant le Qur'an fermé, au moment où nous fûmes conduits auprès de l'amir-tuman.

"En atteignant sa tente, nous nous tînmes debout à l'entrée, dans l'attente de ses ordres. Il ne répondit pas à notre salut et nous traita avec un grand mépris. Il nous laissa debout pendant une demi-heure avant de daigner nous adresser la parole sur un ton de sévère réprimande. "On n'a jamais vu de gens plus misérables et plus ignobles que vous", s'écria-t-il avec dédain et ironie. Il avait lancé ses injures contre nous lorsque l'un des compagnons, le plus âgé et le plus faible d'entre eux, le pria de lui permettre de dire quelques mots et, après avoir obtenu son autorisation, parla, bien qu'il fût illettré, d'une manière qui ne pouvait manquer de susciter notre profonde admiration. "Dieu sait, plaida-t-il, que nous sommes et resterons à jamais des sujets loyaux de notre souverain, respectueux des lois et avec pour unique désir celui de servir les véritables intérêts de son gouvernement et de son peuple. Ceux qui nous veulent du mal nous ont présentés sous un faux jour. Aucun des représentants du shah ne fut poussé à nous protéger ou à nous porter secours; personne n'alla plaider notre cause devant lui. Nous fîmes à maintes reprises appel à lui, mais il ignora notre supplication et resta sourd à notre appel. Nos

ennemis, enhardis par l'indifférence qui caractérisa l'attitude des autorités gouvernementales, nous assaillirent de tous côtés, pillèrent nos biens, violèrent nos femmes et nos filles, et capturèrent nos enfants. N'étant pas défendus par notre gouvernement, et étant encerclés par nos ennemis, nous nous sentîmes contraints de nous lever pour défendre nos vies.

"L'amir-tuman se tourna vers son adjoint pour lui demander ce qu'il lui conseillait de faire. "Je suis embarrassé, ajouta-t-il, je ne sais quelle réponse donner à cet homme. Si j'avais un penchant pour les religions, j'embrasserais sans hésiter sa cause." "Seule l'épée, répondit son adjoint , nous délivrera de cette abomination d'hérésie."

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"Je tiens encore dans ma main le Qur'an, intervint Darvish-Salah, et porte encore la déclaration que vous avez choisi de faire de votre propre chef. Les paroles que nous venons d'entendre sont-elles notre récompense pour avoir répondu à votre appel ?"

"L'amir-tuman, dans un accès de fureur, donna l'ordre d'arracher la barbe de Darvish-Salah et de jeter ce dernier, ainsi que ceux qui l'accompagnaient, dans un cachot. Je fus effrayé, comme les autres enfants, et nous essayâmes de nous évader. Lançant le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman !", nous nous précipitâmes vers nos barricades. Quelques-uns d'entre nous furent rattrapés et faits prisonniers. Au moment où je fuyais, l'homme qui me poursuivait saisit le pan de mon vêtement. Je me débattis, déchirai mon vêtement et réussis, dans un état d'épuisement total, à atteindre la porte qui menait aux approches du fort. Grande fut ma surprise lorsque je vis l'un des compagnons, un homme nommé Iman-Quli, sauvagement mutilé par l'ennemi. Je fus horrifié de voir cette scène, sachant que, ce jour-là, avait été proclamée la cessation des hostilités, et qu'on avait fait les serments les plus solennels de ne commettre aucun acte de violence. J'appris bientôt que la victime avait été trahie par son frère qui, sous le prétexte de vouloir lui parler, l'avait livré à ses persécuteurs.

"Je me précipitai directement chez Hujjat, qui me reçut affectueusement et, après avoir essuyé la poussière de mon visage et m'avoir habillé de vêtements neufs, m'invita à m'asseoir à ses côtés et me pria de lui raconter le sort de ses compagnons. Je lui décrivis tout ce que j'avais vu. "C'est le tumulte du jour de la résurrection, expliqua-t-il, un tumulte tel que le monde n'en a jamais vu de pareil. C'est le jour où "l'homme fuira son frère, et sa mère et son père, et sa femme et ses enfants." (24.48) C'est le jour où l'homme, non content d'avoir abandonné son frère, sacrifie sa substance dans le but de verser le sang de son parent le plus proche. C'est le jour ou tout mère qui allaite son bébé l'abandonnera, et où toute femme enceinte avortera. Et tu verras les hommes comme enivrés et, cependant, ils ne sont point ivres, mais c'est là le terrible châtiment de Dieu !" (24.49)

Puis Hujjat alla s'asseoir au milieu du Maydan (24.50) et appela ses disciples. À leur arrivée, il se leva et, se tenant debout au milieu d'eux, leur parla en ces termes: "Je suis très satisfait de vos efforts stoïques, ô mes compagnons bien-aimés! Nos ennemis s'attachent à nous détruire. Ils ne caressent pas d'autre désir. Leur intention était de vous tromper en vous faisant sortir du fort, et ensuite de vous abattre sans pitié, selon le désir de leurs coeurs. Voyant que leur supercherie avait été découverte, ils ont, dans un accès de rage, maltraité et emprisonné les plus vieux et les plus jeunes d'entre vous.

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Il est évident qu'avant d'avoir pris ce fort et dispersé ses occupants, ils ne déposeront pas leurs armes et ne cesseront pas leurs persécutions contre nous. Votre présence prolongée dans ce fort vous mènera finalement à la captivité chez votre ennemi qui, assurément, violera vos femmes et tuera vos enfants. Il est donc préférable que vous vous échappiez au milieu de la nuit en emmenant avec vous vos femmes et vos enfants. Que chacun cherche un endroit sûr jusqu'au jour où cette tyrannie aura disparu. Je resterai seul pour affronter l'ennemi. Il serait préférable que ma mort apaise leur soif de vengeance et que vous ne périssiez pas tous."

Les compagnons furent profondément émus et, les larmes aux yeux, déclarèrent leur ferme résolution de demeurer jusqu'au bout aux côtés de Hujjat. "Nous ne pourrons jamais consentir, s'exclamèrent-ils, à vous laisser à la merci d'un ennemi mortel! Nos vies ne sont pas plus précieuses que la vôtre, pas plus que nos familles ne sont de plus noble descendance que la vôtre. Quelque calamité qui puisse encore vous frapper, elle sera, pour nous aussi, la bienvenue."

Tous, à l'exception de quelques-uns, restèrent fidèles à leur serment. Ces derniers, ne pouvant supporter la détresse toujours croissante d'un siège prolongé, et encouragés par le conseil que Hujjat lui-même leur avait donné, se rendirent en un lieu sûr en dehors du fort, se séparant ainsi du reste de leurs condisciples.

Poussé par le désespoir, l'amir-tuman donna l'ordre à tous les hommes physiquement aptes de Zanjan de se réunir dans le voisinage de son camp, prêts à recevoir ses instructions. Il réorganisa les forces de ses régiments, désigna leurs officiers et les ajouta à l'armée composée de nouvelles recrues qu'il avait fait rassembler dans la ville. Il ordonna à non moins de seize régiments, dont chacun était équipé de dix canons, de marcher sur le fort. Huit de ces régiments furent chargés d'attaquer le fort chaque matin, après quoi le restant des forces devaient les remplacer dans leur offensive jusqu'à l'approche du soir. L'amir lui-même entra en campagne, et on le vit tous les matins diriger les efforts de son armée, lui assurant qu'une récompense l'attendrait en cas de succès, et la mettant en garde contre le châtiment que son souverain lui infligerait en cas de défaite.

Le siège dura tout un mois. Point satisfait par les attaques de jour, l'ennemi assaillait plusieurs fois les compagnons durant la nuit. La fureur de ses assauts, la force écrasante de ses troupes et la succession rapide des attaques, firent se réduire les rangs des compagnons et aggravèrent leur détresse.

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Des renforts affluaient de partout vers l'ennemi, alors que les assiégés languissaient dans un état de misère et de famine. (24.51)

L'amir-nizam, pendant ce temps, décida de prêter main forte à l'amir-tuman en désignant Hasan-'Ali Khan-i-Karrusi pour marcher, à la tête de deux régiments sunnis, sur Zanjan. Son arrivée fut le signal de la concentration de l'artillerie sur le fort. Un formidable bombardement menaça le bâtiment d'une destruction immédiate. Il dura plusieurs jours, durant lesquels la forteresse tint bon en dépit du feu croissant qui était dirigé contre elle. Les amis de Hujjat firent preuve, durant ces jours, d'une bravoure et d'une habileté que même leurs ennemis les plus acharnés ne purent s'empêcher d'admirer.

Un jour, alors que le bombardement se poursuivait encore, une balle frappa Hujjat au bras droit, au moment ou il faisait ses ablutions. Bien qu'il ordonnât à son serviteur de ne pas informer sa femme de la blessure qu'il avait reçue, le chagrin de l'homme fut cependant si profond qu'il ne put cacher son émotion. Ses larmes devaient trahir sa désolation et, à peine la femme de Hujjat apprit-elle la blessure infligée à son mari qu'elle se précipita angoissée chez lui et le trouva dans un état de calme absolu, absorbé par la prière. Quoique saignant abondamment à l'endroit de la blessure, son visage gardait son expression de confiance sereine. "Pardonne à ce peuple, ô Dieu, l'entendit-on dire, car il ne sait pas ce qu'il fait. Sois miséricordieux envers lui, car ceux qui l'ont égaré sont seuls responsables des méfaits que ses mains ont commis."

Hujjat chercha à calmer l'agitation qui s'était emparée de sa femme et de ses parents à la vue du sang qui couvrait son corps. "Réjouissez-vous, leur dit-il, car je suis encore avec vous et désire que vous soyez entièrement résignés à la volonté de Dieu. Ce que vous voyez à présent n'est qu'une goutte comparée à l'océan d'afflictions qui vous

accablera à l'heure de ma mort. Quel que soit son décret, il est de votre devoir de vous y conformer et d'accepter sa volonté."

A peine la nouvelle de sa blessure était-elle parvenue aux compagnons, que ceux-ci déposèrent leurs armes et se précipitèrent chez lui. L'ennemi, pendant ce temps, profitant de l'absence momentanée de ses adversaires, redoublait ses attaques contre le fort et parvenait à se forcer un passage à travers la porte. (24.52) Ce jour-là, il s'empara de non moins de cent femmes et enfants, et pilla tous leurs biens. Malgré la rigueur de cet hiver, ces prisonniers furent laissés dehors durant au moins quinze jours et quinze nuits, exposés à un froid pénétrant tel que Zanjan en avait rarement connu de pareil.

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Vêtus d'habits les plus légers, sans aucune couverture pour se protéger, ils furent abandonnés, sans nourriture et sans abri, dans un lieu désert. Leur unique protection était le voile qui leur couvrait la tête et avec lequel ils essayaient en vain de se protéger le visage contre le vent glacial qui soufflait impitoyablement. Des foules de femmes, dont la plupart leur étaient inférieures socialement, affluèrent des divers quartiers de Zanjan vers la scène de leurs souffrances, et les accablèrent de ridicule et d'injures. "Vous avez à présent trouvé votre dieu", s'exclamaient-elles avec dédain en dansant frénétiquement autour d'eux, "et il vous a abondamment récompensés." Elles leur crachèrent au visage et les accablèrent des invectives les plus abjectes.

La prise du fort, bien qu'elle privât les compagnons de Hujjat de leur principal instrument de défense, ne parvint point à dompter leur esprit ni à décourager leurs efforts. Tous les biens auxquels l'ennemi put avoir accès furent pillés, et les femmes et les enfants qui étaient restés sans défense furent faits prisonniers. Le reste des compagnons, ainsi que les autres femmes et enfants, affluèrent dans les maisons qui se trouvaient dans le voisinage immédiat de la résidence de Hujjat. Ils furent répartis en cinq groupes comprenant chacun dix-neuf fois dix-neuf compagnons. De chacun de ces groupes, dix-neuf hommes se précipitaient ensemble et, lançant d'une seule voix le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman!" se jetaient au milieu de l'ennemi et réussissaient à le disperser. La voix de tonnerre de ces quatre-vingt-quinze compagnons s'avérait seule capable de paralyser les efforts de leurs assaillants et de briser leur courage.

Cette situation dura quelques jours, causant aussi bien de l'humiliation que des pertes à un ennemi qui s'était cru capable de remporter une victoire éclatante et immédiate. Beaucoup furent tués au ours de ces rencontres. Des officiers, à la grande détresse de leurs supérieurs, commencèrent à déserter leurs postes, et les capitaines d'artillerie abandonnaient leurs canons, alors que les hommes de troupe étaient démoralisés et complètement épuisés. L'amir-tuman lui-même était las des mesures coercitives auxquelles il était contraint de recourir pour maintenir la discipline de ses hommes et garder intactes leur vigueur et leur efficacité. Il fut encore amené à tenir conseil avec le restant de ses officiers pour chercher un remède désespéré à une situation qui comportait un grave danger pour sa propre vie ainsi que pour celle des habitants de Zanjan. "Je suis las, confessa-t-il, de l'opposition inflexible de ce peuple.

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Il est manifestement animé par un esprit qu'aucune mesure d'encouragement de la part de notre souverain ne peut espérer susciter chez nos hommes. Un tel renoncement ne peut certes se trouver nulle part dans les rangs de notre armée. Aucune force que je puisse commander n'est capable de sortir mes hommes du bourbier de désespoir dans lequel ils sont tombés. Qu'ils triomphent ou qu'ils échouent, ces soldats se croient toujours condamnés à la damnation éternelle."

PHOTO: entrée de la maison de Hujjat à Zanjan

Après mûre réflexion, on décida de creuser des passages souterrains allant du lieu où leur camp était établi à celui où se trouvait le quartier dans lequel étaient situées les demeures des partisans de

Hujjat. Ils décidèrent de faire sauter ces maisons pour obliger ainsi les occupants à se rendre sans condition. Durant un mois entier, ils travaillèrent à bourrer ces passages souterrains avec toutes sortes d'explosifs, et ils continuèrent pendant ce temps à démolir, avec une cruauté diabolique, les maisons qui restaient encore debout.

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Désireux d'accélérer l'oeuvre de destruction, l'amir-tuman donna l'ordre aux officiers chargés de son artillerie de diriger leur feu sur la résidence de Hujjat, car les bâtiments qui se trouvaient entre cette maison et le camp de l'ennemi avaient été rasés, ne laissant aucun autre obstacle sur la voie de sa démolition définitive.

Une partie de sa demeure s'était déjà effondrée lorsque Hujjat, qui habitait encore à l'intérieur de ses murs, se tourna vers sa femme Khadijih qui tenait Hadi, leur bébé, dans ses bras, et l'avertit que le jour était imminent où elle et son enfant pourraient être faits prisonniers, et la pria de s'y préparer. Elle donnait libre cours à son chagrin lorsqu'un boulet de canon frappa la chambre qu'elle occupait et la tua aussitôt. Son enfant, qu'elle tenait contre son sein, tomba dans le brasier à côté d'elle et mourut peu après des blessures qu'il avait reçues, dans la maison de Mirza Abu'l-Qasim, le mujtahid de Zanjan.

Hujjat, bien qu'il fût écrasé de chagrin, refusa de céder à la vaine tristesse. "Le jour où j'ai trouvé ton Bien-Aimé, ô mon Dieu, s 'écria-t-il, et reconnu en lui la manifestation de ton éternel Esprit, je prévis les afflictions que j'aurais à subir pour toi. Quels que fussent les chagrins qui m'ont affligé jusqu'à présent, ceux-ci ne peuvent être comparés aux souffrances que je serais prêt à endurer en ton nom. Comment cette misérable vie qui est mienne, la perte de ma femme et de mon enfant, et le sacrifice de ce groupe de mes parents et de mes compagnons, peuvent-ils se comparer aux bénédictions que m'a conférées la reconnaissance de ta Manifestation! Eusse-je une myriade de vies, les richesses de toute la terre et toute sa gloire, je m'en passerais volontiers et avec joie sur ton sentier.

La perte tragique que venait de subir leur chef bien-aimé et la sérieuse blessure dont il souffrait mirent les compagnons de Hujjat dans la détresse et les remplirent d'indignation. Ils décidèrent de faire un dernier effort désespéré pour venger le sang de leurs frères massacrés. Hujjat, cependant, les en dissuada et les exhorta à ne pas précipiter la fin du conflit. Il les pria de se résigner à la volonté de Dieu et de rester calmes et fermes jusqu'à la fin, à quelque moment que celle-ci pût arriver.

Comme le temps passait, leur nombre diminuait, leurs souffrances se multipliaient, et la zone dans laquelle ils pouvaient se sentir en sécurité se réduisait. Le matin du 5 rabi'u'l-avval de l'an 1267 après l'hégire (24.53), Hujjat, qui avait déjà, durant dix-neuf jours, enduré de cruelles souffrances dues à sa blessure, était en prière prosterné face contre terre, invoquant le nom du Bab, lorsque soudain il rendit l'âme.

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Son brusque décès constitua un coup sévère pour ses parents et ses compagnons. Leur chagrin à la mort d'un chef aussi capable, aussi parfait et aussi exemplaire, fut profond; la perte était irréparable. Deux de ses compagnons, Din-Muhammad-Vazir et Mir Ridày-i-Sardar, se mirent aussitôt, avant que l'ennemi ne s'aperçût de sa mort, à enterrer ses restes en un lieu que ni ses parents ni ses amis ne pouvaient soupçonner. A minuit, le corps fut transporté dans une chambre qui appartenait à Din-Muhammad-Vazir, et c'est dans celle-ci qu'il fut inhumé. Ils démolirent cette chambre afin de préserver ses restes de la profanation, et firent tout leur possible pour maintenir ce lieu secret.

Plus de cinq cents femmes qui survécurent à cette terrible tragédie se réunirent, aussitôt après la mort de Hujjat, dans sa maison. Ses compagnons, malgré la mort de leur chef, continuèrent à faire face, avec le même courage, aux forces de leurs assaillants. De la grande multitude qui s'était enrôlée sous l'étendard de Hujjat, il ne restait plus que deux cents hommes vigoureux; les autres étaient soit morts, soit totalement inaptes à cause des blessures qu'ils avaient reçues.

La nouvelle de la mort d'un chef aussi prestigieux encouragea l'ennemi dans son obstination et le décida à balayer ce qui restait encore des forces redoutables qu'il n'avait pu soumettre. Il lança une attaque générale, plus farouche et plus décisive que toutes les précédentes. Animé par le battement des tambours et le son des trompettes, et encouragé par les cris d'exultation lancés par la populace, il se jeta sur les compagnons avec une férocité effrénée, décidé à ne pas s'accorder de repos avant d'avoir anéanti le groupe tout entier. Face à cet assaut féroce, les compagnons lancèrent une fois de plus le cri de "Ya Sahibu'z-Zaman!" et se ruèrent sur l'adversaire, sans crainte, afin de poursuivre la bataille héroïque jusqu'à ce qu'ils fussent tous soit tues, soit captures.

A peine ce massacre avait-il été perpétré que fut donné le signal d'un pillage, inégalé par son ampleur et sa férocité. Si l'amir-tuman n'avait pas donné l'ordre d'épargner ce qui restait de la maison et des biens de Hujjat, et de s'abstenir de tout acte de violence contre ses parents, des agressions encore plus lâches auraient été commises par son armée de rapaces. Il avait l'intention d'informer les autorités de Tihran et de chercher auprès d'elles l'avis qu'elles désiraient lui donner. Il ne put cependant retenir indéfiniment l'esprit de violence qui animait ses hommes.

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Les 'ulamas de Zanjan, enflammés par la victoire qui leur avait coûté tant d'efforts et tant de vies, et qui avait tellement porté atteinte à leur réputation et à leur prestige, s'efforcèrent d'inciter la population à commettre tous les atteintes possibles à la vie de leurs prisonniers et à l'honneur de leurs femmes. Les sentinelles qui gardaient l'entrée de la maison dans laquelle avait vécu Hujjat furent retirées de leurs postes dans le tumulte général qui s'ensuivit. La populace prêta main forte à l'armée pour piller les biens et assaillir les parents de ceux, peu nombreux, qui avaient survécu à cette bataille mémorable. Ni l'amir-tuman ni le gouverneur ne purent apaiser la soif de pillage et de vengeance qui s'était emparée de la ville tout entière. L'ordre et la discipline cessèrent d'exister au milieu de la confusion générale.

Le gouverneur de la province put cependant décider les officiers de l'armée à rassembler les prisonniers chez un certain Haji Ghulam pour les y surveiller jusqu'à l'arrivée de nouvelles instructions de Tihràn. Le groupe tout entier fut entassé comme un troupeau de moutons dans ce misérable lieu, exposé au froid d'un hiver rigoureux. L'enceinte dans laquelle on les avait réunis était dépourvue de toit et de mobilier. Durant quelques jours, ils restèrent sans nourriture. De là, les femmes furent transportées chez un mujtahid nommé Mirza Abu'l-Qasim, dans l'espoir de les décider à abjurer leur foi pour recevoir en échange leur liberté. Le mujtahid cupide avait, cependant, avec l'aide de ses femmes, de ses soeurs et de ses filles, réussi à s'emparer de tout ce qu'on leur avait permis d'emporter, les avait dépouillées de leurs vêtements, leur laissant le strict minimum et s'était approprié tous les objets de valeur qu'il put trouver parmi leurs biens.

Après avoir subi d'indicibles épreuves, ces prisonnières furent autorisées à rejoindre leurs parents, à condition que ceux-ci s'engageassent à répondre de leur comportement ultérieur. Les autres furent dispersées dans les villages avoisinants dont les habitants, contrairement à ceux de Zanjan, leur réservèrent un accueil et un traitement à la fois cordiaux et sincères. La famille de Hujjat, cependant, fut détenue à Zanjan jusqu'à l'arrivée d'instructions définitives de Tihran.

Quant aux blessés, ils furent placés sous surveillance jusqu'au moment où les autorités de la capitale se décidèrent à envoyer des directives concernant leur traitement. Pendant ce temps, la rigueur du froid auquel ils étaient exposés et les cruautés auxquelles ils étaient soumis furent telles qu'au bout de quelques jours, ils périrent tous.

Les autres prisonniers furent remis par l'amir-tuman à Karrusi, le khamsih, et aux régiments 'Iraqi, auxquels il donna l'ordre de les exécuter aussitôt.

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Il furent donc conduits en procession, accompagnés par le battement des tambours et au son des trompettes, au camp où l'armée était stationnée. (24.54) Tous ces régiments accrurent encore l'horreur des abominations perpétrées sur les pauvres victimes. Armés de leurs lances et de leurs javelots, ils se jetèrent sur les soixante-seize compagnons qui étaient encore en vie, transperçant et mutilant leurs corps avec une sauvagerie qui surpassait les actes sordides des tortionnaires les plus raffinés de leur race. L'esprit de vengeance qui domina ce jour-là chez ces hommes barbares dépassa toutes limites.

Un régiment luttait avec un autre pour commettre les atrocités les plus ignobles que leur esprit fécond pouvait concevoir. Ils se préparaient à foncer de nouveau sur leurs victimes lorsqu'un certain Haji Muhammad-Husayn, père d'Aba-Basir, bondit en avant et, lançant l'appel de l'adhan, (24.55) fit frémir la multitude qui s'était massée autour de lui. Bien qu'il fût à l'heure du trépas, la ferveur et la majesté avec lesquelles il prononça les mots "Allah-u-Akbar" (24.56) furent telles que le régiment 'Iraqi tout entier proclama son refus de continuer à participer à des actes aussi déshonorants. Abandonnant leurs postes et lançant le cri "Ya 'Ali!", ils s'enfuirent de ce lieu, horrifiés et dégoûtés. "Maudit soit l'amir-tuman!" les entendit-on s'exclamer en tournant le dos à cette scène d'horreur et de carnage. "Ce misérable nous a trompés! Il a cherché, avec une persistance diabolique, à nous convaincre de l'infidélité de ce peuple envers l'Imam 'Ali et ses parents. Jamais, même si l'on devait nous tuer tous, nous ne consentirions à participer à des actes aussi criminels."

Certains de ces prisonniers furent projetés par la gueule des canons, d'autres furent complètement déshabillés et arrosés d'eau glacée, puis cruellement fouettés. D'autres encore furent enduits de mélasse et condamnés à périr dans la neige. Malgré la honte et les cruautés qu'ils durent subir, aucun d'eux n'abjura sa foi et ne prononça une seule parole de colère à l'égard de ses persécuteurs. Pas même un murmure de mécontentement ne s'échappa de leurs lèvres, pas plus d'ailleurs que leurs traits ne trahirent l'ombre d'un regret ou d'un chagrin. Aucune somme d'adversités ne put réussir à obscurcir la lumière qui rayonnait de leurs visages; aucune parole, si injurieuse fût-elle, ne put troubler la sérénité de leurs expressions. (24.57)

A peine les bourreaux avaient-ils terminé leur ouvrage qu'ils commencèrent à chercher le corps de Hujjat, dont le lieu d'inhumation avait été soigneusement gardé secret par les compagnons. Les tortures les plus inhumaines s'étaient avérées impuissantes à les décider à dévoiler ce lieu.

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Le gouverneur, exaspéré par l'échec de sa recherche, demanda que le fils de Hujjat, âgé de sept ans qui s'appelait Husayn, fût amené devant lui afin de l'incité à révéler le secret. (24.58) "Mon fils", lui dit-il en le caressant gentiment, "les nouvelles de toutes les afflictions qu'ont subies tes parents m'emplissent de chagrin. Ce n'est pas moi, mais bien les mujtahids de Zanjan, qui doivent être tenus pour responsables des abominations commises. Je suis prêt à présent à accorder aux restes de ton père des funérailles dignes de son rang, et désire réparer les actes ignobles qui ont été perpétrés contre lui." Par ses douces insinuations, il réussit à lui faire révéler son secret, puis envoya ses hommes chercher le corps. À peine l'objet de son désir lui fut-il livré, qu'il donna l'ordre de le traîner au moyen d'une corde, au son des tambours et des trompettes, a travers les rues de Zanjan. Durant trois jours et trois nuits, le corps, profané, fut exposé aux regards du peuple dans le maydan. (24.59) Au cours de la troisième nuit, on rapporta que quelques cavaliers avaient réussi à emporter les restes du cadavre en un lieu sûr sur le chemin de Qazvin. Quant aux parents de Hujjat, ordre fut donné par Tihran de les conduire à Shiraz pour les remettre aux mains du gouverneur. Là, ils languirent dans la pauvreté et la misère. Le gouverneur s'empara de tous les biens qui leur restaient encore et condamna les victimes de sa rapacité à chercher refuge dans les ruines d'une maison délabrée.

PHOTO: place de Zanjan où le corps de Hujjat demeura exposé durant trois jours

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Le fils cadet de Hujjat, Mihdi, mourut des privations que lui et ses parents durent endurer et fut enterré au milieu même des ruines qui lui avaient servi d'abri.

J'eus le privilège, neuf ans après la fin de cette bataille mémorable, de visiter Zanjan et de voir la scène de ces horribles massacres. Je regardai avec tristesse et horreur les ruines du fort d"Ali-Mardan Khan, et foulai le sol qui avait été imprégné du sang de ses immortels défenseurs.

PHOTO: Haji Imam (x), l'un des survivants de la bataille de Zanjan

Je pus discerner, sur ses portes et sur ses murs, des traces du carnage qui marqua sa reddition, et découvrir sur les pierres mêmes qui avaient servi de barricades, des taches du sang qui avait été versé en ces lieux.

Quant au nombre de ceux qui tombèrent au cours de ces rencontres, aucune estimation précise n'a été faite jusqu'à présent. Ceux qui participèrent à cette bataille furent si nombreux et le siège qu'ils subirent fut si long, que vérifier leurs noms et leur nombre serait une tâche que j'hésiterais à entreprendre.

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Une liste incertaine de ces noms, que les lecteurs feraient bien de consulter, a été préparée par Ismu'llahu'l-Mim et Ismu' llahu'l-Asad. Nombreux et contradictoires sont les rapports concernant le nombre exact de ceux qui combattirent et tombèrent sous la bannière de Hujjat à Zanjan. D'aucuns ont estimé qu'il y avait eu un millier de martyrs; selon d'autres, ils furent plus nombreux. J'ai entendu dire que l'un des compagnons de Hujjat, qui avait entrepris d'enregistrer les noms de ceux qui avaient subi le martyre, a laissé une déclaration écrite selon laquelle il estimait le nombre de ceux qui étaient tombés avant la mort de Hujjat à mille cinq cent quatre-vingt-dix-huit, alors que le nombre de ceux qui avaient subi le martyre ultérieurement totalisait, croyait-on, deux cent deux personnes.

Le récit relatif aux événements de Zanjan, que je viens de raconter, je le dois en premier lieu à Mirza Muhammad-'Aliy-i-TaBab-i-Zanjani, à Aba-Basir et à Siyyid Ashraf, tous trois martyrs de la foi, et dont j'étais l'ami intime. Le reste de mon récit est fondé sur le manuscrit qu'un certain Mulla Husayn-i-Zanjani écrivit et envoya à Baha'u'llah, récit dans lequel il rapporta tous les renseignements qu'il avait pu glaner à différentes sources concernant les événements relatifs à cet épisode.

Ce que j'ai relaté de la bataille du Mazindaran a été également inspiré dans une très large mesure du récit écrit envoyé en Terre sainte par un certain Siyyid Abu-Talib-i-Shahmirzadi, ainsi que par le bref rapport rédigé ici par l'un des croyants nommé Mirza Haydar'Aliy-i-Ardistani. J'ai, de plus, vérifié certains faits concernant cet

bataille auprès de personnes qui y ont effectivement participé, telles que Mulla Muhammad-Sadiq-i-Muqaddas, Mulla Mirza Muhammadi-Furughi et Haji 'Abdu'l-Majid, père de Badi` et martyr de la foi.

Quant aux événements relatifs à la vie et aux actes de Vahid, mes renseignements concernant ce qui s'est passé à Yazd, je les ai obtenus de Rida'r-Ruh, qui était l'un des compagnons intimes de Vahid. En ce qui concerne les dernières phases de cette bataille de Nayriz, mon récit est principalement tiré des informations que j'ai pu recueillir du rapport détaillé envoyé en Terre sainte par un croyant de cette ville, nommé Mulla Shafi, qui avait fait des recherches très précises à ce sujet et en avait communiqué le résultat à Baha'u'llah. Tout ce que ma plume n'a pu enregistrer, les générations futures, je l'espère, le réuniront et le préserveront pour la postérité. Nombreuses sont, je le confesse, les lacunes de ce récit, pour lesquelles je demande l'indulgence du lecteur.

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C'est mon espoir le plus sincère que ces lacunes pourront être comblées par ceux qui, après moi, se mettront à composer un récit digne et complet de ces émouvants événements, dont nous ne pouvons que vaguement discerner aujourd'hui la portée.

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NOTE DU CHAPITRE 24:

(24.1) Capitale du district de Khamsih. "Le Khamsih est une petite province à l'est du Kaflan-Kuh ou montagne du Tigre, entre l"Iraq et l'Adhirbayjan. Sa capitale, Zanjan, d'un joli aspect, est ceinte d'un mur crénelé garni de tours, comme toutes les cités persanes. La population y est turque de race, et, si ce n'est par les employés du gouvernement, le persan y est peu parlé. Les environs de la ville sont bien fournis de villages, qui ne sont pas pauvres; des tribus puissantes les fréquentent surtout au printemps et en hiver." (Ibid., p. 191.)

(24.2) "En ces années-là (1266 et 67 après l'hégire), la foudre tombait à travers toute la Perse sur les familles Babies; et chacune, dans quelque hameau qu'elle fût, était, à la moindre suspicion, passée au fil de l'épée. Plus de quatre mille personnes furent tuées et une grande multitude de femmes et d'enfants, laissés sans protecteurs ni aide, confondus et accablés, furent foulés aux pieds et anéantis. ' (A Traveller's Narrative", pp. 47-8.)

(24.3) "Il se trouvait dans cette ville un mujtahid, appelé Mulla Muhammad-'Aliy-i-Zanjani. Il était natif du Mazindaran et avait étudié sous un maître célèbre, décoré du titre de Sharifu'l'Ulama. Muhammad-'Ali s'était adonné particulièrement à la théologie dogmatique et à la jurisprudence; il avait acquis de la réputation.
Les musulmans assurent que, dans ses fonctions de mujtahid, il faisait preuve d'un esprit inquiet et turbulent. Aucune question ne lui semblait ni suffisamment étudiée ni convenablement résolue. Ses fatvas multipliés troublaient constamment la conscience et les habitudes des fidèles. Avide de nouveautés, il n'était ni tolérant dans la discussion, ni modéré dans la dispute. Tantôt il prolongeait indûment le jeûne du Ramadan pour des motifs que personne n'avait donnés avant lui; tantôt il réglait les formes de la prière d'une façon tout inusitée.
Il était désagréable aux gens paisibles, odieux aux routiniers. Mais, on l'avoue aussi, il comptait de nombreux partisans qui le considéraient comme un saint, prisaient son zèle, et juraient d'après lui. A s'en faire une idée tout à fait impartiale, on peut voir en lui un de ces nombreux musulmans qui, au vrai, ne le sont pas du tout, mais que presse un fond très ample et très vivace de foi et de zèle religieux dont ils cherchent l'emploi avec passion. Son malheur était d'être mujtahid et de trouver, ou plutôt de croire trouver, un emploi naturel de ses forces dans le bouleversement des idées reçues en des matières qui ne comportent pas cette agitation." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 191-2.)

(24.4) 1812-13 après J-C.

(24.5) "Parmi les 'ulamas de la ville se trouvait un personnage nommé Akhund Mulla 'Abdu'rRahim, célèbre par sa dévotion. Il avait un fils, qui se trouvait à Najaf et à Karbila, où il suivait les cours du célèbre Sharifu'l-'Ulamay-i-Mazindarani. Ce jeune homme était d'esprit inquiet et se sentait un peu à l'étroit dans les bornes du Shi'isme." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid Ali-Muhammad dit le Bab", p. 332.)

(24.6) Quand il revint des lieux saints, il passa par Hamadan où les habitants l'accueillirent admirablement et le supplièrent de rester dans leur ville." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab, p. 336.)

(24.7) "Tous les 'ulamas de la ville vinrent lui rendre visite et se retirèrent soucieux de quelques paroles qu'il avait prononcées et qui dénotaient une tournure d'esprit peu habituelle. En effet, l'attitude du nouvel arrivé ne tarda pas à démontrer à ces pieux personnages qu'ils ne s'étaient pas trompés dans leurs appréciations." (Ibid.)

(24.8) "Il existait un caravansérail, du temps de Shah 'Abbas, qui s'était peu à peu transformé en sighih-khanih: pour ne pas permettre le viol de la loi Shi'ite un certain Mulla Dust-Muhammad s'était établi là à demeure et bénissait les unions passagères entre les hommes venus du dehors, et les pensionnaires de l'établissement. Hujjatu'l-Islam - - car c'était le titre qu'avait pris notre héros - fit fermer la maison, maria la plupart de ces femmes et envoya les autres en service dans des familles honorables. Il fit également fouetter un nommé Murad, marchand de vins, dont il fit détruire la maison." (Ibid., p. 332-3.)

(24.9) "Mais là ne se bornait pas son action. Toujours préoccupé des problèmes que soulève une religion basée sur des hadis presque toujours contradictoires, il troubla la conscience des fidèles par des fatvas singuliers qui renversaient toutes les idées reçues. Ainsi il releva le hadis d'après lequel Muhammad aurait dit: Le mois de Ramadan est toujours plein."
Sans rechercher les origines de cette tradition, sans se préoccuper de savoir si ceux qui l'avaient rapportée étaient dignes de foi, il ordonna de la suivre à la lettre, incitant ainsi ceux qui l'écoutaient à jeûner le jour du Fitr, ce qui est un grave péché. Il permit aussi de faire les prosternations de la prière en appuyant la tête sur un caillou de cristal. Toutes ces nouveautés lui attirèrent un grand nombre de partisans qui admirèrent sa science et son activité; mais elles déplurent au clergé officiel dont la haine, avivée par l'inquiétude, ne connut bientôt plus de bornes." (Ibid., p. 333.)

(24.10) "Celui-ci vint et, par la politesse de ses manières, par le charme qui s'exhalait de sa personne, ne tarda pas à séduire toutes les personnes qui se trouvaient en contact avec lui, et même Sa Majesté. On raconte qu'un jour qu'il se trouvait chez le Shah avec quelques-uns de ses collègues, l'un d'entre eux, 'ulama de Kashan, sortit un papier de son sein et le remit au Roi pour le faire signer.
Il s'agissait d'un farman accordant des appointements. Hujjat ayant compris, se leva et, avec véhémence, flétrit un clergé qui se faisait pensionner par le Gouvernement. Il démontra hadis et Qur'an en main, tout ce qu'avait de honteux un pareil compromis dont les origines remontaient aux Bani-Umayyih. Ces collègues furent transportés de fureur, mais le Shah auquel plut cette franchise, se tourna vers notre héros, lui remit une canne et une bague et l'autorisa a rentrer à Zanjan." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab," pp. 333-4.)

(24.11) "Les gens de Zanjan, en foule, vinrent au-devant de lui, sacrifiant des boeufs, des moutons et des poules. Douze enfants de douze ans, ayant au cou un mouchoir rouge pour indiquer qu'ils étaient prêts à se sacrifier dans sa route, se tenaient au milieu du cortège. Ce fut une entrée triomphale." (Ibid., p. 334.)

(24.12) Il fit de ses disciples des modèles de vertu et de tempérance: désormais les hommes se désaltérèrent à la coupe des significations religieuses. Ils jeûnèrent pendant trois mois, prolongeaient les prières en y ajoutant chaque jour celle de Ja'far-i-Tayyar, faisaient une fois par jour leurs ablutions avec l'eau du Qur (mesure légale de pureté), et enfin le vendredi le peuple assiégeait les mosquées." (Ibid., p. 334.)

(24.13) Enfin, il se mit à prononcer à haute voix la prière du vendredi, qui doit remplacer celle de tous les jours quand apparaît l'Imam. Alors il commenta quelques-unes des paroles du Bab et termina ainsi: "Le but que le monde poursuivait est encore entre nos mains aujourd'hui, sans rideau, sans obstacles. Le soleil de la Vérité s'est levé et les lumières de l'imagination et de l'imitation se sont éteintes. Que vos yeux se fixent sur le Bab, non sur moi qui suis le plus humble de ses esclaves. Ma science auprès de la sienne est comme une chandelle éteinte auprès de l'astre du jour. Connaissez Dieu par Dieu et le soleil par ses rayons. Donc, aujourd'hui est apparu le Sahibu'z-Zaman, le Sultan des Possibilités est vivant." Je laisse à penser si ce discours fit une profonde impression sur son auditoire. Presque tous se laissèrent convaincre et ne disputèrent plus entre eux que de la véritable qualité du Bab." (Ibid., p. 335.)

(24.14) "C'est qu'en effet la conversion de Mulla Muhammad-'Ali et de ses nombreux partisans, avait encore une fois fait perdre patience à l'Imam-Jum'ih et au Shaykhu'l-Islam. Ils écrivirent des lettres furibondes à SM. qui leur répondit en faisant arrêter le coupable." (Ibid., p. 336.)

(24.15) "Il était à Tihran jusqu'au moment où Muhammad Shah étant mort, Nasiri'd-Din Mirza devenu Nasiri'd-Din Shah, nomma Gouverneur de Zanjan, un de ses oncles, Amir Arslan Khan Majdu'd-Dawhih qui était Ishiq Aghasi, du Palais." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 337.)

(24.16) "Il y fit une entrée triomphale et telle qu'il ne l'aurait pas eue quelques mois auparavant. En effet, devenu Babi, il vit s'ajouter à tous ses anciens amis ceux de la doctrine nouvelle. Une grande quantité d'hommes riches et considérés, des militaires, des négociants, des mullas même, vinrent à sa rencontre à une ou deux stations de distance et le conduisirent à sa demeure, non comme un réfugié qui rentre, non comme un suppliant qui ne demande que le repos, non pas même comme un rival assez fort pour se faire craindre: ce fut un maître qui apparut." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 193.)
L'auteur du "Nasikhu'tTavarikh" reconnaît lui-même qu'un bon nombre d'habitants de Zanjan, et parmi eux de hauts fonctionnaires de la ville, vinrent jusqu'à deux stations au devant du fugitif. Il fut reçu comme un vainqueur, et l'on immola un grand nombre de moutons en son honneur. Personne, dans le camp adverse, n'osa lui demander compte de sa fuite de Tihran et de son retour à Zanjan. Mais l'islam en vit de dures, car le Zanjani ne se gêna nullement pour prêcher à tous les échos du bazar la nouvelle doctrine.
L'auteur musulman remarque que tous les Zanjani étant des imbéciles, donnèrent immédiatement dans le panneau; mais, s'infligeant aussitôt un démenti à lui-même, il déclara que seuls les gueux, envieux de richesses de ce monde et les hommes sans religion se groupèrent autour du nouveau chef. Ils étaient en grand nombre, s'il faut l'en croire, car il les estime à quinze mille personnes, ce qui me semble un peu exagéré. (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 337-8.)

(24.17) "Majdu'd-Dawhih, gouverneur de la ville, homme cruel et sévère, furieux de voir revenir un personnage aussi importun que Hujjat, fit fouetter Muhammad Bik et couper la langue à Karbila'i-Vali" (Ibid., p. 337.)

(24.18) Voir glossaire.

(24.19) Voir glossaire.

(24.20) Les musulmans s'enfuirent à ce spectacle, et le blessé fut soigné par la propre tante de Mir Salah, dans sa maison." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 341.)

(24.21) 16 mai 1850 ap. J.-C.

(24.22) Le Gouverneur et les 'ulamas écrivirent à Sa Majesté des rapports où ils laissaient percer leur peur et leur embarras. Le Shah, à peine délivré de la guerre de Mazindaran, furieux de voir une autre sédition sur un nouveau point de son empire, poussé d'ailleurs par son Sadr-i-A'zam et par les 'ulamas qui avaient déclaré la guerre sainte, donna l'ordre de tuer les Babi s et de piller leurs biens. Ce fut le vendredi 3 de Rajab, que l'ordre arriva à Zanjan." (Ibid., pp. 341-2.)

(24.23) "Ce fut un beau tumulte. Les musulmans affolés couraient de tous côtés, cherchant leurs femmes, leurs enfants, telle partie de leur mobilier. Ils allaient et revenaient, fous, éperdus, pleurant ce qu'ils ne pouvaient emporter. On voyait des familles se séparer, des pères repousser leurs fils, des femmes leurs maris, des enfants leurs mères. Des maisons entières restaient abandonnées tant la hâte était grande, et le Gouverneur envoya dans les villages avoisinants racoler des hommes par force pour la guerre sainte." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 342.)

(24.24) Les Babis, de leur côté, ne restaient pas inactifs: ils s'organisaient et préparaient leur défense. Hujjat les exhortait à ne jamais attaquer, mais à toujours se défendre: O frères, leur disait-il, n'ayez pas honte de moi. Ne croyez-pas que parce que vous êtes les compagnons du Sahibu'z-Zaman vous deviez conquérir le monde à la pointe de votre sabre. Non, j'en jure par Dieu. On vous tuera, on vous brûlera, on enverra vos têtes de villes en villes. La seule victoire qui vous reste consiste à vous sacrifier, vous, vos femmes et votre bien. Dieu a toujours voulu qu'à chaque époque le sang des confesseurs fût l'huile de la lampe de la religion. Vous avez entendu raconter les tourments au milieu desquels sont morts les saints martyrs du Mazindaran. On les a tués parce qu'ils affirmaient que le Mihdi promis était apparu. Je vous le dis, quiconque n'a pas la force de supporter les tourments, s'en aille de l'autre côté, car nous serons martyrisés: notre maître n'est-il pas entre leurs mains?" (Ibid., pp. 342-3.)

(24.25) Il faut s'imaginer une ville persane. Les rues sont étroites, d'une largeur de quatre, cinq ou huit pieds tout au plus. Le sol, qui n'est pas pavé, est rempli de trous profonds, de sorte qu'on ne saurait cheminer qu'avec des précautions infinies pour ne pas se casser les jambes. Les maisons, sans fenêtres sur la rue, montrent des deux côtés une continuité de murs, le plus souvent hauts d'une quinzaine de pieds et surmontés d'une terrasse sans garde-fous, quelquefois aussi çà et là dominée par ce qu'on appelle un bala-Khanih ou pavillon presque à jour, qui indique d'ordinaire la maison d'un personnage riche.
Tout cela est en terre, en pisé, en briques cuites au soleil, avec les montants en briques cuites au four. Ce genre de construction, d'une antiquité vénérable et qui, dès avant les temps historiques, était en usage dans les antiques cités de la Mésopotamie, est véritablement pourvu de grands avantages: il est à bon marché, il est sain, il se prête également aux proportions modestes et aux prétentions les plus vastes; on en peut faire une chaumière à peine blanchie à la chaux: on en peut faire aussi un palais, couvert de haut en bas d'étincelantes mosaïques en faïence, de peintures et de dorures précieuses.
Mais, comme il arriva pour toute chose au monde, tant d'avantages sont un peu compensés par la facilité avec laquelle de pareilles demeures s'écroulent sous le plus petit effort. Il n'est pas besoin du canon; la pluie, si l'on n'y prend garde, suffit. C'est ainsi qu'on peut comprendre la physionomie particulière de ces emplacements célèbres où le souvenir et la tradition montrent des villes immenses dont on n'aperçoit plus rien que quelques débris de temples, de palais, et des tumulus semés dans la plaine.
En quelques années, en effet, des quartiers entiers disparaissent sans laisser de traces, si les maisons ne sont pas entretenues. Comme toutes les villes de Perse sont construites sur les mêmes données et formées des mêmes éléments, on peut se représenter Zanjan, avec son enceinte crénelée et munie de tours, sans fossés, ses rues tortueuses, étroites et défoncées. Au milieu existait une sorte de citadelle grossière nommée "Château d' 'Ali-Mardan Khan". (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 197-8.)

(24.26) "Il [le gouverneur de Zanjan]. ayant peur pour sa propre vie, prit brusquement des mesures propres à sauvegarder son autorité et envoya à Mirza Muhammad-Taqi Khan, Amir-i-Kabir, une version tendancieuse de l'affaire. Il craignait en effet que quelqu'un d'autre ne prît plus d'influence que lui et n'affaiblît ainsi l'autorité et la considération dont il jouissait.
Suite à ses rapports, Siyyid 'Ali-Khan, lieutenant-colonel de Firuz-Kuh, reçut l'ordre royal de se rendre avec une infanterie et une cavalerie nombreuses à Zanjan et d'arrêter Mulla Muhammad-'Ali, qui s'était retiré en compagnie de ses disciples (près de cinq mille en nombre) dans la citadelle. À son arrivée, Siyyid Ali Khan assiégea la citadelle, et ainsi fut allumé le feu de la querelle; le nombre des tués, de chaque côté, ne cessa d'augmenter au fil des jours, jusqu'au moment où, finalement, il subit une défaite ignominieuse et se vit obligé de demander des renforts de la capitale.
Le gouvernement désirait envoyer Ja'Far-Quli Khan, lieutenant-colonel et frère d'I'timadu'd-Dawhih, mais celui-ci s'excusa et dit à Mirza Taqi Khan Amir-i-Kabir: Je ne suis pas un Ibn-i-Ziyad pour aller faire la guerre à une bande de siyyids et d'hommes de savoir dont la doctrine m'est complètement inconnue bien que je sois prêt à combattre les Russes, les Juifs ou d'autres infidèles."
D'autres officiers. à part lui, se montrèrent peu désireux de participer à cette guerre. Parmi ceux-ci se trouvait Mit Siyyid Husayn Khan de Firuz-Kuh, que Mirza Taqi Khan l'amir congédia et disgrâcia dès qu'il eut connaissance de ses sentiments. Il en fut de même pour beaucoup d'officiers qui étaient de la secte des 'aliyu'llahi s, qui entrèrent en campagne mais s'en retirèrent dès qu'ils en apprirent plus sur l'affaire.
Leur chef leur avait en effet défendu de se battre, et en conséquence ils s'enfuirent. Car il est écrit dans leurs livres que lorsque les soldats de Guran viendront dans la capitale du roi, alors apparaîtra le Seigneur de l'Âge (qu'ils appellent Dieu); et cette prophétie était dès lors accomplie. Ils possèdent également certains poèmes qui contiennent la date de la Manifestation, et ceux-ci aussi s'étaient réalisés.
Ils furent donc convaincus que c'était la manifestation de la Vérité, et prièrent d'être excusés de prendre part à la guerre, ce qu'ils se déclarèrent incapables de faire. Et ils dirent aux babis: "Dans les prochains conflits, lorsque votre religion aura pris corps, nous vous aiderons." En bref, lorsque les officiers de l'armée ne discernèrent chez leurs adversaires que de la dévotion et de la piété, certains vacillèrent en secret et ne mirent pas toute leur force dans la guerre." (Le "Tarikh-i-Jadid", pp. 138-43.)

(24.27) D'après Gobineau (p. 198), c'était le petit-fils de Haji Muhammad-Husayn Khan-iIsfahani.

(24.28) "Le quatrième jour, les musulmans virent, avec une grande joie, entrer dans le quartier de la ville qu'ils occupaient, Sadru'd-Dawhih, petit-fils de Haji Muhammad-Husayn Khan, d'Isfahan. à la tête des cavaliers des tribus du Khamsih, arrivant de Sultaniyyih. Le lendemain encore et les jours suivants, les renforts affluèrent.
Ce furent d'abord Siyyid Ali Khan et Shahbar Khan, l'un de Firuz-Kuh, l'autre de Maraghih, avec deux cents cavaliers de leurs tribus respectives; Muhammad-'Ali Khan-i-Shah-Sun, avec deux cents cavaliers afshars; puis cinquante artilleurs avec deux pièces de canon et deux mortiers; de sorte que le gouverneur se trouva pourvu de toutes les ressources désirables, et entouré d'un bon nombre de chefs militaires dont plusieurs avaient de la réputation." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 198-9.)
Une des journées les plus terribles dont le journal du siège fasse mention, est celle du 5 de Ramadan. Mustafa Khan, Qajar, avec le 15ème régiment de Shigaghi; Sadru'd-Dawhih, avec ses cavaliers du Khamsih; Siyyid Ali Khan de Firuz-Kuh, avec son propre régiment; Muhammad Aqa, colonel, avec le régiment de Nasir, autrement dit le régiment du roi; Muhammad-'Ali Khan, avec la cavalerie Afshar; Nabi Big, le major, avec la cavalerie de sa tribu, et une troupe des hommes de Zanjan restés fidèles, tout cela s'acharna, dès avant le point du jour, contre les ouvrages des Babis.
La résistance fut terrible, mais désastreuse. Les sectaires virent tomber successivement des chefs qu'ils ne pouvaient guère remplacer, des chefs vaillants, et, à leurs yeux, des saints: Nur-'Ali, le chasseur; Bakhsh-'Ali, le charpentier, Khudadad et Fathu'lhah Big, tous essentiels à la cause. Ils tombèrent, les uns le matin, les autres le soir." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 200.)

(24.29) "J'ai vu à Zanjan des ruines de cette rude journée; des quartiers entiers n'ont pu encore être rebâtis et ne le seront peut-être jamais. Certains acteurs de cette tragédie m'en ont raconté sur place des épisodes, les Babis montant et descendant les terrasses et y portant à bras leurs canons. Souvent le plancher peu solide, en terre battue, s'enfonçait; on relevait, on remontait la pièce à force de bras; on étayait le sol par-dessous avec des poutres. Quand l'ennemi arrivait, la foule entourait les pièces avec passion, tous les bras s'étendaient pour les relever, et quand les porteurs tombaient sous la mitraille, cent concurrents se disputaient le bonheur de les remplacer. Assurément c'était là de la foi." (Ibid., pp. 200-201.)

(24.30) Qur'an, 86: 9.

(24.31) Si Dieu "le Grand".

(24.32) Dieu "le plus Grand".

(24.33) Dieu "le plus Beau".

(24.34) Dieu "le plus Glorieux".

(24.35) Dieu "le plus Pur".

(24.36) D'après Gobineau (p. 202), 'Aziz Khan était "général en chef des troupes de l'Adhirbayjan, et alors premier aide de camp du roi: il passait à Zanjan, se rendant à Tiflis pour féliciter le grand duc héritier de Russie, à l'occasion de son arrivée dans le Caucase."

(24.37) Voir glossaire.

(24.38) "Muhammad Khan, alors Bigliyirbig'i et Mir-panj, ou général de division, devenu aujourd'hui Amir-Tuman, fit sa jonction avec les troupes déjà occupées dans la ville; il leur amenait trois mille hommes des régiments de Shigagi et des régiments des gardes puis six canons et deux mortiers. Presque en même temps entraient à Zanjan, par un autre côté, Qasim Khan, venant de la frontière du Karabagh ; Arslan Khan, le major, avec les cavaliers du Khirghan, et 'Ali-Akbar, capitaine de Khuy, avec de l'infanterie. Tous avaient reçu, chacun dans leurs pays respectifs, des ordres du roi et ils accouraient." (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale," p. 201.)

(24.39) Voir glossaire.

(24.40) Voir glossaire.

(24.41) Voir glossaire.

(24.42) Voir glossaire.

(24.43) Il n'y a pas d'autre dieu que Dieu.

(24.44) "Le Lieu exalté", titre donné à Zanjan par le Bab.

(24.45) "Mère d'Ashraf".

(24.46) La résistance désespérée que leur offraient les Babis doit donc être attribuée bien plus à l'extraordinaire vaillance avec laquelle ils se défendaient qu'à la force de la position qu'ils occupaient. Même les femmes prirent part à la défense, et j'ai entendu par la suite déclarer de bonne source que, semblables aux femmes de Carthage dans le passé, elles coupèrent leurs longs cheveux et les attachèrent autour des canons en mauvais état pour leur donner la résistance nécessaire."(E.G. Browne: "A year amongst the Persians", p. 74.)

(24.47) "Décidément les choses tournaient mal pour les musulmans et il semblait qu'on ne pourrait jamais venir à bout d'une pareille résistance. Au surplus, pourquoi se donner tant de mal, pourquoi risquer inutilement la vie, non des soldats, chair à canon, mais des officiers et des généraux; pourquoi s'exposer quotidiennement au ridicule et au danger de défaites successives? n'avait-on pas l'exemple de Shaykh Tabarsi? ne pouvait-on user de ruse? ne pouvait-on prêter tous les serments imaginables, quitte à massacrer ensuite les imbéciles qui s'y seraient fiés." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 350.)

(24.48) Qur'an, 80: 34.

(24.49) Qur'an, 22: 2.

(24.50) Voir glossaire.

(24.51) "Enfin, les menaces de la cour, les encouragements et les renforts se succédèrent avec une telle rapidité, il s'établit une disproportion si écrasante, quant au nombre et aux ressources, entre les Babi s et leurs adversaires, que le résultat final devint évident et imminent." (Comte de Gobineau: Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", p. 203.)

(24.52) "Le régiment de Karrus, commandé par le chef de la tribu, Hasan-'Ali Khan, aujourd'hui ministre à Paris, enleva le fort d' 'Ali-Mardan Khan, le 4ème régiment força la maison d'Aqa 'Aziz, un des points les plus fortifiés de la ville, et la réduisit en poussière; le régiment des gardes fit sauter le caravansérail, situé près de la porte d'Hamadan; il perdit un capitaine et assez de soldats par l'explosion, mais enfin resta maître de la place." (Ibid., p. 203.)

(24.53) 8 janvier 1851 ap. J-C.

(24.54) "Alors Muhammad Khan, bigliyirbigi, Amir Arslan Khan, gouverneur, et les autres commandants, dont la parole avait garanti la vie sauve aux Babis, ayant réuni ces derniers en présence des troupes, firent sonner les trompettes et battre les tambours, et donnèrent ordre que cent soldats choisis dans chaque régiment missent la main sur les prisonniers et les rangeassent sur une seule ligne devant eux. Cela fait, on commanda de massacrer ces gens à coups de baïonnette; ce qui fut fait. Ensuite on prit les chefs, Sulayman le cordonnier, et Haji Kazim Giltughi, et on les souffla à la bouche d'un mortier.
Cette opération, d'invention asiatique, mais qui a été pratiquée par les autorités anglaises, dans la révolte de l'Inde, avec cette supériorité que la science et l'intelligence européennes apportent à tout ce qu'elles font, consiste à attacher le patient à la bouche d'une pièce d'artillerie, chargée seulement à poudre; suivant la quantité mise dans la charge, l'explosion emporte en lambeaux plus ou moins gros les membres déchirés de la victime.
L'affaire finie, on fit encore un triage parmi les captifs. On réserva Mirza Rida, lieutenant de Mulla Muhammad-'Ali, puis tout ce qui avait quelque notoriété ou quelque importance, et ayant mis à ces malheureux la chaîne au cou et des entraves aux mains, on résolut, malgré la défense de la cour, de les emmener à Tihran pour orner le triomphe.
Quant au peu qui restait de pauvres diables dont la vie ou la mort n'importait à personne, on les abandonna, et l'armée victorieuse retourna dans la capitale, traînant avec elle ses prisonniers, qui marchaient devant les chevaux des généraux vainqueurs. Lorsqu'on fut arrivé à Tihran, h'Amir-Nizam, premier ministre, trouva nécessaire de faire encore des exemples, et Mirza Rida, Haji Muhammad- Ali et Haji Muhsin, furent condamnés à avoir les veines ouvertes.
Les trois condamnés apprirent cette nouvelle sans émotion; seulement ils déclarèrent que le manque de foi dont on avait usé envers leurs compagnons et envers eux n'était pas de ces crimes que le Dieu très-haut pouvait se contenter de punir par les châtiments de la justice ordinaire; il lui fallait quelque chose de plus solennel et de plus signalé pour les persécuteurs de ses saints; en conséquence ils annonçaient au premier ministre que promptement, bien promptement, il périrait lui-même par le supplice qu'il leur faisait infliger.
J'ai entendu citer cette prophétie; je ne doute pas un instant que ceux qui me l'ont fait connaître ne fussent profondément convaincus de sa réalité. Je dois pourtant noter ici que, lorsqu'on me l'a rapportée, il y avait déjà quatre ans au moins que h'Amir-Nizam avait eu en effet les veines coupées par ordre du roi. Je ne puis donc rien affirmer autre chose, sinon qu'on m'a assuré que l'événement avait été annoncé par les martyrs de Zanjan. (Comte de Gobineau: "Les Religions et les Philosophies dans l'Asie Centrale", pp. 207-9.)

(24.55) Voir glossaire.

(24.56) "Dieu est le plus Grand."

(24.57) "L'exécution faite, les spectateurs envahirent le champ de mort, quelques-uns pour chercher et enterrer le corps d'un ami, d'autres poussés par une curiosité malsaine. On raconte qu'un musulman nommé Vali-Muhammad arriva près du corps d'un de ses voisins nommé Aqa Rida, et s'aperçut qu'il n'était pas tout à fait mort. Il l'appela et lui dit: "Si tu as besoin de quelque chose, dis-le moi, je suis ton voisin Vali-Muhammad." L'autre lui fit comprendre qu'il avait soif.
Aussitôt notre musulman alla chercher une énorme pierre et, revenant vers le malheureux: "Ouvre la bouche, lui dit-il, je t'apporte de l'eau", et comme celui-ci avait obéi, il lui écrasa la tête. Enfin le Bighiyirbigf se mit en route pour Tihran emmenant avec lui quarante-quatre prisonniers parmi lesquels se trouvaient le fils de Mirza Rida, Haji Muhammad-'Ali, Haji Muhsin le chirurgien. Ces trois individus furent exécutés dès leur arrivée, le reste pourrit en prison." (A.L.M. Nicolas: "Siyyid 'Ali-Muhammad dit le Bab", p. 363.)

(24.58) "Il ne leur suffisait pas d'être vainqueurs, il leur fallait insulter le cadavre de leur ennemi. On songea à interroger les Babis, mais, quels que fussent les supplices qu'on leur infligea, ils se refusèrent à parler. Aqa Din-Muhammad eut le crane arrosé d'huile bouillante, mais il se tut. Enfin le Sardar fit venir le propre fils du chef défunt, âgé de sept ans et nommé Aqa Husayn; par d'habiles menaces et d'insidieuses flatteries, il parvint enfin à le faire parler." (Ibid.,p. 361.)

(24.59) Voir glossaire.

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