Voici le Jour promis
Shoghi Effendi


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Chapitre 19 à 23

19. Reconnaissance de la royauté

Que personne cependant ne se trompe ni ne se méprenne sur l'objectif de Baha'u'llah. Aussi sévère qu'ait pu être la condamnation qu'il prononça contre ces souverains qui le persécutèrent et malgré la dureté des reproches qu'il adressa collectivement à ceux qui manquèrent à leur devoir évident d'examiner la vérité de sa Foi et de retenir la main des mauvais, ses enseignements ne contiennent aucun principe qui puisse d'une quelconque manière être considéré comme une répudiation ou même comme une dépréciation, même voilée, de l'institution que constitue la royauté. La chute catastrophique et l'extinction de dynasties et d'empires dont les monarques connurent la fin désastreuse qu'il avait clairement prophétisée, et le sort déclinant des souverains de sa propre génération qu'il réprouvait en général - ces deux événements représentant une phase transitoire dans l'évolution de la Foi - ne doivent en aucune façon être confondus avec la condition future de cette institution.

En fait, si nous fouillons dans les écrits de l'auteur de la Foi baha'ie, nous ne manquons pas de découvrir d'innombrables passages dans lesquels, en des termes que l'on ne peut plus explicites, le principe de la royauté est mis en valeur, le rang et la conduite de rois justes et équitables sont vantés, la montée de monarques gouvernant avec justice et professant même sa Foi est envisagée et le devoir solennel de se lever et d'assurer le triomphe de souverains baha'is est inculqué. Ses disciples préconiseraient ou anticiperaient l'extinction définitive de l'institution qu'est la royauté en guise de conclusion aux paroles citées ci-dessus et adressées par Baha'u'llah aux souverains de la terre, et à l'énumération des désastres déplorables qui ont frappé tant d'entre eux, que cela reviendrait en fait à trahir son enseignement.

Je ne peux que citer certaines affirmations de Baha'u'llah lui-même, laissant au lecteur le soin de se forger son propre jugement quant à la fausseté d'une telle déduction. Dans son "Epître au Fils du Loup", il indique la source réelle de la royauté : La considération envers le rang des souverains est divinement ordonnée, comme cela est clairement affirmé par les paroles des prophètes de Dieu et de ses élus. Celui qui est l'Esprit [Jésus] - que la paix soit sur lui - fut interrogé : "O Esprit de Dieu ! Est-il légal ou pas de payer un tribut à César ?" Et il répondit : "Oui, rendez à César ce qui est à César et à Dieu les choses qui sont à Dieu." Il ne l'interdit point. Ces deux paroles ne font qu'une dans l'appréciation des hommes d'intuition, car si ce qui appartenait à César ne venait pas de Dieu, il l'aurait interdit. De même dans le verset sacré : "Obéissez à Dieu et obéissez à l'apôtre et à ceux parmi vous investis d'autorité." Par "ceux investis d'autorité", il entend tout d'abord et plus spécialement les Imams - que les bénédictions de Dieu soient sur eux. Ils sont en vérité les manifestations du pouvoir de Dieu, les sources de son autorité, les dépositaires de sa connaissance et les aurores de ses commandements. Ensuite ces mots se réfèrent aux rois et aux dirigeants - les horizons du monde resplendissent et brillent de l'éclat de leur justice.

Et encore : Dans l'épître aux Romains, Saint Paul a écrit : "Que chaque âme soit soumise aux plus hauts pouvoirs. Car il n'est pas de pouvoir qui ne vienne de Dieu ; les pouvoirs qui existent sont accordés par Dieu. Quiconque dès lors résiste au pouvoir résiste au commandement de Dieu. Et plus loin : Car il est le ministre de Dieu, un vengeur qui se met en colère contre celui qui fait le mal. Il dit que l'apparence des rois, leur majesté et leur pouvoir viennent de Dieu.

Et encore : Un roi juste jouit d'un accès plus proche à Dieu que n'importe qui d'autre. De cela atteste celui qui parle dans sa très grande prison.

De même, dans le Bisharat (Bonnes Nouvelles), Baha'u'llah affirme que la majesté de la royauté est un des signes de Dieu. Il ajoute nous ne désirons pas que les pays du monde en soient privés.

Dans le Kitab-i-Aqdas, il expose son but et loue le roi qui professera sa Foi : Par la justice de Dieu ! Notre volonté n'est pas de mettre la main sur vos royaumes. Notre mission est de saisir et de posséder le coeur des hommes. Les yeux de Baha sont rivés sur eux. De cela atteste le royaume des noms, si seulement vous le compreniez. Quiconque suit son Seigneur renoncera au monde et à tout ce qui s'y trouve ; comme il doit être grand alors le détachement de celui qui occupe un rang si auguste ! Quelle sera grande la bénédiction qui attend le roi qui se lèvera pour soutenir ma Cause en mon royaume, qui se détachera de tout sauf de moi ! Un tel roi est compté parmi les compagnons de l'Arche pourpre - l''Arche que Dieu a préparée pour le peuple de Baha. Tous doivent glorifier son nom, respecter son rang et l'aider à ouvrir les cités avec les clés de mon nom, le Protecteur omnipotent de tout ce qui habite les royaumes visibles et invisibles. Un tel roi est l'oeil même de l'humanité, le lumineux ornement du front de la création, la source de bénédictions pour le monde entier. O peuple de Baha, offrez votre corps, vos vies même, pour l'aider.

Dans le Lawh-i-Sultan, Baha'u'llah révèle en outre ce que signifie la royauté : Un roi juste est l'ombre de Dieu sur terre. Tous devraient chercher refuge sous l'ombre de sa justice, et se reposer dans la pénombre de sa faveur. Ceci n'est pas un fait qui soit spécifique ou limité dans sa portée pour que l'on puisse le restreindre à l'une ou l'autre personne puisque l'ombre parle de Celui qui la projette. Dieu, que son souvenir soit glorifié, s'est Lui-même appelé le Seigneur des mondes car Il a nourri et nourrit encore chacun. Glorifiée soit sa grâce qui a précédé toutes les choses créées, et sa miséricorde qui surpasse les mondes.

Dans une de ses Tablettes, Baha'u'llah a également écrit : Le seul véritable Dieu, que sa gloire soit exaltée, a remis le gouvernement de la terre aux rois. Personne n'a le droit d'agir d'une façon, quelle qu'elle soit, qui irait à l'encontre des intentions formulées par ceux qui ont l'autorité. Ce qu'Il s'est réservé, ce sont les cités du coeur des hommes ; et de ces cités, les aimés de Celui qui est la Vérité souveraine en ce jour sont les clés.

Dans le passage suivant, il exprime ce désir : Nous chérissons l'espoir qu'un des rois de la terre se lèvera, par amour pour Dieu, pour le triomphe de ce peuple opprimé, tyrannisé. Un tel roi sera éternellement loué et glorifié. Dieu a inculqué à ce peuple le devoir d'aider quiconque l'aidera, de servir ses intérêts les meilleurs, et de faire preuve envers lui d'une loyauté immuable.

Dans le Lawh-i-Ra'is, il annonce effectivement et catégoriquement l'arrivée d'un tel roi : Bientôt Dieu fera se lever parmi les rois l'un d'entre eux qui aidera ses aimés. Il enveloppe en vérité toutes choses. Il imprègnera les coeurs de l'amour de ses aimés. Ceci est décrété de façon irrévocable par Celui qui est le Tout-Puissant, le Bienfaisant. Dans le Ridvanu'l-'Adl, où la vertu de la justice est exaltée, il fait une prédiction parallèle : Bientôt, Dieu rendra manifestes sur terre des rois qui se reposeront sur le lit de la justice et qui dirigeront les hommes comme ils se dirigeraient eux-mêmes. Ils sont en réalité parmi les plus précieuses de mes créatures dans la création toute entière.

Dans le Kitab-i-Aqdas, il visualise en ces termes la montée au trône dans sa ville natale, la mère du monde et l'aurore de la lumière, d'un roi qui sera vêtu du double ornement de la justice et de la dévotion à sa Foi : Que rien ne te désole, O pays de Ta, car Dieu t'a choisi pour être la source de joie de toute l'humanité. Il bénira, si cela est sa volonté, ton trône avec un homme qui gouvernera avec justice, qui rassemblera le troupeau de Dieu dispersé par les loups. Un tel dirigeant tournera avec joie et bonheur son visage vers le peuple de Baha et lui accordera ses faveurs. Il est en réalité considéré par Dieu comme un joyau parmi les hommes. Sur lui repose pour toujours la gloire de Dieu et la gloire de tous ceux qui vivent dans le royaume de sa révélation.


20. L'effondrement de l'orthodoxie religieuse

Chers amis ! Le sort déclinant des détenteurs couronnés du pouvoir temporel fut accompagné par une diminution non moins fulgurante de l'influence exercée par les dirigeants spirituels du monde. Aux événements gigantesques qui annoncèrent la dissolution de tant de royaumes et d'empires a presque coïncidé la détérioration des forteresses apparemment inviolables de l'orthodoxie religieuse. Ce même processus qui, rapidement et tragiquement, scella le destin de rois et d'empereurs et mit fin à leur dynastie, a agi sur les dirigeants ecclésiastiques du christianisme et de l'islam, diminuant leur prestige et, dans certains cas, renversant leurs plus hautes institutions. Le pouvoir a été en réalité ravi à la fois aux rois et aux ecclésiastiques. La gloire des premiers s'est éteinte, le pouvoir des seconds a été irrémédiablement perdu.

Ces responsables qui dirigeaient et contrôlaient les hiérarchies ecclésiastiques de leur religion respective, avaient aussi été interpellés, prévenus et désapprouvés par Baha'u'llah en des termes non moins clairs que ceux utilisés pour les souverains présidant aux destinées de leurs sujets. Eux aussi, et plus particulièrement les chefs des ordres ecclésiastiques musulmans ont, avec les despotes et les puissants, assailli et maudit les fondateurs de la Foi de Dieu, ses disciples, ses principes et ses institutions. Les religieux persans ne furent-ils pas les premiers à hisser l'étendard de la révolte, à enflammer les masses ignorantes et soumises contre elle et à pousser les autorités civiles, par leur clameur, par leurs menaces, leurs mensonges, leurs calomnies et leurs dénonciations, à décréter les bannissements, à promulguer les lois, à lancer les campagnes punitives et à commettre les exécutions et les massacres qui remplissent les pages de son histoire ? La boucherie qui eut lieu en un seul jour, à l'instigation de ces hommes de religion, fut si abominable et sauvage, si caractéristique de "l'insensibilité de la brute et de l'ingéniosité du diable" que Renan dans "Les Apôtres" décrivit ce jour comme "peut-être sans précédent dans l'histoire du monde."

Ce furent ces hommes de religion qui, par leurs actes mêmes, semèrent les graines de la désintégration de leurs propres institutions qui étaient si puissantes, si renommées et qui apparaissaient si invulnérables à la naissance de la Foi. Ce furent eux qui, en prenant des responsabilités si graves avec tant de légèreté et d'insouciance, furent les premiers responsables du déclenchement de ces influences violentes et subversives qui ont libéré des désastres aussi catastrophiques que ceux qui ont renversé des rois, des dynasties et des empires et qui constituent les événements les plus marquants dans l'histoire du premier siècle de l'ère de Baha'u'llah.

Ce processus de détérioration , bien que foudroyant dans ses premières manifestations, agit toujours avec une force intacte, et, tout comme l'opposition à la Foi de Dieu, de diverses sources et dans des domaines variés, se renforcera, il s'accélérera encore et montrera des signes plus frappants de son pouvoir dévastateur. Je ne peux, vu les proportions qu'a déjà prises cette communication, discourir aussi longtemps que je le désirerais sur les aspects de ce thème important qui, avec la réaction des souverain de la terre au message de Baha'u'llah, est l'un des épisodes les plus fascinants et édifiants dans l'histoire dramatique de sa Foi. Je ne ferai que considérer les conséquences des violents assauts commis par les dirigeants ecclésiastiques de l'islam et, dans une moindre mesure, par certains défenseurs de l'orthodoxie chrétienne, sur leurs institutions respectives. En guise de préface à ces observations, je citerai certains passages glanés dans la grande masse des Tablettes de Baha'u'llah qui, directement ou indirectement, font référence aux théologiens musulmans et chrétiens et qui jettent une lumière si puissante sur les tristes malheurs qui se sont abattus et s'abattent encore sur la hiérarchie ecclésiastique des deux religions que la Foi a directement concerné.

Il ne faut cependant pas déduire que Baha'u'llah dirigeait ses appels historiques aux seuls dirigeants de l'islam et de la christianisme, ni que l'impact d'une Foi dominant tout sur les forteresses de l'orthodoxie religieuse se limite aux institutions de ces deux systèmes religieux. Baha'u'llah affirme : Le temps annoncé aux peuples et aux familles de la terre est à présent arrivé. Les promesses de Dieu, reprises dans les Ecritures saintes, ont été toutes remplies.... Voici le jour que la Plume du très Haut a glorifié dans toutes les Ecritures saintes. Il n'est aucun verset qui ne proclame la gloire de son saint nom, aucun livre qui ne témoigne de l'élévation de ce thème très exalté. Il ajoute : Si nous devions mentionner tout ce qui a été révélé dans ces livres célestes et dans ces saintes Ecritures au sujet de cette révélation, cette Tablette aurait des dimensions impossibles.

Comme la promesse de la Foi de Baha'u'llah est enchâssée dans toutes les écritures des religions passées, son auteur s'adresse lui-même à leurs disciples et plus spécialement à leurs dirigeants responsables qui se sont interposés entre lui et leurs congrégations respectives. Baha'u'llah écrit : A un moment, nous nous adressons au peuple de la Torah et l'appelons à celui qui est le révélateur des versets, qui est venu de Celui qui fait courber la nuque des hommes.... A un autre moment, nous nous adressons au peuple de l'Evangile et disons : "Le Tout-Glorieux est venu en ce nom qui a fait souffler la brise de Dieu sur toutes les régions."... A un autre moment encore, nous nous adressons au peuple du Coran en disant : Craignez le Tout-Miséricordieux et ne critiquez pas Celui qui a fondé toutes les religions.... Sache en outre que nous avons adressé nos Tablettes aux mages et que nous les avons ornées de notre loi.... Nous y avons révélé l'essence de toutes les insinuations et allusions contenues dans leurs livres. Le Seigneur en vérité est le Tout-Puissant, l'Omniscient.

S'adressant au peuple juif Baha'u'llah a écrit : La très grande Loi est arrivée, et la Beauté éternelle règne sur le trône de David. Ainsi ma Plume a exprimé ce qu'ont décrit les histoires de jadis. Cette fois cependant David s'écrie et dit : O mon tendre Seigneur ! Compte-moi parmi ceux qui sont restés fermes dans ta Cause, O Toi grâce à qui les visages se sont illuminés et les pas ont glissé ! Et aussi : Le souffle s'est répandu, la brise a soufflé, de Zion est apparu ce qui était caché et de Jérusalem s'élève la voix de Dieu, l'Unique, l'Incomparable, l'Omniscient. Plus loin, dans son Epître au Fils du Loup, Baha'u'llah a révélé : Tends l'oreille au chant de David. Il dit : Qui m'amènera dans la ville forte ? La ville forte c'est 'Akka, appelée la très grande prison et possédant une forteresse et de puissants remparts. O Shaykh ! Examine ce qu'Isaïe a dit dans son livre. Il dit : "Monte sur la montagne élevée, O Zion, qui apporte la bonne nouvelle ; élève la voix avec force, O Jérusalem, qui apporte la bonne nouvelle. Elève-la, n'aie pas peur ; dis aux villes de Juda : Voyez votre Dieu ! Voyez le Seigneur Dieu arrivera, la main forte, et son bras règnera pour Lui." Ce jour, tous les signes sont apparus. Une grande cité est descendue des cieux et Zion tremble et exulte de joie devant la révélation de Dieu, car il a entendu la voix de Dieu de toutes parts.

Cette même voix, s'identifiant à celle du Shah-Bahram promis a déclaré à la caste des prêtes détenant la suprématie sacerdotale sur les disciples de la Foi de Zoroastre : O grands prêtres ! On vous a donné des oreilles pour pouvoir entendre le mystère de Celui qui dépend de Lui-même, des yeux pour pouvoir Le contempler. Pourquoi fuyez-vous ? L'Ami incomparable est manifeste. Il dit ce en quoi repose le salut. Si vous découvriez O grands prêtres le parfum de la roseraie de la compréhension, vous ne rechercheriez nul autre que Lui, vous reconnaîtriez dans son nouvel habit le Très-Sage, l'Incomparable, vous détourneriez les yeux du monde et de tous ceux qui le cherche et vous vous lèveriez pour L'aider.

Baha'u'llah, dans une réponse à un Zoroastrien qui s'était enquis du Shah-Bahram promis, a écrit : Tout ce qui a été annoncé dans les livres a été révélé et éclairci. De toutes parts, les signes se sont manifestés. L'Omnipotent appelle en ce jour et annonce l'apparition du Ciel suprême. Ceci n'est pas le jour, déclare-t-il dans une autre Tablette, où les grands prêtres peuvent commander et exercer leur autorité. Dans votre livre, il est dit que les grands prêtres égareront les hommes ce jour-là et les empêcheront de s'approcher de Lui. Il est en fait un grand prêtre qui a vu la lumière et s'est hâté sur le chemin menant à l'Aimé. S'adressant une nouvelle fois à eux il dit : Dites, O grands prêtres ! La main de la toute-puissance s'étend de derrière les nuages ; regardez-la d'un oeil nouveau. Les signes de sa majesté et de sa grandeur sont dévoilés ; contemplez-les d'un oeil pur.... Dites, O grands prêtres ! Vous vénérez mon nom et pourtant vous me fuyez ! Vous êtes les grands prêtres du temple. Si vous aviez été les grands prêtres de l'Omnipotent, vous vous seriez unis à Lui et vous L'auriez reconnu.... Dites, O grands prêtres ! Les actes de l'homme ne seront acceptables en ce jour que s'il abandonne l'humanité et tout ce que les hommes possèdent et tourne son visage vers l'Omnipotent.

Ce n'est pas cependant à l'une ou l'autre de ces deux Fois que nous nous attachons principalement. C'est à l'islam et, dans une moindre mesure, au christianisme que mon thème se rapporte directement. L'islam, d'où a surgi la Foi de Baha'u'llah, tout comme le christianisme l'a fait du judaïsme, est la religion dans le giron de laquelle la Foi est tout d'abord apparue et s'est développée, des rangs de laquelle la plupart des adhérents baha'is ont été recrutés, et dont les dirigeants ont persécuté et continuent en fait à persécuter les disciples. D'un autre côté, le christianisme est la religion à laquelle appartient la grande majorité des Baha'is d'origine non-islamique, dans le domaine spirituel de laquelle l'Ordre administratif de la Foi de Dieu progresse rapidement et dont les interprètes ecclésiastiques assaillent de plus en plus cet Ordre. Contrairement à l'hindouisme, au bouddhisme, au judaïsme et même au zoroastrisme qui, pour la plupart, sont toujours inconscients des potentialités de la Cause de Dieu et dont la réponse à son message est jusqu'à présent négligeable, les Fois de Mahommed et du Christ peuvent être considérées comme deux systèmes religieux qui reçoivent, à ce stade formatif de son évolution, tout l'impact d'une révélation si immense.

Voyons alors ce que les fondateurs de la Foi baha'ie ont dit aux chefs reconnus de l'islam et du christianisme, ou ont écrit à leur sujet. Nous avons déjà examiné les passages faisant référence aux rois de l'islam, que ce soient les califes régnant à Constantinople ou les Shahs en Perse qui dirigeaient le royaume en tant que mandataires temporaires de l'Imam attendu. Nous avons également mentionné la Tablette que Baha'u'llah a révélée spécifiquement pour le Pontife romain et le message plus général dans le Suriy-i-Muluk adressé aux rois de la chrétienté. Non moins hardie et inquiétante est la voix qui a mis en garde et demandé des comptes aux théologiens de Mahommed et au clergé chrétien.

Le jugement clair et universel prononcé par Baha'u'llah dans le Kitab-i-Iqan est : Les chefs religieux ont de tous temps empêché leur peuple d'atteindre les rives du salut éternel car ils détenaient les rênes de l'autorité dans leur poigne puissante. Certains par soif de pouvoir, d'autres par désir de connaissance et de compréhension, ont été la cause de la destitution du peuple. Leur condamnation et leur autorité ont fait boire le calice du sacrifice à chaque prophète de Dieu et l'ont fait s'élancer vers les sommets de gloire. Quelles cruautés indescriptibles ont infligé ceux qui étaient assis sur le siège de l'autorité et du savoir aux vrais monarques du monde, ces joyaux de la vertu divine ! Se contentant d'une autorité éphémère, ils se sont privés d'une souveraineté éternelle.

Et aussi, dans le même livre : Parmi ces voiles de gloire, il y a les théologiens et les docteurs qui ont vécu à l'époque de la manifestation de Dieu et qui, à cause de leur volonté de discernement, de leur amour et de leur passion du commandement, n'ont pas réussi à se soumettre à la Cause de Dieu et ont même refusé de tendre l'oreille à la mélodie divine. "Ils se sont enfoncés les doigts dans les oreilles." Et les gens aussi, qui, ignorant tout à fait Dieu et les prenant pour leurs maîtres, se sont placés sans réserve sous l'autorité de ces chefs pompeux et hypocrites car ils n'ont pas de vue, pas d'ouïe, pas de coeur à eux pour distinguer la vérité du mensonge. Sans tenir compte des exhortations divinement inspirées de tous les prophètes, des saints et des élus de Dieu, qui enjoignaient les hommes à voir avec leurs propres yeux et à entendre avec leurs propres oreilles, ils ont rejeté avec dédain leurs conseils et ont aveuglément suivi les dirigeants de leur Foi et continueront à le faire.
Si un personnage pauvre et obscur, dépourvu de l'habit des hommes de savoir s'adressait à eux en disant : "Suivez O peuple les messagers de Dieu", ils répliqueraient, extrêmement surpris par de telles paroles : "Quoi ! Insinues-tu que tous ces théologiens, tous ces détenteurs du savoir, avec toute leur autorité, leur faste et leur apparat ont erré et n'ont pu distinguer la vérité du mensonge ? Prétends-tu, toi et ceux de ton espèce, avoir compris ce qu'eux n'ont pas compris ? " Si le nombre et la qualité des parures sont considérés comme étant le critère du savoir et de la vérité, alors les hommes de jadis que ceux d'aujourd'hui n'ont jamais surpassés en nombre, en pompe et en pouvoir doivent indubitablement être considérés comme des hommes supérieurs et meilleurs.


Et encore : Pas un seul prophète de Dieu ne s'est manifesté sans être victime de la haine implacable, de la dénonciation, de la dénégation et de l'exécration des ecclésiastiques de son époque ! Malheur à eux pour les injustices que leurs mains ont autrefois commises ! Malheur à eux pour ce qu'ils font à présent ! Quels voiles de gloire plus lamentables que ces incarnations de l'erreur ! Par la justice de Dieu ! Percer de tels voiles est le plus puissant des actes et les mettre en pièces est la plus méritoire des actions !

Il a en outre écrit : Sur leur langue, la mention de Dieu est devenue un mot creux ; parmi eux, sa sainte parole est lettre morte. L'emprise de leurs désirs est telle, que la lampe de la conscience et de la raison s'est éteinte dans leur coeur.... Impossible d'en trouver deux qui acceptent la même et unique loi car ils ne recherchent pas Dieu mais bien leur propre désir et ne foulent aucun autre chemin que celui de l'erreur. Diriger est le seul objet de leurs préoccupations et ils considèrent la fierté et l'arrogance comme les plus grandes réalisations du désir de leur coeur. Ils ont placé leurs machinations sordides au-dessus du décret divin, ils ont renoncé à se soumettre à la volonté de Dieu, se consacrant à d'égoïstes calculs, et ont marché sur les pas des hypocrites. Ils tentent, de tout leur pouvoir et de toute leur force, de réaliser leurs visées étriquées, craignant que le moindre discrédit ne mine leur autorité ou ne fasse pâlir le spectacle de leur munificence.

Dans une autre Tablette, Baha'u'llah a affirmé : Les théologiens ont été la source et l'origine de la tyrannie. A cause des condamnations prononcées par ces âmes hautaines et fantasques, les dirigeants de la terre ont accompli ce que vous avez entendu.... Les rênes des masses insouciantes ont été et sont encore entre les mains des interprètes d'idées creuses et de vaines chimères. Ils décident ce que bon leur semble. Dieu en vérité se dégage d'eux et nous aussi nous en faisons de même, tout comme ceux qui ont témoigné de ce que la Plume du très Haut a déclaré dans ce rang glorieux.

De même il a affirmé : Les dirigeants des hommes les ont, depuis des temps immémoriaux, empêché de se tourner vers le très grand Océan. L'ami de Dieu [Abraham] fut jeté au feu à cause de la condamnation prononcée par les théologiens de l'époque et l'on attribua des mensonges et des calomnies a celui qui parla avec Dieu [Moïse]. Réfléchissez à celui qui fut l'esprit de Dieu [Jésus]. Bien qu'il ait fait preuve de la plus grande compassion et tendresse, ils se sont élevés contre cette essence de l'être, ce seigneur du visible et de l'invisible, de façon telle qu'il ne put trouver refuge où se reposer. Chaque jour il se déplaçait en un nouvel endroit et recherchait un nouvel abri. Regardez le sceau des prophètes [Muhammad] - que toutes les âmes sauf la sienne lui soit sacrifiées ! Comme ce seigneur de tous les êtres a souffert aux mains des prêtres de l'idolâtrie et des docteurs juifs après avoir prononcé les paroles sacrées proclamant l'unité de Dieu ! Par ma vie ! Ma plume gémit et toutes les choses créées pleurent à cause des choses qui lui sont arrivées aux mains de ceux qui ont brisé l'Alliance de Dieu et son Testament, qui ont renié son témoignage et démenti ses signes.

Une autre Tablette déclare : Les théologiens insensés ont mis de côté le Livre de Dieu et ne s'intéressent qu'à ce qu'eux-mêmes ont façonné. L'Océan de la connaissance est révélé et le crissement de la Plume du très Haut se fait entendre et pourtant, comme des lombrics, ils sont entourés de l'argile de leurs chimères et de leurs imaginations. Ils sont élevés à cause de leur relation avec le seul vrai Dieu et pourtant ils se sont détournés de Lui ! Grâce à Lui ils sont devenus célèbres et pourtant ils sont coupés de Lui comme par un voile !

Dans une autre Tablette encore il est écrit : Les prêtres païens et les théologiens juifs et chrétiens ont commis précisément ce que les théologiens de l'époque, dans cette dispensation, ont commis et commettent encore. Non, ils ont fait preuve d'une cruauté plus grande et d'une malveillance plus féroce. Chaque atome est témoin de ce que je dis.

A ces dirigeants qui s'estiment être les meilleures de toutes les créatures et sont considérés par Celui qui est la Vérité comme les plus viles d'entre elles, qui occupent les sièges du savoir et de la connaissance et qui ont appelé l'ignorance connaissance et l'oppression justice, et qui ne vénèrent aucun autre Dieu que leur propre désir, ne prêtent allégeance qu'à l'or, sont enveloppés dans les plus denses des voiles du savoir et, empêtrés par son obscurité, sont perdus dans les déserts de l'erreur - à eux, Baha'u'llah a choisi d'adresser ces mots : O rassemblement de théologiens ! Dorénavant vous ne pourrez plus vous dire investis d'un pouvoir quelconque car nous vous l'avons retiré et l'avons destiné à ceux qui ont cru en Dieu, le Seul, le Tout-Puissant, le Libre.

Dans le Kitab-i-Aqdas, nous lisons ce qui suit : Dis : O chefs religieux ! Ne mesurez pas le Livre de Dieu avec les poids et les sciences qui ont cours parmi vous car le Livre lui-même est la balance infaillible qui s'élève parmi les hommes. Dans cette balance la plus parfaite, tout ce que les peuples et les familles de la terre possèdent est pesé et la mesure de son poids est évaluée selon son propre étalon, si seulement vous le saviez. L'oeil de ma tendre bonté pleure amèrement sur vous car vous avez échoué à reconnaître l'Unique que vous appeliez, jour et nuit, matin et soir.... O vous chefs religieux ! Lequel d'entre vous peut rivaliser avec moi en termes de vision ou d'intuition ? Où peut-on trouver celui qui affirme être mon égal en paroles ou en sagesse ? Non, par mon Seigneur, le Tout-Miséricordieux ! Tout périra sur terre ; et ceci est le visage de votre Seigneur, le Tout-Puissant, le Bien-Aimé....
Dis : Ceci en vérité est le ciel où est précieusement gardé le Livre Mère, si seulement vous le compreniez. Il est celui qui a fait crier la pierre, qui a fait élever la voix du buisson ardent sur la montagne qui se dresse dans la terre sacrée et proclamer : "Le royaume est à Dieu, le Seigneur souverain de tous, le Tout-Puissant, l'Aimant !" Nous n'avons pas fréquenté l'école, ni lu aucune de vos dissertations. Tendez l'oreille aux paroles de cet illettré qui vous appellent à Dieu, l'éternel Immuable. Ceci est meilleur pour vous que tous les trésors de la terre, si seulement vous le compreniez.


Il a en outre écrit : O rassemblement de théologiens ! Quand mes versets ont été envoyés et mes signes évidents révélés, nous vous avons trouvés derrière les voiles. Ceci en vérité est étrange... Nous avons déchiré les voiles. Prenez garde de ne point enfermer les hommes dans un autre voile. Arrachez les chaînes des vaines imaginations au nom du Seigneur de tous les hommes et ne soyez pas parmi les fourbes. Tournez-vous vers Dieu, embrassez sa Cause, n'y semez pas le désordre et ne mesurez pas le Livre de Dieu à vos désirs égoïstes. Ceci en vérité est le conseil de Dieu avant et après.... Si vous aviez cru en Dieu lorsqu'Il s'est révélé, les hommes ne se seraient pas détournés de Lui et ce que vous voyez aujourd'hui ne nous serait pas arrivé.
Craignez Dieu et ne soyez pas parmi les insouciants.... Ceci est la Cause qui a fait trembler toutes vos superstitions et vos idoles.... O rassemblement de théologiens ! Prenez garde de ne pas être la cause de conflits dans le pays tout comme vous avez été la cause du rejet de la Foi dans ses premiers temps. Rassemblez les hommes autour de cette parole qui a fait crier aux cailloux : "Le royaume est à Dieu, l'Aurore de tous les signes "... Déchirez les voiles de façon telle que les habitants du royaume les entendront se déchirer. Ceci est le commandement de Dieu pour les jours passés, et pour les jours à venir. Béni l'homme qui obéit à ce qui lui est ordonné et malheur au nonchalant.


Et de nouveau : O rassemblement de théologiens, combien de temps encore brandirez-vous la lance de la haine devant la face de Baha ? Retenez vos plumes. Voilà, la Plume très sublime parle entre la terre et le ciel. Craignez Dieu et ne suivez pas vos désirs qui ont altéré la face de la création. Purifiez vos oreilles pour qu'elles entendent la voix de Dieu. Par Dieu ! C'est pareil au feu qui consume les voiles et à l'eau qui lave l'âme de tous ceux qui sont dans l'univers.

Il leur dit plus loin : Dis : O rassemblement de théologiens ! Un seul d'entre vous peut-il rivaliser avec le divin jeune dans l'arène de la sagesse et de la parole, ou s'élever avec lui dans le ciel de la signification intérieure et de l'explication ? Non, par mon Seigneur, le Dieu de miséricorde ! Tous se sont évanouis en ce jour devant la parole de ton Seigneur. Ils sont comme morts et inanimés, sauf celui que ton Seigneur, le Tout-Puissant, le Libre, a décidé d'épargner. Il est en vérité parmi ceux qui sont dotés de connaissance aux yeux de Celui qui est l'Omniscient. Les habitants du paradis et des replis sacrés le bénissent matin et soir. Celui qui a des jambes de bois peut-il résister à celui que Dieu a doté de pieds d'acier ? Non, par Celui qui illumine toute la création !

Il fait remarquer à juste titre : Si nous regardons avec attention, nous voyons que nos ennemis sont, pour la plupart, des théologiens. Parmi les hommes il y a ceux qui ont dit : "Il a répudié les théologiens." Dites : "Oui, par mon Seigneur ! J'ai été en toute vérité celui qui a aboli les idoles !" En vérité, nous avons sonné la trompette qui est notre Plume très sublime et voilà, les hommes de religion et de savoir, les docteurs et les dirigeants se sont évanouis, sauf ceux que Dieu préserva en signe de sa grâce, et Il est en vérité le Tout-Bon, l'Eternel.

O rassemblement de théologiens ! Chassez les vaines chimères et imaginations et tournez-vous alors vers l'horizon de la certitude. Je jure par Dieu ! Tout ce que vous possédez ne vous sera d'aucun profit, de même que tous les trésors de la terre ou le pouvoir que vous avez usurpé. Craignez Dieu et ne soyez pas parmi les hommes perdus. Dis : O rassemblement de théologiens ! Enlevez tous vos voiles et vos enveloppes. Prêtez l'oreille à ce à quoi vous appelle la Plume très sublime en ce jour merveilleux.... Le monde est rempli de poussières à cause de vos vaines imaginations et le coeur de ceux qui jouissent d'une proximité d'accès à Dieu est ému devant votre cruauté. Craignez Dieu et soyez de ceux qui jugent équitablement.

O vous aurores de la connaissance !
les exhorte-t-il alors, prenez garde de ne pas changer car si vous changez, la plupart des hommes changeront, tout comme vous. Ceci est en vérité une injustice pour vous-mêmes et pour les autres.... Vous êtes semblables à une source. Si elle s'altère, les ruisseaux qui en jaillissent seront altérés. Craignez Dieu et soyez parmi les pieux. De même, si le coeur de l'homme est corrompu, ses membres le seront aussi. Et si la racine d'un arbre est mauvaise, ses branches, ses ramifications, ses feuilles et ses fruits seront mauvais.

Dites : O rassemblement de théologiens !
s'adresse-t-il ainsi à eux, soyez justes, je vous en conjure par Dieu et n'annulez pas la vérité avec les choses que vous possédez. Examinez attentivement ce que nous vous avons envoyé avec vérité. Cela vous aidera en vérité et vous rapprochera de Dieu, le Puissant, le Grand. Voyez et rappelez-vous comment, lorsque Muhammad, l'apôtre de Dieu, est apparu, les gens l'ont renié. Ils lui infligèrent ce qui fit se lamenter l'esprit [Jésus] dans son rang très sublime et crier l'esprit fidèle. Considérez en outre ce qu'il advint aux apôtres et aux messagers de Dieu avant lui à cause de ce qu'ont fait les mains des injustes. Nous faisons mention de vous pour l'amour de Dieu, nous vous rappelons ses signes et vous annonçons les choses réservées à ceux qui sont près de Lui dans le paradis très sublime et dans le ciel le plus haut, et je suis en vérité l'Annonciateur, l'Omniscient. Il est venu pour votre salut et a supporté des épreuves pour que vous puissiez monter par l'échelle de la parole vers le sommet de la compréhension.... Examinez avec équité et justice ce qui a été envoyé. En réalité cela vous exaltera, à travers la vérité et vous permettra de boire de son vin pétillant.


21. Paroles adressées aux ecclésiastiques musulmans

Voyons maintenant plus en détail les références particulières faites aux ecclésiastiques musulmans et les paroles qui leur furent directement adressées par le Bab et par Baha'u'llah. Comme on peut le voir dans le Kitab-i-Iqan, le Bab a révélé une épître spécifiquement adressée aux théologiens toutes les villes où il a clairement exposé la nature de leur déni et de leur désaveu. Alors qu'il était à Isfahan, cette vénérable forteresse du cléricalisme musulman, il invita les théologiens de cette ville, par l'intermédiaire de son gouverneur Manuchir Khan, à argumenter avec lui afin, comme il l'exprime lui-même, d'établir la vérité et de dissiper le mensonge.

Pas un seul des nombreux théologiens qui encombraient ce grand siège de la connaissance n'a eu le courage de relever ce défi. Baha'u'llah de son côté, alors qu'il était à Andrinople, et comme cela est confirmé dans sa propre Tablette au Shah de Perse, exprima son désir d'être confronté avec les théologiens de l'époque et de fournir des preuves et des témoignages devant sa Majesté le Shah. Cette proposition fut qualifiée de "bien présomptueuse et d'étonnamment audacieuse" par les théologiens de Téhéran qui, dans leur crainte, conseillèrent à leur souverain de punir immédiatement le porteur de cette Tablette. Auparavant, alors qu'il était à Bagdad, Baha'u'llah affirma que, si les théologiens de Najaf et Karbila - les villes jumelles les plus saintes après de La Mecque et Medine, aux yeux des Shi'ihs - se réunissaient et convenaient d'un miracle auquel ils désireraient assister, s'ils apposaient leur signature et leur sceau sur une déclaration affirmant qu'en cas de réalisation de ce miracle ils reconnaîtraient la vérité de sa mission, il était prêt à réaliser immédiatement ce miracle.

Comme 'Abdu'l-Baha l'a rapporté dans "Certains répondaient aux questions", ils ne purent offrir meilleure réplique à cette proposition que : "Cet homme est un ensorceleur ; peut-être réalisera-t-il un ensorcellement et alors nous n'aurons plus rien à dire." Baha'u'llah lui-même a déclaré : Nous avons vécu pendant douze ans à Bagdad. Autant nous désirions un grand rassemblement de théologiens et d'hommes équitables afin de distinguer la vérité du mensonge et de la démontrer entièrement, aucune action ne fut prise. Et encore : De même, lorsque nous étions en Irak, nous souhaitions nous réunir avec les théologiens de Perse. Dès qu'ils en entendirent parler, ils s'enfuirent et dirent : "C'est assurément un véritable sorcier !" Ce sont les mots qui sortirent jadis de la bouche de ceux qui leur ressemblent. Ils [les théologiens] critiquaient ce qu'ils disaient mais ils répètent à présent les mêmes mots que ceux prononcés avant eux et ils ne le comprennent pas. Par ma vie ! Ils ne sont que cendres aux yeux de ton Seigneur. S'Il le désirait, des vents de tempête souffleraient sur eux et les réduiraient en poussières. Ton Seigneur en vérité fait ce qu'Il Lui plaît.

Ces religieux shi'ihs, faux, cruels et lâches, sans qui, comme le déclarait Baha'u'llah, la Perse aurait été soumise au pouvoir de Dieu en moins de deux ans, ont été alors interpellés dans le Qayyum-i-Asma : O rassemblement de théologiens ! Craignez Dieu dorénavant dans les idées que vous avancez car Celui qui est notre souvenir est parmi vous et Celui qui vient de nous est en vérité le Juge et le Témoin. Détournez-vous de ce que vous détenez et que le Livre de Dieu, le Véritable, n'a pas sanctionné car, au Jour de la résurrection, sur le Pont, vous devrez répondre en vérité du rang que vous occupiez.

Dans le même livre, le Bab s'adresse ainsi aux shi'hs ainsi qu'à tous les disciples du prophète : O rassemblement de shi'hs ! Craignez Dieu et notre Cause qui concerne Celui qui est le très grand souvenir de Dieu. Car grand est son feu, comme le décrète le Livre Mère. O peuple du Coran ! Vous n'êtes rien si vous ne vous soumettez pas au souvenir de Dieu et à ce Livre. Si vous suivez la Cause de Dieu, nous vous pardonnerons vos péchés, et si vous vous détournez de notre commandement, en vérité nous condamnerons votre âme, dans notre Livre, au très grand feu. En vérité nous n'agissons pas injustement envers les hommes, même pas dans la mesure d'une petite tache sur le noyau d'une datte.

Et enfin, dans le même commentaire, il y a cette prophétie renversante : Bientôt en vérité, nous affligerons à ceux qui ont fait la guerre à Husayn [Imam Husayn] dans le pays de l'Euphrate, la plus pénible souffrance et la punition la plus dure et exemplaire. Dans le même livre, se référant aux mêmes personnes, il a écrit : Bientôt, Dieu se vengera d'eux au moment de notre retour, et Il leur a réservé en vérité, dans le monde à venir, une rude souffrance.

Quant à Baha'u'llah, les passages que je cite dans ces pages ne sont qu'une partie des références faites aux théologiens musulmans, innombrables dans ses écrits. L'Arbre sacré au-delà duquel nul ne peut passer, s'exclame-t-il, s'écrie devant la cruauté des théologiens. Il s'exclame et se lamente.
Depuis l'apparition de cette secte [shi'ih], a-t-il écrit dans "L'Epître au Fils du Loup", jusqu'à ce jour, il est apparu tant de théologiens, et aucun d'entre eux n'a pris connaissance de la nature de cette révélation. Quelle a bien pu être la cause de cet entêtement ? Si nous devions le mentionner, leurs membres se casseraient. Ils doivent méditer, méditer pendant mille milliers d'années afin de recueillir peut-être quelques gouttes de l'océan de la connaissance et de découvrir les choses qu'ils ignorent en ce jour. Je marchais dans le pays de Ta [Téhéran] - l'aurore des signes de ton Seigneur - lorsque j'entendis les lamentations s'élever des chaires de prédication et la voix des suppliques qu'ils adressaient à Dieu, qu'Il soit béni et glorifié ! Ils s'écriaient et disaient : "O Dieu du monde et Seigneur des nations ! Tu vois notre état et ce qui nous est arrivé à cause de la cruauté de tes serviteurs. Tu nous as créé et Tu nous a révélés pour Te glorifier et Te louer. Tu entends à présent ce que les rebelles disent de nous en tes jours. Par ta puissance ! Notre âme fond et nos membres tremblent. Hélas, hélas ! Si seulement nous n'avions jamais été créés et révélés par Toi !" Ces mots consument le coeur de ceux qui sont près de Dieu et font pleurer ceux qui Lui sont dévoués.

Dans la même Epître, il a déclaré : Ces épais nuages sont les orateurs des chimères et des vaines imaginations qui ne sont rien d'autre que les théologiens de Perse. Dans le passage cité ci-dessus, dans le même contexte, il explique : Par "théologiens", j'entends ces hommes qui, extérieurement, se parent du vêtement de la connaissance mais qui, intérieurement, en sont dépourvus. A ce sujet, nous citons, de la Tablette adressée à sa majesté le Shah, certains passages des "Paroles cachées" révélées par la plume d'Abha sous le nom de "Livre de Fatimih", que Dieu la bénisse ! "O vous qui êtes fous et portez pourtant un nom qui devrait vous rendre sages ! Pourquoi vous déguiser en bergers alors qu'au fond de vous vous êtes devenus des loups, guettant mon troupeau ? Vous êtes comme l'étoile qui se lève avant l'aurore et qui, bien qu'apparemment brillante et lumineuse, égare les voyageurs de ma ville et les mène sur les chemins de la perdition." De même il dit : "O vous, apparemment justes et pourtant réellement déloyaux ! Vous êtes pareils à de l'eau claire mais au goût amer qui, extérieurement, ressemble au cristal pur mais dont le Goûteur divin ne peut accepter une seule goutte. Oui les rayons du soleil tombent de la même manière sur la poussière et sur le miroir mais leur réflexion diffère, tout comme l'étoile de la terre : non, la différence est infinie.

Dans une autre Tablette, Baha'u'llah a affirmé : Nous avons invité tous les hommes à se tourner vers Dieu et nous leur avons montré le droit chemin. Ils [les théologiens] se sont levés contre nous avec une telle cruauté qu'elle a miné la force de l'Islam et pourtant la plupart des gens sont insouciants ! Les enfants de celui qui est l'ami de Dieu [Abraham], a-t-il en outre écrit, et les héritiers de celui qui a parlé avec Dieu [Moïse], considérés comme les plus misérables des hommes, ont mis les voiles en pièces et déchiré les enveloppes, ils ont saisi le Vin cacheté des mains de la bonté de Celui qui subsiste par Lui-même, en ont bu à satiété, alors que les détestables théologiens shi'ihs sont restés jusqu'à présent hésitants et pervers. Et aussi : Les théologiens de Perse ont perpétré ce qu'aucun peuple parmi les peuples du monde n'a perpétré.

Il s'adresse alors au ministre du Shah à Constantinople : Si cette Cause est de Dieu, aucun homme ne peut l'emporter sur elle ; et dans le cas contraire, les théologiens parmi vous, ceux qui suivent leurs désirs corrompus et ceux qui se sont rebellés contre Lui, suffiront certainement pour la maîtriser.

Dans une autre Tablette, il observe : De tous les peuples du monde, celui qui a subi la plus grande perte a été et est encore le peuple de Perse. Je jure par l'étoile du jour de la Parole qui brille sur le monde dans sa gloire au zénith ! Des chaires s'élèvent continuellement des lamentations dans ce pays. Au début, ces lamentations s'entendaient dans le pays de Ta [Téhéran] car des chaires, érigées pour célébrer le souvenir du Véritable - que sa gloire soit exaltée - sont à présent devenues en Perse des lieux d'où sont prononcés des blasphèmes contre Celui qui est le Désir des mondes.

Sa dénonciation caustique est : En ce jour, le parfum du vêtement de la révélation du Roi éternel flotte sur le monde ... et pourtant ils [les théologiens] se sont rassemblés et se sont établis eux-mêmes sur leur siège, ils ont fait des déclarations qui couvrirait de honte un animal, que dire alors de l'homme ! S'ils se rendaient compte d'un de leurs actes et percevaient le mal qui en a découlé, ils s'expédieraient eux-mêmes, de leurs propres mains, dans leur demeure ultime.

Baha'u'llah leur ordonne alors : O rassemblement de théologiens ! ... Détachez-vous de ce que vous possédez, taisez-vous et prêtez alors l'oreille à ce que dit la Langue de Grandeur et de Majesté. Comme elles furent nombreuses les servantes voilées à se tourner vers moi et à croire, et comme ils furent nombreux les hommes enturbannés à être privés de moi et à suivre les traces des générations passées !

Je jure par l'étoile du jour qui brille sur l'horizon de la parole !
affirme-t-il, une rognure d'ongle d'une de ces servantes croyantes a aujourd'hui plus de valeur aux yeux de Dieu que les théologiens de Perse qui, après treize cents années d'attente, ont commis ce que les Juifs n'avaient pas commis à l'époque de la révélation de celui qui est l'esprit [Jésus]. Il met en garde : Ils peuvent se réjouir des épreuves qui nous sont infligées, le jour viendra où ils se lamenteront et gémiront.

Dans le Lawh-i-Burhan, il s'adresse alors à un mujtahid persan connu, dont les mains étaient tachées du sang de martyrs baha'is : O insensé ! Ne te repose pas sur ta gloire et sur ton pouvoir. Tu es pareil à la dernière lueur de soleil sur le sommet de la montagne. Bientôt elle disparaîtra, comme décrété par Dieu, Celui qui possède tout, le très Haut. Ta gloire et celle de ceux qui te ressemblent vous a été enlevée et ceci est en vérité ce qui a été ordonné par Celui avec qui se trouve la Tablette Mère.... A cause de vous, l'apôtre [Muhammad] s'est lamenté, la Vierge [Fatimih] a crié, les pays se sont dégradés et l'obscurité est tombée sur toutes les régions. O rassemblement de théologiens ! A cause de vous, le peuple a été humilié, la bannière de l'Islam a été descendue et son trône puissant renversé. Chaque fois qu'un homme de discernement a cherché à s'accrocher à ce qui exalterait l'Islam, vous vous êtes écriés et il n'a pas pu dès lors réaliser son objectif alors que le pays continuait à tomber véritablement en ruines.

Baha'u'llah de nouveau prophétise : Dis : O rassemblement de théologiens persans ! En mon nom, vous avez guidé les hommes, et vous occupez les sièges d'honneur à cause de votre relation avec moi. Cependant, lorsque je me suis moi-même révélé, vous vous êtes détournés et vous avez commis ce qui a fait couler les larmes de ceux qui m'ont reconnu. Bientôt, tout ce que vous possédez périra, votre gloire se transformera en la plus misérable des humiliations et vous serez punis pour ce que vous avez fait, comme décrété par Dieu, l'Ordonnateur, le Très-Sage.

Il a écrit dans le Suriy-i-Muluk, s'adressant à tous les chefs ecclésiastiques de l'Islam sunnite à Constantinople, la capitale de l'Empire et le siège du Califat :
O vous théologiens de la ville ! Nous sommes venu à vous avec la vérité alors que vous en étiez inconscients. Il me semble que vous êtes morts, enveloppés dans les draps de votre propre personne. Vous ne cherchiez pas notre présence alors que cela eût été meilleur pour vous que toutes vos actions.... Sachez que si vos dirigeants, auxquels vous prêtez allégeance, dont vous vous glorifiez, que vous mentionnez jour et nuit et qui vous servent d'exemples, avaient vécu à cette époque, ils auraient fait cercle autour de moi et ne se seraient pas séparés de moi, que ce soit le soir ou le matin.
Et pourtant vous n'avez pas tourné votre visage vers ma face, ne serait-ce qu'un instant, vous êtes devenus fiers et peu soucieux de cet Opprimé qui a été tant tourmenté par les hommes qui ont agi avec lui comm il leur plaisait. Vous ne vous êtes pas enquis de ma situation, vous ne vous êtes pas informés des choses qui m'arrivaient. Vous avez ainsi retenus loin de vous les vents de sainteté et les brises de grâce qui soufflent de cet endroit lumineux et clair. Il me semble que vous vous êtes attachés à des choses superficielles, que vous avez oublié le fond des choses et que ce que vous dites, vous ne le faites pas. Vous êtes amoureux des noms et vous vous y êtes abandonnés. C'est pourquoi vous mentionnez ceux de vos dirigeants. Et si quelqu'un comme eux ou supérieur venait à vous, vous le fuiriez. A travers leurs noms, vous vous êtes exaltés vous-mêmes, vous avez assuré votre situation, vous avez vécu et prospéré. Et si vos dirigeants réapparaissaient, vous ne renonceriez pas à votre pouvoir, vous ne vous dirigeriez pas dans leur direction et vous ne tourneriez pas votre visage vers eux.
Nous vous avons trouvés, comme la plupart des hommes, en train de vénérer des noms qu'ils mentionnent tous les jours de leur vie et qui les occupent. Dès que les porteurs de ces noms apparaissent cependant, ils les renient et leur tournent les talons.... Sachez que Dieu n'acceptera pas en ce jour vos pensées ni votre souvenir de Lui, ni votre mouvement vers Lui, ni votre dévotion, ni votre vigilance, tant que vous n'aurez pas une autre opinion de ce serviteur, si seulement vous le perceviez.


La voix d''Abdu'l-Baha, le centre de l'Alliance de Dieu, s'est également élevée, annonçant les grands malheurs qui allaient s'abattre peu après sa mort, sur les hiérarchies religieuses de l'Islam sunnite et shi'ih. Il a écrit : Cette gloire se transformera en l'humiliation la plus basse et ce faste et cette puissance deviendront la plus complète des soumissions. Leurs palaces deviendront des prisons et la course de leur étoile montante se terminera au plus profond de l'enfer. Les rires et les réjouissances disparaîtront et plus encore, la voix de leurs lamentations s'élèvera. Il a également écrit : Comme la neige, ils fondront sous le soleil de juillet.

La dissolution de l'institution qu'était le Califat, la complète sécularisation de l'état où était enchâssée la plus fameuse institution de l'Islam et l'effondrement virtuel de la hiérarchie shi'ih en Perse furent les conséquences visibles et immédiates du traitement infligé à la Cause de Dieu par le clergé des deux plus grandes communions du monde islamique.


22. Le destin déclinant de l'Islam shi'ih

Voyons tout d'abord les châtiments qui ont marqué le destin déclinant de l'Islam shi'ih. Les injustices résumées au début de ces pages, et dont l'ordre ecclésiastique shi'ih en Perse doit être considéré comme le premier responsable ; des injustices qui, selon les propres termes de Baha'u'llah ont fait se lamenter l'apôtre [Muhammad] et pleurer la vierge [Fatimih] et gémir toutes les choses créées et trembler les membres des saints ; des injustices qui ont fait cribler de balles la poitrine du Bab, qui ont fait se courber Baha'u'llah et blanchir ses cheveux, qui l'ont fait gémir de crainte, qui ont fait pleurer Muhammad sur lui, pour lesquelles Jésus s'est frappé la tête et le Bab a pleuré sur son sort - de telles injustices ne pouvaient en fait, et ne devaient pas rester impunies. Dieu, le plus violent des vengeurs attendait, se jurant de ne pas oublier aucune des injustices de l'homme. Le fouet de son châtiment, rapide, soudain et terrible, s'abattit finalement sur les responsables de ces injustices.

Une révolution, aux proportions fantastiques, aux répercussions très étendues, étonnante par l'absence de sang répandu et même de violence qui distingua sa progression, défia le pouvoir ecclésiastique qui, pendant des siècles, avait été l'essence de l'Islam dans ce pays, et renversa littéralement une hiérarchie où s'entremêlaient inextricablement les rouages de l'état et la vie du peuple. Une telle révolution ne marqua pas la séparation de l'état-église. Elle fut en fait comme l'éclatement de ce qu'on pourrait appeler une église-état - un état qui avait attendu avec confiance, jusqu'au moment-même de sa fin, l'événement heureux de l'Imam caché qui, non seulement prendrait les rênes de l'autorité des mains du Shah, le magistrat en chef qui ne faisait que le représenter, mais qui assumerait également l'autorité sur la terre entière.

L'esprit que cet ordre clérical avait tenté d'écraser avec tant d'acharnement pendant tout un siècle , la Foi qu'il avait essayé d'extirper avec une brutalité si féroce, menaçaient à présent, à travers les forces qu'ils avaient engendré dans le monde, l'équilibre et minaient la force de ce même ordre dont les ramifications s'étaient étendues à chaque sphère, à chaque fonction et à chaque acte de la vie dans ce pays. Le mur de pierre de l'Islam, apparemment imprenable, tremblait à présent sur ses fondations et menaçait ruine devant les yeux-mêmes des disciples persécutés de la Foi de Baha'u'llah. Une hiérarchie cléricale qui avait si longtemps maintenu en esclavage la Foi de Dieu et qui avait semblé un instantl'avoir mortellement terrassée, se trouvait à présent être la proie d'une autorité civile supérieure dont la politique avouée était d'enrouler solidement et implacablement ses anneaux autour d'elle.

Le vaste système de cette hiérarchie, avec tous ses éléments et toutes ses servitudes - ses shaykhu'l-islams (hauts prêtres), ses mujtahids (docteurs de la loi), ses mullas (prêtres), ses fuqahas (juristes), ses imams (chefs de prières), ses mu'adhdhins (crieurs), ses vu'azz (prédicateurs), ses qadis (juges), ses mutavallis (gardiens), ses madrasihs (lieux de séminaires), ses mudarrisins (professeurs), ses tullabs (élèves), ses qurra's (psalmodieurs), ses mu'abbirins (devins), ses muhaddithins (narrateurs), ses musakhkhirins (dompteurs de l'esprit), ses dhakirins (ceux qui commémorent), ses 'ummal-i-dhakat (distributeurs d'aumônes), ses muqaddasins (saints), ses munzavis (reclus), ses sufis, ses derviches, et tout autre - fut paralysé et tout à fait discrédité. Ses mujtahids, ces brandons de discorde, qui avaient le pouvoir de vie et de mort et qui avaient reçu pendant des générations des honneurs de nature quasi royale, furent réduits à un nombre déplorablement bas.

Les prélats enturbannés de l'église islamique qui, selon les mots de Baha'u'llah, se couvraient la tête de vert et de blanc et commettaient des actes qui faisaient gémir l'Esprit fidèle furent impitoyablement balayés à l'exception d'une poignée d'entre eux qui, pour se protéger de la fureur d'une population impie, sont maintenant obligés de se soumettre à l'humiliation de présenter, chaque fois que l'occasion le demande, la licence octroyée par les autorités civiles pour porter cet emblème en voie de disparition d'une autorité évanouie. Ceux qui restaient de cette classe enturbannée, que ce soit des siyyids, des mullahs ou des hajis, durent non seulement échanger leur vénérable coiffe contre le kulah-i-farangi (chapeau européen) qu'ils avaient récemment maudit eux-mêmes, mais aussi se défaire de leur robe tombante et revêtir les vêtements près du corps de style européen dont ils avaient eux-mêmes si violemment désapprouvé l'introduction dans leur pays une génération avant.

Les dômes bleus foncés et blancs - allusion d''Abdu'l-Baha aux couvre-chefs ronds et massifs des prêtres de Perse - avaient été en fait retournés. Ceux qui les avaient coiffés, les ecclésiastiques arrogants, fanatiques, perfides et rétrogrades, dont, comme l'affirmait Baha'u'llah, l'autorité détenait les rênes du peuple, dont les paroles sont la fierté du monde, et dont les actes font la honte des nations, reconnaissant le pitoyable état de leur situation, se retirèrent dans leur maison, abattus et sans espoir, pour y traîner une existence misérable. Sombres et impuissants, ils regardent le déroulement d'un processus qui, ayant renversé leur politique et ruiné leur oeuvre, se dirige inexorablement vers son apogée.

Le faste et l'apparat de ces princes de l'église de l'Islam ont déjà disparu. Leurs cris fanatiques, leurs invocations braillardes, leurs manifestions vociférantes se sont tus. Leurs fatvas (jugements), prononcés avec tant d'effronterie et dénoncant parfois des rois, sont lettres mortes. La spectaculaire vision de prières publiques, auxquelles participaient des milliers de fidèles alignés en rangs, a disparu. Les chaires, d'où ils déchargeaient les tonnerres de leurs anathèmes aussi bien contre les puissants que contre les innocents, sont désertes et silencieuses. Leurs waqfs, ces inestimables et vastes dotations - propriété terrienne de l'Imam attendu - qui, à une époque, rien qu'à Isfahan, embrassaient toute la ville, leur ont été arrachés des mains et mis sous le contrôle d'une administration laïque. Leurs madrasihs (lieux de séminaires), avec leur enseignement médiéval, sont désertés et dilapidés.

Les innombrables volumes de commentaires théologiques, de sur-commentaires, de glossaires et de notes, illisibles, inutiles, produit d'une ingéniosité et d'un labeur mal dirigés, et déclarés par l'un des penseurs islamiques les plus éclairés des temps modernes comme étant des travaux obscurcissant la vraie connaissance, engendrant des vers et bons pour le feu, sont à présent enterrés, recouverts de toiles d'araignées et oubliés.

Leurs dissertations obscures, leurs controverses véhémentes, leurs discussions interminables sont dépassées et abandonnées. Leurs masjids (mosquées) et leurs imam-zadihs (tombeaux des saints) qui avaient le privilège d'accorder l'asile (droit du sanctuaire) à bon nombre de criminels et qui avaient dégénérés en un scandale monstrueux, dont les murs retentissaient des psalmodies d'un clergé hypocrite et débauché, dont les ornements rivalisaient avec les trésors des palais des rois, sont à présent soit abandonnés, soit tombés en ruines. Leurs takyihs, repaires de piétistes paresseux, passifs et contemplatifs, sont soit vendus, soit fermés. Leurs ta'ziyihs (pièces religieuses), jouées avec un zèle barbare et accentuées par des spasmes subits d'excitation religieuse débridée, sont interdites. Même leurs rawdih-khanis (lamentations) avec leurs hurlements prolongés et plaintifs qui s'élevaient de tant de maisons, ont été raccourcis et découragés.

Les saints pèlerinages à Najaf et à Karbila, les mausolées les plus sacrés du monde shi'ih, se raréfient et sont de plus en plus difficiles, empêchant par là-même bien des mullas avares d'abuser de cette pratique ancienne consistant à exiger le double pour faire ces succédanés de pèlerinages pour des personnes à l'esprit religieux. L'abandon du voile que les mullas ont défendu becs et ongles ; l'égalité des sexes que leur loi interdisait ; la création de tribunaux civils qui remplaçaient leurs cours ecclésiastiques ; l'abolition du sighih (concubinage) qui, lorsque pratiqué sur une courte période, est difficilement différentiable de la quasi-prostitution, et qui a fait de la turbulente et fanatique Mashhad, centre national de pèlerinage, une des villes les plus immorales d'Asie ; et enfin, les tentatives de discréditer la langue arabe, langue sacrée de l'Islam et du Coran, et de la séparer de Perse - tout cela a favorisé tour à tour l'accélération de ce processus impulsif qui a soumis à l'autorité civile la position et les intérêts du clergé musulman à un point qu'aucun mulla n'aurait pu imaginer.

L'aqa (mulla) portant autrefois un haut turban, une longue barbe et l'air solennel, lui qui s'était mêlé avec tant d'insolence à chaque domaine de l'activité humaine peut bien à présent, alors qu'il est assis, tête nue, rasé de près, enfermé chez lui et écoutant peut-être le son de la musique occidentale qui retentit dans le ciel de son pays natal, s'arrêter pour réfléchir un instant sur les splendeurs disparues de son défunt empire. Il peut bien méditer sur les ravages que la vague montante du nationalisme et du scepticisme a accomplis dans les traditions adamantines de son pays. Il peut bien se souvenir des jours heureux où, assis à dos d'âne et paradant dans les bazars et les maydans de sa ville natale, une foule ardente mais trompée se précipitait pour embrasser avec ferveur non seulement ses mains, mais aussi la queue de l'animal qu'il montait. Il peut bien se remémorer le zèle aveugle avec lequel ils acclamaient ses actes, et les prodiges et les miracles qu'ils prêtaient à leur accomplissement.

Il peut bien en fait regarder plus loin et se rappeler le règne de ces pieux monarques Safavi qui aimaient s'appeler eux-mêmes "les chiens du seuil des imams immaculés", et comment l'un de ces rois fut amené à mettre pied à terre devant le mujtahid alors qu'il se promenait à cheval dans maydan-i-Shah, place principale d'Isfahan, en signe de soumission royale au ministre favori de l'Imam caché, un ministre qui, à la différence du titre de Shah, se faisait appeler "le serviteur du Seigneur de Sainteté (Imam 'Ali)."

Il peut se demander si ce n'était pas ce même Shah, 'Abbas le Grand, qui avait été traité avec arrogance par un autre mujtahid de "fondateur d'un empire d'emprunt", ce qui impliquait que le royaume du "roi des rois" appartenait réellement à l'Imam attendu et n'était attribué au Shah qu'en tant que mandataire temporaire ? N'était-ce pas ce même Shah qui marcha pendant huit cents miles pour couvrir la distance d'Isfahan à Mashhad, la "gloire spéciale du monde shi'ih" afin d'offrir ses prières au tombeau de l'Imam Rida, de la seule façon qui convienne au shahanshah, et qui coupa les quelque mille bougies qui ornaient ses cours ? Le Shah Tahmasp n'avait-il pas bondi sur les pied en recevant une épître écrite par un autre mujtahid, ne l'avait-il pas placée sur ses yeux, ne l'avait-il pas embrassée avec délices et, parce qu'il y avait été appelé "frère", n'avait-il pas ordonné qu'elle soit placée dans son linceul et enterrée avec lui ?

Ce même mulla ne peut-il méditer sur les torrents de sang qui, pendant les longues années où il jouissait de l'impunité de ses actes, ont coulé sur son ordre, sur les anathèmes flamboyants qu'il prononça, et sur les veuves et les orphelins, les déshérités, les déshonorés, les déchus et les sans abri qui, au Jour du Jugement, crieront vengeance d'une seule voix et appelleront la malédiction de Dieu sur lui ?

Cette bande infâme avait en fait mérité l'avilissement qu'elle a connu. Ignorant sans cesse la condamnation que le doigt de Baha'u'llah avait tracée sur le mur, elle poursuivit pendant près d'un siècle sa course fatale jusqu'à ce qu'à l'heure dite, le glas funeste de sa mort ne soit sonné par ces forces spirituelles et révolutionnaires qui, concordant avec les premières lueurs de l'aube de l'Ordre mondial de sa Foi, sont en train de renverser l'équilibre et de semer tant de confusion sur les vieilles institutions de l'humanité.


23. L'effondrement du Califat

Ces mêmes forces, agissant dans un domaine parallèle, ont réalisé une révolution encore plus remarquable et plus radicale qui a culminé avec l'effondrement et la chute du Califat musulman, l'institution la plus puissante de tout le monde islamique. Cet événement, d'une signification extraordinaire, a en plus été suivi d'une séparation officielle et définitive entre ce qui restait de la foi sunni en Turquie et l'état, ainsi que d'une complète sécularisation de la république qui est née sur les ruines de l'empire théocratique ottoman. Je vais à présent analyser cette chute catastrophique qui a stupéfié le monde islamique et le divorce avoué, sans réserve et officiel entre les pouvoirs spirituel et temporel qui caractérisa la révolution en Turquie par rapport à celle qui eut lieu en Perse.

L'Islam sunni a essuyé un coup plus dur que celui qui s'est abattu presque simultanément sur sa secte soeur en Perse et cela, non en raison de l'action d'une puissance étrangère envahissante, mais aux mains d'un dictateur professant ouvertement la foi de Muhammad. Cet acte de vengeance dirigé contre le grand adversaire de la Foi de Baha'u'llah nous remémore une catastrophe similaire déclenchée par l'action d'un empereur romain pendant la dernière partie du premier siècle de l'ère chrétienne - un désastre qui détruisit de fond en comble le Temple de Salomon, rasa le Saint des Saints, démolit la ville de David, déracina la hiérarchie juive à Jérusalem, massacra des milliers de Juifs - les persécuteurs de la religion de Jésus-Christ -, dispersa les survivants sur la surface de la terre et érigea une colonie païenne sur Zion.

Le Calife, le prétendu vicaire du prophète de l'Islam, exerçait une souveraineté spirituelle et était investi d'un caractère sacré que le Shah de Perse ne contestait ni ne possédait. Il ne faut pas non plus oublier que la sphère de sa juridiction spirituelle s'étendait dans des pays bien au-delà des frontières de son propre empire et embrassait la grande majorité des musulmans de par le monde. Il était en outre, en tant que représentant du prophète sur terre, considéré comme le protecteur des villes saintes de La Mecque et de Médine, comme le défenseur et le propagateur de l'Islam et comme le commandant de ses disciples dans toute guerre sainte qu'ils seraient amenés à livrer.

Un personnage si puissant, si auguste, si sacré fut d'abord, en raison de l'abolition du Sultanat en Turquie, privé de cette autorité temporelle que les interprètes de l'école sunni ont considéré comme indispensable à cette haute fonction. Le glaive, emblème de la souveraineté temporelle, fut ainsi arraché des mains du commandant qui, pendant une brève période, fut autorisé à occuper une position si anormale et précaire. On annonça bientôt cependant au monde sunni qui n'avait pas du tout été consulté au préalable que le Califat lui-même s'était éteint et que le pays qui l'avait accepté comme étant l'apanage de son Sultanat pendant plus de quatre cents ans l'avait à présent définitivement désavoué. Les Turcs ont renoncé à leur suprématie, eux qui avaient été les chefs militants du monde musulman depuis le déclin arabe et qui avaient porté l'étendard de l'Islam jusqu'aux portes de Vienne, le siège du gouvernement de la première puissance européenne. L'ancien calife, dépouillé de son faste royal, privé des symboles de son vicariat et abandonné aussi bien par ses amis que par ses ennemis, dut s'enfuir de Constantinople, siège altier d'une souveraineté duale, vers la terre des infidèles, se résignant à mener la même vie d'exil à laquelle bon nombre de ses collègues souverains avaient été condamnés et l'étaient encore.

Et le monde sunni, malgré tous ses efforts, n'a pas réussi à désigner quelqu'un à sa place qui, bien que privé du glaive de commandant, continuerait à jouer le rôle de gardien du manteau et de l'étendard de l'apôtre de Dieu - les deux symboles sacrés du Califat. Des conférences eurent lieu, des discussions s'ensuivirent, un congrès du Califat fut rassemblé dans la capitale égyptienne, la cité des Fatimites, tout cela pour n'aboutir que dans l'aveu public et largement diffusé de son échec : "Ils s'accordent à ne pas s'accorder."

Etrange, incroyablement étrange doit paraître la position de cette branche très puissante de la foi islamique, sans chef apparent et visible pour se faire le porte-parole de ses sentiments et de ses convictions, avec son unité irrémédiablement brisée, son éclat terni, ses lois minées, ses institutions jetées dans une confusion sans espoir. Cette institution qui avait défié les droits inaliénables, divinement octroyés des imams de la foi de Muhammad était partie en fumée, après treize siècles, une institution qui avait porté des si coups impitoyables à une foi dont le héraut était lui-même un descendant des imams, les successeurs légaux de l'apôtre de Dieu.

A quoi d'autre cette remarquable prophétie contenue dans le Lawh-i-Burhan ferait-elle allusion si ce n'est à la chute de ce suzerain couronné des musulmans sunnis ? O concours de théologiens musulmans ! A cause de vous, le peuple a été humilié, la bannière de l'Islam descendue et son trône puissant renversé. Que dire de la prophétie tout à fait claire et étonnante qui se trouve dans le Qayyum-i-Asma ? Bientôt, en toute vérité, nous infligerons à ceux qui ont déclaré la guerre à Husayn [Imam Husayn] dans le pays de l'Euphrate les tourments les plus durs et la punition la plus terrible et la plus exemplaire. Quelle autre interprétation donner à cette tradition islamique ? Dans les derniers temps, un grand malheur s'abattra sur mon peuple, des mains de son dirigeant, un malheur si grand qu'aucun homme n'en a jamais entendu de plus grand.

Ceci n'était pas tout cependant. La disparition du Califat, tête spirituelle de plus de deux cent millions de musulmans, entraîna dans son sillage, dans le pays qui avait infligé un tel coup dur à l'Islam, l'annulation de la loi canonique shari'ah, la sécularisation des institutions sunnis, la promulgation d'un code civil, la suppression des ordres religieux, l'abrogation des rituels et des traditions inculqués par la religion de Muhammad. Le shaykhu'l-islam et ses satellites, y compris les muftis, hujahs, shaykhs, sufis, hajis, mawlavis, derviches et autres, disparurent de façon plus déterminée, plus ouverte et drastique que les shi'ihs sous les coups du Shah et de son gouvernement. Les mosquées de la capitale, gloire et fierté du monde islamique, furent désertées, et la plus belle et la plus réputée d'entre elles, l'incomparable Ste Sophie, "le second firmament", "le véhicule du chérubin", fut transformée en musée par les auteurs braillards d'un régime séculaire.

La langue arabe, langue du prophète de Dieu, fut interdite dans le pays, son alphabet fut remplacé par les caractères latins et le Coran lui-même fut traduit en turc pour les quelques personnes qui désiraient encore le lire. La constitution de la nouvelle Turquie non seulement proclamait officiellement la séparation et la sécularisation de l'Islam, avec tous les décrets concomitant et athéistiques, aux yeux de certains, mais annonçait aussi diverses mesures visant à l'humilier et à l'affaiblir davantage. Même la ville de Constantinople, "le dôme de l'Islam", apostrophée en des termes si accusateurs par Baha'u'llah, qui, après la chute de Byzance, fut saluée par le grand Constantin comme étant la "nouvelle Rome" et promue au rang de métropole à la fois de l'Empire romain et de la chrétienté et ensuite vénérée comme étant le siège des Califes, fut reléguée au rang de ville provinciale et privée de tout son faste et de toute sa gloire, ses minarets fins et élancés dressés comme une sentinelle devant la tombe de tant de splendeur et de pouvoir évanouis.

Baha'u'llah a ainsi interpellé la cité impériale, en des termes qui rappellent les paroles prophétiques de Jésus-Christ à Jérusalem : O lieu situé sur les rives des deux mers ! Le trône de la tyrannie s'est en vérité établi sur toi et la flamme de la haine s'est allumée en ton sein de telle manière que le concours des cieux et ceux qui font cercle autour de Trône exalté ont pleuré et se sont lamentés. Nous voyons en toi les fous diriger les sages et l'obscurité se pavaner devant la lumière. Tu es en réalité remplie de fierté manifeste. Ta splendeur extérieure t'a-t-elle rendue orgueilleuse ? Par Celui qui est le Seigneur de l'humanité ! Elle périra bientôt et tes filles, tes veuves et toutes les familles qui vivent en toi se lamenteront. Ainsi t'informe l'Omniscient, le Très-Sage.

Tel fut le sort de l'Islam shi'ih et sunni dans les deux pays où ils avaient planté leur bannière et élevé leurs institutions très puissantes et renommées. Tel fut leur sort dans ces deux pays où, dans l'un, Baha'u'llah mourut en exil, et, dans l'autre, le Bab souffrit le martyr jusqu'à la mort. Tel fut le sort du soi-disant vicaire de Dieu et des ministres préférés de l'Imam encore attendu.

Baha'u'llah affirme : Le peuple du Coran s'est levé contre nous, et nous a infligé un tel tourment que le Saint Esprit s'en est lamenté, que le tonnerre en a grondé et que les nuages ont pleuré sur nous.... Muhammad, l'apôtre de Dieu, dans le paradis le plus haut, a déploré leurs actes. Leurs propres traditions les condamnent : Mon peuple sera témoin qu'un jour, il ne restera plus de l'Islam qu'un nom, et du Coran, qu'une simple apparence. Les docteurs de cette époque seront les plus mauvais que le monde aura jamais connu. Le mal est venu d'eux et sur eux il retombera. Et encore : La plupart de ses ennemis seront les théologiens. Ses ordres, ils ne les suivront pas mais ils protesteront en disant : "Ceci est contraire à ce qui nous a été transmis par les imams de la Foi." Et encore : A cette heure, sa malédiction descendra sur vous, votre blasphème vous affligera et votre religion restera un mot creux sur votre langue. Et lorsque ces signes apparaîtront parmi vous, anticipez le jour où le vent brûlant vous balayera, ou le jour où vous serez défigurés, ou le jour où les pierres pleuvront sur vous.


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